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Figures de spiritualité

Ce billet part d’un tweet, lancé vendredi 11 septembre (une éternité sur les réseaux) où l’utilisateur Le Nain demande à ses followers de donner les figures qui ont compté dans leur spiritualité. J’ai eu envie de lui répondre (puisque très aimablement, il ne se limite pas aux catholiques, même s’ils sont son cœur de cible).

Plus que des penseurs, ce sont deux livres qui m’ont marqué dans mon itinéraire, « La subversion du christianisme » de Jacques Ellul et « Le désenchantement du monde », de Marcel Gauchet.

Deux ouvrages qui amènent à penser le fait religieux de manière radicalement différente, et à voir le christianisme avant tout comme une éthique de vie, une exigence que l’homme se fixe à lui-même. Une religion qui en arrive presque à se passer de la figure de Dieu.

Marcel Gauchet explique que le christianisme est en rupture avec les autres croyances, et est la « religion de la sortie de la religion ». C’est une croyance qui amène à sortir des pratiques habituelles, basées sur une pensée magique, à bases d’esprits surnaturels, de miracles, sur lesquels se sont bâtis des clergés intercesseurs, dont l’un des rôles primordiaux est l’encadrement social.

Jacques Ellul, montre lui que ce message libérateur de la religiosité a été complètement récupéré et retourné. L’église catholique a en effet construit, sur ce message anti-religions, un édifice tout ce qu’il a de plus religieux, réintroduisant le fatras du surnaturel, et un appareil de pouvoir chargé d’encadrer tous les aspects de la vie des gens. Un comble, qui ferait se retourner Jésus dans son tombeau, s’il y était resté !

Sauf que malgré toutes les tentatives, le cœur du message des évangiles résiste, avec ponctuellement, des poussées de retour aux sources. Elles sont réprimées sévèrement, par l’élimination physique des hérétiques, surtout quand ils remettent en cause le pouvoir de l’institution religieuse. Parfois, elles sont récupérées et intégrées à la marge du système, pour servir de refuge et d’exutoire à ceux qui persistent à vouloir mettre en œuvre le message originel (par exemple les franciscains, qui ont frôlé le classement comme hérétiques).

Tout dérape au XVIe siècle, où l’église catholique n’arrive pas à venir à bout d’une hérésie, le protestantisme (ce n’est pas faute d’avoir essayé). S’ouvre alors un espace de liberté, qui reste restreint, car la pensée magique et la volonté d’encadrement reprennent vite le dessus, même dans les églises protestantes. Sauf qu’il n’existe, dans le protestantisme, aucune institution centrale à même de réduire au silence les dissidents. La culture de cette branche du christianisme est même de valoriser cette dissidence, de la rendre légitime.

Ces deux lectures croisées m’ont amené à lire les évangiles autrement, débarrassés des oripeaux magiques ajoutés par des générations de théologiens. Ce qu’il reste alors, du message du Christ, c’est avant tout une éthique de vie exigeante et révolutionnaire car basée sur la relation d’égalité entre les hommes, sur le refus de la rivalité et des hiérarchies. Un point qui a été particulièrement bien vu par René Girard, qui en a fait le cœur de son œuvre.

A la base de tout cela, on trouve un mythe, que l’on trouve au début du livre de la Genèse. Adam et Eve qui quittent le paradis terrestre, pour gagner leur pain à la sueur de leur front, c’est la sortie du paléolithique pour passer au néolithique, avec une transformation radicale, la naissance de l’agriculture, de l’élevage, et plus globalement, de la société. Les rapports humains changent du tout au tout, avec la fin de l’égalité et la création de hiérarchie, et surtout, la création des religions. Désormais, l’homme enterre ses morts, leur rend hommage, conserve leur mémoire et s’inscrit dans une histoire. Il a besoin de comprendre le monde qui l’entoure, de lui donner un sens.

Le message du christianisme peut se lire comme un refus de ce basculement. Cette entrée dans le néolithique est le péché originel, la chute initiale. La notion de péché n’a donc rien de moral, c’est juste l’expression d’un basculement, qui éloigne l’homme de ce qui est considéré par les tenants de cette ligne, comme le mode de vie souhaitable. Mais ce refus est minoritaire et voué à l’échec, car il est l’expression d’une nostalgie. Le basculement s’est opéré et aucun retour en arrière n’est possible. Mais cette voix continue à s’exprimer, à rappeler qu’il existe une autre manière de voir le monde et de concevoir les rapport humains. Il rappelle à l’humain, qui aspire à la toute-puissance, d’où il vient.

Les formes pour porter ce message ont été très variées, et paradoxalement, il est passé et a été transmis par les religions, niché dans les recoins des livres sacrés, par le biais d’un petit peuple nomade du Proche-Orient. Un très mince filet, qui a réussi à arriver jusqu’à nous, et conserve une actualité.

