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Regarder l’abîme démocratique qui croit

Les élections régionales et départementales de 2021 ont encore un peu plus creusé le fossé entre la population française et sa classe politique. Le désamour n’a rien de nouveau, il dure même depuis plusieurs décennies, avec des causes connues, des étapes identifiées.

Depuis les années 70 et la crise économique, un choix politique a été fait par les élites urbaines et éduquées de se protéger, en sacrifiant les plus faibles, ceux qui n’avaient pas accès au pouvoir, à savoir les classes populaires. Une décision qui montre une réelle fracture dans la communauté nationale. Cela a donné le choix très français de garder un chômage de longue durée massif, qui a frappé les populations ouvrières, frappées par la désindustrialisation. Dans les années 70, le schéma politique était assez clair, la droite soutenant cette politique, la gauche s’y opposant. En 1981, la gauche est arrivée au pouvoir, et dès 1983, elle s’est ralliée à la politique de la droite. Une première trahison pour les classes populaires. Les succès électoraux de Jean-Marie Le Pen débutent aux Européennes de 1984. Absolument pas un hasard. A l’époque, ce n’est pas tant une adhésion politique, qu’une réaction a ce qui est un abandon en rase campagne, des classes populaires, par leur parti politique.

Les années 80 et 90 ont été ponctuées par des alternances, où finalement, les politiques menées ne changeaient pas beaucoup. C’est une période où aucun gouvernement n’était reconduit, avec parfois des claques mémorables, comme en 1993 pour la gauche. Cela aurait déjà dû alerter sur le désarroi, et le désamour des électeurs pour une classe politique sur laquelle ils n’ont, finalement aucune prise, car quel que soit le résultat, c’est globalement la même politique qui est menée.

La période a été aussi marquée par des coups de poignards dont les électeurs gardent longtemps la mémoire. C’est Jacques Chirac qui fait campagne sur la « fracture sociale » avant de nommer Juppé à Matignon, avec une feuille de route très libérale. C’est ce même Jacques Chirac, qui réélu massivement en 2002, avec des voix de gauche, ne se considère comme absolument pas tenu de « remercier » cet électorat, et commence ainsi à creuser la tombe des « fronts républicains ».

C’est enfin l’escroquerie démocratique du référendum de 2005, où les électeurs français disent très clairement leur rejet de l’ordolibéralisme européen, et se le voient imposer quand même.

Après toutes ces séquences, comment avoir encore confiance, comment continuer à se dire que voter sert à quelque chose ? Je comprend les abstentionnistes.

Ce qui a changé en 2021, c’est le niveau exceptionnel de cette abstention. Certes, il y a une conjonction des astres assez exceptionnelle : une sortie de confinement où les français n’avaient pas la tête à ça et des élections locales qui sont celles qui mobilisent le moins. Il n’empêche qu’un cap est franchi, car le niveau de participation est tellement faible que, par endroit, le résultat de l’élection pouvait réellement être influencé par un groupe militant capable de se mobiliser exceptionnellement. On atteint le niveau où le risque d’insincérité du scrutin est réel, ce qui est dévastateur pour la démocratie. En effet, le but de l’élection est désigner, mais surtout, de légitimer les dirigeants. Si cette dernière fonction n’est plus remplie, cela provoque la paralysie du système décisionnaire.

Le problème est parfaitement identifié, pas besoin de mission d’information parlementaire. Le système démocratique française souffre d’un problème d’offre, à la fois sur les programmes et les idées, où c’est le vide sidéral, que sur le personnel politique, complètement discrédité. Même Marine Le Pen est désormais incluse dans ce rejet, son « recentrage » ayant eu pour effet de lui faire perdre son seul atout, celui d’incarner le point de résistance au « système ».

Le danger est que les français « jettent le bébé avec l’eau du bain » et perdent confiance dans la démocratie représentative. Pour l’instant, c’est une probabilité faible que la France bascule dans un régime autoritaire (du genre l’armée au pouvoir) mais ce n’est plus totalement impossible. Le recul de Marine Le Pen ouvre la porte à une reprise du rôle qu’elle occupe par des personnalités qui ne sont pas le champ politique. L’hypothèse Zemmour me fait rire, car cet individu, qui construit sa carrière et sa notoriété sur des postures provocatrices, n’a pas de relais profonds dans la société. Ce qui m’inquiète davantage, c’est l’armée, les hauts gradés venant de milieux sociaux bien identifiés, disposant de capital symbolique et économique significatifs.

