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Une société qui se dépolitise

Une note de la fondation Jean-Jaurès, cherchant à comprendre le niveau d’abstention aux élections locales de 2021, met le doigt sur un point crucial et extrêmement juste. Notre société vit un repli sur soi des individus, qui de désinvestissent du collectif. Un phénomène qui va bien au delà de la politique.

Ils mettent en lumière ce qu’ils appellent une rupture anthropologique, où une majorité de français se replient désormais vers leur intérieur et se consacrent en priorité à leur bien-être personnel. Les loisirs sont devenus des pratiques individuelles, ou en « cercle familial » comme le visionnage de séries ou la navigation sur internet. Le but de nombre d’activité est d’apporter du bien-être (le sport est désormais vécu comme cela). Dans le même temps, toutes les structures qui créent du collectif s’affaiblissent. Les responsables associatifs sont bien placés pour s’en rendre compte, c’est de plus en plus difficile de trouver des bénévoles qui donnent du temps pour des tâches concrètes, dont ils ne retirent aucun avantage à titre personnel, si ce n’est la satisfaction d’avoir faire avancer une cause qui leur tient à cœur.

La politique est victime à plein de cette évolution. L’électeur est de plus en plus consumériste, refusant les schémas globaux d’explication, et demandant une offre « sur-mesure », correspondant à ses goûts et ses attentes, en refusant de plus en plus les compromis. L’étude fait une comparaison assez pertinente, avec les syndicats de copropriété. De plus en plus, les citoyens se désinvestissent de la gestion au quotidien, et ne se déplacent qu’une fois tous les cinq ans, pour désigner le syndic de la copropriété « France », en lui délégant tous les pouvoirs, et en le virant la fois d’après, car ils n’en sont pas satisfaits.

Ce constat est inquiétant, mais est partiel, car comme toujours, on voit ce qu’on perd, mais on n’est pas en mesure de discerner ce qu’on gagne. La société française ne s’écroule pas, elle évolue. Il faut donc essayer de voir comment il est possible d’inventer de nouvelles formes de faire du collectif, de nouvelles manières de faire participer les citoyens à la gestion du bien commun. C’est là que la comparaison avec la copropriété est pertinente, car même si on ne sent pas en phase avec ses voisins, on est bien obligé de trouver une solution pour réparer la colonne d’eau qui fuit, ou repeindre la cage d’escalier quand elle devient vraiment minable.

Plutôt que de chercher à réparer ce qui est en train de tomber en ruine en cherchant à réanimer des « grands récits fédérateurs », mieux vaut partir, de façon pragmatique, sur la manière dont les gens fonctionnement. Il sera bien temps, plus tard, de conceptualiser tout cela (une maladie bien française, soit dit en passant).

La politique se réinventera par le concret, par l’obligation de trouver des solutions aux problèmes matériels posés par l’obligation de vivre ensemble. Il faut sans doute faire le deuil d’un vivre-ensemble basé sur un « destin commun » ou une communauté de pensée religieuse ou philosophique. Tout cela est moribond et appartient au passé. Certes, il y aura des désaccords, des visions du monde différentes, mais elles ne viendront plus à priori, comme un schéma général s’appliquant à tout.

Cela passe aussi par de nouvelles manières de travailler et « faire de la politique », où les élus actuels sont en fait des gestionnaires, comme les syndics de co-propriété, à qui on demande que le boulot soit fait, que les fuites soient bouchées et que les poubelles soient régulièrement sorties. C’est comme cela que je lis l’effacement des clivages politiques, et le fait que le « en même temps » d’Emmanuel Macron, qui est un non-sens pour les gens politisés, soit passé comme une lettre à la poste chez une majorité de français.

Nous sommes entrés dans une ère finalement très libérale, où l’équilibre entre la sphère privée et la sphère publique est drastiquement revu, au profit de la sphère privée. Il faut en prendre acte, et revoir clairement à la baisse les ambitions pour le « vivre-ensemble » qui devient d’abord et avant tout un moyen pour que chacun puisse vivre comme il l’entend, sans qu’on se tape dessus. Les élus locaux l’ont parfaitement compris, avec une vague sans précédent de désaffiliation lors des dernières municipales. Beaucoup de maires sortants ont fait campagne sur leur nom, leurs projets concrets, en gommant largement leur étiquette partisane.

C’est une évolution qui heurte les « intellectuels » commentateurs habituels de la vie politique, car elle va à rebours de leurs grilles d’analyses. Et surtout, elle va à rebours de leurs intérêts, car ils ne servent plus à grand chose dans une société qui se dépolitise à grand pas, et attend de ses élus, non par des grands soirs, mais une maison propre et bien tenue.