Les évangiles, lus autrement qu’avec les lunettes religieuses, parlent encore au monde contemporain. Sur des questions aussi fondamentales que le statut de l’être humain, son rapport au monde, à la nature, et à la société, ils trouvent encore de l’écho. C’est quelque part presque un miracle…

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L’autre débat de la 5G

Depuis quelques temps, les écologistes ont décidé de cibler la technologie de téléphonie mobile dite « 5G ». Le courant « anti-sciences » présent chez les Verts, et incarné notamment par l’eurodéputée Michèle Rivasi, s’est ainsi trouvé un nouveau combat, après celui contre les vaccins.

A l’occasion des municipales, leur poids politique leur a permis d’imposer à leurs alliés socialistes, dans certaines villes, de reprendre leur proposition d’un moratoire sur l’installation de la 5G.

Emmanuel Macron, avec le sens de la formule cinglante qu’on lui connaît depuis le début de son mandat, vient d’entrer dans le débat. Il rejette en bloc cette demande, qualifiant ceux qui la soutiennent d’amish. Cette communauté religieuse, présente en Amérique du Nord, a pour caractéristique de refuser toutes les technologies apparues depuis la fin du XVIIIe siècle. Cela en fait un groupe très pittoresque, qui roule encore en charrette tirée par des chevaux et s’éclairent à la lampe à huile.

Ce faisant, le chef de l’État pose brutalement les termes du débat et entre dans le jeu des anti-5G, pour mener un débat stérile, bloc contre bloc, comme on sait malheureusement si bien le faire en France.

J’ai une autre approche de cette question du rapport aux évolutions technologiques. Ce débat est légitime, mais entre par la mauvaise porte, celle de la technologie, alors que le véritable enjeu, ce sont les usages.

Une technologie n’est qu’un outil, qui peut servir au bien comme au mal. Le sujet central est donc l’humain et son éthique dans l’utilisation des outils qui sont mis entre ses mains.

Certes, c’est compliqué de s’interdire, pour des raisons éthiques, des usages possibles d’une technologie. C’est exigeant, cela demande de longs débats, des délibérations, la création d’un consensus. On le voit par exemple avec les lois de bioéthiques, où certains débats sont ouverts et délicats, et où des terrains (l’eugénisme par exemple) restent fermés. Il ne sera bien entendu pas possible d’empêcher quelques individus isolés de mettre en œuvre ce que permet la technologie, mais cela restera des cas isolés, qui ne seront en aucun cas généralisés et considérés comme « normaux » car refusés par une majorité.

Il n’y a aucune raison que le types de débats menés autour des questions bioéthiques ne le soient pas autour des sujets numériques. Ce ne sont pas les sujets délicats qui manquent : utilisation des algorithmes, des données personnelles, reconnaissance faciale…Toutes les facettes des technologies doivent être explorées, y compris leur potentielle dangerosité pour la santé (question légitime posée par les anti-5G), pour déterminer quels usages sont légitimes.

Déplacer le débat vers les seules technologies, avec comme seule solution de refuser d’augmenter leur puissance, c’est à mes yeux une manière d’esquiver le débat sur l’éthique des usages. Les anti-sciences ont des arguments à faire valoir, et ils peuvent trouver une audience. Mais elle est pour l’instant très minoritaire, et ils n’ont donc aucun intérêt à un débat de fond, qui sorte des caricatures, oblige chacun à exprimer sa pensée, à la confronter à celle des autres, et à accepter de perdre…

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Le 4 septembre et la fragilité du pouvoir

Le 4 septembre 2020, nous avons célébré les 150 ans de la proclamation de la République, le 4 septembre 1870. Un évènement qui m’interpelle, parce qu’il est aussi le jour de la chute d’un régime politique qui, deux mois auparavant, semblait solidement assuré sur ses bases.

Le 8 mai 1870, par un plébiscite triomphal, Napoléon III a fait ratifier les dernières évolutions du régime. D’autoritaire à ses débuts, le second Empire est devenu « libéral » avec une constitution qui s’approche beaucoup d’un régime parlementaire classique. Les républicains, qui avaient fait une percée aux élections législatives de 1869, sont atterrés et un peu désespérés. Napoléon III est relégitimé et semble reparti pour 20 ans au pouvoir.

Le 19 juillet, la France, sure d’elle-même et de sa puissance militaire (il ne manque aucun bouton de guêtre, affirme un général), déclare la guerre à la Prusse. Après une série de défaites, Napoléon III est obligé de capituler à Sedan, et fait prisonnier. Deux jours plus tard, la République est proclamée, après que la foule ait envahi l’hémicycle du Palais-Bourbon. Le Second Empire s’est écroulé en quelques heures.

