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Une démocratie illibérale à la Macron ?

La France se targue d’être une grande démocratie et la patrie des droits de l’homme. Une fable à laquelle croit de moins en moins de monde, tant les dérives politiques apparaissent au grand jour. Notre monarchie qui ne dit pas son nom, prend une partie de ses racines dans une culture politique qui remonte à l’Ancien Régime, mais trouve aussi ses soutiens dans une couche de la population bien précise, celle qui habite dans les métropoles, contrôles les leviers économiques, médiatiques, et donc politiques.

La coupure, la cassure même, qui traverse la France, est bien documentée. Une lecture récente présente une assez bonne synthèse (même si elle est un ton déploratif) de cette France à deux vitesses. Le schéma est désormais classique, entre cette France des métropoles, qui cumule tous les avantages matériels, est « multiculturelle » et la France dite « périphérique » qui voit sa situation économique et « culturelle » se dégrader continuellement. Pour schématiser, c’est la France qui vote Macron, contre celle qui vote Le Pen.

Contrairement aux discours, la pratique politique de la première peut, de moins en moins, être appelée « démocratique ». Si Emmanuel Macron a techniquement remporté les élections présidentielles, puis législatives, son assise politique reste fragile. Il a été élu avec à peine 25% des français, et n’a pas été franchement en mesure d’élargir sa base électorale depuis. D’où les claques prises aux élections intermédiaires. Sa légitimité politique est donc fragile.

Sa pratique politique est également problématique, car il a encore accentué le caractère monarchique du pouvoir, où la décision est prise par un homme seul, et de plus en plus isolé. La tendance était déjà présente avant, et a permis la présidence erratique de François Hollande. La différence est qu’Emmanuel Macron ne fait même plus semblant de consulter. Dès 2017, il a craché à la figure des corps intermédiaires, et réduit à peau de chagrin tous les espaces de délibération démocratique. Il n’y a qu’à voir ce qu’est devenue l’Assemblée nationale… Mais c’est la même chose partout : il n’y a quasiment plus d’espace politique, en France, où il y ait réellement des délibérations publiques décisionnelles, entre personnes ayant été explicitement mandatées pour cela (hormis le Sénat). Les institutions démocratiques françaises ne sont plus qu’un théâtre d’ombre. Les très beaux discours libéraux du candidat Macron ne se sont pas tant que cela retrouvés dans sa pratique du pouvoir !

Cela ne semble pas être un problème pour les électeurs d’Emmanuel Macron, qui continuent à lui être globalement fidèles. Cette catégorie est déjà aux manettes, et ayant ses propres relais au sein de l’appareil de pouvoir, voit ses intérêts très bien défendus. Depuis bien longtemps, le soutien (par la subvention publique) aux entreprises, l’a emporté sur les moyens donnés aux services publics et à l’exercice des fonctions régaliennes. La seule politique publique qui a réellement bien fonctionné, depuis un an en France, c’est le « quoi qu’il en coûte » lancé par Emmanuel Macron comme mot d’ordre de sa politique de soutien aux entreprises. Pour ce qui est du service public de la santé publique, ça marche comme ça peut, mais on ne peut pas dire que ça soit aussi efficace que le robinet d’argent public à destination des entreprises.

La crise n’a fait que révéler de manière criante un état de fait déjà ancien. Cela fait des années que les arbitrages budgétaires privilégient les allègements de charges pour les entreprises (qui profitent à la France des métropoles), plutôt que les crédits pour le fonctionnement des services publics (qui profitent à la France périphérique). La dématérialisation des procédures, réponse à la baisse des effectifs, est une évolution conçue pour les urbains qui disposent d’outils numériques performants, qu’ils maîtrisent. Et tant pis pour les ruraux, mal équipés et avec un réseau minable. Tout le reste des politiques publiques est largement à l’avenant.

Ces urbains ayant le contrôle du système, qui globalement, les sert bien, n’ont finalement pas grand intérêt à faire vivre la démocratie. Toutes ces procédures décisionnelles, reposant sur le nombre, sont plutôt un outil au service des oubliés du système, qui ont l’avantage d’être plus nombreux. Paradoxalement, c’est Marine Le Pen qui a le plus intérêt à promouvoir la démocratie, où les politiques publiques se décident réellement dans les urnes, après des débats ouverts à tous, et pas seulement à quelques insiders.

A l’inverse, Emmanuel Macron a tout intérêt à dévitaliser au maximum ces processus de décision démocratique. Et c’est ce qu’il fait. Pour compenser, car cela provoque des contestations parfois vigoureuses, il développe un mix entre répression subtile (y compris policière) pour faire taire les opposants, et organisation de consultations spectacles pour offrir un exutoire à cette parole de colère. A condition, toutefois, que cela se fasse dans le cadre des règles fixées par le pouvoir en place, et surtout, que cela s’arrête au seuil des institutions, et n’influence en rien la décision publique. De ce point de vue, la Convention citoyenne pour le Climat est une illustration caricaturale de cette dérive autoritaire, qui pourrait presque être qualifiée de « démocratie illibérale ».

