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On arrive aux limites de la loi Sapin 2

Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision importante, concernant l’inscription des think tanks au registre des représentants d’intérêt géré par la haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP). En donnant raison à l’Institut Montaigne, qui refusait de s’inscrire, les magistrats ont montré les limites de la logique qui a présidé à la régulation du lobbying mise en place par la loi Sapin 2 de 2016.

Cette loi a créé une série d’obligations déclaratives auxquelles doivent se soumettre les représentants d’intérêts (lobbyistes en langage courant). Ils doivent s’identifier, dire pour qui ils travaillent, et indiquer les rencontres qu’ils sont eu avec tout un panel de décideurs publics, en vue d’influencer l’écriture de la loi ou des règlements. L’idée à la base du texte Sapin 2 est de rendre transparent le processus d’élaboration des normes, en dévoilant « l’empreinte législative » qui permet de savoir qui a pesé sur quoi dans la décision publique.

Le conflit tranché par le Conseil d’Etat portait sur les lignes directrices de la HATVP, qui considérait que les think tanks étaient soumis, par leur nature même, à l’obligation de se déclarer. Il est vrai que certains think tanks peuvent être des relais de lobbying, mais leur but premier est d’alimenter le débat public et politique, par leurs travaux de réflexion, sans que ce soit nécessairement du lobbying. Ou alors toute participation au débat public est du lobbying. Le Conseil d’Etat a donc conclu que pour obliger un think tank à se déclarer, il faut se baser sur son activité réelle et concrète, pour voir, au cas par cas, de quel coté de la barrière il se situe.

En fait, dès le départ, le processus est vicié, par une erreur fondamentale, qui ne peut amener que dans une impasse. Si on veut avoir une image exacte de ce qui a « alimenté » le décideur public, c’est à lui qu’il faut le demander. Or, le texte s’est bien gardé de faire peser la moindre obligation déclarative sur les décideurs publics. C’est sur ceux qui envoient des éléments, que reposent toutes les obligations, avec une course sans fin, car les élus reçoivent des éléments venus de partout, des lobbies bien entendu, mais aussi de leurs électeurs, qu’ils rencontrent sur les marchés, dans leurs permanence, et qui ont un avis sur les lois qu’ils doivent voter. La logique de la loi Sapin 2, si on la suit jusqu’au bout, est d’imposer des obligations déclaratives à absolument toutes les personnes qui entrent en contact avec un décideur pour chercher à l’influencer. Sinon, on n’a qu’une vision incomplète de l’empreinte législative, et on vide cette loi d’une grande partie de son utilité, et donc de sa justification. Cette logique de transparence se heurte ainsi à un double obstacle.

Il est matériellement impossible de documenter tous les contacts susceptibles d’avoir une influence sur les votes et les prises de parole d’un élu ou d’un décideur. C’est un travail titanesque et sans fin, car en plus de traiter la masse documentaire ainsi récoltée, il faudrait aussi contrôler les éventuelles fraudes, y compris jusqu’au domicile de l’élu, où le conjoint et les enfants peuvent être des vecteurs d’influence.

C’est également politiquement impossible, dans une démocratie, d’imposer de telles obligations aux citoyens. Mais en ne le faisant pas, on laisse une brèche énorme, un peu à la manière de la ligne Maginot, qui ne couvrait que la frontière directe entre la France et l’Allemagne. En 1940, les allemands n’ont eu qu’à passer par la Belgique pour la contourner tranquillement.

Cela pose aussi un problème politique du coté des élus, où leur imposer des obligations déclaratives lourdes peut être considéré comme une atteinte au libre exercice du mandat. Surtout si ces obligations sont assorties de sanctions en cas de non respect, et peuvent entrainer la perte du mandat. Cela rendrait l’exercice du mandat absolument ingérable, et totalement infernal.

La logique de la loi Sapin 2 sur la régulation du lobbying, qui est une bonne intention à la base, amène tout droit à un cauchemar façon « 1984 » de George Orwell, si on veut aller au bout de la logique. On devait bien finir, un jour, par s’en rendre compte. Ce jour est arrivé et on est bien ennuyé, car il est toujours difficile de faire demi-tour quand on se trouve au bout d’une impasse.