Cela nous rappelle que le pouvoir politique reste fragile, quand bien même il apparait solidement assuré sur ses bases, doté de toute la légitimité, politique et juridique. Il suffit qu’un événement imprévu surgisse, et tout peut être bousculé et renversé.

Bien entendu, les temps ont changé et les circonstances ne sont pas les mêmes en 2020. Mais la fragilité du pouvoir politique est un fait qui n’a pas disparu comme par enchantement. Et l’histoire est pleine d’accidents imprévus, qui frappent un pays qui se croyait bien préparé, et en fait, ne l’était pas.

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L’indispensable modernisation de la procédure législative

Le Parlement français souffre de beaucoup de maux, qui le rendent inefficace. L’un d’eux est la procédure d’élaboration de la loi. Inchangée depuis le XIXe siècle, elle est aujourd’hui un fossile complètement obsolète, qu’il faut revoir de fond en comble, et que pourtant, personne ne remet en question.

Une mise à jour est indispensable pour donner une véritable lisibilité aux débats et permettre aux députés de se concentrer sur l’essentiel, à savoir le débat politique. Il faut pour cela casser un certain nombre de mythes, à commencer par celui du débat « pur et parfait », entre députés parfaitement libres et rationnels, avec une vérité qui jaillit d’elle-même de l’hémicycle, lieu magique de révélation de l’intérêt général.

Cette réforme doit garder à l’esprit le rôle fondamental de la procédure parlementaire, qui est le seul moment de vraie transparence des décisions publiques. Tout doit être publié (et donc fourni à l’opposition et au public), avec des étapes incompressibles qui empêchent de décider trop vite. L’essentiel du contrôle procédural du Conseil constitutionnel porte sur le respect de ces deux exigences, de publicité et de loyauté des débats parlementaires.

C’est aussi le moment où les gouvernants doivent expliquer publiquement leurs choix, parfois de manière inconfortable pour eux. Si les réponses ne sont pas satisfaisantes, les députés peuvent s’en irriter et faire un raffut qui attire les médias, voire, au stade ultime, refuser de voter ce qui leur proposer, et donc bloquer le processus.

Actuellement, on est toujours sur une écriture ligne par ligne d’un texte ultra technique, où tous les parlementaires sont censés travailler en même temps, dans le même lieu (un hémicycle ou une salle de commission) avec des travaux préparatoires minimalistes. La réforme de 2008 n’a rien arrangé, en dupliquant les travaux, les débats dans l’hémicycle étant largement redondants avec ceux menés en commission. L’essentiel des modifications textuelles ayant eu lieu en commission, cela vide encore un peu de son sens le débat en séance plénière, qui n’est qu’un théâtre politique où on perd beaucoup de temps pour pas grand chose de concret.

Tous ceux qui suivent d’un peu près les travaux parlementaires savent que l’essentiel du travail purement législatif n’est pas réalisé dans l’hémicycle, et n’est pas fait que par les députés eux-mêmes, mais beaucoup par leurs assistants et les fonctionnaires parlementaires, le tout alimenté par les groupes d’intérêts

Pour rendre le travail parlementaire efficace, il faut dissocier deux rôles, qui sont actuellement entremêlés, celui de la décision politique et celui de l’écriture juridique d’un texte de loi. Les députés doivent avant tout se concentrer sur les choix politiques, et sous-traiter les questions légistiques aux fonctionnaires parlementaires, qui font ça bien mieux que les députés. La qualité de la loi y gagnera beaucoup !

Dans l’idéal, l’examen parlementaire d’un texte de loi devrait commencer par des échanges écrits d’arguments, qui remplacerait l’examen en commission. Chaque député, chaque groupe parlementaire, met par écrit (en ligne) ses idées et ses positions. Cela permet d’avoir une vue d’ensemble des objections et arguments, étant entendu qu’il est possible de répondre aux arguments des autres. Cela laisse le temps à chacun de s’approprier le sujet, et on peut espérer que l’essentiel des arguments pertinents seront ainsi exposés. Les outils numériques sont suffisamment développés pour permettre d’avoir une structure et une organisation assurant une lisibilité des échanges, avec, pourquoi pas, un système d’approbation ou de désapprobation, permettant de discerner des tendances dans les avis sur tel ou tel argument.

Cela permet d’avoir, en amont, une vision de ce qui fait consensus et fait débat. Cela permet aussi à ceux qui ne sont pas familiers d’un sujet, de se documenter. Bien évidemment, tout cela sera alimenté par les groupes d’intérêts, mais au moins, les choses seront sur la table, car tous ces écrits doivent être publiés sur le site de l’Assemblée.

