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L’oubli de l’exemplarité

En 1940, lorsque les allemands ont commencé à bombarder Londres, la famille royale aurait pu aller se mettre à l’abri à la campagne. Ce choix était parfaitement logique, cohérent et explicable pour des raisons de sécurité. Un autre choix a été fait, celui de rester. Le roi, la reine et leurs filles sont ainsi restés au palais de Buckingham, partageant le quotidien des londoniens, et subissant les mêmes risques. Ils y ont gagné une immense popularité et un lien très fort avec la population qui a duré dans le temps.

C’est une leçon politique majeure : quand on dirige un pays, on se doit d’être solidaire de la population, en refusant des passe-droits. Quand l’ensemble de la population subit des contraintes fortes et désagréables, les dirigeants doivent mettre un point d’honneur à se les imposer aussi, même si cela constitue une gêne pour leur quotidien et l’exercice de leurs fonctions. Dans un pays aussi fracturé que la France, une telle attitude est une nécessité vitale pour les dirigeants, s’ils ne veulent pas être complètement discrédités.

Alors que les français sont soumis à un régime de couvre-feu, qu’on leur demande restreindre leur vie sociale (pas plus de 6 personnes au Réveillon, avec papi et mamie à l’isolement dans la cuisine) et d’être au maximum en télétravail, on apprend que le mercredi 16, au soir, un long diner a réuni tous les ténors de la majorité à l’Elysée.

Je comprend tout à fait l’utilité de telles rencontres entre le chef de l’Etat et ses soutiens immédiats. Dans tous les entreprises, on sait que la visioconférence, ce n’est pas terrible pour les brainstorming et que rien ne vaut les échanges à bâtons rompus, pour se dire les choses. Je comprend aussi que ce genre de réunions prend du temps, et que vu l’agenda de toutes ces personnes importantes, il faut bien utiliser tous les créneaux disponibles, y compris le soir.

Ils ont juste oublié qu’il n’est pas possible, pour eux, de se comporter comme « avant », en se contentant de masques et de gestes barrières. La population souffre des restrictions qui lui sont imposées (notamment sur sa vie sociale), et peut très mal prendre le fait que ses dirigeants s’en affranchissent allègrement. Dans un pays où les Gilets jaunes ont montré qu’il existe une fracture très profonde et un fort ressentiment des couches populaires vis-à-vis de leurs dirigeants, c’est un paramètre essentiel à avoir en tête.

Il ne faut surtout pas donner l’impression que les dirigeants bénéficient de passe-droits, et que les règles imposées aux autres ne s’appliquent pas à eux. C’est dévastateur pour l’autorité et la popularité des dirigeants.

C’est d’autant plus terrible, quand ces règles sont justifiés par la nécessité d’éviter la propagation de la pandémie. Il ne peut pas y avoir de passe-droit, le Covid-19 ne faisant pas la différence entre un ouvrier et un président de la République.

Ce qui devait arriver arriva, Emmanuel Macron a contracté le virus, développé des symptômes, et transformé le gouvernement et les dirigeants de la majorité en « cas contact » (en espérant que ça n’aille pas plus loin). Les précautions imposées aux français se révèlent justifiées, ne pas les respecter expose à se faire contaminer et à en contaminer d’autres.

Comment voulez-vous, ensuite, que les dirigeants du pays soient écoutés de la population, si eux-mêmes ne respectent pas scrupuleusement (voire plus encore) leurs propres prescriptions ? Toutes les mesures de confinement ne peuvent fonctionner que par la bonne volonté des français et leur auto-discipline, qui peut rapidement se fracasser s’ils prennent conscience qu’ils sont bien bêtes de se donner du mal…

Diriger un pays, cela ne s’improvise pas. C’est un « métier » qui demande finesse, sens politique, et surtout, sens du sacrifice de son confort et de sa situation personnelle, pour créer un lien symbolique avec la population que l’on est amené à diriger. Quelque chose que la Macronie n’a visiblement pas assimilé.

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La loi Séparatisme, un texte profondément dérangeant

Le gouvernement vient de déposer à l’Assemblée un projet de loi, qui a commencé sa carrière médiatique comme « loi séparatisme », et qui s’appelle maintenant « confortant le respect des principes de la République ». C’est un texte qui me gêne considérablement, par la dérive autoritaire qu’il sous-tend.