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Il faut débattre de l’Etat de droit

Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ancien villériste devenu LR, n’a pas tardé à se lancer dans une rhétorique droitière. Dans le JDD, en réponse à l’émotion médiatique suscitée par le meurtre d’une jeune étudiante, il dit « L’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré. C’est un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs. Mais la source de l’État de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain. »

Des propos qui suscitent bien évidemment un émoi à gauche, qui ne manque pas de le crier sur les réseaux sociaux, retenant surtout le premier morceau de phrase. C’est le jeu de la politique, rien de surprenant donc qu’il y ait des désaccords, qui puissent s’exprimer bruyamment. Reste qu’il faut savoir aller au delà, pour entendre ce que dit réellement Bruno Retailleau et lui répondre sur le fond.

Son positionnement ne me choque pas, même si je ne suis pas complètement en accord avec lui. L’Etat de droit est quelque chose d’important, qui sans être sacré et absolument intouchable, n’est pas non plus une chose anodine. C’est un socle de notre démocratie, qui a mes yeux ne peut qu’être également libérale. Je suis fermement opposé aux démocraties « illibérales », comme la Hongrie, où un régime démocratiquement élu peut bafouer les libertés publiques. Même si effectivement, il faut une adhésion du peuple à cet Etat de droit, il ne saurait être question de pouvoir tout régler, et éventuellement le modifier, simplement par un vote du « peuple souverain ». Je ne vois pas un référendum venir modifier le texte de la déclaration des droits de l’homme de 1789, qui figure en préambule de la Constitution (et fait donc partie du bloc de constitutionnalité).

L’Etat de droit dépend aussi de traités internationaux, que nous ne sommes pas libres de modifier unilatéralement, ni même d’interpréter ou d’appliquer en fonction de notre seule volonté. Là encore, si effectivement, la ratification d’un traité important peut passer par un référendum, c’est beaucoup plus compliqué de convoquer les électeurs pour sortir d’un traité, tellement les conséquences juridiques sont complexes.

Mon gros point de désaccord, c’est finalement la dernière phrase de Bruno Retailleau. La source de l’Etat de droit, ce n’est pas uniquement le peuple souverain, du moins pas le peuple entendu comme « corps électoral d’un référendum ». Notre histoire, notre culture politique sont aussi partie prenante, il n’est pas possible de faire un virage brusque sur ces sujets, et de renier notre passé. L’essence même du concept d’Etat de droit, est qu’il s’impose au législateur, voire au référendum, car la volonté du « peuple souverain » peut être limitée, et ne passe pas uniquement par un vote.

Si notre Etat de droit peut évoluer, cela ne peut se faire que par consensus, au terme d’un long processus de consultations et de ratifications. C’est donc extrêmement progressif, et cela s’accommode très mal d’une modalité électorale, telle que sous-entendue dans le propos de Bruno Retailleau.

Ce débat reste limité, car cette prise de position relève de la rhétorique. Le seul ministre de l’Intérieur, qui représente un des partis de la coalition gouvernementale, n’est pas en capacité de modifier l’Etat de droit. Ce n’est pas la première fois que la droite conservatrice prend de telles positions, sans que cela soit suivi d’une quelconque action concrète. Car cela suscite suffisamment de levée de boucliers pour que ça n’aille pas plus loin. Les conditions pour que cela évolue son encore loin d’être réunies.

Il faut bien entendu réagir et débattre, mais en explicitant notre propre vision et en expliquant en quoi elle diffère de celle énoncée par Bruno Retailleau. Certainement pas en criant au fascisme, et en cherchant surtout à disqualifier, sans répondre au fond. Notre démocratie crève de ce refus de débattre, et d’accepter une pensée différente de la notre.

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Le gouvernement Barnier est-il aux mains du RN ?

La nouvelle antienne de la gauche, après avoir épluché le passé des nouveaux ministres, c’est de dire que le gouvernement Barnier est dépendant du RN, et va donc faire sa politique. Encore une polémique stérile de plus, qui tient du procès d’intention, et qui n’est pas franchement solide.

Le principal argument contre cela est que le RN n’a aucun intérêt, pour trois raisons, à provoquer une crise politique avant (au mieux) l’automne 2025. A partir du moment où la menace de censure est un sabre en bois, cela enlève beaucoup de poids politique au RN.

