Catégories
Non classé

Comment regarder les nominations de « Sages »

Les autorités de nomination viennent de procéder à la désignation des trois nouveaux membres du Conseil constitutionnel, qui vont entrer en fonction en mars prochain, pour neuf ans. Cette promotion 2022 est aussi bien équilibrée et intéressante sur le fond et sur les compétences, qu’elle peut prêter le flanc à la critique sur la forme.

Il y a plusieurs manières d’envisager ces choix, et les commentaires vont bon train. Comme à chaque fois, le regard le plus utilisé est celui de la politique, avec d’abondants commentaires sur la proximité politique des nominés avec l’autorité de nomination.

Il est évident que la tentation existe, pour celui qui nomme, d’utiliser ce pouvoir au mieux de ses intérêts politiques, comme par exemple recaser un proche. Pour les trois nominés, cette grille de lecture fonctionne. Emmanuel Macron nomme une ministre en exercice, venant du Modem, son allié auquel il n’a pas toujours donné tout ce qu’il attendait. Gérard Larcher nomme son ancien directeur de cabinet, et Richard Ferrand nomme une magistrate qui a pu éventuellement jouer un rôle dans le classement sans suite d’un dossier judiciaire qui lui pourrit la vie depuis quelques années. Même si dans les faits, on n’en sait rien de son rôle exact, les apparences rendent cette critique plausible. Ne pas prendre cela en compte relève de l’erreur politique, en ces temps suspicieux.

Ces remarques et commentaires sur la forme sont légitimes, mais malheureusement, trop souvent, les commentaires et analyses s’arrêtent à ce stade, postulant presque naturellement que, puisque nommés sur critères politiques, ces personnalités sont incompétentes. C’est ce point qui me chiffonne, car l’élément le plus important n’est pas la manière dont les personnes sont arrivées au poste, mais leur capacité à contribuer efficacement aux missions de l’organisme où ils sont nommés.

Évacuons d’abord le soupçon de renvoi d’ascenseur pour service rendu, qui entoure souvent les nominations à un poste prestigieux. Une place au Conseil constitutionnel est très souvent un dernier poste. On y est pour neuf ans, avec un boulot à plein temps et des règles déontologiques qui empêchent de faire autre chose à coté. On sort du conseil retraité à temps plein, car trop âgé pour reprendre une activité, et surtout, largement déconnecté du monde des affaires et de la haute administration. On n’a donc rien à attendre pour la suite, d’autorités de nomination qui de toute manière, ne seront sans doute plus au pouvoir (donc en mesure de récompenser) neuf ans plus tard.

L’analyse intéressante est de voir si les personnes nommées correspondent aux besoins. Sont-ils compétents ? Ces compétences sont-elles utiles à l’institution ? C’est à ces questions que j’aimerais apporter quelques éléments, en n’oubliant pas que le Conseil constitutionnel est un organe collégial, qui rend des décisions à l’issue d’une délibération collaborative. Il faut donc un panache de profils et de talents.

Jacqueline Gourault a une longue carrière politique derrière elle, d’élue locale, puis au Sénat et enfin au gouvernement. Elle vient du Modem, parti « minoritaire » pas réputé pour être un cocon douillet. Elle a donc fait preuve d’une solide capacité de survie. J’ai le souvenir qu’en 2011, elle a tout de même réussi à être réélue sénatrice, en battant le président du conseil départemental de l’époque, Maurice Leroy, qui était alors ministre en exercice, et très très loin d’être un perdreau de l’année.

La présence d’anciens élus nationaux, qui connaissent bien la vie politique est utile pour deux raisons. La première est que le Conseil constitutionnel est juge électoral des législatives et des sénatoriales, et qu’il y a rien de mieux qu’un « vieil élu expérimenté » pour comprendre ce qui s’est passé, détecter les embrouilles, et poser les « bonnes questions ». La deuxième est que le processus législatif est politique, et qu’il n’est pas inutile de comprendre la genèse d’une loi et la manière dont elle a été discutée. Le droit parlementaire est assez particulier, et il n’y a rien de mieux que d’avoir été un acteur du processus, pour en comprendre les ressorts. C’est d’ailleurs pour cela qu’à plusieurs reprises, d’anciens secrétaires généraux de l’Assemblée ont été nommés au Conseil.

La seule critique à ce choix est le nombre, sans doute trop élevé dans les trois prochaines années, d’ancien élus. On aura Laurent Fabius, Alain Juppé, Jacques Mézard, François Pillet et donc Jacqueline Gourault. Cinq sur neuf, c’est trop. La faute a été commise au précédent renouvellement, en 2019, avec trois anciens élus nommés, là où il aurait fallu n’en nommer qu’un.

Un conseiller d’Etat, François Seners, a également été nommé. Le profil est très intéressant. Après avoir commencé dans la préfectorale, il s’est occupé de l’Outre-Mer dans les années 1990, notamment du statut de la Nouvelle-Calédonie, juste après les accords de Matignon. Il continue depuis à suivre ces sujets ultra-marins. Une compétence rare et précieuse pour le Conseil constitutionnel, en cette période d’incertitude sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Il a également exercé des fonctions juridictionnelles au sein du Conseil d’Etat, notamment contentieuses. C’est donc un juriste de droit public confirmé, compétence loin d’être inutile à la Rue de Montpensier. Enfin, il connait bien le monde politique, pour avoir fait plusieurs passages en cabinet ministériel : Chez Juppé quand il était premier ministre, chez Rachida Dati quand elle était ministre de la Justice, et surtout, il a été secrétaire général adjoint du gouvernement, de 2009 à 2012. On se dit que finalement, le fait d’avoir été directeur de cabinet de Gérard Larcher, entre 2014 et 2017, était un « creux » de sa carrière, et qu’elle lui a surtout servi à se faire connaitre personnellement par Gérard Larcher. Le « petit plus » qui fait qu’à profil égal, la balance penche en votre faveur.

Enfin, nous avons une magistrate judiciaire, Véronique Malbec. Après une carrière très classique de magistrate, elle devient directrice des services judiciaires du ministères, où elle succède à Dominique Lottin (qui quitte le conseil constitutionnel en mars 2022…). Elle devient ensuite procureure générale de la cour d’Appel de Rennes (de 2013 à 2017), puis à Versailles (poste encore plus sensible et prestigieux) avant de passer, en 2018, secrétaire générale du ministère de la Justice. Elle aussi, connait donc les rouages de l’administration. En 2020, c’est elle qui se retrouve directrice de cabinet d’Eric Dupont-Moretti, à devoir réaliser la mission de haut vol de gérer à la fois le ministère, mais aussi le ministre, personnalité totalement novice en politique, particulièrement éruptive et ingérable. Je pense que si cette nomination est pour « services rendus », c’est sans doute plus pour son travail de directrice de cabinet, que de supérieure hiérarchique du procureur qui a classé sans suite une plainte qui embarrassait Richard Ferrand, à une époque où il était simple député PS.