Notre société est marquée par la montée de l’individualisme, qui prend de plus en plus le pas sur le collectif. C’est une clé majeure pour comprendre bien des évolutions sociétales et politiques actuelles, et pour comprendre ce qui pourrait se passer en 2022.
La question n’est pas anodine, car ce sujet du « vivre-ensemble » est majeur, voire fondamental. L’homme est un animal social, donc amené à vivre en société, mais en même temps, la relation à l’autre est tout sauf simple et sereine, que cet autre soit proche (la famille, les voisins…) ou lointain. L’équilibre entre liberté personnelle et contrainte collective est constamment en tension, avec des réponses très diverses au fil du temps. C’est justement cet équilibre qui est en train de bouger à très grande vitesse.
Depuis les années 60, nous vivons une évolution qui pousse toujours plus loin la place de la liberté individuelle face aux contraintes collectives. De plus en plus de gens, notamment chez les jeunes, privilégient leur vie personnelle au détriment de leur appartenance à un collectif. D’où une série de mutations sociales et sociétales assez impressionnantes, notamment par leur rapidité. Comprendre cela est le premier pas pour comprendre la société de demain, vers où elle va, ce qui va se développer ou à l’inverse, va s’éteindre. Il est illusoire de croire qu’il est possible d’aller contre ce mouvement. C’est une lame de fond.
L’individualisme amène à remettre en cause les appartenances collectives « imposées », celles où l’individu n’y trouve aucun intérêt, voire pire, des entraves à sa « liberté ». Cela ne signifie pas une disparition du collectif, car l’homme reste un « animal social », mais juste une réorganisation des fondements, donc, par ricochet, de la gouvernance. Il faut désormais que l’individu soit convaincu que son intérêt (qui peut être très divers) soit de faire partie d’un collectif, exigeant de pouvoir en partir, si cet intérêt diminue ou cesse. Le poids de la prise en compte des intérêts collectifs va en diminuant, et les institutions sont de plus en plus questionnées sur leur utilité, l’argument d’autorité ou « d’évidence » étant de moins en moins audible. Nous sommes de plus en plus dans une société de « passagers clandestins ».
Ce mouvement entraine un changement profond dans la sphère politique. La revendication qui domine n’est plus une transformation idéologique du monde, mais la reconnaissance, pour chaque groupuscule, de sa singularité, et donc de droits supplémentaires (ou de passe-droits) en sa faveur. La notion d’intérêt collectif perd tout sens, surtout si elle heurte une revendication communautaire. C’est comme cela qu’il faut lire la revendication des antivaccins : L’intérêt collectif, à savoir éteindre la pandémie par l’immunité collective, ne pèse pas lourd face à l’atteinte à leurs croyances, que représente l’obligation vaccinale. On pourrait trouver plein d’exemples de ce type. C’est devenu le point structurant du débat public.
Cela s’accompagne d’un refus radical des rapports de domination. Tous les mouvements qui émergent, de #MeToo aux mouvements inclusifs, traduit un refus d’accepter que certaines personnes puissent exercer une domination sur d’autres (à titre individuel ou collectif), et les faire souffrir. L’heure est à l’égalité radicale, où tous, même les plus faibles, ont une égale dignité, et des droits dont ils revendiquent le respect. Cela provoque des chocs violents, car cela remet en cause des hiérarchies, des positions de pouvoir.
L’autorité ne fonctionne plus. Ou alors, il faut qu’elle soit accompagnée de coercition, ce qui la fragilise à terme, au prix d’une efficacité à court terme. Cela touche notamment les autorités politiques, qu’elles soient institutionnelles ou militantes. Si les élus et décideurs sont aussi coupées de la population, et en particulier de la jeunesse, c’est parce qu’ils n’expliquent pas, de cherchent pas à susciter l’adhésion à un projet positif. Car les jeunes sont avides d’agir et de s’investir, mais pas selon les modalités qui leur sont proposées actuellement. Et pas nécessairement pour un projet « collectif » à l’échelle d’un pays. Désormais, ils s’investissent au sein de communauté, plus ou moins réduite, et défendent des projets, qui consistent à avant tout à privilégier des préférences individuelles face à des contraintes imposées par un collectif auquel ils ne se sentent pas appartenir.
L’élection présidentielle de 2022 sera traversée par cette problématique. Les Français ne sont peut-être plus tous en attente de grands projets de transformation idéologique de la société qui embarquent tout le monde. Ils attendent plutôt que l’État, en plus de garantir le modèle social (en clair les aides publiques), fassent en sorte que chaque communauté, voire chaque individu puisse être « reconnu » et « respecté » pour ce qu’il est, et que la « société » lui impose le moins d’obligations et de contraintes possibles.
Sans que l’on n’y prenne garde, la France pourrait devenir le nouveau laboratoire des libertariens, dont l’offre idéologique (sauf pour le modèle social) correspond finalement aux attentes d’une partie grandissante de la société.