Cette semaine, s’ouvre le procès des emplois fictifs du RN au Parlement européen, avec Marine Le Pen, en guest star dans le box. Le parti est accusé d’avoir fait salarier comme assistants parlementaires d’eurodéputés, des personnes (notamment Jordan Bardella) qui en fait, travaillaient exclusivement pour le parti. Le Modem vient d’être condamné pour ça. Le RN est donc, jusqu’au verdict, un peu paralysé, car si des peines d’inéligibilité sont prononcées, notamment contre Marine Le Pen ou Jordan Bardella, ça change la donne politique. Le deuxième élément est l’état de destructuration du RN. On a tous vu, eux compris, qu’ils ne sont pas au niveau pour recruter, former, et faire élire des candidats présentables aux législatives. Le nombre de « brebis galeuses » dans les rangs des candidats RN aux dernières législatives n’est pas le fruit du hasard, mais de la manière, très « amateur » dont est structuré le parti. La purge et la réorganisation sont lancées, mais ça demande un peu de temps avant de produire les résultats attendus. Enfin, dernier point, l’assemblée nationale ne pouvant être à nouveau dissoute qu’à l’été 2025, toute crise politique avant cette date plongerait la France dans une impasse institutionnelle, avec des risques de changement des règles du jeu. Le RN, et tous les autres partis, visent « le coup d’après », la présidentielle, ou à défaut des législatives anticipées. Personne n’a intérêt à casser le jouet qu’il convoite.

Pour autant, la situation n’est pas sans risque, car la politique est souvent faite d’émotionnel, d’irrationalité et de décisions absurdes (la dissolution de juin 2024 par exemple). Il faut donc éviter de pourrir l’ambiance en froissant le RN. Même si ce n’est pas parce que le RN a été vexé qu’il votera, ou pas, la motion de censure, cela peut accélérer les choses et provoquer une ambiance délétère, qui pèsera nécessairement sur la capacité d’action du gouvernement. Le principal coût politique est que cela oblige à recevoir le RN et le traiter comme une force politique « normale », ce qui accélère sa respectabilisation.

La composition du gouvernement va de l’aile gauche de la macronie (composée d’anciens socialistes) à la droite réac (Retailleau). Le spectre est plus large que d’habitude, ce qui augure de nombreux couacs et des avalages de couleuvres, notamment sur la manière de traiter le RN, sur le fond comme sur la forme. On a déjà eu un premier incident, trois jours après la formation du gouvernement, avec Antoine Armand, ministre macroniste, prié d’avaler son chapeau et de recevoir le RN lors des consultations qu’il va lancer. Ce sujet du rapport au RN et aux mesures politiques pouvant s’assimiler à leur programme va être l’un des poisons internes de cette coalition. En cela, le RN pèse.

La coalition incluant LR, on va se retrouver avec des initiatives politiques inspirées par le programme de ce parti, dont une partie s’est construite dans une course-poursuite avec le RN, qui peut ainsi revendiquer une influence indirecte. Je pense par exemple que le nouveau ministre de l’intérieur pourrait prendre des décisions « clivantes » sur des sujets comme l’immigration et le maintien de l’ordre. Il ne fera que mettre en œuvre ce qu’il préconise depuis longtemps, mais qui ressemble parfois beaucoup à ce que défend le RN. La gauche va bien entendu s’engouffrer dans la brèche et attribuer la responsabilité politique du tout à « l’influence du RN », et c’est de bonne guerre, puisqu’ils sont dans l’opposition. Le RN ne se privera pas non plus de dire que tout cela est arrivé grâce à lui, quitte à dire également que ce n’est pas assez et faire dans la surenchère, remettant un coup de pression. Même si cela peut être faux d’affirmer que certaines mesures ont été dictées par le RN, les apparences sont défavorables au gouvernement.

L’essentiel de la bataille va se jouer sur le plan de la communication, pour prouver, ou démentir, l’influence du RN. Car malheureusement, vu l’absence de majorité pour faire voter des textes, et l’impasse budgétaire dans laquelle le pays se trouve, Michel Barnier n’a que peu de marges de manœuvre pour lancer de vraies réformes et appliquer un quelconque programme.

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Le très classique gouvernement Barnier

Michel Barnier vient de dévoiler la liste de ses ministres. On est dans le très classique, avec un nombre important (38 personnes) des intitulés de ministères sans grande fantaisie, et surtout, une présence massive d’élus et de politiques (une seule « société civile », la dernière de la liste, Clara Chappaz, qui s’occupe du numérique).

