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Une culture politique à renouveler

Le résultat des prochaines élections législatives risque d’être une absence de majorité à l’Assemblée, avec un RN en tête, mais loin de la majorité absolue et sans allié, une gauche qui va avoir besoin des débris de la Macronie (voire de LR), mais qui devra pour cela laisser LFI à la porte. Bref, ça va être ingouvernable, selon les normes et la culture politique en vigueur en France, où le président de la République, appuyé sur une majorité absolue aux ordres, dirige tout dans le pays.

On entre dans une période de crise, au sens premier du terme, à savoir une situation où les anciens cadres ne tiennent plus, et où il faut en inventer de nouveaux, sous peine de se crasher. C’est à la fois à très haut risque, mais également une opportunité formidable de faire évoluer la manière dont le pays est dirigé. Cela ne sera pas simple, et se fera sans doute dans la douleur, car il faudra une crise de grande ampleur, pour qu’on accepte de changer, plutôt que d’essayer de réparer le système tel qu’il existe.

Le scénario le plus probable, dans un premier temps, est un blocage politique du pays. On va se retrouver avec une reconstitution de la « troisième force » qui existait sous la IVe République, avec un bloc radical de chaque coté, qui impose de trouver une majorité dans le bloc central. On aura donc LFI d’un coté, et le RN de l’autre coté, qui ne pourront pas faire partie d’un majorité gouvernementale. Le RN parce que sans allié, LFI parce que repoussoir pour les Macronistes et LR canal-historique, sans lesquels aucune majorité ne sera possible. Si l’addition Ecolo-PS-divers gauche-Macronistes-LR ne dépasse pas les 289 députés (la majorité absolue), ça va faire mal. N’importe quel gouvernement sera à la merci d’une motion de censure, avec obligation, pour le président, de trouver un autre Premier ministre, sans pouvoir dissoudre avant juillet 2025.

Si par chance, le bloc central dépasse les 289 députés, il y a un espoir d’avoir un peu de stabilité. Mais cela ne sera pas pour gouverner dans la durée, les écarts sont trop grands sur de nombreux sujets. Ce sera pour tenir un an, le temps de faire les réformes nécessaires, de reconstruire les partis (certains vont sortir en lambeaux de cette dissolution) et d’écrire des programmes réalistes, avec des vraies idées et une vision qui fassent envie (et pas des catalogues de mesures technocratiques). Il est clair qu’en 2025, il devra y avoir de nouvelles élections législatives, qui devront se tenir selon un autre timing, voire d’autres modalités qu’en 2024.

La solution institutionnelle serait l’instauration de la proportionnelle intégrale, sur liste nationale, pour les élections législatives. J’y vois plusieurs avantages. Cela amène chaque parti à se préoccuper d’abord de son programme, et à renvoyer les alliances à l’après-élection. Cela sera un immense soulagement, pour les électeurs, de pouvoir enfin voter pour leur parti, au lieu de devoir systématiquement « voter utile » dans le cadre d’une union dès le premier tour. Je pense qu’un certain nombre d’électeurs de Glucksmann sont loin d’être enchantés de devoir mettre un bulletin LFI dans l’urne le 30 juin. Ce système écarte également le risque d’un raz-de-marée, qui donne une majorité absolue à un seul parti. Cela dédramatise l’enjeu, et permet de se concentrer sur l’essentiel, à savoir les candidats et le programme.

En revanche, cela suppose un gros travail de la part des partis politiques, car c’est sur eux que repose le système. C’est à eux qu’il revient d’élaborer le programme, de sélectionner les candidats, et de négocier les accords de gouvernement. Les partis politiques français sont parfois loin d’être au niveau dans tous les compartiments. Sur la sélection des candidats, ils savent encore faire, à peu près, mais constituer une liste nationale demande de respecter des équilibres, sociaux, politiques, territoriaux, qui sont la condition pour que la liste trouve grâce aux yeux des électeurs. Présenter une liste composée principalement d’apparatchiks parisiens ne fera pas recette. Il faut aussi être en capacité de proposer un programme crédible, et là, ils sont à peu près tous à la ramasse. Il n’y a que dans les négociations de coalition qu’ils ont encore un vrai savoir-faire (surtout à gauche). Il y a donc du boulot, mais ce n’est pas impossible d’y arriver.