Une fois cette première phase terminée, il est possible de passer à un débat politique, sur les points qui ont été signalés comme méritant d’être creusés, ou suscitant des désaccords. Il est tout à fait possible que les débats soient cadrés en amont, pour rester sur ce qui fait dissensus, avec une procédure simplifiée pour les points faisant consensus. Il serait bien entendu interdit de sortir du cadre, pour éviter le fléau des amendements portant articles additionnels, qui lancent des débats qui n’intéressent que le député ou le groupe qui les lancent, et font perdre du temps à tout le monde.

C’est à ce stade qu’intervient le débat en hémicycle, purement politique, où se dégagent des majorités et des compromis, les arguments ayant été donnés et disséqués avant, de manière à permettre à tous les députés d’être au fait des enjeux.

Il en ressort un texte, écrit en « français courant » qui donne l’orientation politique, de manière suffisamment précise pour que les services de l’Assemblée, ensuite, puissent procéder à la traduction en « français juridique ». Les débats parlementaires y gagneront en lisibilité et la loi sera ainsi beaucoup moins bavarde. Il est en effet possible d’imaginer que le projet de loi ne comporte que les dispositions de niveau législatif, avec des « indications politiques » en direction de l’exécutif, pour que les décrets soient en conformité avec l’intention du législateur.

Intervient enfin la troisième phase, celle du vote, après une vérification que le texte juridique ne trahit pas les orientations politiques. Elle peut se prolonger par un travail sur les décrets d’application, quelques mois plus tard, donnant lieu éventuellement à un débat en hémicycle, sur le pouvoir exécutif s’est donné trop de libertés.

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Les députés servent-ils encore à quelque chose ?

La récente expérience de la Convention citoyenne pour le Climat s’est révélée cruelle pour nos institutions parlementaires. En effet, 150 citoyens « de base » ont réussi, en une poignée de week-end (et beaucoup d’échanges en ligne), à produire une série de propositions constituant un ensemble équilibré, qui tient la route, sur un sujet complexe. Le tout sans effet de manche, consignes de partis ni drama et dans une économie de moyens financiers. Cela n’avait rien d’évident au départ.

Notre démocratie souffre de beaucoup de maux, et notamment du dysfonctionnement de sa démocratie représentative. Le fait qu’ils soient élus, et donc « légitimes » (ce qui se discute de plus en plus) ne doit pas dispenser députés et sénateurs (surtout les députés) de se pencher sur leur manière de travailler, et sur l’efficacité de leur action.

Pour avoir observé de près, depuis 15 ans, la vie parlementaire, je constate que l’Assemblée nationale a un sérieux problème de ce coté. Combien de séances publiques passées à pinailler sur des sujets symboliques, mais non essentiels à la vie de la Nation, à examiner des amendements répétitifs, parfois hors sujet et rédigés avec les pieds ? Le tout en bâclant la deuxième moitié du projet de loi, faute de temps. Quand on regarde les comptes rendus de la séance publique sur la dernière années, on est frappé par le temps passé sur des sujets qui ne sont pas du niveau d’un Parlement. L’apprentissage des gestes qui sauvent, c’est une très bonne chose, mais un texte législatif est-il nécessaire ?

Les séances de questions au gouvernement sont pathétiques. La majorité qui tend la perche au gouvernement, avec une question ciselée en fonction de la réponse que le ministre souhaite donner. C’est parfois tellement dégoulinant de flagornerie que j’en ai honte pour le député qui s’exprime. De l’autre coté, l’opposition ne cherche qu’à déstabiliser le gouvernement, chahutant dans une ambiance de cour de récréation qui insupporte de plus en plus les citoyens. Tout cela est puéril et indigne d’une « grande démocratie ».

Pareil pour les auditions en commission, en particulier de ministres, où chacun arrive avec sa petite question, la même que les cinq collègues précédents. Aucune coordination ou presque, avec des sujets majeurs laissés de coté, et un temps infini passé sur la question (parfois anecdotique) qui agite les médias à ce moment là. Derrière, le ministre se balade, car jamais, il n’est relancé et renvoyé aux insuffisances de ses réponses. On pleure, quand on regarde une audition devant le Sénat américain.

La situation a empiré depuis 2017, car au moins, avant, on avait dans l’hémicycle des parlementaires d’expérience, qui savaient construire des rapports de force avec l’exécutif, et détecter quand on cherchait à les enfumer. Ils ont été remplacés par des novices, qui n’ont pas pris la mesure de ce qu’est être législateur, et des consultants, qui produisent des rapports, parfois intéressants, mais qui ne débouchent politiquement sur rien du tout, sauf si le gouvernement donne sa bénédiction.

