La France connait actuellement une phase aiguë de la crise du monde agricole, qui se traduit par des manifestations et blocages. Les causes de cette crise sont multiples, mais l’une d’entre elle me semble fondamentale, et cristallise beaucoup d’enjeux. Il s’agit du choix politique de privilégier l’utilisation des espaces ruraux à des fins de protection de l’environnement et de loisirs pour les urbains, au détriment de l’activité économique agricole.
Toutes les règlementations, qu’elles viennent de Paris ou de Bruxelles, priorisent le maintien de la biodiversité, la protection de l’environnement, de l’eau et du Climat. Des objectifs tout à fait pertinents (impulsées par les urbains), mais qui engendrent une série de normes et de contraintes (notamment des interdictions ou restrictions) subies en premier lieu par ceux qui y pratiquent une activité économique, à savoir les agriculteurs. Ils se retrouvent avec des normes qui compliquent l’exercice de leur métier, demandent des investissements (qu’ils n’ont souvent pas les moyens de faire) et donc réduisent la rentabilité de leur entreprise.
Ces choix politiques heurtent des représentations culturelles, ce qui joue (dans le mauvais sens) sur l’acceptabilité sociale. L’organisation agricole française repose, symboliquement et effectivement, sur de petites exploitations dites « familiales ». Même si dans certaines zones, on est plutôt sur de grosses PME, on reste tout de même très loin du modèle agricole latinfundaire. La grosse entreprise agricole, possédant plusieurs milliers d’hectares et employant des centaines de personnes n’a pas sa place dans l’imaginaire français, et certainement pas dans celui des ruraux. Pourtant, c’est économiquement le modèle le plus adapté aux exigences environnementales d’exploitation des terres, qui demande une intensité capitalistique pour investir, et une masse critique pour peser dans les négociations commerciales. Tout cela donne parfois lieu à des injonctions contradictoires, certains érigeant en priorité la protection de l’environnement, et se font en même temps les chantres de la « paysannerie » système organisationnel économiquement non viable si l’environnement est la priorité dans l’usage des terres. Les solutions économiques trouvées jusqu’ici, à savoir soutenir le revenu des agriculteurs sur fonds publics, trouve des limites chez les principaux intéressés, qui veulent vivre de leur activité. Ils ne sont pas prêts à devenir des paysagistes sous statut de fonctionnaires publics.
Les nouvelles normes peuvent aussi entrainer la fin ou la restriction de pratiques « culturelles ». L’exemple emblématique est celui de la chasse, restreinte au nom du maintien de la biodiversité, mais également du fait des conflits d’usages avec les urbains. Ces derniers veulent pouvoir se promener en toute tranquillité dans les espaces ruraux. Ils souhaitent également pouvoir bénéficier d’un silence et d’une tranquillité qu’ils ne trouvent plus dans les métropoles, que les nuisances de l’activité agricole peuvent troubler. Même si cela semble un peu anecdotique, au regard des enjeux économiques ou environnementaux, ce sont des irritants qui ne sont pas à négliger, l’étincelle qui peut mettre le feu au baril de poudre.
Il n’y a donc pas de solution durable à cette crise agricole, car la priorité environnementale ne sera pas remise en cause. Il va juste falloir trouver quelques ajustements, économiques et/ou symboliques, pour calmer le jeu, jusqu’à la prochaine fois.