Le statut de l’auteur (et donc le droit d’auteur qui en découle) est une construction purement politique, qui a des effets importants, en créant une économie de la rente et de la prédation. Le secteur du numérique l’a particulièrement senti depuis 20 ans, ce droit d’auteur étant utilisé pour opérer une véritable saignée, le secteur culturel se comportant comme une sangsue sur cette nouvelle industrie.
Économiquement, l’auteur est juste un producteur de matière première, dans une chaine de valeur dominée par les transformateurs et les distributeurs. Exactement comme dans tous les secteurs (regardez l’agriculture par exemple). C’est en général le maillon le plus faible, celui qui apporte une base, indispensable au reste de la chaine, mais pas « vendable » en l’état, donc devant être transformée, pour prendre une valeur aux yeux des consommateurs.
Par l’effet d’un puissant lobbying, les organisations d’auteurs ont réussi à faire admettre, par pure convention politique, que la matière première qu’il fournissent est exceptionnelle, d’une autre nature que les autres producteurs de matière première, et doit donc être traitée différemment sur le plan juridique. Tout cela a été habillé de grands mots et de mythes, comme celui de la « création » sorte d’alchimie aux relents de proximité avec le divin, donnant une consonance sacrée.
Cette opération de lobbying réussie n’a pu durer que par le soutien du reste de la chaine industrielle. Transformateurs et distributeurs, contre qui était au départ braqué l’outil juridique du droit d’auteur, s’en sont emparés, pour l’utiliser contre d’autres secteurs économiques, pour les racketter. Tous les outils ont été progressivement mis en place pour organiser la perception, trouver de nouvelles ressources, et entretenir le mythe fondateur (baptisé « exception culturelle »). Le ministère de la Culture est devenu leur succursale, chargé de défendre leurs intérêts, et non pas ceux du public et de la diffusion de la culture. Ironie de l’histoire, les auteurs sont le maillon faible de la filière culturelle, comme dans toute filière industrielle.
Le droit d’auteur, c’est avant tout une rente, le droit d’aller piquer dans la caisse des autres, au nom d’un « droit de suite » du producteur de la matière première. Il en découle un système qui cherche à maximiser cette rente, soit dans l’assiette, soit dans les taux. Cette industrie du divertissement pousse à une extension de la durée (on est à 70 ans après la mort du premier titulaire). Le mouvement est toujours en cours, on le voit actuellement dans les tentatives de faire payer les revendeurs de livres d’occasion ou encore les entreprises qui développent des outils d’IA. Dans un passé récent, leur grande réussite a été le mécanisme de la copie privée, dévoyé pour devenir une pompe aspirante, qui permet d’aller chercher de l’argent dans la poche des revendeurs de smartphones d’occasion.
C’est un mécanisme économiquement très mauvais, car il n’incite pas du tout à l’innovation, à la fois dans son propre écosystème, mais aussi chez les autres, qui peuvent avoir à utiliser (même marginalement) des éléments couverts par ce droit d’auteur. En mettant une barrière à l’entrée, une obligation de payer, avant même d’avoir pu faire quoi que ce soit, on tue dans l’œuf des innovations. C’est donc un mécanisme profondément conservateur, dont l’utilisation rigide et rapace a, paradoxalement, diminué la portée. Combien de « poules aux œufs d’or » ont été tuées par les sociétés de gestion de droit d’auteur ? Sans doute beaucoup.
Il serait temps d’avoir un débat de fond sur la justification de cette « exception culturelle », dans son principe même, mais aussi en regard de ce qu’elle est devenue. En quoi devrait-il y avoir une « exception » pour le secteur culturel ? C’est une industrie comme une autre. En quoi la création littéraire et artistique devrait-elle bénéficier d’un statut juridique aussi privilégié ? Pourquoi ne pas l’étendre à tous les producteurs de matière première d’une filière industrielle, afin de leur apporter une protection ? Je suis certain que les agriculteurs seraient très heureux de bénéficier d’une redevance prélevée sur les restaurants et lieux de consommation de nourriture.
Le deuxième débat est de savoir, si on le maintient, jusqu’où va ce droit. On arrive à des extensions délirantes, comme celui de la copie privée, où le secteur de la culture fait payer les revendeurs de smartphones, au prétexte que l’outil peur servir à copier et stocker des produits issue du droit à la copie privée. Autant le mécanisme pouvait avoir du sens à l’époque des magnétophones et des magnétoscopes, autant aujourd’hui, à l’heure du streaming, c’est complètement marginal.
C’est aussi la bagarre (à fort enjeu financier) autour de l’IA, où les entreprises qui développement des modèles estiment être dans le cadre des exceptions (Fair use des anglo-saxons, exception text and data mining en Europe) et donc ne pas avoir à payer. Une perspective insoutenable pour le complexe industriel de la culture, qui comme le requin qui flaire une goutte de sang, s’est précipité sur cette proie potentielle, qu’il entend bien saigner. Quitte à flinguer l’innovation.
9 réponses sur « Il faut stopper la voracité des cultureux »
Il existe une différence de nature entre les auteurs et les autres producteurs de ‘matiere première’ : la possibilité de recopier. Si on supprime purement et simplement le droit d’auteur, il devient impossible de vendre sa création : il est alors gratuit de le recopier.
Il faut réformer le droit d’auteur mais en même refusant d’adresser ce point, l’article perd nettement en force de conviction.