Les députés de la majorité sont sous la dépendance du gouvernement, incapables d’organiser des débats internes, et donc de jouer un rôle de contre-pouvoir, ou au moins de modération de l’exécutif. L’opposition n’est pas en reste, et se lance dans des concours de propositions de lois toutes plus anecdotiques et ridicules les unes que les autres.

Le nombre de députés qui ont quitté l’Assemblée, en 2020, pour devenir ou redevenir maires, parfois de communes modestes, est un signal qui devrait alarmer. Pour beaucoup d’entre eux, c’est un repentir de leur choix de 2017, où ils avaient lâché leur mairie pour rester parlementaires.

Nous n’allons pas pouvoir continuer longtemps comme ça, sous peine de voir disparaitre le Parlement, les citoyens considérant que les députés ne servent à rien. Nous ne sommes plus très loin du moment où ce constat s’imposera avec évidence, y compris à ceux qui connaissent bien la mécanique parlementaire.

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Le temps des surprises politiques

La politique française est en crise. Entre le discrédit des « vieux partis » matérialisé par le dégagisme de 2017 et celui d’Emmanuel Macron, révélé au grand jour par le mouvement des Gilets jaunes, l’espace politique reste ouvert. Tant pour les places à prendre que pour les politiques à mener. Les choses peuvent bouger, parfois très vite, beaucoup plus vite que prévu.

Il est donc essentiel de se préparer, de réfléchir, de travailler à des alternatives, alors même que l’horizon politique peut apparaitre bouché. J’ai encore le souvenir du printemps 2018, où Emmanuel Macron fait passer sans coup férir une série de réformes abruptes sur le droit social ou encore la formation professionnelle. A l’époque, personne n’imaginait que cette magnifique machine déraillerait quelques mois plus tard, en juillet, à cause d’un conseiller de l’Elysée qui s’est amusé à aller faire le coup de poing aux cotés des CRS.

Depuis ce moment, Emmanuel Macron n’a fait que chercher à reprendre son équilibre, sans jamais y réussir, les Gilets jaunes, les grèves dans les transports et la pandémie de Covid-19 venant à chaque fois remettre une pièce dans le juke-box de la déstabilisation du pouvoir en place.

Même si la Macronie n’a jamais été réellement inquiétée pour les places, elle a été profondément déstabilisée dans l’assise sociale de son pouvoir. Devant la contestation, il a fallu trouver en catastrophe des relais politiques (les élus locaux et dans une moindre mesure, les partenaires sociaux) et surtout, des idées de mesures à même d’apaiser l’irritation sociale.

Une pareille situation bénéficie à ceux qui sont prêts, qui ont des mesures « clés en main » à proposer, et qui savent les vendre politiquement à un pouvoir aux abois. D’où la nécessité de travailler le fond, même quand l’horizon politique semble durablement bouché. L’opportunité peut arriver soudainement et il est alors trop tard pour se mettre en branle. Les fenêtres politiques se referment souvent aussi vite qu’elles se sont ouvertes.

La période politique qui s’ouvre va être particulièrement sensible, car désormais, l’élection présidentielle pointe son nez. Les écuries de candidats vont se mettre en quête d’idées nouvelles, à commencer par l’actuel occupant de l’Elysée, qui a déclaré vouloir « se réinventer ». Mais aucune de ces écuries n’a de ressources en interne, pour produire des projets de société ou même des innovations politiques. Les partis et « corps intermédiaires » ont abandonné depuis longtemps la production intellectuelle, pour se contenter d’être les gestionnaires du système (donc directement intéressés à sa préservation).

La voie est libre pour des petits groupes, qui autrefois, n’auraient pas eu voix au chapitre du débat public, mais qui arrivent avec des idées structurées et une organisation à même de porter des propositions auprès des candidats. Cela peut amener à des surprises dans les mois qui viennent.

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Les impasses des réformes institutionnelles

La France est en crise politique depuis déjà quelques années. Les idées et diagnostics ne manquent pas et certains accusent notre « monarchie républicaine » d’être responsable des maux de la France.

Depuis 1962, les critiques ne manquent pas contre le système mis en place par De Gaulle. Tout ou presque a été magistralement écrit dès 1964, par François Mitterrand, dans « Le coup d’Etat permanent ». Pourtant, le régime est d’une étonnante stabilité. François Mitterrand s’est coulé dans les habits du général et s’y est trouvé très à l’aise. Plus récemment, Emmanuel Macron nous a proposé de « faire de la politique autrement ». Au bout de 3 ans, le changement de Premier ministre marque la fin d’une tentative qui s’était très vite essoufflée, et un retour aux bonnes vieilles habitudes dans l’exercice du pouvoir.

