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Réinsuffler l’imaginaire et le désir dans la politique

La Croix a interviewé un philosophe protestant, Olivier Abel, sur la situation politique actuelle. Son propos est remarquable, car il n’attaque et ne critique personne, et livre une analyse de ce qui manque au pays, pour retrouver une forme de paix civile.

Il constate que le délitement de notre vie politique vient d’un délitement de notre imaginaire politique et des récits qui sous-tendent le vivre-ensemble. Nous avons asséché ce qui fait le ciment de la société, où l’individualisme, qui se veut émancipateur, a enterré les traditions, leur transmission ainsi que les liens et solidarités. Dans cette affaire, les plus fragiles ont été marginalisés. Les riches et nantis des villes ont cessé d’écouter ces populations, populaires et rurales, économiquement en difficulté, qui demandaient de la solidarité, de la considération, un peu de sécurité « culturelle » et de certitudes sur leur identité de groupe. Faute d’avoir été entendu (notamment par un pouvoir macronien technocratique et au service des nantis), ils ont progressivement décidé de voter pour un RN qui a su parfaitement capter ces messages de détresse, et s’en faire le porteur (sans pour autant y apporter de réelle réponse).

Sortir la France de la crise politique nécessitera d’écouter ces populations, et de répondre à leurs demandes, même si cela demande des concessions et des sacrifices de la part des populations urbaines, riches et diplômées. Il va falloir qu’elles prennent conscience qu’elles sont dans le même bateau, dans le même pays, que ces populations fragilisées, et qu’un minimum de solidarité est nécessaire.

Pour ressouder les populations, et redonner de la vitalité à la « Res publica », il va falloir recommencer à faire de la politique. Pour Olivier Abel, la politique est une question de désir, d’imaginaire, de récit poétique. Bref, très exactement ce qu’Emmanuel Macron n’a pas fait pendant 7 ans, et que ses prédécesseurs avaient cessé de faire, se reposant paresseusement sur de vieux récits, de plus en plus décalés avec les réalités du monde contemporain.

Ces récits et cet imaginaire sont à notre portée, il suffit de se pencher sur notre histoire, nos traditions, les différentes communautés et identités qui ont fait ce qu’est la France. Il faut aussi mener un travail intellectuel sérieux, et de faire en sorte que les gens s’écoutent et se parlent. Notre société étant devenue tellement éclatée, qu’on reste entre soi, entre proches pour lesquels nous éprouvons de l’affection. Les fameuses « bulles de filtre » créées par les réseaux sociaux préexistent, elles sont juste amplifiées par les outils techniques à notre disposition.

Olivier Abel alerte sur des écueils culturels qui peuvent faire obstacle à ce travail. Il dénonce notamment la tradition très française de l’unanimité, où il faut que tous le pays soit conforme à une ligne, sous peine d’être exclu. Un tradition qui se retrouve dans la culture politique, où l’absolutisme de Louis XIV, censé être le lieutenant de Dieu sur terre, a été transposée telle quel, à la Révolution, sur le peuple « souverain » dont le volonté est quasi sacrée et ne doit pas rencontrer d’obstacle et de limitation. De ce fait, nous avons beaucoup de mal à penser et donc à gérer la diversité et le pluralisme.

Il se montre aussi critique de notre conception de l’égalité, où on passe son temps à regarder dans l’assiette du voisin, et à se comparer, afin de couper toutes les têtes qui dépassent. Cela donne cette obsession pour la question de la répartition des richesses, qui se transforme en haine du riche, qui marque profondément la gauche. Je me retrouve pleinement dans cette critique, et comme lui, je pense qu’il y a dans cette conception de l’égalité, un obstacle majeur à la construction d’un « vivre-ensemble » apaisé.

Il appelle enfin à retrouver une « confiance en soi » qui fait grandement défaut à notre société. Nous vivons dans une insécurité culturelle, voire civilisationnelle, qui fait beaucoup de dégâts. Comment expliquer, autrement, qu’en étant plus de 65 millions de personnes, nous ayons peur d’être submergés par quelques centaines de milliers de personnes d’origine étrangères, pour la plupart dépourvues de capital économique ou culturel.

Ce travail de fond est nécessaire, et maintenant que la parenthèse macronienne est en train de se refermer, il sera peut-être possible qu’il soit pris au sérieux par ceux qui vont diriger le pays.

23 réponses sur « Réinsuffler l’imaginaire et le désir dans la politique »

Quelle condescendance dans ce billet : « Il va falloir qu’elles prennent conscience qu’elles sont dans le même bateau, dans le même pays, que ces populations fragilisées, et qu’un minimum de solidarité est nécessaire. »
Un minimum de solidarité ? Non pas vous, pas ça !
Pas étonnant qu’on en soit là.

Les élites françaises se sont complètement assises sur certaines couches de la population, qui leur rendent aujourd’hui la monnaie de leur pièce. Il va falloir sortir de cet affrontement, et cela passe par une prise de conscience, par les élites (qui ont voté massivement pour Macron) qu’elles ne peuvent pas continuer ainsi, et qu’elles ont de réels efforts à faire.