Le deuxième point de vigilance est sur la loi électorale. Il faut que ce mécanisme de proportionnelle trouve un équilibre, pour éviter un trop fort éparpillement (comme en Israël) sans verrouiller le jeu politique. Il faut qu’un parti qui n’existe pas, puisse surgir et participer à la compétition électorale, à condition qu’il représente quelque chose. Je fais confiance aux juristes et politologues pour proposer des mécanismes permettant d’atteindre l’objectif. On peut fixer des seuils pour pouvoir présenter une liste, d’autres seuils pour avoir des élus, d’autres pour surpondérer certains critères ou territoires. Ce ne sera sans doute pas le plus compliqué.

Le troisième sujet est d’acclimater cette nouvelle manière de faire dans la culture politique française. C’est sans doute l’obstacle le plus délicat. La proportionnelle implique un pouvoir collectif, distribué, faisant la part belle aux compromis. C’est tout l’inverse de l’imaginaire politique français, pour qui compromis rime avec compromission, et où une réforme ne peut se faire qu’après avoir renversé la table. La France est habituée à un pouvoir centralisé et concentré sur une personne, à qui on coupe la tête quand il déplait, dans le bruit, la fureur et les postures radicales. Cela ne va pas être simple d’en sortir.

23 réponses sur « Une culture politique à renouveler »

Le problème, c’est que l’extrême-droite, qui défendait le scrutin proportionnel, ne veut plus en entendre parler maintenant que le scrutin majoritaire leur est favorable.
On a déjà eu ce mode de scrutin autrefois, pour les régionales, qui obligeaient les partis à des alliances (et c’était à mon avis très bien). Les grand partis se sont empressés de s’en débarrasser, pour mettre une prime majoritaire.

Si la gauche arrive dans les 250 sièges, elle estimera (probablement à raison) qu’une majorité est possible la prochaine fois, et refusera de saborder une future victoire.
Le seul cas où la gauche soutiendrait cela, c’est si elle est faible (moins de 200 députés) et craint vraiment que le RN l’emporte la fois suivante. Mais est-ce qu’il aurait une majorité pour voter cela avec elle dans ce cas, je ne n’en suis vraiment pas sûr.

Aujourd’hui, ce changement du mode scrutin apparaîtrait de toute façon pour ce qu’il est : une manoeuvre à La Mitterrand comme avant 1986, sauf que ce ne serait pas ici la droite qui serait visée, mais le RN.
En matière de rénovation de la vie politique, on a vu mieux.

Et le pire de tout serait de mettre la proportionnelle intégrale, mais avec une prime pour la liste arrivée en tête.
On se rendra compte aux prochaines régionales de la catastrophe que ça va donner.

Je viens de vérifier, et l’instauration de la proportionnelle est dans le programme du Nouveau Front Populaire.
Mais j’ai énormément de mal à imaginer qu’ils le fassent en cas de majorité en juillet, car dans ce cas Macron pourrait mettre directement fin à une majorité de gauche en dissolvant dans un an.
Probablement le genre de promesse qui passera toujours après les autres, jusqu’à être oubliée.

Si un bloc central se motive à proposer la proportionnelle avec des freins acceptables (genre pas de bonus délirant au vainqueur ou un seuil trop élévé), il est même possible de compter sur l’appui de LFI pour trouver une majorité assez solide sur ce sujet.

« le pire de tout serait de mettre la proportionnelle intégrale, mais avec une prime pour la liste arrivée en tête »

Pourquoi ce serait le pire? Pouvez-vous développer?

Parce que ça peut donner une majorité absolue à un parti dont une majorité d’électeurs ne veut à aucun prix.

Question : on a toujours vanté l’ancrage locale, le fait qu’un élu représente un territoire, pour refuser la proportionnelle ( puisqu’alors on ne serait plus élu d’une circonscription.).

En tant que citoyen, je n’ai jamais interragi avec mon député ( je ne connais meme pas son nom) mais cet ancrage local a-t-il une réalité ? Et une réalité positive ? Est-ce seulement un moyen d’acheter des votes, ou cela permet -il au contraire une véritable consultation démocratique locale ?

Depuis la fin du cumul des mandats, l’ancrage territorial s’est encore réduit, car un député n’a plus de rôle opérationnel sur le territoire de sa circonscription. Le seule chose qu’on vient encore demander aux députés, c’est de jouer les super-assistantes sociales. Passer à la proportionnelle permettra de mettre fin à ce faux-semblant.