En effet, dans certains pays qualifiés de « démocraties illibérales », nous avons un régime politique qui respecte la lettre des principes démocratiques, à savoir l’organisation à intervalles réguliers, de consultations électorales. Mais qui, dans le même temps, ne se gêne pas aller le plus loin possible dans la mise en place d’un mode de scrutin qui lui soit favorable, et ne se gêne pas non plus pour brider les contre-pouvoirs, comme les juges, ou encore les médias (en les faisant par exemple racheter par des intérêts amis). Si la France est encore loin derrière la Hongrie ou la Pologne, le chemin pris semble malheureusement un peu le même.

On entend beaucoup, à propos des diverses lois d’exception et d’état d’urgence, l’avertissement « Attention à ce que pourrait en faire une majorité qui ne serait pas aussi attachée aux Libertés et à la démocratie », en pensant plus ou moins explicitement à Marine Le Pen. On devrait surtout se demander si cela ne va pas se concrétiser par la lente, mais inexorable dérive, de l’actuelle majorité. Plus la colère des oubliés du système montera, plus la tentation de « mal utiliser » les lois d’exception, sera grande. Sans que l’on ne s’en soit rendus compte, le pli semble déjà pris…

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La claque des Sages au Bureau de l’Assemblée

Les députés ont adopté, le 1er mars dernier, une résolution modifiant le règlement de l’Assemblée, pour l’adapter aux circonstances de crise. Le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi, vient de rendre sa décision, et elle est cinglante : « non conformité totale » !

Le pire n’est pas la censure, mais les raisons de la censure. Les députés ayant choisi de faire dans le flou, en confiant le soin à la conférence des présidents de décider ce qu’elle estime être le plus judicieux, le conseil constitutionnel indique ne pas être en mesure d’exercer son contrôle car « ces adaptations ne sont ni limitées ni précisées par la résolution, qui se borne à prévoir qu’elles doivent respecter le principe du vote personnel et les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, lesquels s’imposent en tout état de cause ». En langage trivial, cela peut se résumer en « ni fait, ni à faire ».

Quand on lit les débats parlementaires en séance, à aucun moment, à part à la France insoumise, personne n’a rien vu venir. Les quelques critiques venant de l’opposition ne portaient pas sur le principe de la délégation de pouvoir à la conférence des présidents, mais au fait que la majorité pouvait décider seule, et qu’une décision à la majorité qualifiée (associant donc une partie de l’opposition) aurait été préférable.

On voit ici, une fois de plus, la perte de culture parlementaire et démocratique. Le règlement de l’Assemblée est fait pour fixer les procédures, de manière à protéger les droits de l’opposition, et empêcher la majorité de la faire taire, ou de limiter sa capacité à gêner l’action du gouvernement. Or, au fil du temps, on a perdu de vue cette conception « politique » de l’Assemblée, pour en faire une assemblée de rond-de-cuir, chargé de produire des textes législatifs, de préférence conforme aux attentes du gouvernement. Certes, de temps en temps, il faut laisser s’exprimer des discours discordants, mais à condition que cela ne fasse pas perdre trop de temps, ni ne retarde l’adoption des textes législatifs.

Le conseil constitutionnel rappelle également, avec une certaine brutalité, que l’Assemblée n’est pas une amicale des boulistes, où les règles de fonctionnement de discutent sur un coin de table, dans une commission composée de happy few (tout respectables soient-ils), et que les procédures parlementaires ne sont pas une « boite à outils ». L’Assemblée nationale est une Institution de la République, dont le bon fonctionnement politique est essentiel à l’équilibre de la démocratie. On ne peut donc pas se permettre de bricoler, et encore moins d’inscrire ce mode de fonctionnement bricolé dans le marbre du règlement.

Car dans les faits, c’est à cela que revenait la résolution adoptée par les députés : institutionnaliser ce qui a été pratiqué depuis mars 2020, comme par exemple empêcher des députés de participer aux débats, les empêcher de défendre leurs amendements. Même si, d’un point de vue sanitaire, on peut comprendre une volonté de limiter l’entassement des députés dans une grande pièce close et mal ventilée, d’un point de vue démocratique, tout cela est plus que limite. On a quand même, de fait, interdit à des députés de participer à des débats. Et on continue, en interdisant par exemple aux collaborateurs de députés, d’être présents, physiquement, plus d’une journée par semaine dans les locaux de l’Assemblée. Là encore, on limite la capacité d’action des députés (déjà qu’ils n’en ont pas beaucoup).

Même s’il n’y avait sans doute aucune arrière-pensée politique dans les décisions qui ont été prises, je reste un peu effaré que personne ou presque, n’ait exprimé son malaise sur l’institutionnalisation de ces mesures. En effet, il n’est pas dit qu’une autre majorité ne serait pas tentée d’instrumentaliser ce régime d’exception, pour autre chose que des raisons sanitaires. Il suffit parfois que le principal groupe de l’opposition y trouve son intérêt, pour que se monte une collusion avec la majorité, qui permette d’écraser les minoritaires, et faire ainsi taire des voix discordantes…