Oui, je suis d’accord sur ce point précis, on peut reprocher beaucoup de chose aux 10% les plus aisés de ce pays mais ce « minimum de solidarité » est déjà une réalité en France, l’un des pays les plus redistributifs (le plus ?) de l’OCDE et où la solidarité est de fait largement institutionnalisée – nonobstant les discours d’une certaine gauche selon laquelle nous vivrions dans un enfer « néo-libéral » !

Il parle peut-être plus des 1% ou 0.1%, ceux qui sont très nettement moins touchés par l’impôt sur le revenu. Je ne sais pas s’ils jouent au jeu de la solidarité.

Moins d’un français sur 2 paie l’impôt sur le revenu… Et Les 10 % des foyers fiscaux les plus aisés contribue à hauteur de 76 % du total de l’impôt sur le revenu. Bref si les riches ne payaient réellement pas l’impot sur le revenu, l’état perdrait un quart de son budget !

Je n’ai pas dit que les 10% ne payaient pas l’impôt sur le revenu (c’est souvent eux qui ont la plus grosse participation en % du revenu). Mais que les 0,1% en payaient très très peu.

Les très très riches ont peu de revenus du travail, et beaucoup issus du capital, dont la taxation est différente.

Le sujet n’est pas tellement financier (oui, il y a de la redistribution) mais culturel et symbolique. Essayer par exemple de comprendre l’univers mental de l’autre et en tenir compte dans ses choix.

Vous devriez ressortir votre billet « qui va encore avoir envie de faire de la politique ? », je suis sûr qu’il n’a pas pris une ride.

Macron ne parle qu’aux classes aisées et aux vieux. Son vocabulaire est trop complexe ou désuet, ses phrases sont trop longues, ses expressions sont trop techniques. Il a toujours raison, et il a raison parce qu’il est supérieur, là où des évidences simplement énoncées sont bien plus percutantes. Il parle aux journalistes, il manque d’empathie. Bref, il n’a pas su se mettre à la hauteur des Français, il est resté au-dessus, une image de Jupiter qui ne lui va finalement pas si mal, qui vit dans l’Olympe sans qu’on sache trop quel sens tout ça a. Il y avait pourtant tellement mieux à faire, sur le sens du travail, la défense de notre modèle social, la réindustrialisation, l’autonomie stratégique… Quel échec !

« quelques centaines de milliers de personnes d’origine étrangères, pour la plupart dépourvues de capital économique ou culturel.  »

Et voilà, vous tombez dans les travers que vous dénoncez.

Ce sont quelques centaines de milliers de personnes PAR AN, en forte croissance par rapport aux années 2000 – 2010, qui s’ajoutent à ceux qui étaient déjà présents, et à leurs descendants pas forcément assimilés. On parle de plus de 8.7 millions de personnes parmi les immigrés extra-européens et leurs descendants directs. Et l’absence de capital économique et culturel fait évidemment partie du problème (personne ne se plaint de l’immigration de médecins et ingénieurs…).

Mais bien sûr, quand on habite « intra muros », on voit les choses autrement…

Et si au lieu de leur jeter à la figure leurs origines vous reconnaissiez tout ce qu’ils apportent à la France, qui aurait bien du mal à tourner au quotidien sans eux ? Un peu de reconnaissance irait bien plus loin que cette vision apeurée de notre société.

La vision apeuré de notre societe est peut etre aussi liee a la lecture de la page faits divers des journaux. Si certaines populations y sont plus representes ce n’est sans doute pas a cause de leurs origines… mais attendre du dicernement de citoyens qui ne sont pas capable de comprendre un president qui s’exprime en francais et fait des phrases trop longues est peut etre trop demander….

Je ne jette rien à la figure de personne. J’ai simplement répondu, de manière factuelle, à Autheuil qui minimise l’importance des phénomènes migratoires, faisant preuve de la même déconnexion qu’il reproche aux »populations urbaines, riches et diplômées » (dont il fait partie, tout comme moi).
Si j’ai précisé « immigrés extra-européens », c’est parce que c’est de ça qu’on parle toujours, pas des portugais! J’aurais pu ne pas faire cette distinction et donner des chiffres encore plus élevés, mais ça aurait été déloyal

Et la déconnexion de ceux qui n’ont jamais eu le moindre problème avec un « étranger », qui n’en croisent jamais mais qui répondent qu’ils votent parce qu’ils ont entendu à la télé que les « étrangers » étaient la cause de problème ?

Sur les 320 000 délivrances de titres de séjour en 2022, quasiment la moitié sont des étudiants et des salariés ou saisonniers, qui pour la plupart ne restent pas éternellement en France, ne pas hésiter à doser 😉

En moyenne, selon l’Insee, quatre immigrés entrent sur le territoire national lorsqu’un en sort …

Les gens ne sont jamais contents, et ce quel que soit l’imaginaire. Il faut sortir des utopies de l’imaginaire qui ne conduisent qu’à embobiner le populo, et dire que la situation est parfaitement normale. Le problème sera ainsi réglé avec autant d’habileté que de simplicité.