Ce texte est d’abord une capitulation politique, un reniement de l’esprit qui a animé la campagne d’Emmanuel Macron. A aucun moment, on ne parle d’islam dans ce projet de loi, mais tout est tellement limpide, vu les discours, à commencer par celui du chef de l’Etat. Par cette initiative, il cède aux semeurs de haine, qui comme Eric Zemmour, depuis des années, déversent dans les médias que tous les malheurs de la France vient de ces étrangers, qui ne sont pas de chez nous, et qui sont tous des criminels en puissance. Ils ont enfin leur texte de loi, qui légitime leur combat xénophobe. Il cède aussi à tous ceux qui confondent laïcité et haine de la religion, et veulent en fait éradiquer les cultes de l’espace public. Ces courants se sont rejoints récemment, avec par exemple l’emblématique « printemps républicain ». Ce projet de loi est leur victoire, et cela me déplait profondément, car je suis profondément en désaccord avec leurs positions. En 2017, je n’ai pas voté Macron pour ça.

En plus de céder symboliquement à ce dévoiement de la Laïcité, et à la xénophobie, parce qu’il faut bien appeler les choses par leur nom, cette loi vient poursuivre un recul des Libertés publiques. Car ce texte est le plus liberticide que j’ai vu depuis au moins 10 ans. Il est malheureusement dans la continuité de ce qu’on voit, depuis au moins 2013, où chaque nouvelle loi sur le sujet marque un recul des Libertés face à l’administration, notamment des forces de sécurité. A chaque fois, c’est par petites touches. Là, on a plusieurs petites touches en même temps, ce qui finit par faire une grosse tache.

Le nombre de problèmes est en effet impressionnant, et même le Conseil d’Etat, avec son sens de la litote et malgré ses réflexes de protection de l’exécutif, ne peut pas s’empêcher de le remarquer.

Premier sujet, l’extension de l’idée d’interdiction du religieux dans l’espace public. L’article 1er de la loi impose ainsi que même dans une entreprise privée, quand elle est délégataire de service public, il faille respecter la « laïcité », c’est à dire en claire l’absence de signes considérés par l’opinion ou la hiérarchie, comme l’expression de convictions religieuses de la part des agents. Cela autorise une « police de l’appartenance religieuse » qui va bien entendu se déployer pour cibler une communauté, celle qui porte des voiles et des grandes barbes.

Le gouvernement n’a pas osé aller jusqu’à étendre cette police aux collectivités locales, ces dernières ayant vigoureusement protesté. En effet, la version initiale du texte prévoyait qu’en cas de « problème », si l’élu local ne faisait rien (ou ne faisait pas ce que les initiateurs de la loi attendaient qu’il fasse), le préfet pouvait de substituer à lui. Une atteinte manifeste à la libre administration des collectivités, et au passage, une marque d’absence de confiance qui a été remarquée des élus locaux. Le paternalisme doublé d’autoritarisme est un réflexe bien ancré chez les administrations d’Etat.

On retrouve, dans plein d’endroits du texte, ce paternalisme autoritaire, de l’administration qui se donne le droit de s’ingérer chez les autres et de juger de ce qui est bon et conforme. La partie réformant la loi de 1905 (un totem républicain allègrement piétiné) permet par exemple au préfet de demander le rapport d’activité et les comptes à une association cultuelle. C’est assez intrusif, et on sait bien que l’intimidation passe, non par l’usage de ce genre d’outils, mais par la simple menace de les utiliser. Cela me ferait bien rire que le préfet de police de Paris aille demander à l’archevêque de lui présenter les comptes et l’inventaire du patrimoine immobilier du diocèse. Avec cette loi, il en aura le droit ! Ce quoi calmer les revendications de responsables religieux qui déplaisent.

Si ce point prête un peu à sourire, d’autres sont plus gênants. En effet, le texte prévoit que le statut d’association cultuelle soit soumis à autorisation, et donc contrôle de l’autorité administrative. Le préfet peut donc débarquer dans une association cultuelle, regarder ce qui se fait, et décider qu’à ses yeux, certaines choses ne relèvent pas du cultuel. Et décider de retirer le statut. On frôle, pour ne pas dire autre chose, l’ingérence publique dans ce qui relève de la libre organisation d’une religion. Ce n’est pas à l’Etat de définir si une pratique relève ou pas du cultuel, c’est une question avant tout théologique. La pratique religieuse ne se résume pas à des actes rituels « traditionnels », c’est beaucoup plus diffus, et une pratique considérée comme culturelle vu de l’extérieur, de la part de non croyants, peut être vécue comme un acte ayant un sens religieux par les croyants.

