Le chef de l’Etat a choisi de placer la « séquence » (comme on le dit en jargon de communicant) sous le patronage du « réarmement ». Le choix du mot a sans doute suscité beaucoup de brainstorming de spin doctors. Il va être intéressant de voir ce qu’il y a en dessous. Les premiers éléments commencent à arriver, et ça laisse craindre un nouveau coup d’épée dans l’eau.
Un article du Monde donne quelques petits aperçus de ce que cela pourrait être. Une citation, au sein du papier, me semble résumer la réalité profonde de la pensée macroniste : « Il faut raconter une histoire pour contrer l’impression que tout se délite ».
Le premier constat qui ressort est celui de l’impuissance de la puissance publique, réduite à n’avoir comme objectif que de produire un récit. C’est la marque de fabrique du Macronisme : à défaut d’avoir prise sur la réalité, il faut communiquer et raconter des histoires. Certes, la question du récit est importante en politique, car c’est sur des symboles et des promesses que l’on mobilise. C’est également important, pour le moral des troupes, de parler du verre comme à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide. Mais l’action politique ne peut pas se limiter à cela, et vise, en priorité, à changer le réel. On a l’impression que la Macronie a plus ou moins renoncé, ou du moins, est consciente de ne pas en avoir les moyens. Ce constat est assez lucide, car notre pays est politiquement très fracturé, avec des clivages importants, et un gouvernement ne disposant que d’une majorité relative (donc réduit à procrastiner s’il n’arrive pas à créer des consensus). En plus, les moyens financiers manquent, faute de marge de manœuvre budgétaire. Ce qu’on peut reprocher à la Macronie, c’est de sembler baisser les bras face à cette impuissance, en se contentant de mesures cosmétiques.
Le deuxième constat est un diagnostic problématique, celui d’une France qui se délite, avec comme objectif politique de lutter contre ce délitement. La France change et c’est normal. Parfois en bien, parfois en mal. Dire que les choses se délitent, c’est prendre le parti que ça change surtout en mal, ce qui est un point de vue, pas une vérité objective. Et surtout, ça amène à la pente glissante de la « réaction », qui consiste à vouloir, à toute force, empêcher des évolutions. C’est un peu ce qui pointe le bout de son nez, avec des propositions comme le retour de « l’autorité » et de l’uniforme à l’école, ou encore la déploration sur le temps passé par les adolescents (et pas qu’eux…) devant les écrans.
Le grand danger est là, dans ce regard rétrospectif, consistant à proposer de freiner les évolutions, et de revenir à un passé, souvent bien mythifié, comme réponse aux inquiétudes face à l’avenir. Cela ne marche jamais, car on ne peut pas empêcher les évolutions sociétales de fond, mais juste les accompagner plus ou moins intelligemment.
Personnellement, je n’ai pas le sentiment d’un délitement de la France. Certes, la sociabilité évolue, les relations interpersonnelles ne se font plus de la même manière, mais est-ce pire qu’avant ? On se plaint que les gens aient le nez en permanence sur les écrans, sans s’interroger sur le « pourquoi », ni voir que ces « écrans » nous ont apporté, que l’on n’avait pas avant. Quand on remonte l’histoire, un peu plus loin que quelques décennies, on se rend compte que les sociabilités étaient bien différentes, et pas forcément meilleures. Au Moyen-âge, le monde était bien plus violent. En fait, tout est question de perception, entre ce qui est normal ou anormal, et il est logique que l’on soit un peu perturbé face à des évolutions rapides, alors qu’on ne dispose pas toujours des données et des outils intellectuels pour les digérer. D’où la tentation de la réaction.
Il y a clairement un travail politique à faire sur le constat, et le regard que l’on porte sur les évolutions du pays. Mais il faut le faire à charge et à décharge, surtout, sans jugement moral bien/mal. Il faut aussi accepter la part d’inconfort que représente le saut dans l’inconnu du futur. Pour ma part, je reste optimiste, car objectivement, nous avons des conditions matérielles de vie et de confort, en France, qui sont infiniment supérieures à ce que connaissent bien des pays dans le monde, et à ce que nous avons connu dans le passé. Notre problème est peut-être de ne plus avoir conscience de la chance que nous avons, faute d’avoir été confronté directement au malheur et aux vraies privations.