Que dire? Si ce n’est que votre texte illustre parfaitement ce que vous souhaitez dénoncer. Il est basé sur une opposition « riches urbains » Vs « pauvres ruraux ». Alors que les ruraux, comme les urbains, sont multiples. Il y a ceux qui y travaillent, certains gagnant bien leur vie grâce à la PAC. D’autre la gagnant mal à cause de la PAC. Il y a ceux qui ont choisi d’y installer leur résidence, pour la qualité de vie, tout en travaillant « à la ville ». Ceux aussi qui « travaillent à la ville », mais n’ont pas choisi de vivre à la campagne. Et qui ne s’y sont installé que parce que c’était le seul endroit où le prix de l’immobilier étaient accessible. Etc. et il en est de même des « urbains ».

C’est cette diversité de situations qui est invisibilisée quand on dit « les urbains », « les ruraux », « les chômeurs », « les agriculteurs », … Et c’est l’incapacité légiférer « dans le respect des différences » qui donne l’impression d’une élite déconnectée du peuple. Or, si nous voulons que le « Peuple français » fasse à nouveau société, c’est à dire retrouve une forme de vivre-ensemble, c’est cette diversité qu’il faut être capable de gérer, de préserver, mais sans tomber dans le communautarisme. Et cela ne se fera pas en faisant « des gagnants et des perdants ». Mais cela se fera dans une forme où nous serons tous perdants, et tous gagnants. C’est à dire que nous devrons tous accepter de perdre sur certains points, et de gagner sur d’autres. Seulement, dans nos esprits, seules les pertes seront toujours visibles. Quel Politique sera assez fou pour mécontenter tout le monde?

Bsr. Qqs remarques.
Je suis surpris de voir que lorsqu’on parle de solidarité ici, on ne pense qu’à l’IR.
Je trouve que les idées de M. Abel méritent considération, mais sur un point je trouve la formulation un brin de droite et agressive : quand il est question de « haine du riche ». Je ne l’ai jamais perçue, pour ma part, en revanche je suis certain qu’il y a du ressentiment de la part de beaucoup de pas riches parce qu’ils ont l’impression que les mêmes règles ne s’appliquent pas à tout le monde.
Pierre : la redistribution ne profite pas qu’aux pauvres.
Ai-je tort de considérer qu’un smicard célibataire sans charges paie environ €2000 par an en IR + TVA ?

je ne sais pas mais sur le papier un smicard célibataire c’est 218 euro de prime d’activité donc un solde IR + Charge – PPA de 0 à quelques brouzouf prêt….
Après je crois que l’on prend peu en compte la situation économique du pays. Perso j’ai eu droit entre 2023 et 2024 qu’à une augmentation de salaire de 2%. on retranche les 6% d’inflation de l’année dernière et les 2% annoncées de cette année.Plus que les impôts c’est le cout de la vie qui impacte le quotidien pour certains revenus.
Il y a le sentiment d’insécurité aussi. Qu’il soit reel ou imaginaire au final importe peu. L’évasion récente est exceptionnelle et ne se reproduira peut être a jamais, mais elle elle est perçu par les gens comme étant une norme. les émeutes récentes ont montré aussi l’impuissance de l’état à assurer l’ordre. Tu ne risques pas grand choses dans ce pays à descendre dans la rue pour un oui ou un non, casser une vitrine et partir avec une télé….
Il n’y a sans doute pas une seule explication à la situation actuelle….

Apparemment les « zélites » vous ont entendu, G. Attal annonce une série de mesure en faveur du pouvoir d’achat. Chouette se dit-on, car malgré tout, nous restons optimistes et confiants, et l’on regarde un peu plus en détail.
Et une fois de plus l’on n’est pas déçu, c’est du grand, du beau et surtout du concret qui va ravir les citoyens dans les 94 % des départements qui ont mis le FN en tête dans les urnes récemment.
C’est à cela que l’on comprend à quel point l’exécutif a saisi le sens et l’importance du vote de dimanche dernier ainsi que les enjeux de la dissolution.
Et c’est ainsi que E. Macron est grand.

Pour réinsuffler de l’imaginaire et du désir en politique, on repassera.
Je repense plutôt à E. Herriot qui disait que « la politique c’est comme l’andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop »
Pardon pour ce début de matinée dominicale.

« […]quelques centaines de milliers de personnes d’origine étrangères, pour la plupart dépourvues de capital économique ou culturel. »

Au contraire, elles ont un capital culturel, que l’on peut apprécier de manière diverse. Les milliers de Portugais venus en France n’ont jamais produit une criminalité spécifique par exemple. Mais la société dans laquelle les migrants d’il y a des décennies s’intégraient était beaucoup moins tolérante et moins socialement protextrices, et par conséquent plus intégratrice pour ceux qui faisaient le choix de rester.

« Il dénonce notamment la tradition très française de l’unanimité, où il faut que tous le pays soit conforme à une ligne, sous peine d’être exclu »
C’est comme cela que nous sommes sortis des Guerres de Religion du XVIe siècle. Quand tous font allégeance au roi.

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