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Les fables de la vie politique

La situation politique actuelle est assez désespérante, mais n’a rien d’inédit, et les comportements des élus s’inscrivent dans des schémas assez intemporels, qu’on retrouve dans les fables.

Entre le bloc central et le RN, c’est la fable du scorpion et de la grenouille. Malgré toutes les belles promesses de non censure, le RN finit toujours par voter les censures (après avoir encaissé les concessions, évidemment) car son intérêt est de créer le chaos, afin de prendre le pouvoir. Il l’a fait à Barnier, à Bayrou, il n’y a aucune raison qu’il ne le fasse pas aussi à Lecornu. Le RN n’est pas un partenaire fiable, c’est connu et documenté. Cela ferme la porte à la première option de recherche de stabilité pour le bloc central.

Entre le PS et le bloc central, c’est plutôt le loup et l’agneau. Les socialistes font semblant d’entrer en discussion avec le bloc central, pour un éventuel pacte de non-censure sur le budget. Mais on sent, au fil de la discussion, que le PS cherche surtout le prétexte pour rompre les négociations, sans porter le chapeau. Cela fait furieusement penser à l’argumentation du loup, dans la fable, qui cherche un prétexte pour justifier ce qu’il va faire, de toute manière, à savoir dévorer l’agneau. Il est évident que si un rapprochement entre le PS et le bloc central était possible, il aurait déjà eu lieu. Ce n’est pas le cas, et c’est pour une raison simple : cela fait plus de 50 ans que la gauche réformiste fonctionne en cartel électoral avec la gauche radicale, sous des noms qui varient, mais dont le plus connu est « union de la gauche ». Ils se connaissent par coeur, ont l’habitude de travailler ensemble, leurs électeurs ont l’habitude de les voir travailler ensemble. La quitter pour rallier le centre-droit serait une erreur stratégique monumentale (surtout à 6 mois des municipales). Le PS n’ira pas plus loin que des absentions constructives, au cas par cas, payées comptant. Tout cela est très insuffisant pour bâtir une coalition gouvernementale.

On le sait depuis juillet 2024, la XVIIe législature est dans une impasse. On en a maintenant la démonstration quasi achevée. A la chute du gouvernement Lecornu, il n’y aura pas d’autre possibilité que dissoudre, en espérant ne pas retrouver une assemblée tout aussi bloquée.

C’est malheureusement le risque, car les partis et les élus sont tellement tétanisés par l’enjeu de la présidentielle, qu’ils seront incapable de s’entendre pour que les élections législatives se fassent selon des modalités différentes, ouvrant la porte à une assemblée bloquée, ou à la victoire du RN. A ce stade, je ne vois pas de troisième alternative. A 33% dans les sondages, le RN va bénéficier à plein des effets du scrutin majoritaire, et le barrage républicain ne pourra pas grand chose, si un nombre conséquent de RN sont élus dès le premier tour.

La chute est quasi inéluctable, reste juste à savoir quand elle aura lieu. La semaine prochaine ? En décembre ? Le tout sous les regards résignés d’un ecosystème politique qui n’en peut plus, et est de plus en plus enclin à accepter n’importe quoi, pourvu qu’on sorte de l’impasse dans laquelle nous sommes.

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Une forme de résignation

Alors que nous sommes en pleine période de remaniement ministériel, cela ne semble intéresser personne. Pas ou peu de rumeurs, et même les principaux intéressés (ministres, parlementaires et entourages) n’éprouvent pas vraiment de fébrilité. La petite bulle médiatique qui, d’habitude, frétille, semble s’en foutre complètement. C’est assez étrange, et inquiétant.

Sébastien Lecornu semble plutôt bien s’en sortir, en tout cas, il n’a pas débuté par des erreurs monumentales, comme son prédécesseur qui part en jet, pour présider le conseil municipal de Pau, alors qu’un cyclone dévaste Mayotte. Il prend également le temps de consulter, avant de donner des éléments de programme et de constituer son équipe. Attendons de voir ce qu’il en sera, tant de la solidité de la coalition, que du programme et de sa capacité à séduire au delà de sa coalition.

