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Faut-il revenir sur le cumul des mandats ?

La petite musique autour d’une réforme des règles sur le cumul des mandats commence à se faire entendre. Les parlementaires en poste, qui ont compris qu’ils sont les perdants du non cumul, font pression depuis longtemps. Ce qui est nouveau, c’est que le Premier ministre, et même le Chef de l’Etat, donnent eux aussi des signaux d’ouverture.

Il est clair que cette réforme a été faite n’importe comment en 2014, pour faire plaisir à l’opinion, avec des élus qui n’en voulaient pas, et n’ont donc pas fait correctement leur travail législatif. Même si le sujet était sur la table depuis très longtemps, la réflexion a été assez indigente, et une foule d’effets secondaires n’ont pas été analysés. De plus, la réforme a été faite à moitié, puisque seul le cumul vertical (mandat national et mandat local) est concerné, alors que le cumul horizontal (deux mandats locaux) reste autorisé.

Le sujet mérite donc d’être repris, mais pas pour faire n’importe quoi (en période électorale, le risque existe). Je n’ai pas d’avis tranché sur la question. Ce qui m’inquiète n’est pas tellement la solution qui sera retenue, mais les mesures d’accompagnement qui seront prises, pour assurer l’équilibre global du système politique français, chose qui n’a pas été faite en 2014.

Il faut être conscient que le cumul des mandats est une modalité de fonctionnement de l’organisation politico-administrative française. Le cumul vertical est la réponse au centralisme parisien. Pour exister et porter ses dossiers, un élu, au delà d’une certaine taille de collectivité, doit être régulièrement à Paris, et de préférence avec un titre ou une fonction lui permettant d’être reçu dans les ministères. Au niveau local, le cumul est une solution pour faire fonctionner un système kafkaïen, où les compétences sont tellement entremêlées que personne ne s’y retrouve. Avoir des élus siégeant dans deux strates différentes assure un minimum de coordination et de cohérence des décisions entre le bloc communal, les départements et les régions. Interdire strictement le cumul implique de trouver d’autres manières de gérer le système français (le réformer en profondeur est trop lourd et compliqué). Je n’ai, jusqu’ici, pas vu de pistes de travail sérieuses là dessus. Il y aura, quoi qu’il arrive, des effets de bord et des adaptations qui peuvent avoir des conséquences lourdes et créer des problèmes encore plus graves que ceux causés par le cumul des mandats.

Un autre point, qui n’a pas été bien appréhendé (ou du moins, dont on n’a pas tiré les conséquences) est le bouleversement des carrières politiques. Le non cumul des mandats rend les carrières plus précaires. Avoir deux mandats, c’est l’assurance, en cas de défaite, de rester dans le jeu politique, et de pouvoir se refaire, à une autre échéance. Quand on n’a qu’un mandat et qu’on le perd, il est plus compliqué de se maintenir, car il faut manger, et tout le monde n’est pas rentier ou retraité. Une véritable réflexion est à mener sur la manière d’insérer un moment « mandat politique » dans une carrière professionnelle, voire dans un parcours de vie.

Si c’est relativement bien géré pour les mandats locaux (qui permettent mieux le temps partiel), la question est entière et délicate pour les mandats nationaux. Les réformes de 2014, en plus d’interdire le cumul des mandats, ont aggravé la situation, en restreignant les possibilité d’avoir une activité professionnelle en même temps que le mandat parlementaire. Un autre problème se pose, par ricochet, celui du temps nécessaire pour accéder à un mandat national. On ne va plus passer 15 ans dans des fonctions subalternes, pour espérer décrocher le graal, si celui-ci se révèle précaire et décevant. Les filières d’accès et de formation politiques sont donc à revoir, car on a bien vu, en 2017, ce que cela donne d’avoir des novices débarquant dans l’hémicycle !

Un autre point est l’équilibre des pouvoirs. La fin du cumul d’un mandat national avec un exécutif local a modifié la répartition du pouvoir, affaiblissant les parlementaires, dont une partie du pouvoir était du au fait qu’ils avaient aussi un mandat exécutif local. C’est particulièrement visible localement, où par endroits, le député est la cinquième roue du carrosse, et passe en dernier dans le protocole. Cette réforme a également rehaussé le poids collectif des maires de grandes villes et des présidents de région, qui sont désormais les seuls interlocuteurs politiques du gouvernement central, par le biais de leurs associations représentatives, ou d’organisations plus politiques. Le choix d’Édouard Philippe de construire son nouveau parti, Horizons, sur son réseau de maires, est emblématique.

J’oublie certainement des sujets et des angles, mais ces trois exemples que je viens de donner montrent bien que cette réforme du cumul des mandats est en fait un jeu de domino. Les effets sont bien plus vastes qu’on ne peut le penser, et nous sommes encore loin d’avoir complètement évalué les effets de la réforme de 2014. Prudence, donc, avant de jouer, une nouvelle fois, aux apprentis sorciers. Je sais bien que les réformes institutionnelles sont souvent des objets de communication politique, destinés à satisfaire la défiance de l’opinion publique vis-à-vis de ses élus (sans que ce ne fasse remonter la confiance). Mais cela n’interdit pas de réfléchir aux conséquences, voire même de les prendre en compte !