Depuis quelques semaines, les médias en font des caisses sur le projet de loi relatif à l’immigration, allant même jusqu’à se poser la question d’une éventuelle crise politique. Tout cela n’est que de la mousse, et au final, on finira encore par un « tout ça pour ça… » car le texte va passer sans encombres et actera juste le recul politique de LR, qui sera le cocu de l’affaire. En mettant toutes ses billes sur ce texte, LR prend un gros risque politique, celui d’être finalement humilié.
Le sujet est hautement symbolique, notamment pour LR, dont c’est à peu près le seul totem sur lequel il est encore visible, et surtout, sur lequel il y a globalement un accord interne. Ce consensus vient tout simplement du fait que le parti s’est vidé de ses modérés, et qu’il ne reste plus que des durs, qui sont en train de faire du parti une antichambre du RN quand Marine Le Pen sera aux portes du pouvoir. D’où l’agitation fébrile, et la fixette sur l’article relatif à la régulation des sans-papiers travaillant dans les métiers en tension.
Le passage au Sénat va être surtout l’occasion de mesurer la perte de pouvoir du LR. En effet, le groupe centriste a marqué sa nette différence avec LR, en prenant une position sur laquelle le gouvernement peut se retrouver (un léger durcissement, mais pas de rupture). C’est l’occasion idéale, pour son président des centristes, Hervé Marseille, d’acter officiellement sa montée en puissance politique. Lors des débats, la gauche se ralliera sans trop de mal à une position qui certes, est encore trop dure pour elle, mais moins pire que celle dictée par LR. Et puis pourquoi se priver du plaisir de faire battre LR et d’humilier un peu son très droitier président de groupe ?
On aura donc, à la sortie du Sénat, un texte globalement acceptable pour le gouvernement et pour l’aile gauche de sa majorité à l’Assemblée, qui elle aussi, s’est beaucoup excitée sur le symbole de la régularisation des travailleurs des métiers en tension. Il suffira, à l’Assemblée, de convaincre à gauche (PS) et chez les modérés (LIOT), qu’il y a l’occasion de donner une belle claque à LR. Leur abstention suffit pour que ça passe. De toute manière, même si le texte qui sort de l’Assemblée est un peu baroque, la commission mixte paritaire se chargera de remettre tout cela d’aplomb. Le seul vrai souci, pour le gouvernement, c’est le vote sur les conclusions de la CMP à l’Assemblée, où à défaut de majorité, il faudrait dégainer le 49.3 . Ce serait alors médiatiquement gênant, mais pas problématique, les socialistes ayant d’ores et déjà annoncé qu’ils ne voteraient pas une éventuelle motion de censure LR déposée à cette occasion. Le gouvernement Borne ne tombera pas cette fois-ci.
Sur le fond, ce texte n’a aucune importance. Il y a une loi immigration en moyenne tous les deux ans, et le droit des étrangers est tellement bordélisé et mal foutu, qu’il fonctionne en autonomie. Le système est largement entre les mains des préfets, qui régularisent (ou pas), qui appliquent (ou pas) les décisions d’expulsion, en fonction de leur bon vouloir et des contingences pragmatiques. La France, qui est par ailleurs un pays d’immigration depuis au moins 150 ans, a besoin de ces travailleurs sans-papiers, pour faire le sale boulot que les « nationaux » ne veulent plus faire. Donc on ne les expulsera pas. Mais comme les patrons peuvent aussi avoir un coté « Thénardier », maintenir la pression sur l’éventuelle régularisation permet de moins bien les payer, et de la faire bosser dans des conditions pas forcément très dignes.
Le principal point noir pour les sans-papiers, ce n’est pas la loi en tant que telle, mais l’organisation des services préfectoraux chargés de traiter leurs dossiers. On aura donc, au pire, une loi encore un peu plus baroque que les précédentes, mais ça ne changera pas grand chose sur le terrain, en attendant la prochaine loi. Et tout va continuer comme avant, sans amélioration réelle pour les principaux concernés. En revanche, la classe politique (médias compris) se sera fait plaisir.
Tout cela est assez symptomatique, malheureusement, de ce qu’est devenu la vie politique : beaucoup de mousse autour des symboles, mais une prise assez limitée sur le réel.