L’équilibre politique est sans surprise, il s’agit bien d’un gouvernement de centre-droit, avec une seule « caution de gauche », Didier Migaud, dont on se demande ce qu’il vient faire là, et en particulier au ministère de la Justice. Pour le reste, c’est un savant mélange entre les différents courants de la coalition gouvernementale, dont le dosage a du donner lieu à de nombreux échanges. A noter, le grand retour des sénateurs, qui placent neuf d’entre dans le gouvernement. Cela fait longtemps que cela ne leur était pas arrivé, et laisse présager que le Sénat sera un élément important du dispositif de gouvernance de Michel Barnier.

Le Premier ministre a quand même pris soin de s’entourer, et de se donner les moyens d’exercer ses fonctions. Il a une ministre déléguée à la coordination de l’action du gouvernement, qui est une très proche. Ce portefeuille est une nouveauté, mais dont on voit bien l’utilité, et qui sera sans doute le « binome » politique de la SGG, chargée de veiller à ce que les arbitrages soient respectés, et éventuellement aller sonner les cloches de ceux qui prennent trop de libertés. Il a également rattaché le Budget directement à Matignon, signe que ça risque de chauffer sur les comptes publics.

Sur le choix des personnes, il ne me semble pas y avoir trop d’erreurs de casting. Un certain nombre de ministres ont une expérience de gestion (ministère, collectivité locales, administrations) et plusieurs connaissent bien le secteur où ils débarquent. On sent quand même parfois que l’étiquette et la proximité avec le chef de parti ont joué un grand rôle dans l’entrée au gouvernement. On est dans la norme habituelle du mélange de compétences, de profils très politiques, et de copinages.

Reste à voir comment l’attelage va fonctionner, et quelle sera la capacité de Michel Barnier à en tenir les rênes. Pour le moment, cela semble solide. Autant qu’un gouvernement « du monde d’avant ».

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La fin du moment Ruffin ?

Depuis les élections législatives, et son départ de LFI (accompagné de la vieille garde des anciens du Parti de gauche), François Ruffin est dans un moment difficile. Il s’est fait huer à la fête de l’Huma, et semble assez isolé.

Même s’il continue d’être, à mes yeux, l’une des personnalités d’avenir de la gauche, la situation actuelle n’est pas simple pour lui. En effet, sa stratégie implique un effacement de Jean-Luc Mélenchon, afin qu’il puisse se présenter comme un candidat unique de la gauche, acceptable à la fois de la gauche radicale, de la gauche « populaire » (le PCF) mais aussi des sociaux démocrates. Cela oblige à rompre avec Jean-Luc Mélenchon, ce qui ne peut pas se faire sans bruit et fureur. On y est, et comme prévu, ça chauffe. Reste à voir comme la vapeur va retomber et comment Ruffin va arriver à se rabibocher avec les LFI.

Le véritable souci, pour Ruffin, est la configuration générale de la gauche, de plus en plus éclatée. La question israélo-palestinienne a creusé des tranchées profondes, les suites des élections législatives n’ont pas arrangé les choses. Plaire à la fois à LFI et à l’aile droite du PS devient un challenge de plus en plus compliqué. Cet écart pourrait se traduire lors de la prochaine présidentielle.

Si Jean-Luc Mélenchon est candidat une nouvelle fois, ce qui est fort probable, il y aura une candidature socialiste ou de la mouvance. Je vois bien Raphaël Glucksmann se lancer, avec des chances sérieuses d’arriver devant Mélenchon, voire d’être qualifié au second tour face à Marine Le Pen. La reconfiguration à droite, à la suite de la dissolution, laisse entrevoir un duel entre Edouard Philippe et un représentant de LR, possiblement Laurent Wauquiez. Si c’est le cas, la pression à la candidature unique n’est plus aussi forte, et desservirait François Ruffin.

La récente dissolution nous a appris que les conditions politiques changent parfois très vite. L’important est d’être prêt, et de ce coté là, François Ruffin n’est pas en retard sur son planning. Il continue à s’organiser, à nouer des contacts et des liens, à affirmer sa différence et sa préférence pour une gauche sociale plutôt qu’une gauche sociétale.