Il ne faudrait pas oublier les créateurs les plus utiles : les entrepreneurs. Eux aussi ont cette pulsion créatrice, eux aussi ont des idées qui peuvent être copiées par n’importe qui. Seulement, ils sont ponctionnés, absolument pas protégés. Pire, une bonne partie des cultureux est subventionnée pour leur cracher dessus. Alors que ce sont les entrepreneurs les principaux créateurs de richesse. Faut pas s’étonner que ce pays s’enfonce…
Bonjour. Permettez-moi de ne pas être d’accord sur la plupart de vos propos. Quand je fais une photo, c’est mon regard, c’est ma sensibilité que j’exprime dedans. Quand j’écris un texte c’est la même chose. Quand je fais un montage vidéo, c’est encore la même chose.
Ce que vous préconisez, c’est purement et simplement de nier cette part de moi-même que je mets dans toutes mes créations. Et de permettre à tout le monde d’en faire non seulement ce qu’il veut, mais aussi d’en tirer profit. Or, sans droit d’auteur, il n’y a pas non plus de droit moral. Trouveriez-vous normal et acceptable que le RN reprenne vos textes, les déforme, et que vous n’ayez aucun moyen de vous y opposer? Trouveriez-vous normal qu’une musique que vous avez créé soit utilisée comme bande-son encensant des crimes de guerre? Voire que votre nom, en tant « qu’auteur » soit associé à cela? Trouvez-vous normal que Google se fasse des milliards, en reproduisant et diffusant les articles de presse, et n’ait pas besoin de rémunérer les journalistes qui ont fait le travail de fond?
Par extension, d’ailleurs, supprimer le droit d’auteur, c’est aussi supprimer le droit des brevets. Car l’un comme l’autre se basent exactement sur les même principe de création originale.
Maintenant, oui, il y a des dérives. Le cas de la « taxe sur la copie privée » en est une. Si elle pouvait avoir un peu de sens quand elle a été créée, aujourd’hui elle n’en a plus. Puisque ce n’est plus la copie physique d’une œuvre qui rémunère les auteurs, mais sa diffusion numérique.
Après, ce droit mériterait peut-être d’être aménagé. Ainsi le fait que je ne puisse pas utiliser gratuitement une musique créé par un autre, dans mes propres créations, qui n’ont aucun but commercial, est parfois très limitant. Mais c’est justement le rôle des licences « creative common » d’expliciter le fait que l’on donne le droit d’utiliser ses propre créations.
Est-ce que le droit d’auteur « bride l’innovation »? Je ne vois pas en quoi elle a pu le faire dans le passé. En tous cas si elle l’a fait c’est dans une proportion bien plus faible que le principe des brevets.
Aujourd’hui cette question a une autre tonalité avec l’arrivée de l’IA. Sauf que le droit d’auteur ne bride rien du tout en IA. Les principes, les algorithmes, employés en IA ne sont pas liés à mes propres créations. Ce sont uniquement les données servant à les « nourrir » qui peuvent être concernées. Mais en quoi, « copier ce que je fais » est-il une « innovation »? Donc, utiliser mes créations dans une IA n’apporte rien de nouveau ni d’original. C’est uniquement « transformer l’IA en faussaire ». Si le but, selon votre point de vue, de l’IA, c’est cela, je crois qu’il y a un problème.
Votre commentaire et celui d’OlivierE sont intéressants, même si en lisant le billet d’Authueil (et en ayant plus ou moins à l’esprit les précédents sur le sujet), je n’ai pas l’impression qu’il visait tant les créateurs que les sociétés d’auteurs et leurs idées farfelues. Je me rappelle que leurs dirigeants étaient prêts à limiter l’innovation technologique (le haut débit ne servant qu’à copier selon eux) ou les droits fondamentaux (vérifier que rien n’était copié justifait de surveiller tout ce que vous faisiez en ligne).
Mais ce qui me pousse à prendre le clavier, c’est surtout une remarque de votre commentaire: en quoi le droit d’auteur et le droit moral sont-ils liés ? Pas de sous-entendus dans ma question, juste une vraie interrogation.
Bonjour. Le droit moral c’est la possibilité de s’opposer à l’utilisation de votre œuvre pour des buts contraires à vos souhaits/principes. Et contrairement au droit d’auteur il est d’une durée infinie. Mais bien sûr cela signifie que la paternité de l’œuvre vous soit reconnue. Ce qui est le but du droit d’auteur. Donc, à partir du moment où le législateur dirait « nous supprimons le droit d’auteur », il devient à mon avis (mais à faire confirmer par un juriste) compliqué de maintenir un droit moral.
Je n’ai rien contre le droit d’auteur. C’est juste la manière son aspect économique est exploité, qui pose de graves problèmes.
Pour être plus précis, le droit moral est une des composantes du droit d’auteur. Ce que vous appelez « droit d’auteur » n’est en fait que l’autre composante, les « droits patrimoniaux ».
Petit ajout à mon long commentaire. Je rappellerai aussi que le droit d’auteur ne couvre pas que les œuvres culturelles. Il couvre tout ce qui est « œuvres de l’esprit ». C’est à dire entre autres les logiciels (qui ne sont pas brevetables). Donc supprimer le droit d’auteur, c’est aussi détruire l’industrie du logiciel. Puisque, sans ce droit n’importe quelle entreprise pourrait distribuer des copies d’un logiciel (coup nul) sans avoir à payer les mois, voire les années d’investissement nécessaires pour le créer.
« Les logiciels (qui ne sont pas brevetables) ».
Attention, c’est plus compliqué que ça. Les « logiciels en tant que tels » ne sont pas brevetables, mais les « inventions mises en œuvre par ordinateur » – c’est à dire, en pratique, les procédés qui résultent de l’exécution d’un logiciel – peuvent l’être à certaines conditions.