Le fait est de plus en plus évident que l’actuelle classe politique n’a strictement plus rien à proposer. Macron a pu représenter une alternative intéressante (c’est vrai qu’après le fiasco Hollande, ce n’était pas compliqué) mais il a déçu. La gauche, est trop éclatée et sans leader un tantinet rassembleur, et à droite, on a en magasin le bien peu charismatique Xavier Bertrand, qui pour l’instant, est tout sauf disruptif. Je n’attends donc absolument rien des politiques en place, et c’est inquiétant, car il va bien falloir que quelqu’un prenne la place et dirige le pays.

Une phase d’inconnu total s’ouvre devant nous. Nous avons un corps électoral profondément insatisfait de ses dirigeants, qui est de plus en plus disposé à accepter des solutions qui mordent un peu sur le cadre démocratique, pourvu qu’elles appliquent les choix politiques demandés et soient efficaces.

Les Français ne demandent pas que l’on renverse la table, que l’on démolisse le modèle social ou que l’on sorte de l’Europe. Ils sont juste en attente d’une classe dirigeante qui ne se foute pas de leur gueule, qui écoute réellement les messages envoyés, et met en œuvre les orientations politiques demandées (quand bien même elles déplaisent aux élites parisiennes).

Celui qui sera capable de répondre à ce cahier des charges, de manière crédible, tient la clé de l’élection présidentielle de 2022. Sinon, on peut craindre le pire…

15 réponses sur « Regarder l’abîme démocratique qui croit »

Je ne suis pas d’accord avec vous sur le fait que Macron a déçu. Jusqu’à la crise du Covid, il a plutôt bien tenu ses promesses, et ses électeurs du premier tour semblent satisfait (même s’ils ne suivent pas forcément ses consignes de vote aux élections locales…). Le problème est qu’il est – et a toujours été – très minoritaire dans le pays, et qu’il a été élu par défaut.

Macron a donné satisfaction à l’électorat de centre-droit. Ceux qui attendaient qu’il applique réellement son programme de rénovation de la vie politique n’ont pu que constater l’échec, patent dès les premiers mois. Il s’est montré incapable d’élargir sa base, et de mettre en oeuvre une délibération démocratique, renforçant au contraire la verticalité et la solitude du pouvoir.

D’un autre côté, il faut bien dire la réalité, gauche et droite ont bien savonné la planche à Macron. Il suffit de voir l’opposition du sénat aux réformes pour les élections.

Je ne vous suis pas sur 2005.
Les Français ont été manipulés par les partisans du non qui alignaient les mensonges les uns après les autres.
Les mêmes Français, comme à tous les référendums, ont plus voté pour ou contre le pouvoir en place.
Mais surtout, si les Français avaient vraiment voté contre cet « ordolibéralisme européen », ils avaient la possibilité de confirmer leur vote deux ans plus tard, or ils ont voté massivement pour trois candidats qui étaient tous pour le traité de Lisbonne et non pour l’un des très nombreux candidats partisans du non dans toutes ses nuances possibles. Et à cette présidentielle, il y avait une plus forte participation qu’en 2015 et plus de voix pour les trois candidats de têtes que de voix pour le non deux ans plus tôt.
Donc oui on peut critiquer plein de choses sur l’UE, y compris cet attachement forcené aux critères et au libéralisme que seule une pandémie mondiale aura fait vaciller, mais aux Français aussi de prendre leur responsabilité.
Et si en effet, notre offre politique a bien des torts que vous listez dans ce billet, il faut aussi que les Français prennent leur responsabilité.