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L’inquiétant début de dérive populiste à gauche

Plusieurs semaines après les élections législatives, alors qu’un Premier ministre vient d’être nommé, une partie de la gauche continue à clamer que c’est eux qui auraient gagné les élections, et que la nomination du Premier ministre de droite est un hold-up démocratique. Les exemples pullulent sur les réseaux sociaux, venant parfois même de gens qui affichent une qualité de « journaliste » dans leur bio.

Ce récit d’une victoire volée a été démonté en long et en large. Certes, la coalition de gauche a obtenu 193 sièges, mais c’est très loin de la majorité absolue de 289 sièges. Et la position de refus d’ouvrir des négociations sérieuses avec la macronie, seul allié possible, rend ce score stérile, et ouvre la voix à la recherche d’une autre coalition. Celle-ci, groupant Macronie et LR, avec un engagement (fragile et révocable) du RN de ne pas censurer, permet la mise en place d’un gouvernement Barnier.

Cette configuration où le parti arrivé en tête se retrouve finalement dans l’opposition, se retrouve parfois dans d’autres pays, sans que cela ne choque le moins du monde. C’est le cas, en 2023, du PiS en Pologne, qui s’est retrouvé face à une coalition des autres partis, qui a ramené Donald Tusk au gouvernement. Pareil en Espagne, où le Premier ministre sortant, Pedro Sanchez, est resté en place, bien que la droite soit arrivée devant, d’une courte tête. A chaque fois, cela donne des coalitions fragiles, ce qui n’est pas une bonne chose, mais c’est une autre histoire. Le jeu institutionnel post-électoral peut parfois être frustrant, surtout quand on n’a pas l’habitude. Mais il ne rend pas illégitime un gouvernement, quand les règles constitutionnelles sont respectées.

Pourtant, il y a une persistance de nombreux militants de gauche (notamment les plus à gauche), à refuser de reconnaitre comme légitime le gouvernement Barnier, et la coalition qui le soutient. Les mots qui reviennent sont « coup de force » ou « hold-up démocratique ». On peut comprendre cette surenchère dans la période de négociation et d’incertitude qui suit immédiatement l’élection. Mais une fois la situation stabilisée et le gouvernement nommé, il faut revenir à la réalité et concéder que malgré un bon score, la gauche restera encore dans l’opposition, parce que les conditions ne sont pas réunies pour qu’elle puisse gouverner.

Continuer à contester la légitimité du gouvernement relève alors d’une dérive populiste, qui refuse de reconnaitre la défaite. C’est exactement ce que l’on voit aux Etats-Unis, où un nombre non négligeables de Républicains continuent estimer que l’élection de 2020 a été « volée », malgré tous les recomptages et le respect de toutes les formalités constitutionnelles.

Nous n’en sommes pas encore là en France, mais il ne faudrait pas suivre cette pente, car elle est destructrice pour la démocratie. Il est de la responsabilité des dirigeants des partis de gauche de ne pas laisser perdurer cette petite musique, et de reconnaitre, explicitement et sans la moindre ambiguïté, que le gouvernement Barnier est légitime. Cela ne donnera que plus de force à leur opposition aux mesures que prendra ce gouvernement, qui s’inscrira dans un cadre républicain, offrant une possibilité d’alternance avec un contre-projet, soumis aux électeurs lors des prochaines échéances.

Il faut faire très attention, car il peut être facile et rapide de glisser hors du cadre républicain, et de déstabiliser les institutions. Peut-être, d’ailleurs, est-ce le but de certains…

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Le risque du burn-out parlementaire

La nouvelle configuration de l’Assemblée nationale, sans majorité claire, donne l’impression à certains qu’on va en finir avec l’inflation législative. Un avenir législatif radieux, où on voterait peu de lois, longuement travaillées et réfléchies, n’est pourtant pas à l’ordre du jour. Je crains beaucoup qu’on aboutisse au contraire à une machine parlementaire qui s’emballe encore plus, avec toujours plus d’idioties discutées, pour au final ne pas être adoptées, faute de majorité.

Le scénario qui se dessine pour cette XVIIe législature est très sombre pour ceux qui aiment le Parlement et la belle législation. Faute de majorité solide, toutes les réformes un tant soit peu clivantes vont être reportées, faute de pouvoir être adoptées. On va donc se retrouver avec une foule de propositions de loi dégoulinantes de bon sentiments ou d’idéologie, sur des sujets anecdotiques, ou des têtes d’épingle. Cela était déjà largement le cas sous la XVIe législature, où on trouvait un créneau pour discuter de la discrimination capillaire, alors que la loi de programmation énergie-Climat restait en rade.

