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L’indispensable modernisation de la procédure législative

Le Parlement français souffre de beaucoup de maux, qui le rendent inefficace. L’un d’eux est la procédure d’élaboration de la loi. Inchangée depuis le XIXe siècle, elle est aujourd’hui un fossile complètement obsolète, qu’il faut revoir de fond en comble, et que pourtant, personne ne remet en question.

Une mise à jour est indispensable pour donner une véritable lisibilité aux débats et permettre aux députés de se concentrer sur l’essentiel, à savoir le débat politique. Il faut pour cela casser un certain nombre de mythes, à commencer par celui du débat « pur et parfait », entre députés parfaitement libres et rationnels, avec une vérité qui jaillit d’elle-même de l’hémicycle, lieu magique de révélation de l’intérêt général.

Cette réforme doit garder à l’esprit le rôle fondamental de la procédure parlementaire, qui est le seul moment de vraie transparence des décisions publiques. Tout doit être publié (et donc fourni à l’opposition et au public), avec des étapes incompressibles qui empêchent de décider trop vite. L’essentiel du contrôle procédural du Conseil constitutionnel porte sur le respect de ces deux exigences, de publicité et de loyauté des débats parlementaires.

C’est aussi le moment où les gouvernants doivent expliquer publiquement leurs choix, parfois de manière inconfortable pour eux. Si les réponses ne sont pas satisfaisantes, les députés peuvent s’en irriter et faire un raffut qui attire les médias, voire, au stade ultime, refuser de voter ce qui leur proposer, et donc bloquer le processus.

Actuellement, on est toujours sur une écriture ligne par ligne d’un texte ultra technique, où tous les parlementaires sont censés travailler en même temps, dans le même lieu (un hémicycle ou une salle de commission) avec des travaux préparatoires minimalistes. La réforme de 2008 n’a rien arrangé, en dupliquant les travaux, les débats dans l’hémicycle étant largement redondants avec ceux menés en commission. L’essentiel des modifications textuelles ayant eu lieu en commission, cela vide encore un peu de son sens le débat en séance plénière, qui n’est qu’un théâtre politique où on perd beaucoup de temps pour pas grand chose de concret.

Tous ceux qui suivent d’un peu près les travaux parlementaires savent que l’essentiel du travail purement législatif n’est pas réalisé dans l’hémicycle, et n’est pas fait que par les députés eux-mêmes, mais beaucoup par leurs assistants et les fonctionnaires parlementaires, le tout alimenté par les groupes d’intérêts

Pour rendre le travail parlementaire efficace, il faut dissocier deux rôles, qui sont actuellement entremêlés, celui de la décision politique et celui de l’écriture juridique d’un texte de loi. Les députés doivent avant tout se concentrer sur les choix politiques, et sous-traiter les questions légistiques aux fonctionnaires parlementaires, qui font ça bien mieux que les députés. La qualité de la loi y gagnera beaucoup !

Dans l’idéal, l’examen parlementaire d’un texte de loi devrait commencer par des échanges écrits d’arguments, qui remplacerait l’examen en commission. Chaque député, chaque groupe parlementaire, met par écrit (en ligne) ses idées et ses positions. Cela permet d’avoir une vue d’ensemble des objections et arguments, étant entendu qu’il est possible de répondre aux arguments des autres. Cela laisse le temps à chacun de s’approprier le sujet, et on peut espérer que l’essentiel des arguments pertinents seront ainsi exposés. Les outils numériques sont suffisamment développés pour permettre d’avoir une structure et une organisation assurant une lisibilité des échanges, avec, pourquoi pas, un système d’approbation ou de désapprobation, permettant de discerner des tendances dans les avis sur tel ou tel argument.

Cela permet d’avoir, en amont, une vision de ce qui fait consensus et fait débat. Cela permet aussi à ceux qui ne sont pas familiers d’un sujet, de se documenter. Bien évidemment, tout cela sera alimenté par les groupes d’intérêts, mais au moins, les choses seront sur la table, car tous ces écrits doivent être publiés sur le site de l’Assemblée.