En 1992, l’ordolibéralisme est passé à 51% lors du traité de Maastricht. Vous prenez les français pour des imbéciles, en déclarant que s’ils ont voté contre ce que vous pensez, c’est parce qu’ils ont été manipulés. En 2005, une majorité de français a voté en pleine conscience, et connaissance de cause, contre l’intégration européenne (et déjà, contre la classe politique qui faisait campagne, en très grande majorité, pour le oui). En 2007, ils ont voté pour ce qui leur était proposé, dans un débat qui dépassait la simple question de l’intégration européenne. Dire qu’ils ont ratifié de fait le traité de Lisbonne, parce qu’ils ont voté à la présidentielle pour des candidats le soutenant officiellement est un argument intellectuellement pitoyable. Ce sont deux scrutins totalement différents, l’un sur une question précise, l’autre sur le choix du monarque républicain qui va diriger le pays pendant cinq ans.
Pour ce qui est de « prendre ses responsabilités » encore faudrait-il qu’il y ait, en France, une possibilité d’agir pour une société civile digne de ce nom. Depuis 2017, Macron s’est employé à cracher sur toute forme de pouvoir alternatif qui pourrait lui faire de l’ombre. Rappelez vous donc, comment, dans la première année de son mandat, il a traité avec un mépris profond, à peu près tous les corps intermédiaires, à commencer par les médias ou les syndicats. On ne peut pas demander aux français de « prendre leurs responsabiltés » sans leur en donner les moyens.

D’un autre côté qu’elle ait la légitimité d’un média ou d’un syndicats. un média représente qui ? D’ailleurs il suffit de voir les critique envers cnew par les médias de « gauche » comme si un média de droite ou extrême droit ne pouvait pas exister Or 40 à 60 % des français vote à droite …Vous ne pouvez pas en même temps dénoncer la baudruche médiatique autour de Zemmour et en même temps leur reconnaitre une légitimité en tant que corps intermédiaire. idem pour les syndicats ils ont quelle légitimité ? Quand on voit le taux de syndiqués en France (8%) on ne peut que penser que les Français ne sont pas moins méprisant que Macron. Dans mon administration ils appellent à la gréve tout les 3 mois pour des motifs souvent sans rapport avec mon emploi et parfois bien futile (j’ai bien aimé les appels à la gréve pour soutenir les cheminots.. je n’ai jamais vu un cheminot manifester devant mon administration par solidarité et défendre mes avantages sociaux.. le conjonction des luttes est souvent à sens unique…) Au final je citerais De gaulle : la politique de la France ne se fait pas à la corbeille. je pense qu’on peut dire la même chose des salles de presse et des officines des syndicats.

Un système politique équilibré doit comporter des contre-pouvoirs. Ils obligent le pouvoir à tenir compte d’autres avis que le sien. C’est le problème actuellement, en France : il n’y a pas assez de contrepouvoirs, ce qui permet par exemple au chef de l’Etat de prendre seul toutes les décisions concernant la gestion de la pandémie, en prenant l’avis d’un organisme qui n’est pas fait pour ça (le conseil de Défense). La légitimité n’est pas seulement affaire de textes juridiques ou d’élection, c’est aussi une acceptation par les acteurs concernés et la population. Acceptation qui doit pouvoir être exprimée par des organismes représentatifs (ou considérés comme tels) qui n’ont pas forcément à être élus.

Par ailleurs, même si l’attitude des syndicats aggravent le problème, on peut se demander si cette attitude ne vient pas en partie de l’envie de compenser un manque de poids politique…

Si il est vrai que les mensonges et manipulations ont été nombreux, il faut voir derrière ces manipulation les motivations qui prenaient à les motiver.

En effet, a l’époque, les communiste, pour prouver qu’il s’agissait d’un texte libéral, utilisaient le nombre d’occurrence des mots « social » et « marché » … mentant factuellement.

J’ai tenté à l’époque de prouver à quelques autres étudiant en leur apportant le texte … et constaté qu’ils s’en fichaient éperdument. L’important pour eux n’est pas qu’un argument eut été vrai ou faux, mais qu’il aille dans le sens de leur préjugés.

De la même manière qu’un raciste peut utiliser des affirmations qu’il sait fausses pour propager son racisme, ou un antiflic créer ou déformer des histoire d’agression, un partisan politique est acteur et non victime de la manipulation qu’il se complait à subir.

Pour revenir aux communistes du traité européen, leur raisonnement étaient simple. « Ce texte est libéral. Je le sais. Je veux propager cette idée ».

D’où venait cette conviction ? Maintenant je dirais de quelques influenceurs traditionnels (quoi qu’on avait internet à l’époque) en qui ils avaient confiance.

Mais rassurez vous. Grace à une alliance des réseaux sociaux et des média traditionnels, il sera bientôt très difficile de propager des opinions contradictoires, qu’elles soient mensongères ou non.