L’inflation législative va continuer, car si on ne change pas les règles du jeu, il n’y a aucune raison que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets. Depuis bien longtemps, la loi est devenue un outil de communication, la réponse qu’on brandit dès qu’un problème monte dans les médias. Un fait-divers = une loi est une tentation permanente pour les politiques, sommés d’avoir réponse à tout, dans des temps médiatiques très courts. Déjà en 2008, on a eu cette magnifique loi sur les chiens dangereux, proposée à la suite d’une morsure très médiatisée de chien sur un enfant. L’article 1 de cette loi institue un « Observatoire national du comportement canin » et les articles suivants créent toute une série de nouvelles procédures administratives, génératrices de paperasse et de bureaucratie.

Les conditions de discussion des textes ne va pas aller en s’améliorant, le groupe LFI étant dans une stratégie assumée de bordélisation des institutions. Siéger dans l’hémicycle va rester un supplice. L’absence de majorité va amener à des bricolages et des compromis baroques, pour arriver à faire voter les textes. Je crains que tout cela ne se fasse au détriment de la qualité du droit. En effet, les parlementaires sont là pour faire de la politique, et les légistes sont une espèce en voie de disparition, voire quasiment éteinte au Palais Bourbon. Même s’il en reste au Sénat, il n’est pas certain qu’ils puissent tout rattraper.

Au final, on va avoir toujours autant de textes à discuter, car la machine parlementaire a horreur du vide. Ce ne sont pas les travaux d’évaluation et de contrôle qui vont prendre la place, car ils demandent beaucoup de travail, pour peu de bénéfice politique et médiatique. On aura donc toujours autant de propositions de loi anecdotiques, juridiquement vides, et politiquement clivantes. Mais bien peu risquent d’aboutir à quoi que ce soit, car si le gouvernement ne déclare pas la procédure accélérée, c’est deux lectures dans chaque chambre, puis une CMP, puis éventuellement une nouvelle lecture si la CMP échoue. Autant dire que sur une législature qui s’annonce courte, le bilan législatif risque d’être très maigre. En revanche, le risque de burn-out des différents acteurs du processus législatif est énorme.

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Laissons sa chance à Barnier

Emmanuel Macron s’est enfin décidé, en nommant Michel Barnier comme Premier ministre. Un choix logique, vu le refus du PS d’accepter une forme de soutien sans participation pour un gouvernement Cazeneuve. De plus, à 73 ans, il est suffisamment « has been » et dénué de charisme pour ne pas inquiéter les prétendants au pouvoir (comme Edouard P.), qui peuvent voir en lui un simple manager de transition, et pas plus.

Il peut compter, du moins dans les premiers mois, sur une base parlementaire assez solide. Les troupes macronistes vont le soutenir et LR ne peut pas s’en désolidariser. Et surtout, le RN semble accepter laisser sa chance au gouvernement Barnier en ne votant pas la censure (du moins pas tout de suite). Ils ont eu aussi, besoin d’un moment de répit pour se réorganiser, et Barnier n’est ni irritant, ni une menace. Cela va lui permettre de relancer la machine administrative, de prendre les décrets, ce qui permet de faire pas mal de choses. Il y aura sans doute une moindre productivité législative, car le fait que le RN ne vote pas les motions de censure ne veut pas dire qu’il votera les projets de loi. Mais mis à part le budget, ce n’est pas bien grave s’il y a moins de lois. Quand on regarde ce qui était discuté entre 2022 et 2024 au Parlement, cela relevait souvent de l’anecdotique.

Le vrai enjeu est sa capacité à ne rien céder au RN sur le fond, et à respecter dans les clous « républicains », malgré les coups de pression et les menaces de censure qui ne manqueront pas d’arriver régulièrement du RN. Pour l’instant, je ne suis pas fondamentalement inquiet, Barnier ayant toujours été un homme d’une droite classique, pro-européenne et modérée, loin de toute tentation extrême. Les épisodes comme la campagne des primaires de 2021, où il a été obligé d’aller draguer l’aile droite des militants LR, ne sont pas représentatifs de ce qu’il est vraiment.