Cette permanence d’un régime aussi critiqué doit amener à s’interroger. Si le problème est aussi grave, si cette monarchie républicaine est un tel cancer démocratique, pourquoi existe-t-elle depuis 58 ans ?

C’est sans doute parce que ce mécanisme s’inscrit bien dans la culture politiue du pays, qui est largement issue de l’Ancien Régime. La Révolution a été, en bien des choses, une parenthèse que Napoléon a refermée, en faisant les quelques réformes que Louis XV avait échoué à mener. Nous avons toujours une Noblesse d’Etat, la haute fonction publique, un Clergé, qui officie dans les médias, où l’éditorialiste a remplacé l’abbé de cour, chargé de diffuser la « bonne parole ». Comme avant 1789, une large part de ces deux corps « d’élite » viennent des mêmes lieux, avec une forte homogénéité sociale, si ce n’est une endogamie marquée. Comment être surpris que cet édifice puisse être dirigé autrement que par un monarque quasi absolu, comme sous l’Ancien Régime ? On a juste limité la durée de son pouvoir à 5 ans et mis quelques garde-fous juridictionnels, mais la structure reste la même.

Les français se montrent finalement attachés à ce système. Ils adorent pouvoir aduler ou détester leurs dirigeants. Ils ont aussi la passion des grands discours et de la politique « radicale », celle des grandes envolées lyriques et des tables rases révolutionnaires comme mode de réforme. Un exercice « collectif » du pouvoir, distribué entre gens raisonnables qui pratiquent la délibération apaisée, sans qu’aucune grande figure n’émerge, ne plairait sans doute pas aux français. C’est très compliqué de changer la culture politique d’un pays. Et bien souvent, cela ne sert à rien d’essayer, car les problèmes ne viennent pas de là !

Si aujourd’hui les français sont en colère contre leurs dirigeants, ce n’est pas à cause de l’organisation du système politique. C’est parce que les dirigeants ont failli à leur mission. Depuis plus de 40 ans, les français disent et redisent, que leur priorité numéro 1, c’est l’emploi et le pouvoir d’achat. Or, le chômage reste un problème en France, plus ou masqué, mais jamais traité, avec une désindustrialisation qui laisse de plus en plus de territoires et de petites villes sur le bord de la route. Les français sont assez lucides pour bien se rendre compte que leurs demandes n’ont jamais été entendues. Le pire, c’est que certains, pour des raisons électoralistes, ont fait semblant d’y répondre, avec de beaux slogans sur lesquels ils se sont assis. C’est Chirac et sa fracture sociale en 1995, c’est François Hollande et son « mon ennemi, c’est la Finance ». Tout cela donne l’abstention de plus en plus massive aux élections, le dégagisme de 2017 et les Gilets jaunes de 2018 (et ce n’est sans doute pas fini).

Si on veut que la France retrouve un peu de paix politique et sociale, il faut que l’élite en place accepte de faire sa révolution interne et d’exercer le pouvoir dans l’intérêt de tous. Le problème politique français est celui de la confiscation du pouvoir par l’élite, qui dirige en fonction de ses propres intérêts. Tant que cette question ne sera pas clairement posée, la France restera dans le marasme, avec des bouffées de violence périodiques.

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Politique et microcosmes, les liaisons dangereuses

L’adjoint à la Culture de la maire de Paris, Christophe Girard, vient d’être obligé de quitter ses fonctions. Ses détracteurs lui reprochent sa trop grande proximité avec Gabriel Matzneff, un écrivain sulfureux, accusé de viols et de pédophilie.

Il fait partie de ceux qui ont, depuis des années, couvert, protégé, voire subventionné cet écrivain qui ne faisait pas mystère de sa pédophilie, au point d’en faire son fond de commerce littéraire. Tout le monde, dans le petit milieu culturel parisien, le savait, mais personne n’a rien dit, car il faisait partie de la « tribu ».

Un cas malheureusement pas si rare que ça, en France, où un microcosme couvre volontiers ses brebis galeuses. Parfois, cela va très loin, comme pour Roman Polanski, toujours défendu avec acharnement par une partie du milieu du cinéma, malgré des faits avérés et reconnus.

Parfois, il y a des dommages collatéraux, avec des personnalités politiques qui se retrouvent prises entre deux feux. La France étant un pays de microcosmes (dans d’autres pays, on appelle cela « communautés »), il est utile, quand on veut diriger le pays, ou une ville, d’avoir des antennes dans tous ces microcosmes. Plus la personnalité est profondément enracinée et influente dans le microcosme, plus elle est précieuse pour le politique.