L’annulation du livre de Zemmour n’est que la première annulation. Dés que vous aurez accepté cela, vous verrez pleins d’autres relais d’opinion d’extrême droite se faire annuler. vous ne pourrez pas vous y opposez, car ce ne sera pas très différent de l’annulation précédente. Ensuite, ce sera ceux qui avaient par le passé porté des idées qui ne sont plus acceptables aujourd’hui (souvent par opportunisme … pour laisser la place a quelqu’un d’autre). A ce moment, nous y serons tellement habitué que cela pourra tomber sur un modéré ayant propagé ou critiqué la mauvaise opinion et vous ne pourrez plus réagir.

Bonjour,

Je pense qu’il manque une étape clé entre 2005 et 2021, celle de l’élection du président « normal », élu sur le discours du Bourget pointant du doigt l’ennemi de la Finance et qui en l’espace de 1 an et demi a renié toutes ses promesses et qui, allant sur son scooter retrouver sa copine dans Paris, a positionné comme 1er ministre, celui qui a fait moins de 5% à la primaire socialiste, a emprisonné « à domicile » des opposants politiques, a fait passé à coup de 49.3 des lois libérales tout en réprimant dans la violence des mouvements citoyens.

Emmanuel Macron est dans cette continuation avec en prime, la volonté de réprimer encore plus la jeunesse, tout ça, parce que ça paye auprès de l’électorat des « vieux ».

Comment cela Macron réprime la jeunesse. C’est qui est drole avec ce président centriste, c’est que pour la droite c’est un salaud de gauche, et pour la gauche un salaud de droite. Bref je ne vois pas en quoi il l’a réprimé la jeunesse.
Quand au 49.3 rappelons que techniquement la plupart des lois voté au 49.3 seraient passés normalement. Le 49.3 a plus était utilisé pour sortir de l’opposition systématique de certains parti qui utilisent des méthodes qui ne sont pas très démocratiques et à l’opposé d’un débat politique serein (et qui sont toutes aussi négatives à l’image des politiques. Les voir se comporter comme dans une cours d’école est pathétique) Enfin dans une démocratie il est logique que la majorité applique le programme pour lequel elle a été élue.. Et pas l’inverse.
Dernier points sur les mouvement sociaux je crois qu’il faut arrêter de nous faire croire qu’on a réprimé les mouvements sociaux (qu’on réprime les débordements là je suis d’accord). L’etat en France n’a jamais interdit le concept de manifester et n’a pas envoyer nettoyer la place de l’étoile par des T62 comme à Pékin. Après l’on reste dans un état de droit. Et que des types en gilets jaunes se comportent comme de véritables petits fachos en empêchant les gens de simplement se déplacer, aller travailler, faire des courses, etc… (par contre être confiné, ça ils l’ont trouvé liberticide) ce n’est pas normal. il n’y a pas une liberté contre une autre.
je crois que nos concitoyens sont très loins des réalités de tout les jours sur cette planète et rêvent trop a des trente glorieuses qui ne reviendront jamais. La crise du covid est symptomatique. il n’y a jamais eu autant d’infirmière dans ce pays dans toute son histoire et les budgets des hôpitaux qu’on le veuille ou pas ont constamment augmenté en 30 ans. Mais bon c’est la faute au système libéral et pas à une maladie qu’on ne sait toujours pas guérir (et que probablement comme la grippe nous serons jamais guérir..)

Je réagis sur un point : si vous lisiez ce blog depuis assez longtemps, vous sauriez que si le problème c’est uniquement l’obstruction de l’opposition, il y a bien d’autres outils en réserve que le 49.3, par exemple le vote bloqué.
Le 49.3 est utilisé contre une majorité réticente sur un texte.

Dernière remarque sur l’éventuel role de l’armée. Pour faire un putsch il faut des bataillons. Or l’armée français n’a plus cela avec 20 régiments d’infanterie qui font à tout casser 20 000 hommes, je ne vois pas comment ils feraient surtout qu’une telle tentative est très loin d ‘avoir l’adhésion de tout l’encadrement et de la troupe loin s’en faut. Sans parler d’une armée disséminée un peu partout pour des opérations extérieurs diverses. Pour l’opération sentinelle on a été parfois contraint de racler les fonds de tiroir . Bref…
Mais bon on est encore dans l’image d’Épinal bien française du sauveur inattendu et providentiel. Cela a rarement marché et la plupart se sont foiré

L’armée ne fera pas de putsch. Mais en cas de délitement des élites et des structures de pouvoir, si c’est la dernière organisation d’encadrement qui tient la route, on fera appel à elle.

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