J’attends de voir la composition du gouvernement et le discours de politique générale, mais ce gouvernement Barnier pourrait réserver quelques surprises. A partir du moment où il n’est pas renversé par une motion de censure, il dispose d’une véritable liberté d’action, car constitutionnellement, c’est lui qui dispose de la machine administrative et rend les arbitrages. Le président de la République ne peut pas lui donner d’ordres, il peut juste gêner ou empêcher. Comme en plus, Barnier est en toute fin de carrière, il n’a pas à « ménager l’avenir » et se moque de sa popularité.

Rappelez-vous ce qu’on a pu entendre, surtout venant de la gauche, lors de la nomination de Jacques Toubon comme défenseur des Droits. Au final, il a été excellent et est parti sous les applaudissements de la gauche.

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Macron entre dans la zone de danger

Le vaudeville de la nomination du Premier ministre se poursuit, et devient même interminable, lassant tout le monde. Il devient surtout très dangereux pour le président de la République, qui apparait, au fil des jours, comme le vrai responsable de tout ce bazar. C’est en effet lui qui a tout déclenché avec cette dissolution malencontreuse, et il se révèle incapable de trouver une solution. Plus on avance dans le temps, plus cela devient difficile pour l’Elysée de rejeter la faute sur les autres, même si la responsabilité du fiasco est partagée.

Cela se voit de plus en plus qu’Emmanuel Macron refuse de tirer les conséquences du résultat des élections législatives de juillet 2024, et de renoncer à sa toute-puissance. Son ancienne majorité, même si elle a sauvé les meubles, a subit une saignée, et n’est plus en mesure de gouverner seule. A partir de là, c’est tout le système présidentialiste qui s’écroule, car si le président de la République est un monarque, ce n’est pas en vertu de ses pouvoirs propres, mais parce qu’il a une majorité parlementaire à ses ordres. La reconstitution d’une majorité parlementaire qui soit à ses ordres n’est pas possible, avec deux blocs qui refusent de s’allier avec l’ancien parti présidentiel (surtout si c’est pour permettre à Macron de continuer à régner). Il est donc dans une impasse.

La seule issue institutionnelle est qu’une majorité parlementaire (qui ne pourra qu’être fragile, vu la composition de l’Assemblée) se constitue autour d’une autre personnalité, à savoir le Premier ministre. Mais dans ce cas, ce serait ce Premier ministre qui serait le véritable dirigeant du pays, reléguant Emmanuel Macron à l’inauguration des chrysanthèmes, jusqu’à la survenue d’une éventuelle crise politique. Une perspective totalement inacceptable pour Macron, qui refuse de se dessaisir du pouvoir, d’où cette recherche frénétique (et vaine) d’une solution technique (comme « l’hypothèse Thierry Beaudet »). Plus le temps passe, et plus c’est ce refus de Macron de renoncer au pouvoir, qui apparait comme le nœud de la crise politique.

Cette obstination risque de mener loin dans la crise. Il peut finir par se résoudre à nommer un Premier ministre (on voit mal désormais d’autres candidats que Bertrand ou Cazeneuve émerger) tout en cherchant à lui savonner la planche pour qu’il échoue. L’hypothèse de l’adoption d’une, voire de plusieurs motions de censure, n’a rien d’absurde. Mais même dans ce cas, ce n’est pas une solution pour Emmanuel Macron, car il serait tenu pour responsable du désastre.

Au final, on pourrait finir par être obligé de « débrancher Macron », en le poussant à la démission. Il suffit que les restes de son ancienne majorité le lâchent, en acceptant par exemple d’entrer dans une coalition sans son accord. Le lâchage vient de commencer avec la déclaration de candidature à la présidentielle d’Edouard Philippe. Le président d’Horizons pose abruptement le fait que les conditions politiques d’une présidentielle anticipée existent, et ouvre le bal des prétendants. En clair, la question n’est plus « est-ce que Macron a encore les moyens d’exercer son mandat ? » mais « combien de temps peut-il encore tenir ? ».

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La question présidentielle

La nouvelle configuration politique, issue des élections législatives, amène à se poser des questions qui n’avaient rien d’évident, sur le rôle et les pouvoirs du chef de l’État dans un « vrai » régime parlementaire. Jusqu’ici, l’interprétation « gaullienne » selon laquelle le président de la République est avant tout un patron politique quand il a une majorité parlementaire derrière lui, s’imposait assez naturellement. Un billet intéressant, sur le blog Jus Politicum (lecture recommandée à tous les geeks du droit constitutionnel) ouvre le débat sur la séparation entre rôle institutionnel et rôle politique.