Christophe Girard est de ceux là. Adjoint à la Culture de Bertrand Delanoé, puis d’Anne Hidalgo, il est aussi une figure connue du secteur culturel. C’est en jouant sur ces deux tableaux, qu’il a pu construire une solide position de pouvoir, à la fois à l’hôtel de ville, mais aussi dans le secteur culturel parisien.

Cette double appartenance se retourne contre lui aujourd’hui, car il est contraint de renoncer à un poste politique, alors même qu’aucune faute ne peut lui être reprochée en tant qu’élu. S’il a pu aider Matzneff, c’est surtout au titre de ses fonctions professionnelles chez LVMH et comme « personnalité influence » dans le milieu de la culture.

Sa démission était inéluctable car la pression qui pèse sur les politiques est devenue énorme. On ne leur demande plus d’être juste compétents et honnêtes dans leurs fonctions d’élus. Il faut également qu’ils soient irréprochables dans tous les compartiments de leur vie, y compris professionnelle et privée. C’est d’autant plus difficile à gérer quand les « règles » en vigueur dans le microcosme, et qui s’imposent à ses membres, sont en décalage avec la norme communément admise dans la société, qui s’impose aux élus. Et le pire, c’est qu’ils sont à la merci de revirements d’opinion, où on est jugé avec des lunettes de 2020, pour des faits remontant à une époque où ils étaient considérés comme normaux, ou du moins pas trop problématiques.

Tout cela n’est pas fait pour attirer des personnalités de qualité en politique. Vu les contraintes qui pèsent sur les élus, qui doivent tout déclarer (patrimoine, intérêts…) accepter de subir des attaques et des polémiques (qui touchent parfois leurs proches, qui n’ont rien demandé), se faire reprocher de toucher des indemnités, seuls les médiocres et les « nolife » vont encore vouloir y aller. Les autres se garderont bien d’apparaitre en première ligne, et se contenteront de mener par le bout du nez les seconds couteaux qui sont assez fous pour se mettre sous le projecteur.

Il est nécessaire d’ouvrir un vrai débat, sur le statut de l’élu, sa rémunération, ses droits et obligations, afin que le cadre soit équilibré et permette de continuer à attirer les talents. Le traitement uniquement populiste du sujet ne peut que nuire à notre Démocratie.

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L’éternel problème du pseudonymat

Le garde des Sceaux et le Premier ministre ont relancé le débat sur le pseudonymat sur internet. Un débat qui a au moins 15 ans, avatar d’un combat mené par les élites politico-intellectuelles pour essayer de sauver leur monopole de la participation légitime au débat public.

Nos dirigeants de 2020, veulent que tout le monde s’exprime, sur internet, sous son identité civile. Un moyen, pour ceux qui sont au sommet de l’échelle, et donc peuvent dire à peu près tout ce qu’ils veulent sans trop de risque, de faire taire « la plèbe ». Autrefois, c’était facile de contrôler l’accès à la parole publique, qui devait obligatoirement passer par les médias (audiovisuel et presse écrite). Internet a fait sauter ses passages obligés et démocratisé l’accès au débat.

Il est vrai qu’un certain nombre de personnes seraient peut-être plus policées dans leur langage, si leur photo apparaissaient à coté de leurs propos. L’argument est aisé à comprendre, et en cette période de montée de la haine, sur les réseaux sociaux, mais aussi ailleurs, peut trouver un écho.

Il ne résiste pas à une analyse un peu poussée. Le pseudonymat a toujours existé, et est nécessaire à la liberté d’expression. Il permet à ceux qui sont « dépendants » (d’un employeur, actuel ou futur, par exemple) de tenir des propos qui dérangent. Le débat public, notamment politique, tourne malheureusement bien trop souvent au pugilat. Le but n’est pas de discuter sur le fond, mais de faire taire son contradicteur, en le disqualifiant. Il est donc logique que celui qui est en position de force cherche à se doter de l’outil lui permettant de faire taire son contradicteur, soit par des pressions directes ou indirectes, soit en faisant porter le débat sur le messager, et pas sur le message. Le pseudonymat est une vraie plaie pour ceux qui sont habitués à esquiver les débats et ne tiennent pas la route quand il faut aller au fond des choses.

Un bon nombre de membres de « l’élite politico-intellectuelle française » n’ont jamais digéré la démocratisation de la parole publique amenée par internet (d’abord les blogs, puis les réseaux sociaux). Ils perdent ainsi du pouvoir, à la fois dans le choix de ceux qui sont cooptés et autorisés à prendre la parole, et dans le choix des termes et de l’orientation du débat public. Plus possible d’étouffer les scandales comme autrefois, de protéger l’entre-soi auquel se sont habitués bien des membres de cercles élitistes.