11 réponses sur « Une société qui se dépolitise »

On pourrait aussi analyser la situation en constatant la réduction drastique des opinions politiques considérées comme légitimes par le pouvoir en place depuis une vingtaine d’années. Si la société se dépolitisait réellement, pourquoi les effectifs de la police politique augmentent-ils tant?

Je ne partage pas cette vision d’une « police politique ». On a surtout une déprise des politiques sur l’administration, qui laisse les policiers un peu trop en roue libre, mais sans moyens. D’où une expression publique assez désagréable de la part des syndicats policiers, et des pratiques très contestables sur le terrain. Mais ça ne va pas plus loin. Il n’y a pas de prisonnier politique en France.
La société reste toujours traversée de courants politiques très divers, mais qui ne trouvent plus seulement à s’exprimer uniquement dans le champ purement électoral.

Je parlais de la DGSI, descendante en ligne droite de la police politique du 19e siècle et dont les effectifs ont doublé ces dix dernières années. Sur l’absence d’expression des courants politiques dans le champ électoral, vous avez entièrement raison.

Oui, même si nous ne sommes pas une dictature, il y a une montée inquiétante de certaines tendances à l’autoritarisme. Faute de convaincre, les politiques sont de plus en plus tentés de s’appuyer sur d’autres outils (dont la police) pour conserver leur pouvoir.

La DGSI est certes l’héritière (via la DCRI) des Renseignements Généraux, qu’on pourrait assimiler à une police politique (et encore, que dans le sens du renseignement) et ses effectifs ont augmenté, mais elle est aussi l’héritière de la DST (Direction de la Surveillance du Territoire) aux missions de contre-espionnage et de lutte contre le terrorisme. Et de ce que j’ai lu sur les missions de la DGSI, ce sont justement ces missions « DST » qui demandent de gros moyens.
Alors certes il y a sûrement des dérives « politiques », mais je doute que ça soit à grande échelle (et ça se saurait un jour ou l’autre, comme les affaires des « écoutes de l’Elysée » il y a longtemps).
De mauvaises langues diraient que c’est plus le PNF qui a un rôle politique!

La rupture a démarré quand Sarkozy a déféqué sur le référendum.
Elle s’élargit quand le peuple s’aperçut que seules les instances supra-nationales comptaient: exécutif européen, droit international, ONG, lobbies. Quand le juge dit le droit au lieu et place du peuple et pas au nom du peuple.

Je pense que la société est très politisée mais atterrée par l’offre politique, dont X. Bertrand est le représentant le plus minable.

Bonjour,
je trouve la réponse de G. Kantin intéressante, non par son contenu, extrémiste à souhait, mais par un fait qu’il rappelle. Le Traité Constitutionnel Européen a été un moment fort de la politique française, et aurait aussi dû l’être au niveau de l’Europe. En effet, en 2005, les français on montré qu’ils ne se dépolitisaient pas tant que cela. Mais qu’au contraire, ils étaient en capacité de « faire de la Politique » (avec une majuscule). Les innombrables débats, échanges, discussions, que cela a donné, partout en France, ont même été relevé par la presse internationale. Et je me souviens d’articles expliquant que « La France venait de faire de l’Europe un sujet Politique ». Or, non seulement cela n’a rien donné, mais ceux qu’on qualifie rapidement « d’élites » ont finalement mit au panier cette expression politique. En fait, ce jour là, ils ont montré qu’il était interdit au peuple de faire de la politique.

Cette interdiction on la retrouve d’une certaines manière avec les Gilets Jaunes. Ce mouvement, très hétéroclite, et trop « anti-système » pour pouvoir aboutir à quoi que ce soit, a reçu comme réponse, là encore des « élites », l’usage d’armes de guerre et d’explosifs contre eux.

Et quand, ces même « élites » donnent un petit bout de parole « au peuple » via ces « conventions citoyennes », on découvre vite qu’elles ne sont là que pour « faire joli ». Et que, aussi bien leurs conclusions que leurs propositions finissent « comme cale sous un pied de table », à l’instar d’innombrables rapports « non adoubés par les élites ».

Au final, cela ne peut donc déboucher que sur deux options. La première, non-violente, consiste en se « repli sur soi » dont vous parlez, et qui fait de nous uniquement des consommateurs. La seconde, plus rare, mais aussi plus extrême, s’appelle « terrorisme ». Mais là où les terroristes de hier avaient un vrai « idéal politique » (AD en France, RAF en Allemagne, Brigades Rouges en Italie, …), celui-ci manque aujourd’hui. Car les idéologies d’hier n’ont pas (encore) trouvé de remplaçants. On se retrouve dans plus dans un « terrorisme nihiliste ».

