Nous vivons une période politiquement difficile, mais potentiellement salutaire pour notre démocratie. Nous sommes en train de nous sevrer de la culture politique présidentialiste de la Ve République. Comme pour le fumeur en sevrage, c’est difficile, car nous sommes toujours sur des vieux réflexes, à chercher à nous raccrocher à des mécanismes et des habitudes qui ne fonctionnent qu’en période de majorité absolue stable.
Nous sommes déboussolés, mais pourtant, on commence à voir quelques débuts de réflexions et d’évolutions des pratiques. C’est par exemple Laurent Wauquiez qui dit qu’avant de composer un gouvernement, il faudrait peut-être d’abord passer un pacte entre partis, définir le « quoi » avant le « qui ». C’est une évidence pour toutes les « vraies » démocraties parlementaires, et je ne suis pas dupe des arrières-pensées politiciennes de Wauquiez (mettre une peau de banane sous les pieds de Retailleau). Il n’empêche, ça commence à venir, et peut-être que Sébastien Lecornu va essayer de faire quelque chose dans ce sens. Cela sera nécessairement imparfait et insuffisant, car il n’a que 15 jours-3 semaines, alors que dans les autres pays, ça prend 3 mois, et de toute manière, tant que les leaders politiques ont les yeux rivés sur la présidentielle, et donc ne veulent surtout pas se compromettre, il ne se passera rien de sérieux.
On commence également à avoir, très timidement, des débuts de réflexion sur la nécessité d’être fiable et respectueux. Pour l’instant, on constate surtout les dégâts que provoquent leur absence, entre un RN qui prend les concessions, et plante le gouvernement (que ce soit Barnier ou Bayrou), ou encore la majorité, qui s’est bien foutu de la gueule de la gauche avec le « conclave » sur les retraites, en lançant quelque chose en sachant pertinemment que ça finirait en eau de boudin. Il faut arriver à se déshabituer de la drogue dure qu’est le « winner takes all » et l’arrogance qui l’accompagne, où l’opposition est rejetée hors de la sphère décisionnelle (en attendant que les rôles s’inversent, donc sans volonté de changer le système).
Il faut d’abord toucher le fond avant de remonter, il faut un écœurement démocratique, pour se dire qu’on ne trouvera pas de solution en essayant de ressusciter l’ancien système. Je pense qu’on n’a pas fini de creuser, et que les tentatives de fermer la parenthèse vont durer jusqu’au la présidentielle de 2027. Et c’est seulement si ce scrutin ne règle rien, avec par exemple une assemblée sans majorité après la dissolution post-présidentielle, que l’on se résoudra à faire les réformes institutionnelles pour basculer dans un véritable régime parlementaire. On n’aura plus le choix. C’est souvent comme cela qu’on fait les réformes en France, quand on est au pied du mur.
Il n’y a pourtant pas grand chose à changer dans nos mécanismes institutionnels. Un passage à la proportionnelle (la vraie, pas un scrutin majoritaire déguisé), quelques réformes constitutionnelles pour rogner les pouvoirs de l’exécutif face au législatifs, et encadrer les prérogatives présidentielles. Il faudra imposer que le gouvernement, avant d’entrer en fonction, doive obtenir la confiance de l’Assemblée, afin que le Premier ministre tire sa légitimité du Parlement, et pas du président. Il faut revoir les mécanismes tels que le 49.3, le vote bloqué. Au passage, notre procédure parlementaire, complètement obsolètes, doit être revisitée. Les pouvoirs propres du président, à commencer par la dissolution, doivent être bien plus encadrés, et qu’on ne se retrouve plus avec une dissolution surprise pour convenances personnelles. Derrière, bien entendu, il faudra que la culture politique, des citoyens comme de la classe politique, évolue afin de faire vivre les institutions selon un esprit parlementaire. C’est cela le plus important, et la période difficile que nous vivons est essentielle, pour que nous nous disions « plus jamais ça ». Là dessus, on est servi.
Mais en attendant, on va en baver jusqu’à l’été 2027, et ça, ce n’est pas agréable. Mais si on peut commencer à préparer l’après (parce que ça ira vite), ça peut permettre de supporter un peu le dégoût et le découragement démocratique.