Bien évidemment, la massification du pseudonymat pose des problèmes, car il ne s’est pas accompagné de la mise en place de « bonnes pratiques ». La fameuse Netiquette des dinosaures de l’internet a volé en éclats depuis bien longtemps. La solution du problème est pourtant en partie là, dans l’éducation au numérique, avec un volet « apprentissage » des codes et un autre plus répressif. Cela ne me choque pas que des poursuites pénales soient engagées plus systématiquement contre des propos inacceptables proférés sur internet. Il devrait même y avoir des procédures simplifiées Le législateur n’a pas hésité à le faire quand il s’est agit de défendre les intérêts financiers de l’industrie du divertissement, avec la loi Hadopi. C’est sur cette voie que Laetitia Avia aurait dû aller, plutôt que s’acharner à transformer les opérateurs de plateformes en censeurs.

Mais cela implique de donner des moyens à la police et la justice. Et surtout, cela met tout le monde sur le même plan. Or, ce n’est pas cela que les élites demandent, mais bien un système à deux vitesses, où eux peuvent dire ce qu’ils veulent, en faisant retirer ce qui ne leur plaît pas. La loi, ici, est utilisée comme un tapis de bombes, avec de nombreux dommages collatéraux, qui ne sont pas pour déplaire à ceux qui portent cette vision d’une régulation du débat public par la censure.

Faire taire internet est le combat de toujours de cette élite qui a ses propres canaux de communication, et qui aimerait tellement retrouver son monopole perdu, plutôt que de devoir s’insérer dans les nouveaux canaux, qu’elle ne contrôle pas et où elle doit partager la parole avec des gens considérés comme illégitimes à s’exprimer et prendre part au débat public.

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Jean Castex n’est pas un Premier ministre au rabais

Le nouveau premier ministre a marqué le coup pour sa première grande journée politique, celle de son discours de politique générale. Sur le fond comme sur la forme, et sur le vote final, il s’en tire honorablement, vu les contraintes qui pèsent sur sur lui.

Sur le fond, il colle aux propos, tenus la veille par le Président de la République, dans son « interview » télévisée (plutôt mieux conduite que d’habitude par les journalistes). C’est le système institutionnel qui veut cela, tous les chefs de gouvernement y passent, encore plus avec Emmanuel Macron qu’avec les autres. Pas de surprise à attendre du contenu du discours, donc pas vraiment de déception à la sortie.

Sur la forme, j’ai trouvé Jean Castex assez bon. Il ne s’est pas laissé intimider, et n’était pas désagréable à écouter, même si c’est compliqué de passer après Edouard Philippe, pétillant d’humour et de culture. Le nouveau Premier ministre a assumé, accent du Sud-Ouest compris, son coté Terroir et « terre-à-terre ». Sur le style, pas d’escroquerie ou d’esbroufe, on a eu le « vrai » Jean Castex à la tribune, et ça fera l’affaire pour les 600 jours qui restent avant la présidentielle.

Le vote, enfin, 345 pour, 177 contre et 43 abstentions, est conforme à ce qui est attendu. La majorité est un peu réduite, par rapport aux scores obtenus par Édouard Philippe. Mais avec une majorité absolue à 289 voix, il passe largement la barre, et ne devrait pas avoir de problème majeur d’ici la fin du mandat.

Le vrai évènement du jour n’était pas à l’Assemblée, mais au Conseil des ministres, qui a décidé le remplacement au secrétariat général du gouvernement, de Marc Guillaume par Claire Landais. La chute de Marc Guillaume est un véritable séisme, tant l’homme était présenté comme puissant et indéboulonnable.

Marc Guillaume était quasiment un premier ministre bis, qui exerçait un pouvoir qui dépassait largement ses attributions administratives. Après avoir été secrétaire général du conseil constitutionnel (où le président de l’époque, Jean-Louis Debré, ne faisait que signer les décisions rédigées par Marc Guillaume) il était au coeur du pouvoir. Le secrétariat général du gouvernement est la tour de contrôle de toute la mécanique administrative français. En plus de cette position centrale, il était aussi le « parrain » de la haute fonction publique, celui qui fait et défait les carrières, place ses protégés.

Son départ brutal, sur demande expresse du nouveau premier ministre, est la marque que Jean Castex a compris où est le véritable pouvoir. Il n’est pas à l’Assemblée nationale, qui n’est que l’ombre d’elle-même, mais dans la machinerie administrative. C’est en prenant le contrôle de ce lieu de pouvoir, qu’il est en mesure de faire avancer les réformes, et donner les résultats concrets et visibles, dont Emmanuel Macron va avoir besoin, pour espérer être réélu.

Une chose est sure ce soir, Jean Castex n’est pas un Premier ministre au rabais. C’est un homme de pouvoir qui a montré qu’il sait tuer ses rivaux pour se donner un espace politique.