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Au delà du symptôme de la Fake news

J’ai lu un long article, sur le Grand Continent, qui pose un constat très juste. Le problème de ce qu’on appelle la désinformation, ou les Fake news, est global. C’est avant tout une question de système de pensée, de narratif, et d’univers mental. Pas juste un rapport un peu tordu à la véracité factuelle dans l’établissement de faits.

Je trouve cette position de surplomb très juste et éclairante. Le problème est l’émergence, et surtout l’enracinement, au sein d’une part importante de la population, d’une vision du monde basée sur des schémas narratifs « alternatifs ». L’article décrit très bien les différentes structures narratives qui se retrouvent très régulièrement, répondant à des mythes et références cultures anciennes. C’est par exemple l’omniprésence de groupements occultes, qui cherchent à dominer le monde, avec face à elles, de courageux lanceurs d’alerte, l’existence de secrets cachés qu’il s’agit de dévoiler. On est sur des systèmes de pensée très anciens, qui se retrouvent par exemple dans le courant gnostique du christianisme primitif.

Ces récits sont souvent construits pour tenter de retrouver un ordonnancement rassurant du monde, face à un chaos qui fait peur. Les grands récits n’apportent plus suffisamment cette « mise en ordre » de la lecture du monde, celle qui donne du sens, qui explique que même ce qui semble le fruit du hasard, est en fait le résultat d’un main invisible, qu’il faut savoir discerner. Les plus inquiets ou fragiles, ceux qui ont vraiment besoin de repousser loin d’eux l’idée du chaos et du désordre, se replient sur ces mises en récits. Elles leur apportent à la fois une réassurance face aux difficultés de la vie et l’incertitude de l’avenir, et le sentiment d’être des « initiés ». Une façon de réagir et répondre à ce qui est perçu comme un mépris, culturel et intellectuel, de la part des « élites » qui soutiennent les récits « rationalistes » classiques.

Chercher à « vérifier » les informations, à « débunker » les fake news, ne sert à rien, voire renforce ces récits alternatifs, qui se sont créés contre les élites. Les faits rapportés, qui nous semblent délirants et loufoques (par exemple que Brigitte Macron est en fait un homme) font sens dans ces schémas de pensée alternatifs (souvent complotistes), ce qui leur donne une force et une crédibilité. Peu importe, en fait, qu’ils soient authentiques, c’est presque secondaire pour ceux qui les diffusent.

Bien évidemment, un certain nombre de mouvements politiques, radicaux ou marginalisés, s’y sont engouffrés et alimentent ces récits alternatifs, en y glissant leur marchandise idéologique. Le refus des « élites rationnelles » de venir les concurrencer sur ce terrain leur laisse un champ complètement libre, dont ils récoltent les fruits, notamment sur un plan politique et électoral.

Si on veut s’attaquer au problème à la racine, il faut comprendre les ressorts de ces univers mentaux parallèles, et surtout comprendre ce que viennent y chercher ceux qui y sont. On y trouvera de l’angoisse face à la dureté de la vie quotidienne et l’avenir, une grande misère culturelle et intellectuelle, mais également un profond sentiment d’être rejeté, et donc du ressentiment et de la rancœur. Rien de surprenant en fait. Le mal est là, le complotisme n’est qu’un mode de pensée et la Fake news n’est qu’un symptôme.

Construire d’autres récits, plus positifs, ne suffira pas à sortir de cette ornière. Il faut aussi traiter le mal de l’exclusion à la racine, et que les « élites » cessent de s’enfermer dans une sorte de tour d’ivoire surplombante. Pas simple à faire entendre, et encore moins à mettre en œuvre.

8 réponses sur « Au delà du symptôme de la Fake news »

Les complotistes, quel que soit le nom qu’on a pu leur donner à travers les âges, ont toujours existé, c’est presque consubstantiel à la psyché humaine. Au passage, la religion et la fake news procèdent du même besoin primaire de ne pas rester sans réponse face à des questionnements angoissants, ce qui les distingue au bout du chemin c’est la façon de procéder et les intentions derrière. J’avais un prof d’histoire ancienne qui l’expliquait très bien y’a 20 ans mais j’ai perdu le fil de la démonstration 🙁

La seule chose qui change depuis une quinzaine d’années, c’est qu’on a offert aux complotistes la technologie qui leur permet de se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls. En étant à la fois pas vraiment capable de la réguler (tâche pourtant facile) ni d’accompagner convenablement l’usage (tâche difficile).

De ce point de vue, ce n’est pas la religion la mère de tout les complotismes ? Donner un sens à l’absurdité de la condition humaine avec des histoires de miracles et d’êtres supérieurs capricieux ?

La religion est un système de pensée qui répondait, justement, aux questions fondamentales, sur l’ordonnancement du monde et sa mise en récit, pour donner une cohérence au réel, et une espérance dans l’avenir. Le recul des religions a laissé cet espace en partie vide, et d’autres sont arrivés, avec des récits et des ordonnancements du monde différents, et plus dangereux. Mais fondamentalement, c’est la même fonction sociale.

Merci pour ta note. C’est un sujet majeur en effet.

Pour m’être penchée récemment sur la question, je me dis que que la « vérité » est une valeur bien trop relative et je partage la façon dont tu abordes la question : il faut aller au delà de la fakenews (ou de l’angle de l’ère de la post-verité).
Ce qui est en jeu, je pense, c’est surtout une forme de disqualification du consensus, remplacé par l’arbitraire d’une voix forte, qui flatte un public (you hold the thruth/you are the media/vous êtes le bons sens) pour mieux lui imposer une analyse arbitraire ne reposant sur aucune forme de validation.
Ce n’est un hasard si les médias, l’université, la justice, les organisations internationales, ou même les encyclopédies en ligne ;)… (toutes ces instances ou se fabrique le consensus) sont attaquées.