Les différents partenaires potentiels (essentiellement le PS et les syndicats) n’ayant pas eu beaucoup de choses à se mettre sous la dent, ils restent dans l’expectative et maintiennent la pression. C’est de bonne guerre, et pour l’instant, rien d’irréparable n’a été commis, mais rien n’est fait non plus, dans la direction d’une stabilisation et d’une survie du gouvernement Lecornu. Pour l’instant, le PS est sur la réserve, mais à tendance plus négative que positive, avec des exigences élevées.

Dans ce moment de calme au milieu de la tempête, on sent comme une apathie et une forme d’indifférence à ce qui pourrait advenir. De plus en plus se disent que c’est foutu, que Lecornu est arrivé trop tard, et qu’à six mois des municipales, ce serait un suicide politique pour les socialistes que de lui sauver la mise. Ce qui aurait été possible lorsque Bayrou a été nommé, ne l’est peut-être plus aujourd’hui, et que l’habilité de Lecornu ne suffira peut-être pas, car tout ne dépend pas de lui. La falaise est trop proche.

Les esprits commencent déjà à se préparer à une dissolution, qui pourrait amener à une victoire du RN. On sent que cette perspective, effrayante en juin 2024, fait moins peur, certains commençant à dire que ça ne peut pas être pire que l’immobilisme actuel. Il est vrai que depuis début 2024, on en est à notre quatrième gouvernement, que faute de majorité, aucune réforme d’ampleur ne peut être votée, alors même que nos finances publiques sont dans le rouge vif. La fatigue démocratique fait son œuvre.

Je crains les semaines qui arrivent, car la résignation à l’arrivée du RN au pouvoir progresse. Et c’est le fait même de baisser les bras, de renoncer, qui va justement faire que cela pourrait arriver. La faute en reviendrait au bloc central, et au premier chef à Emmanuel Macron, incapable de reprendre la main après l’erreur funeste de la dissolution, et de jouer son rôle de leader. Plus rien de sérieux ne sort du bloc central en termes d’idées, entre un Gabriel Attal adepte des coups de comm’ totalement creux, un Édouard Philippe muet sur le fond, qui ne fait qu’envoyer des cartes postales, et des LR, toujours divisés, qui courent après le RN.

Faire de la politique, c’est rassembler autour d’un programme et d’un leader. Emmanuel Macron l’a réussit en 2017, mais a largement échoué en 2022. Un vide politique s’est formé, et n’a cessé de s’agrandir, par affaiblissement de la Macronie, qui finira bien par être rempli par d’autres. Et ces autres, c’est malheureusement le RN, qui pourraient l’emporter, non pas parce qu’ils sont bons, mais par défaut, par écroulement des autres.

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Le sevrage du présidentialisme

Nous vivons une période politiquement difficile, mais potentiellement salutaire pour notre démocratie. Nous sommes en train de nous sevrer de la culture politique présidentialiste de la Ve République. Comme pour le fumeur en sevrage, c’est difficile, car nous sommes toujours sur des vieux réflexes, à chercher à nous raccrocher à des mécanismes et des habitudes qui ne fonctionnent qu’en période de majorité absolue stable.

Nous sommes déboussolés, mais pourtant, on commence à voir quelques débuts de réflexions et d’évolutions des pratiques. C’est par exemple Laurent Wauquiez qui dit qu’avant de composer un gouvernement, il faudrait peut-être d’abord passer un pacte entre partis, définir le « quoi » avant le « qui ». C’est une évidence pour toutes les « vraies » démocraties parlementaires, et je ne suis pas dupe des arrières-pensées politiciennes de Wauquiez (mettre une peau de banane sous les pieds de Retailleau). Il n’empêche, ça commence à venir, et peut-être que Sébastien Lecornu va essayer de faire quelque chose dans ce sens. Cela sera nécessairement imparfait et insuffisant, car il n’a que 15 jours-3 semaines, alors que dans les autres pays, ça prend 3 mois, et de toute manière, tant que les leaders politiques ont les yeux rivés sur la présidentielle, et donc ne veulent surtout pas se compromettre, il ne se passera rien de sérieux.