Dans un régime parlementaire, le chef de l’Etat n’est pas celui qui décide (en fonction de ses envies et de ses intérêts) qui doit être premier ministre, mais qui prend acte du résultat d’une élection et organise, sans la diriger, la recherche d’une solution institutionnelle. Dans certains pays, comme la Belgique ou l’Italie, habitués aux situations compliquées, c’est un rôle important du chef de l’État, voire le seul qui soit véritablement significatif. Mais cela implique nécessairement une neutralité partisane. C’est d’ailleurs pour cela que, quand il s’agit de républiques, le profil recherché pour un président est celui d’un « vieux sage » expérimenté et respecté.

Actuellement en France, on en est loin, puisque ce rôle est occupé par le chef d’un des partis. Quoi qu’il en dise, l’objectif d’Emmanuel Macron est de faire en sorte de garder au maximum le contrôle du gouvernement et d’empêcher la gauche de s’en emparer. La seule limite à l’exercice, qu’Emmanuel Macron a très bien identifiée, est que le Premier ministre qui sera nommé devra, au mieux avoir une majorité de députés avec lui, au pire, aucune coalition majoritaire contre lui. Les actuelles consultations et négociations ne sont donc qu’un théâtre politique, où chaque acteur improvise, de manière plus ou moins crédible, pour faire face à une situation inédite.

Il faut reconnaitre toutefois que l’attitude d’Emmanuel Macron, si elle est politiquement contestable, reste institutionnellement correcte. La lettre et l’esprit de la Constitution font que la nomination du Premier ministre est complètement à la main du président. Il n’a aucune formalité à respecter, aucune consultation obligatoire. Il n’a pas tellement de ressources à puiser dans la tradition politique française, où il n’y a pas eu, depuis 1958, de problèmes de constitution de gouvernement aussi délicat qu’aujourd’hui. Les exemples étrangers peuvent être des sources d’inspiration, mais aucun ne s’impose, et chaque parti, en fonction de ses intérêts, va chercher ceux qui l’arrangent. C’est de bonne guerre et c’est de la politique, pas du droit constitutionnel.

Il n’empêche que la question est très pertinente, et devra être prise en considération si jamais une réforme des institutions doit avoir lieu. Je dois bien avouer que jusqu’ici, je ne me l’étais pas posée, et je ne dois pas être le seul. Le sujet est exactement le même pour le droit de dissolution, où Emmanuel Macron s’est servi de l’outil dans un esprit de pur opportunisme partisan, et pas comme un chef d’Etat prenant acte d’une situation de blocage.

Dans une telle configuration, c’est effectivement gênant que le président de la République soit aussi le chef d’un parti, et donc oriente son action institutionnelle, en fonction de ses intérêts politiques et partisans, alors même qu’il est « irresponsable ». Cela veut donc dire qu’il exerce un rôle clairement partisan, sans que sa responsabilité politique ne puisse être mise en cause autrement que par l’article 68, qui est destiné aux cas où le président est manifestement hors d’état d’exercer ses fonctions, ou déraille complètement (comme par exemple le président du parti LR qui se lance dans une alliance avec le RN, sans consulter personne au sein du parti).

On peut très bien choisir de garder ce modèle où le président de la République reste un « patron » politique, et donc un chef de parti. Mais dans ce cas, il faut en finir avec son « irresponsabilité » et mettre en place des mécanismes pour le faire dégager s’il veut imposer des décisions contre une majorité, ou qu’il empêche sciemment un fonctionnement normal des institutions. Même si pour l’instant, en France, on ne peut pas dire qu’Emmanuel Macron en soit là, la question pourrait finir par se poser si un gouvernement n’est pas rapidement nommé.

On peut aussi, et cette démarche est complémentaire, encadrer davantage l’exercice du droit de dissolution et la nomination du Premier ministre. On peut le faire de manière à laisser plus ou moins de liberté au chef de l’Etat, mais on ne peut pas rester dans la situation actuelle où il a une latitude complète, permettant des décisions s’apparentant à un détournement de pouvoirs.

Cette période, à défaut d’être politiquement réjouissante, aura au moins eu le mérite de renouveler profondément le stock de questions nouvelles de droit constitutionnel.