Myriam Revault d’Allonnes : « L’exploration du « régime de vérité » de la politique éclaire ce qui distingue fondamentalement :
– les systèmes démocratiques, exposés en permanence à la dissolution des repères de la certitude, à la tentation du relativisme et à la transformation des « vérités de fait » en opinions,
– des systèmes totalitaires, où la toute-puissance de l’idéologie fabrique un monde entièrement fictif. » (un monde entièrement fictif construit à partir de vérités assénées)

Au-delà de la post-vérité, nous entrons sans doute dans une ère post-démocratique, marquée par la disqualification des instances du consensus qui faisaient (très largement) autorité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Bonjour. Attaquer les fake news AUX racines n’est pas évident. Parce qu’elles sont nombreuses. Tout d’abord il y a réalité, et l’absence totale d’action de nos gouvernement contre des situations inadmissibles. Ainsi, je rappellerai que le scandale du Médiator a pu faire autant de dégâts parce que le labo Servier avait des complicités à l’intérieur du Ministère de la Santé. Ce qui a permis de truquer des rapports. Et quand on voit aujourd’hui que la Sécu accepte de payer un traitement contre la bronchiolite, 300€, prix ne correspondant à rien en terme de coût de recherche, ni de production, mais uniquement basé sur un « oui mais cela permet d’économiser x€ en hospitalisation ». Il devient alors naturel de conclure que l’industrie pharmaceutique n’en a rien à faire de la santé humaine, ni de sa sécurité. Et qu’elle est soutenue en cela par « les élites ». Ce qui donne toutes les thèses complotistes « anti-vaccins », et favorisant les « traitement alternatifs ».

Ensuite, il y a aussi un problème en terme de traitement médiatique. Sur ce point il se trouve que j’ai « vécu deux fois l’information ». La première c’était au milieu des années 90 avec le tremblement de terre d’Annecy. Les médias avaient fait dans les sensationnalisme, avec « regarder les dégâts. Ces voitures ont été explosées par la chute de cheminées. Et à quelques heures près il aurait pu y avoir de nombreuses victimes » (il a eu lieu à 3h du matin dans la nuit du 14 juillet). Alors qu’au boulot cela donnait « Tu as eu des dégâts? Oui, mes bouteilles d’apéro ont fait le grand saut ». La deuxième, plus récente est l’affaire des « implants files ». Il se trouve que je travaille dans le domaine. Et quand j’ai tenté de regarder le documentaire de Mme Elise Lucet, j’y ai trouvé tellement d’approximations, d’oublis, d’informations incomplètes donnant une interprétation incorrecte, …, que Mme Lucet y a perdu toute crédibilité pour moi. Ce genre de situation donne du crédit à la théorie des « médias qui mentent ». D’autant qu’elle est augmentée par la main-mise d’une poignée de personnes riches dessus.

Ajoutez à cela un système politique « à la grecque ». C’est à dire avec deux blocs politiques qui se partagent le pouvoir « depuis une éternité ». Mais dont l’alternance n’a jamais modifié la liste des perdants, ni celle des gagnants. Et ce d’autant plus qu’ils sortent tous du même milieu culturel, sont de la même promo de l’ENA, … Et cela donne toutes les théories basées sur le principe des « élites contre le peuple ».

Je pourrais aussi parler des traitements totalement inégalitaires qui sont exposés tous les jours, dans tous les médias, y compris Internet. « La Russie annexe l’Ukraine, donc sanctions. Israël annexe la bande de Gaza, donc zéro sanction ». Conclusion (complotiste, mais logique d’une certaine façon): La Russie fait partie de l’axe du Bien, et c’est uniquement parce qu’elle dérange le Nouvel Ordre Mondial qu’elle est sanctionnée.

Etc. Etc.Etc.

Bsr. Je me demande si les fake news du peuple ne sont pas l’image inversée des schémas narratifs « alternatifs » des entreprises et des gouvernements : leur « communication » faite de mensonges souvent tellement grossiers qu’on se sent insulté.
Le respect des autres, la droiture et le sens de l’honneur ne sont pas toujours les caractéristiques permettant d’identifier les gens de « là-haut ». Il est curieux d’exiger que ceux d’en bas en fassent preuve.

Au contraire, je pense que cet article lu grâce à vous est tout à fait insuffisant.
Il en reste pour l’essentiel à une guerre de récits entre des récits « déplorables » et un récit positif qu’il faudrait promouvoir
… avec des armes qui finissent pas être très similaires à celles que l’auteur reproche aux « complotistes ».
Et disant cela il tombe dans le biais cognitif massif de ce genre de … récit … faussement rationnel.
Celui de caricaturer tous les désaccords pour passer pour rationnel face à des fous.
Alors que l’un des drames majeurs de l’époque est au contraire d’avoir multiplié les occasions de montrer à des populations tout à fait rationnelles (même quand elles sont prolétaires) que le « récit » rationnel dominant ne correspondait pas du tout à la réalité de leur vécu, médical, douanier, embryonnaire, esthétique, social, moral, juridique, vaccinal, sécuritaire, religieux, athée etc.
Et que la protestation de tous ces groupes informels puisse parfois s’exprimer en des termes vifs, brutaux ou « complotistes » pourrait n’être finalement qu’une forme de rationalité tout à fait compréhensible.
La réponse ne serait alors pas une répression, un surcroit de propagande inverse ou le mépris condescendant, mais l’acceptation qu’il puisse exister des contestations et des alternatives rationnelles aux politiques préconisées par un quotidien du soir bien connu.

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