On commence également à avoir, très timidement, des débuts de réflexion sur la nécessité d’être fiable et respectueux. Pour l’instant, on constate surtout les dégâts que provoquent leur absence, entre un RN qui prend les concessions, et plante le gouvernement (que ce soit Barnier ou Bayrou), ou encore la majorité, qui s’est bien foutu de la gueule de la gauche avec le « conclave » sur les retraites, en lançant quelque chose en sachant pertinemment que ça finirait en eau de boudin. Il faut arriver à se déshabituer de la drogue dure qu’est le « winner takes all » et l’arrogance qui l’accompagne, où l’opposition est rejetée hors de la sphère décisionnelle (en attendant que les rôles s’inversent, donc sans volonté de changer le système).

Il faut d’abord toucher le fond avant de remonter, il faut un écœurement démocratique, pour se dire qu’on ne trouvera pas de solution en essayant de ressusciter l’ancien système. Je pense qu’on n’a pas fini de creuser, et que les tentatives de fermer la parenthèse vont durer jusqu’au la présidentielle de 2027. Et c’est seulement si ce scrutin ne règle rien, avec par exemple une assemblée sans majorité après la dissolution post-présidentielle, que l’on se résoudra à faire les réformes institutionnelles pour basculer dans un véritable régime parlementaire. On n’aura plus le choix. C’est souvent comme cela qu’on fait les réformes en France, quand on est au pied du mur.

Il n’y a pourtant pas grand chose à changer dans nos mécanismes institutionnels. Un passage à la proportionnelle (la vraie, pas un scrutin majoritaire déguisé), quelques réformes constitutionnelles pour rogner les pouvoirs de l’exécutif face au législatifs, et encadrer les prérogatives présidentielles. Il faudra imposer que le gouvernement, avant d’entrer en fonction, doive obtenir la confiance de l’Assemblée, afin que le Premier ministre tire sa légitimité du Parlement, et pas du président. Il faut revoir les mécanismes tels que le 49.3, le vote bloqué. Au passage, notre procédure parlementaire, complètement obsolètes, doit être revisitée. Les pouvoirs propres du président, à commencer par la dissolution, doivent être bien plus encadrés, et qu’on ne se retrouve plus avec une dissolution surprise pour convenances personnelles. Derrière, bien entendu, il faudra que la culture politique, des citoyens comme de la classe politique, évolue afin de faire vivre les institutions selon un esprit parlementaire. C’est cela le plus important, et la période difficile que nous vivons est essentielle, pour que nous nous disions « plus jamais ça ». Là dessus, on est servi.

Mais en attendant, on va en baver jusqu’à l’été 2027, et ça, ce n’est pas agréable. Mais si on peut commencer à préparer l’après (parce que ça ira vite), ça peut permettre de supporter un peu le dégoût et le découragement démocratique.

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Le jour du tournant

Aujourd’hui, 10 septembre, deux évènements marquants sont à retenir. Le premier est l’escalade du conflit en Europe de l’Est, avec une violation, volontaire et assumée, de l’espace aérien polonais par des drones russes. Le second est la déroulement en France, d’une répétition générale d’émeutes urbaines menée par l’Ultra-gauche.

Le danger pour notre démocratie libérale se rapproche encore un peu plus, à la fois depuis l’extérieur et l’intérieur. Comme par hasard, le même jour, nous avons une passation de pouvoir à Matignon, avec le quatrième Premier ministre en moins de 18 mois, symbole de l’impuissance politique française.

