Les députés ont commencé l’examen en commission du projet de loi « confortant le respect des principes de la République » (ex projet de loi contre les séparatismes). Comme prévu, on a eu notre lot de polémiques, plus ou moins étouffés par le droit parlementaire, qui éjecte les propositions qui sont sans lien direct avec le texte.
Ces irrecevabilités permettent de voir qu’il y un décalage majeur, un hiatus entre le message politique véhiculé par le texte, et les possibilités offertes par le droit. L’amendement déposé par Aurore Bergé, sur l’interdiction du port du voile pour les petites filles, est emblématique. Politiquement, il est au cœur du texte, et du message qu’il porte, à savoir l’islamophobie. Pourtant, il a été déclaré irrecevable, car techniquement, il ne peut se raccrocher à aucun article du texte. A aucun moment, ce texte ne prohibe des modes vestimentaires ou n’interdit des pratiques cultuelles.
Ce texte va buter, au final, sur cette impossibilité d’écrire en droit, ce qui est la volonté politique affichée, à savoir interdire l’islam « radical » en France. Tout simplement car notre système juridique ne permet pas de définir avec suffisamment de précision ce qu’est « l’islam radical ». Ce n’est pourtant pas faute de chercher, de mettre bout à bout des éléments divers et variés. Mais ce n’est juste pas possible, car chaque élément, pris isolément, couvre un champ bien plus large, avec des effets de bords considérables. On se retrouve, à chaque fois, avec des dommages collatéraux énormes.
Deux amendements, parmi d’autres, illustrent cela.
Le groupe LR a fait adopter un amendement ainsi rédigé : « Le fait d’entraver ou de tenter d’entraver par des pressions ou des insultes l’exercice de la fonction d’enseignant selon les objectifs pédagogiques de l’éducation nationale déterminés par le Conseil supérieur des programmes mentionné à l’article L. 231‑14 du code de l’éducation est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
L’exposé des motifs évoque Samuel Paty, et entend « répondre » au problème posé par les pressions des parents sur les choix pédagogiques des enseignants. Mais ont-ils imaginé l’ampleur que cela peut prendre ? Une telle mesure, de portée aussi générale, peut être utilisée contre à peu près n’importe quel parent d’élève qui conteste le travail d’un enseignant, même totalement incompétent. Quand on connait la dégradation des relations entre parents d’élèves et enseignants, on mesure les dégâts qui cela peut occasionner si jamais un groupe d’enseignants décide de « se faire » un parent d’élève un peu pénible, en le traînant au tribunal. Faut-il vraiment judiciariser ces querelles ? Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée.
Autre exemple, celui du contrôle des fonds venant de l’étranger. Dans le texte initial, seules les associations relevant de la loi de 1905 étaient concernées. Au cours des auditions, plusieurs personnes ont fait remarquer aux députés que la quasi totalité des associations « loi 1905 » sont protestantes et juives, et ne posent aucun problème. Les musulmans, organisés en associations « loi 1901 » qui sont visés par la mesure, ne seront donc pas touchés (et ne risquent pas d’avoir envie de prendre le statut « loi 1905 »). En commission, les rapporteurs déposent donc un amendement pour étendre à toutes les associations « loi 1901 » l’obligation de déclarer les dons de plus de 10 000 euros venus de l’étranger (hors Union européenne). Là, c’est clair, les associations musulmanes qui reçoivent de l’argent de la Turquie, des pays du Golfe ou du Maghreb seront concernées. Mais pas qu’elles… En fait, c’est l’ensemble du secteur sanitaire et social, de l’ESS, de la Culture, et bien d’autres, qui vont être touchées, car beaucoup de structures et d’institutions sont, à la base, des associations loi 1901 ! Ces structures, parfois sous-staffées, vont se retrouver avec des obligations déclaratives qu’elles ne vont pas être en mesure d’assumer correctement. Elles vont devoir prendre des experts comptables, des commissaires aux comptes, ce qui coûte cher.
A chaque fois, on a l’impression que les députés prennent un bazooka, pour tuer un moustique. Cela va poser un problème de constitutionnalité à l’arrivée, car si le législateur est autorisé, pour des motifs d’intérêt général, à porter atteinte à des libertés, la restriction doit être « nécessaire, adéquate et proportionnée ». Sur plusieurs dispositions, on a un sérieux problème de proportion, et donc un risque élevé de censure.
Il existe parfois des bonnes idées, politiquement porteuses, faciles à expliquer, mais impossible à écrire en droit, sauf à monter des usines à gaz, qui finissent par s’écrouler, car elles présentent trop d’effets secondaires indésirables. Le projet de loi Séparatisme est de ceux-là, du fait du problème initial, d’absence de définition juridique de l’objet à interdire.
Une réponse sur « Les impasses de la loi Séparatisme »
Je ne vous suis pas complètement. « l’islam radical » pourrait être défini juridiquement si on s’y amusait, même si cela nécessiterait pour le Parlement de se transformer paradoxalement en école de droit islamique pour séparer le « bon » islam du « mauvais » islam. Le problème tient plutôt à la liberté religieuse, à la neutralité de l’Etat et à l’égalité entre les religions. Le Parlement ne peut donc qu’essayer de cibler indirectement certaines pratiques ou institutions liées à l’ « islam radical ». Sur les financements étrangers, cela pourrait s’écrire comme tel (interdiction de financement des activités religieuses par des dons provenant de l’étranger), même si cela peut poser des difficultés pour le catholicisme et le judaïsme. Le problème vient plutôt de l’arc-boutement du régime français sur la notion totem de « culte », à savoir en résumé une cérémonie rituelle collective dans un lieu dédié (autrement dit la messe et les cérémonies lointainement apparentées des autres religions – on ne pensait pas à autre chose en 1905). Or la religion ne se réduit pas au culte, et cà, le droit ne la définit pas. On ne sait donc pas si le Secours catholique est une association religieuse ou pas. Les associations loi 1905 « cultuelles » sont un réceptacle trop étroit pour les activités religieuses, et ces activités sont ensuite mal séparées du reste des autres activités dans les associations loi 1901.