Une fois cette première phase terminée, il est possible de passer à un débat politique, sur les points qui ont été signalés comme méritant d’être creusés, ou suscitant des désaccords. Il est tout à fait possible que les débats soient cadrés en amont, pour rester sur ce qui fait dissensus, avec une procédure simplifiée pour les points faisant consensus. Il serait bien entendu interdit de sortir du cadre, pour éviter le fléau des amendements portant articles additionnels, qui lancent des débats qui n’intéressent que le député ou le groupe qui les lancent, et font perdre du temps à tout le monde.

C’est à ce stade qu’intervient le débat en hémicycle, purement politique, où se dégagent des majorités et des compromis, les arguments ayant été donnés et disséqués avant, de manière à permettre à tous les députés d’être au fait des enjeux.

Il en ressort un texte, écrit en « français courant » qui donne l’orientation politique, de manière suffisamment précise pour que les services de l’Assemblée, ensuite, puissent procéder à la traduction en « français juridique ». Les débats parlementaires y gagneront en lisibilité et la loi sera ainsi beaucoup moins bavarde. Il est en effet possible d’imaginer que le projet de loi ne comporte que les dispositions de niveau législatif, avec des « indications politiques » en direction de l’exécutif, pour que les décrets soient en conformité avec l’intention du législateur.

Intervient enfin la troisième phase, celle du vote, après une vérification que le texte juridique ne trahit pas les orientations politiques. Elle peut se prolonger par un travail sur les décrets d’application, quelques mois plus tard, donnant lieu éventuellement à un débat en hémicycle, sur le pouvoir exécutif s’est donné trop de libertés.

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Les députés servent-ils encore à quelque chose ?

La récente expérience de la Convention citoyenne pour le Climat s’est révélée cruelle pour nos institutions parlementaires. En effet, 150 citoyens « de base » ont réussi, en une poignée de week-end (et beaucoup d’échanges en ligne), à produire une série de propositions constituant un ensemble équilibré, qui tient la route, sur un sujet complexe. Le tout sans effet de manche, consignes de partis ni drama et dans une économie de moyens financiers. Cela n’avait rien d’évident au départ.

Notre démocratie souffre de beaucoup de maux, et notamment du dysfonctionnement de sa démocratie représentative. Le fait qu’ils soient élus, et donc « légitimes » (ce qui se discute de plus en plus) ne doit pas dispenser députés et sénateurs (surtout les députés) de se pencher sur leur manière de travailler, et sur l’efficacité de leur action.

Pour avoir observé de près, depuis 15 ans, la vie parlementaire, je constate que l’Assemblée nationale a un sérieux problème de ce coté. Combien de séances publiques passées à pinailler sur des sujets symboliques, mais non essentiels à la vie de la Nation, à examiner des amendements répétitifs, parfois hors sujet et rédigés avec les pieds ? Le tout en bâclant la deuxième moitié du projet de loi, faute de temps. Quand on regarde les comptes rendus de la séance publique sur la dernière années, on est frappé par le temps passé sur des sujets qui ne sont pas du niveau d’un Parlement. L’apprentissage des gestes qui sauvent, c’est une très bonne chose, mais un texte législatif est-il nécessaire ?

Les séances de questions au gouvernement sont pathétiques. La majorité qui tend la perche au gouvernement, avec une question ciselée en fonction de la réponse que le ministre souhaite donner. C’est parfois tellement dégoulinant de flagornerie que j’en ai honte pour le député qui s’exprime. De l’autre coté, l’opposition ne cherche qu’à déstabiliser le gouvernement, chahutant dans une ambiance de cour de récréation qui insupporte de plus en plus les citoyens. Tout cela est puéril et indigne d’une « grande démocratie ».

Pareil pour les auditions en commission, en particulier de ministres, où chacun arrive avec sa petite question, la même que les cinq collègues précédents. Aucune coordination ou presque, avec des sujets majeurs laissés de coté, et un temps infini passé sur la question (parfois anecdotique) qui agite les médias à ce moment là. Derrière, le ministre se balade, car jamais, il n’est relancé et renvoyé aux insuffisances de ses réponses. On pleure, quand on regarde une audition devant le Sénat américain.