Ce n’est qu’avec le recul que l’on peut fixer, rétrospectivement, le moment clé, celui où l’histoire bascule. C’est souvent un continuum. La seconde guerre mondiale a été précédée d’avertissements : la remilitarisation de la Ruhr, l’Anschluss, le démantèlement de la Tchécoslovaquie acté par les « accords de Munich ». A chaque fois, les nazis ont testé, à chaque fois, on a laissé faire et ils sont allés plus loin. Même après l’attaque de la Pologne, et la déclaration de guerre, l’armée française est restée l’arme au pied, sans prendre l’offensive.

J’ai peur que nous soyons en train de suivre le même chemin, en particulier en France. D’autres pays européens semblent beaucoup plus lucides et se préparent à la guerre. Cela veut dire se réarmer, mais également préparer la population civile à tenir le choc, à rester unis et soudés, et à subir des dommages matériels. Il suffit de regarder ce qui se passe en Ukraine, cela se déroule sous nos yeux. Nous ne sommes absolument pas prêts, en France, à subir cela, et nous semblons même pas conscients que cela peut potentiellement nous arriver d’ici quelques années, voire avant.

L’urgence politique n’est plus nationale, à se regarder le nombril, en crachant sur les ultra-riches, en ressassant nos rancoeurs et en pleurnichant sur les risques de baisse de notre train de vie, depuis longtemps sous perfusion d’argent public. Tout cela pourrait devenir anecdotique et accessoire, et rappelle un peu les byzantins, qui débattaient du sexe des anges, alors que les turcs étaient aux portes de Constantinople.

Il est nécessaire qu’il y ait une prise de conscience et un sursaut national, pour prendre la mesure du danger qui guette le pays. Je ne le vois pas trop venir, même si, de plus en plus, je sens monter cette préoccupation autour de moi. La priorité politique doit être la défense de l’Europe, d’autant plus qu’elle ne peut plus compter sur le parapluie militaire américain pendant au moins encore trois ans.

J’espère que le nouveau Premier ministre, parfaitement au courant de cet enjeu, vu ses anciennes fonctions, saura faire le nécessaire pour amener ce sujet au cœur du débat politique français.

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On n’échappera pas à la taxe Zucman

C’est maintenant quasiment certain que Bayrou va tomber, et sera remplacé par un premier ministre issu du bloc central, dont la mission sera de dealer un accord de non-censure avec le PS sur les textes budgétaires.

Ce parti, qui n’a pas du tout intérêt à une dissolution, a par ailleurs sorti un contre-budget, qui fait office de base de négociation pour cet accord, qui doit être bouclé avant le 15 octobre, moment prévisible de déclenchement d’un 49.3 sur le PLF à l’Assemblée. Si le deal est conclu, la motion de censure ne sera pas adoptée, si le PS ne la vote pas.

Pour que cet accord puisse être conclu, il va falloir que le bloc central fasse des concessions réelles, et que le PS puisse avoir au moins une victoire symbolique importante. Parmi les demandes du PS, certaines sont irréalistes, ne serait-ce que techniquement, comme la suspension de la « réforme des retraites » (en langage clair, le relèvement de l’âge de départ). En revanche la création d’une nouvelle taxe sur les hauts patrimoine serait tout à fait possible, et coche toutes les cases, pour être le point central de la négociation.

La proposition, baptisée « taxe Zucman » est déjà sur la table, et est un objet politiquement et symboliquement identifié. Il y a déjà eu pas mal de communication dessus, elle est « incarnée » avec un économiste dont elle a pris le nom. Elle répond à une demande très forte à gauche de « taxer les riches » et obligerait Emmanuel Macron à manger son chapeau, lui qui a supprimé le symbolique ISF dès son arrivée en 2017.

Que cette taxe rapporte effectivement de l’argent est finalement très secondaire (et de fait, elle ne rapportera pas grand chose), ce qui compte est l’effet symbolique. Le budget 2026 qui s’annonce sera fait de renoncements, de coupes franches, et donc de larmes et de sang. Même le PS le reconnait, en prévoyant une vingtaine de milliards d’économies. Tout le monde va y passer, certains peuvent l’encaisser (les retraités aisés), d’autres moins. S’il n’y a pas un « moteur » à l’acceptation de sacrifices, à savoir que tous, y compris et surtout les « riches » passent aussi à la casserole, il y aura de très gros problèmes d’acceptabilité. Il est donc indispensable d’afficher quelques symboles, si on veut éviter de faire encore monter la température dans la cocotte sociale, déjà bien en surchauffe.