A cela s’ajoute aussi un gros déficit de communication. Quel politique, au pouvoir, à quelque niveau que ce soit, explique réellement son action, sa logique, sa finalité, son but? Quand vous parlez de « syndic de copropriété » c’est effectivement le bon terme pour la « gestion politique actuelle ». Il suffit de lire les convocations aux conseils municipaux, premier niveau politique que rencontrent les français, pour s’en convaincre. « Transformation d’un demi poste en poste plein ». « Demande de subvention pour la réfection de la rue de la Poste ». « Attribution de la gérance de la piscine municipale »… Cela vous fait-il rêver? Cela vous donne-t-il envie de vous engager?

La convention citoyenne, faut la laisser pour ce qu’elle est: l’expression du lobbying intense de pseudo-écolo qui rêvent juste d’une dictature. Il faut lire Dominique Bourg, c’est juste effrayant.
« Création d’une Chambre du futur permettant de représenter le temps long, qui viendrait s’introduire dans le système constitutionnel entre l’Assemblée nationale et le Sénat3. Cette chambre, qui ne serait pas composée d’élus mais issue, pour partie du Conseil économique, social et environnemental, pour partie de la cooptation de personnalités qualifiées (réputées pour leur engagement en faveur du long terme4), pour partie enfin du tirage au sort, s’ajouterait aux deux assemblées existantes »
« L’institution d’un équivalent des votations suisses, soit un référendum d’initiative populaire, s’impose, assortie d’un conformité constitutionnelle préalable, interdisant l’exploitation de circonstances émotionnelles particulières. Par ailleurs, rien n’interdit non plus de déroger, dans certains cas, à la seule règle majoritaire (une décision est acquise si elle obtient plus de 50 % des suffrages exprimés). »

Bon peut-être ne faudrait il pas trop tirer de conséquences ‘anthropologiques’, ‘philosophiques’ et autres. Incontestablement l’enjeu concret des régionales est assez mince, mais par ailleurs les Français avaient une situation de vacances rentrées depuis un an et beaucoup ont déserté non seulement les urnes mais leur ville dès qu’ils en eu l’occasion.
Donc c’est peut-être le décalage des élections qui a laminé la participation. Si les électeurs avaient été sur place, ils auraient sans doute voté, ne serait ce que par sens du devoir, mais rentrer du Portugal ou de la Corse pour ça il ne faut pas trop en demander.

Beaucoup mettent dans ces résultats électoraux ce qu’ils veulent bien entendre et comprendre de la société en fonction de leurs idées politiques . Que la DGSI fasse remontée de l’info au pouvoir politique c’est (une partie) de son rôle.. le renseignement c’est bien compréhensible: pour gouverner il faut savoir et on ne peut pas se baser que sur des sondages ou des impressions du café du coin. Dans 90% des cas ils n’ont pas grand chose à faire: les réunions et meetings sont publiques. Et pour être honnête en ce moment la DGSI a bien plus a faire face à des mouvements extrémistes et islamistes (d’ailleurs son peut se poser la question de l’intérêt d’avoir fusionné DST et RG) Cela leur prend presque la quasi totalité de leur moyen. Idem pour le referendum de 2005. Les jeunes qui ne votent pas aujourd’hui ne l’ont pas connu… Après essayer de me faire croire que ceux qui ont voté non lors de ce referendum (c’est pareil pour ceux qui avait voté oui) ont compris ce sur quoi ils votaient: la version qui est encore en ligne sur le site de l’europe est un fichier pdf de 484 pages !!! Et il faut arrêter de nous emmerder avec ce mythique mouvement des gilets jaunes: pour moi cela a été trois mois de restrictions et de limitation des mes libertés .Pendant 3 mois des petits fachos en jaune sans aucune autorité autre que la leur m’ont empêché d’aller travailler, de me déplacer.. bref de vivre. L’état, et je l’en remercie, a fait respecter la loi.

Vous oubliez une autre possibilité, dans laquelle je me retrouve plus : les citoyens ne reconnaissent plus de légitimité au système politique tel qu’il fonctionne actuellement, et le subissent sans pouvoir le changer.
Personnellement, l’abstention a été totalement volontaire : je n’ai toujours pas pardonné la tenue des élections municipales de 2020.

A ce moment, la classe politique a sciemment mis en danger la vie des Français à cause du Covid, pour la tenue d’élections qu’il aurait été techniquement simple de reporter : ça aurait évité probablement évité de nombreuses chaines de contamination due au brassage de la population, et les morts qui en ont résulté. Au lieu de ça, on a annoncé le confinement pour le lendemain des élections, ce qui est un foutage de gueule caractérisé.
Et à ce moment là, j’aurais vraiment bien aimé voir appliquer concrètement des slogans comme « l’anti-système » ou « nos vies valent plus que leurs profits » : il suffisait pour les leaders de ces partis d’appeler les français à l’abstention sur ces élections, en raison du danger de mort lié au Covid.

(Si jamais cela a eu lieu, merci de m’en informer en réponse)

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