La situation a empiré depuis 2017, car au moins, avant, on avait dans l’hémicycle des parlementaires d’expérience, qui savaient construire des rapports de force avec l’exécutif, et détecter quand on cherchait à les enfumer. Ils ont été remplacés par des novices, qui n’ont pas pris la mesure de ce qu’est être législateur, et des consultants, qui produisent des rapports, parfois intéressants, mais qui ne débouchent politiquement sur rien du tout, sauf si le gouvernement donne sa bénédiction.

Les députés de la majorité sont sous la dépendance du gouvernement, incapables d’organiser des débats internes, et donc de jouer un rôle de contre-pouvoir, ou au moins de modération de l’exécutif. L’opposition n’est pas en reste, et se lance dans des concours de propositions de lois toutes plus anecdotiques et ridicules les unes que les autres.

Le nombre de députés qui ont quitté l’Assemblée, en 2020, pour devenir ou redevenir maires, parfois de communes modestes, est un signal qui devrait alarmer. Pour beaucoup d’entre eux, c’est un repentir de leur choix de 2017, où ils avaient lâché leur mairie pour rester parlementaires.

Nous n’allons pas pouvoir continuer longtemps comme ça, sous peine de voir disparaitre le Parlement, les citoyens considérant que les députés ne servent à rien. Nous ne sommes plus très loin du moment où ce constat s’imposera avec évidence, y compris à ceux qui connaissent bien la mécanique parlementaire.

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Le temps des surprises politiques

La politique française est en crise. Entre le discrédit des « vieux partis » matérialisé par le dégagisme de 2017 et celui d’Emmanuel Macron, révélé au grand jour par le mouvement des Gilets jaunes, l’espace politique reste ouvert. Tant pour les places à prendre que pour les politiques à mener. Les choses peuvent bouger, parfois très vite, beaucoup plus vite que prévu.

Il est donc essentiel de se préparer, de réfléchir, de travailler à des alternatives, alors même que l’horizon politique peut apparaitre bouché. J’ai encore le souvenir du printemps 2018, où Emmanuel Macron fait passer sans coup férir une série de réformes abruptes sur le droit social ou encore la formation professionnelle. A l’époque, personne n’imaginait que cette magnifique machine déraillerait quelques mois plus tard, en juillet, à cause d’un conseiller de l’Elysée qui s’est amusé à aller faire le coup de poing aux cotés des CRS.

Depuis ce moment, Emmanuel Macron n’a fait que chercher à reprendre son équilibre, sans jamais y réussir, les Gilets jaunes, les grèves dans les transports et la pandémie de Covid-19 venant à chaque fois remettre une pièce dans le juke-box de la déstabilisation du pouvoir en place.

Même si la Macronie n’a jamais été réellement inquiétée pour les places, elle a été profondément déstabilisée dans l’assise sociale de son pouvoir. Devant la contestation, il a fallu trouver en catastrophe des relais politiques (les élus locaux et dans une moindre mesure, les partenaires sociaux) et surtout, des idées de mesures à même d’apaiser l’irritation sociale.

Une pareille situation bénéficie à ceux qui sont prêts, qui ont des mesures « clés en main » à proposer, et qui savent les vendre politiquement à un pouvoir aux abois. D’où la nécessité de travailler le fond, même quand l’horizon politique semble durablement bouché. L’opportunité peut arriver soudainement et il est alors trop tard pour se mettre en branle. Les fenêtres politiques se referment souvent aussi vite qu’elles se sont ouvertes.

La période politique qui s’ouvre va être particulièrement sensible, car désormais, l’élection présidentielle pointe son nez. Les écuries de candidats vont se mettre en quête d’idées nouvelles, à commencer par l’actuel occupant de l’Elysée, qui a déclaré vouloir « se réinventer ». Mais aucune de ces écuries n’a de ressources en interne, pour produire des projets de société ou même des innovations politiques. Les partis et « corps intermédiaires » ont abandonné depuis longtemps la production intellectuelle, pour se contenter d’être les gestionnaires du système (donc directement intéressés à sa préservation).

La voie est libre pour des petits groupes, qui autrefois, n’auraient pas eu voix au chapitre du débat public, mais qui arrivent avec des idées structurées et une organisation à même de porter des propositions auprès des candidats. Cela peut amener à des surprises dans les mois qui viennent.