Tous les débats vont donc consister à mettre en scène cette décision qui s’impose, les uns en faisant croire que c’est grâce à eux, les autres en surjouant la déploration pour ne pas perdre le soutien électoral de cette catégorie. En temps « normal », avec de vrais politiques, qui savent jouer ces chorégraphies complexes et bien « raconter » un « narratif politique » crédible, ça passe crème. Malheureusement, la baisse du niveau fait que je ne suis pas certain que le boulot soit fait proprement, ni même que le deal soit conclu.

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Jean Pormanove, symbole de l’impuissance publique

Un épisode tragique, la mort « en direct » du streamer Jean Pormanove, met en lumière la réalité crue de notre régulation des contenus numériques, et plus globalement, sur l’action de la puissance publique dans ce domaine : ce n’est qu’un décor en carton-pâte.

Le cas est emblématique, voire caricatural. Une personne, visiblement fragile, est régulièrement brimé et humilié dans des lives sur une plateforme. Cette exposition sordide de la maltraitance et du harcèlement était connue de longue date, et a fait l’objet de tous les signalements nécessaires. Médiapart en a fait un article, qui a déclenché une enquête de la part du parquet de Nice, territorialement compétent, a ouvert un enquête. Et rien ne s’est passé, jusqu’au drame, qui a déclenché un concours de lâchetés, chaque acteur de la chaine de régulation cherchant à refiler la patate chaude à son voisin.

Placé en première ligne, le régulateur (l’Arcom) s’est défendu comme il le pouvait, expliquant que ce n’est pas son rôle de juger du caractère licite ou pas d’un contenu sur les plateformes, et de prononcer des sanctions. Si c’est techniquement exact, c’est médiatiquement inaudible, car ce régulateur est doté de pouvoirs de sanction pour les contenus audiovisuels, et ne s’est pas privé de s’en servir pour cogner sur Cyril Hanouna, qui lui aussi, faisait dans l’exposition sordide de l’humiliation. Une telle affaire ne peut qu’affaiblir la crédibilité du régulateur, capable de se payer les vedettes du PAF, mais impuissant face des streamers. Au passage, on constate aussi que cette plateforme n’était visiblement pas du tout en règle avec ses obligations légales (pas de représentant en Europe) mais tout cela était complètement passé sous les radars de tout le monde. Et pourtant, ces vérifications était dans la fiche de poste du régulateur.

Les ministres en également pris pour leur grade, et paient ainsi des postures de communication. Quand Aurore Bergé transforme son cabinet du ministère de l’égalité homme-femme en signaleur de confiance de contenus masculinistes sur Tik Tok, elle sort clairement de son rôle. Elle y trouve un intérêt politique et médiatique immédiat, mais s’expose à un backlash violent. Si vous le faites pour les contenus masculinistes, pourquoi vous ne le faites pas aussi pour le harcèlement ? Là encore, l’écart entre le discours à la télévision et la réalité de l’action est effarant. Cela ne peut que discréditer l’ensemble de la classe politique, parce qu’il ne faut pas se leurrer, c’est comme ça sur beaucoup de sujets, pas seulement la régulation des contenus numériques.

La Justice a également des comptes à rendre, car dans ce cas précis, c’était très clairement à eux d’agir. Or, rien ne s’est passé. On a beau jeu de mettre en avant la faiblesse (réelle) des moyens, ce n’est pas une réponse satisfaisante, car au final, une personne est morte, et après une période de souffrance psychologique connue et documentée puisque Médiapart avait déjà fait le boulot d’enquête. L’excuse du genre « la loi ne nous permettait pas d’agir » n’est pas audible, vu le nombre impressionnant de lois et de règlement européens pondus dans ce domaine, ces dernières années.