En voulant cibler une mouvance particulière de l’islam, le texte de loi va toucher bien plus largement. Les règles concernant le contrôle des fonds venant de l’étranger, ont vocation à s’appliquer à toutes les religions. Va-t-on aller bloquer les flux financiers entre l’Etat du Vatican et l’église catholique française, entre les consistoires juifs et des personnes morales domiciliées en Israël ? Les outils mis en place le permettraient, il ne manquerait plus que la volonté politique et le courage de le faire. Bien entendu, je n’imagine pas que l’actuel gouvernement s’amuse à cela. Mais qui sait ce que l’avenir réserve. Aux Etats-Unis, Donald Trump a bien succédé à Barack Obama.

Autre volet problématique, l’atteinte au libre choix du mode de vie. Dans ce texte, et j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, le gouvernement procède à une révolution qui ne va pas passer comme une lettre à la poste. Poser le principe de l’interdiction de l’éducation à domicile, sauf exception, est une atteinte à l’autorité parentale. Le principe est que les familles sont libres de choisir leur mode de vie et la manière dont leurs enfants sont éduqués. Ils ont juste l’obligation de leur fournir une instruction. Mais certainement pas l’obligation de les confier à des tiers contre leur gré. Dans ce domaine, le projet de loi cherche également à resserrer la vis pour les établissements hors contrat, qui ne sont pas sous la tutelle de l’Etat. Ils seront plus surveillés avec plus de possibilités de l’administration d’Etat pour les faire fermer. Le mouvement est clair : l’éducation des enfants doit être faite selon les principes fixés par le gouvernement, même quand cela va à l’encontre du souhait des familles. Au passage, cela ne va pas concerner que les religions, mais également les pédagogies alternatives. Un choix politique très discutable, avec un avertissement très clair du Conseil d’Etat sur le risque constitutionnel.

Ce texte n’échappe pas, malheureusement, aux travers des lois faits-divers, avec ce nouveau délit de divulgation d’informations personnelles sur les réseaux sociaux dans le but de nuire. Complètement calqué sur l’affaire de l’assassinat de Samuel Paty, donc permettant de répondre à l’émotion que sa mort a suscité. Sauf que juridiquement, ce sera inopérant ou presque, car pour que le délit soit constitué, il faut prouver que celui qui a diffusé des informations personnelles sur les réseaux sociaux, avait l’intention de nuire. On envoie donc un message de fermeté, qui sera forcément déçu, vu le nombre ridicule de condamnations prononcée sur cette base. On voudrait saper la confiance des citoyens dans leurs représentants, on ne s’y prendrait pas autrement.

Le gouvernement en profite, au passage, pour détricoter encore un petit peu la loi de 1881 sur la presse. En effet, l’article 20 prévoit la possibilité d’utiliser la procédure de comparution immédiate, qui ne favorise pas l’exercice des droits de la défense, pour certains délits comme l’incitation à la haine. Certes, ce délit doit être sanctionné, mais comme tout exercice problématique de la liberté d’expression, il faut y aller prudemment, sinon, le risque est de voir le fort écraser le faible, et le faire taire, par la menace d’une procédure expéditive.

C’est l’occasion de rappeler le ressort profond de la loi de 1881 est justement d’empêcher cela. Cette loi organise, sciemment, un parcours procédural complexe et piégeux pour celui qui veut attaquer en justice sur ce type de délits. C’est un moyen pour que les petites querelles se règlent autrement que par un procès, réservant cela aux préjudices importants, qui valent le coup de se lancer dans cette aventure. L’idée est ainsi de protéger celui qui exerce sa liberté d’expression, en mettant une barrière à l’entrée à sa répression. C’est cette barrière à l’entrée que, loi après loi, depuis une quinzaine d’années, le législateur s’emploie à abaisser. Une dérive que je considère comme profondément délétère.

Demain, pour un mot de travers, pouvant être interprété pour une apologie du terrorisme ou un appel à la haine, vous pouvez vous retrouver deux heures plus tard devant un magistrat, qui vous colle une peine de prison avec sursis, une amende, et une inscription dans un fichier infâmant qui vous empêchera de passer un concours administratif, de trouver du travail, d’obtenir un HLM. La lutte contre le « Séparatisme », c’est aussi cela : organiser l’exclusion sociale des déviants, de ceux qui n’entrent pas dans le moule des « principes républicains » et qui se risquent à braver les tabous et les interdits.

Aujourd’hui, le déviant, c’est le jeune musulman de banlieue, qui a intérêt à ne surtout pas exprimer ni colère, ni ressentiment (même s’il a objectivement de bonnes raisons de le faire) et encore moins de marquer sa différence. Demain, qui sera le déviant que l’on fera rentrer dans le rang de la bienpensance ? Toute époque à ses hérétiques qu’on envoie au bucher. On en est encore là au XXIe siècle en France.