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Les impasses des réformes institutionnelles

La France est en crise politique depuis déjà quelques années. Les idées et diagnostics ne manquent pas et certains accusent notre « monarchie républicaine » d’être responsable des maux de la France.

Depuis 1962, les critiques ne manquent pas contre le système mis en place par De Gaulle. Tout ou presque a été magistralement écrit dès 1964, par François Mitterrand, dans « Le coup d’Etat permanent ». Pourtant, le régime est d’une étonnante stabilité. François Mitterrand s’est coulé dans les habits du général et s’y est trouvé très à l’aise. Plus récemment, Emmanuel Macron nous a proposé de « faire de la politique autrement ». Au bout de 3 ans, le changement de Premier ministre marque la fin d’une tentative qui s’était très vite essoufflée, et un retour aux bonnes vieilles habitudes dans l’exercice du pouvoir.

Cette permanence d’un régime aussi critiqué doit amener à s’interroger. Si le problème est aussi grave, si cette monarchie républicaine est un tel cancer démocratique, pourquoi existe-t-elle depuis 58 ans ?

C’est sans doute parce que ce mécanisme s’inscrit bien dans la culture politiue du pays, qui est largement issue de l’Ancien Régime. La Révolution a été, en bien des choses, une parenthèse que Napoléon a refermée, en faisant les quelques réformes que Louis XV avait échoué à mener. Nous avons toujours une Noblesse d’Etat, la haute fonction publique, un Clergé, qui officie dans les médias, où l’éditorialiste a remplacé l’abbé de cour, chargé de diffuser la « bonne parole ». Comme avant 1789, une large part de ces deux corps « d’élite » viennent des mêmes lieux, avec une forte homogénéité sociale, si ce n’est une endogamie marquée. Comment être surpris que cet édifice puisse être dirigé autrement que par un monarque quasi absolu, comme sous l’Ancien Régime ? On a juste limité la durée de son pouvoir à 5 ans et mis quelques garde-fous juridictionnels, mais la structure reste la même.

Les français se montrent finalement attachés à ce système. Ils adorent pouvoir aduler ou détester leurs dirigeants. Ils ont aussi la passion des grands discours et de la politique « radicale », celle des grandes envolées lyriques et des tables rases révolutionnaires comme mode de réforme. Un exercice « collectif » du pouvoir, distribué entre gens raisonnables qui pratiquent la délibération apaisée, sans qu’aucune grande figure n’émerge, ne plairait sans doute pas aux français. C’est très compliqué de changer la culture politique d’un pays. Et bien souvent, cela ne sert à rien d’essayer, car les problèmes ne viennent pas de là !

Si aujourd’hui les français sont en colère contre leurs dirigeants, ce n’est pas à cause de l’organisation du système politique. C’est parce que les dirigeants ont failli à leur mission. Depuis plus de 40 ans, les français disent et redisent, que leur priorité numéro 1, c’est l’emploi et le pouvoir d’achat. Or, le chômage reste un problème en France, plus ou masqué, mais jamais traité, avec une désindustrialisation qui laisse de plus en plus de territoires et de petites villes sur le bord de la route. Les français sont assez lucides pour bien se rendre compte que leurs demandes n’ont jamais été entendues. Le pire, c’est que certains, pour des raisons électoralistes, ont fait semblant d’y répondre, avec de beaux slogans sur lesquels ils se sont assis. C’est Chirac et sa fracture sociale en 1995, c’est François Hollande et son « mon ennemi, c’est la Finance ». Tout cela donne l’abstention de plus en plus massive aux élections, le dégagisme de 2017 et les Gilets jaunes de 2018 (et ce n’est sans doute pas fini).

Si on veut que la France retrouve un peu de paix politique et sociale, il faut que l’élite en place accepte de faire sa révolution interne et d’exercer le pouvoir dans l’intérêt de tous. Le problème politique français est celui de la confiscation du pouvoir par l’élite, qui dirige en fonction de ses propres intérêts. Tant que cette question ne sera pas clairement posée, la France restera dans le marasme, avec des bouffées de violence périodiques.