Cette affaire donne donc une image cruelle de l’impuissance publique et politique à réguler quoi que ce soit. Ce sujet des contenus en ligne est devenu un objet symbolique, où ce qui compte, c’est la communication médiatique, peut importe les effets réels. Une triste illustration de ce qu’est devenue l’action publique, où les choses vont comme elles peuvent, avec une impuissance des politiques, sauf en cas de grosse exposition médiatique (comme sur l’accès des mineurs aux sites pornographiques), où on concentre les maigres forces qui restent, pour des résultats pas toujours fabuleux. Pour l’instant, à partir soutirer un peu d’argent aux Gafam, l’Europe n’a pas obtenu de véritables résultats face aux plateformes, et parfois (comme pour X-Twitter), ça a même empiré.

Ce qui risque d’arriver, outre le discrédit de la puissance publique, c’est la remise en cause de l’idée même d’une régulation des contenus en ligne. A quoi cela sert-il de mettre des règles aussi contraignantes et coûteuses, si on peut s’en abstraire aussi facilement ? Ceux qui respectent la loi se retrouvent lésés, et vont se dire qu’ils ont été bien cons de jouer le jeu. Il se pourrait, avec l’action de populistes soutenus par Trump, que les autorités politiques européennes se retrouvent sur la défensive, contraints de justifier une régulation contestée dans ses mécanismes, mais aussi dans ses fondements philosophiques, sans le soutien de ceux qu’elle devait protéger, et qui n’en ont que les inconvénients, sans les avantages

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Le coup de poker de Bayrou

Le Premier ministre a boosté la rentrée politique, en annonçant, dès le 25 août, un vote de confiance devant l’Assemblée nationale, le 8 septembre. La prise de risque est réelle, car en cas de vote négatif, le gouvernement tombe. Mais la manœuvre est habile, car plus on avance dans l’automne, plus le risque est grand pour Bayrou. Autant anticiper en prenant tout le monde de vitesse.

En abattant cette carte alors que la rentrée politique commence tout juste, Bayrou préempte le calendrier. Jusqu’au 8 septembre, ce vote de confiance sera au centre des débats, politiques et médiatiques. On ne va parler que de ça, et ça va occulter tout le reste, que ce soit la journée d’action du 10 septembre, ou le contenu du plan d’économies budgétaires. Désormais, tout est centré sur la survie de Bayrou, c’est lui qui est au centre du jeu, et ses adversaires vont devoir se positionner en fonction de lui et de ce vote de confiance.

Le choix du moment est habile, car si on sent que les oppositions à certaines mesures d’économies commencent à monter, rien n’est encore cristallisé. Bayrou peut donc lâcher du lest, en ayant pris le lead sur la négociation. C’est qui a fixé la date butoir pour un deal (avec le RN), et on sait globalement que ça va porter sur la proposition de suppression de deux jours fériés, et quelques autres mesures à très forte teneur symbolique, sur la fiscalité des riches. La négociation ne fait que commencer, et va sans doute durer jusqu’au 8 septembre, où Bayrou peut se permettre de donner ses arbitrages pendant la déclaration de politique générale. Compliqué, pour les autres partis (notamment à gauche), de devoir réagir à chaud, sur des annonces qu’on découvre en live. Bayrou est véritablement le maitre des horloges, et en politique, c’est très important.

Si elle réussit et que le RN s’abstient, permettant au gouvernement de survivre, c’est une victoire politique pour Bayrou. Il sera en effet difficile, pour les partis qui n’auront pas voté contre, de changer de pied, un mois plus tard, lors de l’examen du budget, et de censurer sur un éventuel recours à l’article 49.3. Une survie, inespérée, serait un coup de massue pour l’opposition de gauche, qui fera une fois de plus la démonstration de son impuissance à changer le cours des choses, et ne pourra qu’accentuer les fractures internes, entre LFI et les autres.