La proportionnelle n’interdit pas tout ancrage local, s’il y a toujours des (grandes) circonscriptions. Simplement, c’est un ancrage au niveau régional, pas communal.

Sous la IIIème république, c’était une proportionnelle au niveau départemental, l’idée pourrait être bonne à étudier. :{

Le niveau départemental est mauvais, car liste trop petites. Il faut au moins le niveau régional, le national étant le meilleur à mon avis, avec une réduction du nombre de députés. 577, c’est trop, l’Assemblée fonctionne sans problème avec 250 députés.

Effectivement, du au fort taux d’absentéisme, notre assemblée actuelle peut fonctionner avec 250 députés. Mais n’oublions pas que l’AN descend directement des députés signataires du serment du Jeu de Paume, et de ce fait, pour maintenir son lien historique, elle se doit de conserver dans les 500 députés.
Honnêtement, je suis contre une proportionnelle au niveau nationale, car on se retrouverait avec une assemblée composée uniquement de parisiens. Il faut absolument y conserver la représentation territoriale.

Sinon on peut choisir des candidats avec une plus grande diversité dans les parcours et le vécu. Au lieu d’élire toujours les mêmes privilégiés qui n’ont rien vécu, n’ont jamais travaillé dans les conditions du commun des mortels, jamais galéré, etc.
ça serait bien que d’autres partis que LFI s’y mettent car au final, la déconnexion est de naissance pour la plupart

L’ancrage territorial permettait d’avoir des députés qui détenaient leur poste de leurs électeurs et donc étaient un peu plus à leur écoute.
Mais on a placé les législatives juste après les présidentielles (si en 2002, on avait respecté le calendrier de base, aujourd’hui, ce seraient les législatives qui seraient avant les présidentielles), on a supprimé le cumul des mandats, et on a créé des partis sans attache territoriale (LREM et LFI sont juste des partis formés à Paris).
Du coup, on se retrouve avec des députés sans personnalité qui se comportent uniquement comme des machines à voter. Dans ce contexte, un scrutin proportionnel est effectivement envisageable, mais on restera toujours avec une assemblée de parigots.

Mais moi, je veux encore croire que l’ancrage territorial est encore possible, mais pour ça, il faudrait déjà autoriser le cumul d’un mandat local (maire, conseiller départemental) avec un mandat national (député ou sénateur) et interdire le parachutage (seul un candidat ayant déjà 5 ans de résidence dans la circonscription pourrait se présenter). Il serait bon également de faire en sorte qu’un député qui démissionne ne soit pas remplacé par son suppléant, mais provoque une nouvelle élection, ça pourrait remettre les pendules à l’heure par moment.

« (si en 2002, on avait respecté le calendrier de base, aujourd’hui, ce seraient les législatives qui seraient avant les présidentielles) »

Et le président élu juste derrière dissout l’Assemblée derechef, comme en 1988. Retour case départ.

Certes, donc cela se passera quand même dans les mois qui suivent.

Votre proposition est extrême. Concrètement, quelqu’un qui habiterait au « mauvais endroit » par rapport à ses convictions n’aurait aucune chance d’entrer dans la vie politique.
Les députés représentant la Nation dans son ensemble. L’enracinement territorial est très bien, mais le « parachutage » n’est pas forcément scandaleux.

Vous rendriez presque la proportionnelle sexy, alors que mes cours de droit constit me l’avaient vendu comme un mauvais système.

Pas sûr que la proportionnelle soit une bonne idée. Aucun parti n’aura la majorité, et donc les alliances qui ont lieu maintenant publiquement avant les élections, auront lieu après dans le secret et dans le dos des électeurs. Karl Popper l’a bien expliqué : la démocratie c’est surtout de pouvoir dire non et de renvoyer un parti qui a failli. Avec la proportionnelle ça devient très difficile. Voir le chapitre 9 « La théorie de la démocratie » de son livre « Toute vie est résolution de problèmes » (tome 2). Analyse magistrale qui montre les dangers d’un tel scrutin. Le système britannique me semble meilleur, permettant de vraies alternances, et donc normalement l’élaboration de vrais programmes de gouvernement qui peuvent être discutés et s’affronter.

Vrai. Cependant, la proportionnelle avec prime de majorité (que Balthazar considère le pire des système, sans argumenter) permet de favorises les alliance avant les élections.

C’est une option, mais il faut que ça fasse consensus, sur le mode de scrutin retenu, et sur la « sécurisation » constitutionnelle. Pas évident.

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