Le projet de loi « sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN) qui débute à l’Assemblée nationale ressemble furieusement à la loi hadopi, en 2009. Mêmes postures politiques, même ignorance crasse des réalités du numérique (à quelques rares exceptions), ce qui donne des amendements où le pathétique le dispute au ridicule, avec des vraies attaques contre les libertés fondamentales.
Force est de constater que les députés ne sont pas à la hauteur sur ces sujets, tous bords confondus, pour plusieurs raisons.
La régulation du numérique est un continuum, entre les autorités publiques (gouvernement et Parlement, administration, autorités administratives indépendantes, magistrats), la société civile, les internautes, et les entreprises du numérique. Chacun tient un rôle, dispose de leviers précis, et si un des maillons de la chaine refuse de jouer le jeu, ça ne marche pas, ou mal. Les politiques n’ont jamais été dans cette posture coopérative, bien au contraire, on a l’impression qu’à eux seuls, avec leurs petits bras musclés, ils vont « civiliser » internet et les réseaux sociaux.
En fait, la loi est un outil parmi d’autres, mais pas le plus important, et qui ne peut pas être utilisé seul, de manière performative. Il faut, derrière, mettre des moyens humains et financiers, qui ne sont pas toujours au rendez-vous. Ce serait plus utile si, au lieu de s’exciter comme des puces folles sur des amendements symboliques et inopérants, les députés faisaient leur travail de contrôle de l’action du gouvernement, en vérifiant que les moyens ont été bien mis là où il le faut.
Le Parlement français a une tendance à se croire omnipotent, alors même qu’il est un acteur secondaire, voire même maintenant marginal. Depuis l’entrée en vigueur du DSA, il y a quelques semaines, la régulation des contenus en ligne relève du niveau européen, tant sur le fond que sur les procédures. Ce qui est attendu du législateur français, c’est d’adapter le droit français à la nouvelle architecture de la régulation européenne du numérique. C’est d’ailleurs ce qui fait le projet de loi SREN, dans sa deuxième moitié, après l’avoir allègrement piétinée dans la première moitié !
Le numérique est en apparence un sujet simple, sur les principes, où n’importe qui peut se croire compétent, parce qu’il est un utilisateur (parfois compulsif) des services proposés. Mais quand on soulève le capot et qu’on entre dans les détails, cela devient extrêmement technique. Cela demande de bosser et de se former, effort que bien peu de parlementaires font. Ce n’est pas en soi un problème d’avoir peu de spécialistes, à partir du moment où ils sont écoutés. Malheureusement, les quelques spécialistes vraiment compétents, Lionel Tardy à l’époque de Hadopi, ou encore Philippe Latombe et Eric Bothorel aujourd’hui, sont marginalisés par leur propre groupe (aucun n’est rapporteur).
Ce projet de loi SREN va mal finir, comme les autres avant lui, en se fracassant à la fois sur le conseil constitutionnel, mais aussi sur le droit européen. Le Parlement français arrivera juste à y perdre encore un peu de crédibilité, à la fois chez ceux qui ont cru aux promesses de « régulation » mais aussi chez ceux qui savent comment cela fonctionne réellement.