En cas de défaite, c’est la crise politique, et il faudra que les partis qui l’ont provoquée l’assument (surtout si Bayrou a fait de grosses concessions en toute dernière minute). De toute manière, quel que soit le gouvernement qui lui succède, il ne pourra pas faire autrement que reprendre l’ossature de son projet de budget, car il est impossible de le réécrire complètement. Aucune coalition parlementaire alternative n’est possible, on ne pourra que dissoudre ou chercher un autre Premier ministre au sein du bloc central, qui ne sera que la continuation du gouvernement Bayrou.

En tout cas, François Bayrou aura fait la démonstration qu’il est un véritable animal politique, espèce de plus en plus rare dans notre paysage institutionnel. S’il doit finalement partir, ce sera avec un certain panache !

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Journaliste ou procureur, il faut choisir

LFI vient de refuser d’accréditer un journaliste du Monde, Olivier Perou, pour son évènement de rentrée, des Amfis. Celui-ci étant le co-auteur du livre « La Meute », on peut effectivement comprendre qu’il ne soit plus trop en odeur de sainteté du coté de la Mélenchonie.

Bien évidemment, tous les journalistes vont embrayer sur l’atteinte à la liberté de la presse, soulignant le fait que jusqu’ici, seul le RN faisait le tri dans les journalistes.

Je suis plus partagé. C’est effectivement problématique que des partis politiques se permettent de « choisir » les journalistes qui traitent de leur actualité. Mais les journalistes ont également leur part de responsabilité, et la manière dont ils exercent leur métier peut les exposer à des mesures de rétorsion qui peuvent se comprendre.

Dans ce cas précis, je peux comprendre la réaction de LFI. Le livre « La Meute » est une enquête (lourdement) à charge contre le fonctionnement du parti. Il a été écrit par un journaliste qu’ils connaissent, qui a souvent couvert leur actualité, et qui donc les connait bien. Il a du recevoir des confidences, des off, parce qu’une forme de relation de confiance se noue entre le journaliste et le terrain qu’il couvre. Cela n’est pas sans risque, dans les deux sens. Un journaliste peut se faire « capturer » par le terrain qu’il couvre, et se transformer en porte-parole, plus qu’en observateur impartial. A l’inverse, le journaliste peut se faire procureur, et faire dans la démolition et la dénonciation, ce qui peut être vécu comme une trahison de la confiance donnée, par la structure concernée. Dans les deux cas, la solution qui s’impose est que le journaliste passe à autre chose. Dans les journaux ayant encore une déontologie, les mouvements sont automatiques : on ne peut pas rester plus qu’un certain nombre d’années sur un secteur. C’est une très bonne chose.

Le Monde aurait du comprendre qu’après la publication de « La Meute », Olivier Perou était complètement carbonisé chez LFI, et qu’il fallait le transférer dans un autre service, ou a minima, sur un autre segment politique. Faire en sorte qu’il continue à suivre LFI est une erreur de la part de la direction du Monde, et a pu être ressenti comme une provocation chez LFI.

Les journalistes sont tout à fait légitimes à écrire des livres-enquêtes à charge. Mais ils doivent en accepter les conséquences.

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La clarté et la sincérité des débats

La décision du conseil constitutionnel sur la loi Duplomb a remis sur le devant de la scène la question du contrôle de la procédure parlementaire par les Sages, et le fameux principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

La procédure d’adoption de la loi Duplomb a été assez chaotique et inhabituel, puisque les députés n’ont pas pu en débattre en séance, du fait de l’adoption d’une motion de rejet préalable. Le fait que cette motion ait été déposée par le rapporteur, et votée par la majorité, est un fait rarissime et est politiquement très contestable. Pour autant, le conseil constitutionnel n’a rien trouvé à y redire. Et c’est normal.

Le conseil constitutionnel exerce un contrôle, qui consiste à voir si, sur la forme comme sur le fond, les parlementaires ne sont pas sortis du cadre constitutionnel. Même si le résultat peut sembler baroque, ou pas le plus efficient, le conseil ne dira rien. Il le répète dans beaucoup de décisions, avec une formule classique : « le conseil ne bénéficie du même pouvoir d’appréciation que le Parlement ». Il ne faut donc pas attendre de lui qu’il se penche sur les détails des choix politiques, à partir du moment que les outils procéduraux utilisés existent, et que le mode d’emploi a été respecté.

Il existe toutefois une limite, qui est le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires. Souvent brandi par les oppositions, dans leurs recours, il n’a jamais servi, et c’est tant mieux. Pour moi, ce principe est avant tout une protection des droits de l’opposition, contre des manœuvres du gouvernement ou de la majorité, qui auraient empêché un débat libre et éclairé. Cela peut être des informations essentielles qui n’ont pas été transmises, des délais trop courts pour déposer des amendements (sauf si on a été prévenu avant, de manière informelle), des débats tronqués, qui n’ont pas permis à l’opposition de déployer tous leurs arguments, ou de la faire de manière audible. On serait dans le cas d’un fonctionnement démocratique très déficient, où le gouvernement passe en force en mentant et en bâillonnant l’opposition.

Dans le cadre de la loi Duplomb, les députés ont eu toutes les informations nécessaires, le débat a eu lieu en commission, et les arguments contre le texte ont pu être présentés et débattus. Certes, ce débat n’a pas eu lieu en séance, qui est le moment où ils auraient pu avoir plus de visibilité, mais rien de nouveau n’était attendu. La séance n’aurait été que la répétition théâtrale et ad nauseam de ce qui a déjà été dit en commission. Comme à chaque fois, pour tous les textes.

Il était évident, dès le départ qu’il n’y a eu aucune violation du principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires sur cette loi Duplomb. Le jour où ce sera le cas, il faudra vraiment être inquiet sur l’état de notre démocratie.

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Il n’y a pas que la loi Duplomb

Le 7 août 2025, le conseil constitutionnel a rendu cinq décisions. L’une d’entre elles concernait la loi Duplomb, qui a fait l’objet d’une très intense couverture médiatique. Elle a tellement occupé de place, qu’elle a occulté les autres. Pourtant, l’une d’entre elles est, à mes yeux, bien plus importante.

Les Sages ont haché menu une proposition de loi d’origine sénatoriale, qui visait à renforcer la privation de liberté pour les étrangers en situation irrégulière. Et donc, de fait, faisait reculer le périmètre des Libertés publiques de manière assez inquiétante. Le processus est ultra-classique : on prend appui sur un dispositif destiné à s’appliquer uniquement aux cas de terrorisme, et on l’étend à d’autres infractions. On permet ainsi de garder en rétention pendant 180, voire 210 jours, des étrangers condamnés à certaines peines. Et au passage, le législateur a également voulu rendre automatiquement suspensif l’appel du parquet, en cas de décision de remise en liberté.

Comme cela concerne des étrangers en situation irrégulière et condamnés, ça ne semble pas avoir ému les foules. Pas de pétition à 2 millions de signatures, pas de couverture médiatique. Pourtant, il suffirait juste d’enlever un mot (en situation irrégulière par exemple) pour avoir un dispositif qui profondément liberticide. La mécanique était en place, en banalisant la rétention longue, il suffisait ensuite de laisser glisser. La technique habituelle !

Heureusement, le conseil constitutionnel y a mis un sérieux coup d’arrêt, en s’appuyant sur l’article 66 de la Constitution, qui protège la liberté individuelle.

Ce rappel à l’ordre sévère sur une dérive liberticide me parait plus important que la censure prononcée contre la réintroduction d’un produit phytosanitaire problématique. Pourtant, cela ne semble pas être un avis majoritaire, la crainte d’attraper le cancer étant bien plus importante, dans la population, que la préoccupation sur les Libertés publiques. Cela en dit long sur notre société et notre époque.