Une rumeur d’utilisation de l’article 16 de la Constitution commence à poindre. En cas de victoire du RN aux élections législatives, il est à peu près évident qu’il y aura des émeutes. A 15 jours de l’ouverture des Jeux Olympiques, ça ferait vraiment tache.
Pour faire face, le gouvernement a plusieurs outils juridiques. Le plus évident est la proclamation de l’état d’urgence, qui donne des pouvoirs particulièrement fort aux forces de l’ordre, et permettent de suspendre des libertés fondamentales.
Mais il y a un petit souci technique. S’il peut être déclenché par décret, il ne peut être maintenu plus de 12 jours sans une loi. Pour un déclenchement le 7 ou le 8 juillet, cela nous amène au 19 ou au 20 juillet. Or, l’Assemblée nationale, dont on ne connait pas la composition, reconstitue ses instances entre le 18 et le 20 juillet. Le premier texte qu’elle examinerait serait une prolongation de l’état d’urgence, et il n’est pas du tout certain que le texte soit voté. A minima, il donnera lieu à un débat parlementaire qui pourrait être très houleux et politiquement désastreux pour Emmanuel Macron. Si jamais le RN a une majorité absolue, mais que Jordan Bardella n’a pas été nommé Premier ministre, ce serait l’occasion de déposer (et voter) une motion de censure pour renverser un gouvernement Attal maintenu en fonction du fait des évènements. On ajouterait une crise politique à la crise sociale.
L’article 16 de la Constitution permet au président de la République de s’octroyer les pleins pouvoirs en cas de crise grave. Cet article a été utilisé une fois, en 1961, au moment de la tentative de putsch des généraux à Alger. De graves émeutes, dans plusieurs villes de France, pourraient constituer un motif de déclenchement. Cela aurait l’avantage pour Emmanuel Macron, de s’éviter un débat parlementaire difficile, et de garder complètement la main, sans être obligé de nommer un nouveau gouvernement qui ne soit pas de son bord. Depuis sa décision surprise de dissoudre l’Assemblée, la réponse à la question « Il ne va quand même pas oser ? » n’a rien d’évident.
Techniquement et juridiquement, cette option tient globalement la route, et les contrôles institutionnels étant quasi inexistants, pas grand monde ne pourra s’y opposer sur le moment. En revanche, politiquement, cela ressemblerait à une fuite en avant supplémentaire, après une dissolution de l’Assemblée, où le président peut être vu comme un joueur de poker, au bord de l’élimination, qui fait « tapis ». Après avoir lui-même déclenché la crise politique, voilà qu’il remet un bidon d’essence sur le brasier. Il achèverait ainsi de se discréditer, et de ruiner sa crédibilité, amenant certains de ses opposants à engager sa responsabilité politique.
On se heurterait alors à une impasse constitutionnelle, car formellement, le président de la République est politiquement irresponsable, et un seul mécanisme existe pour le renverser. L’article 68 de la Constitution, rend possible la destitution, pour « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». La procédure est politique, puisque c’est le Parlement, constitué en Haute Cour, qui tranche. On serait dans une procédure totalement inédite, aucun chef d’Etat n’ayant été destitué en France par le biais des procédures prévues à cet effet.
On pense être au fond du trou, et on se rend compte qu’on peut encore aller plus loin. Proprement effrayant.
25 réponses sur « Macron peut-il s’enfoncer encore plus ? »
Le pire est qu’il est « à peu près évident » qui si les Français ne votent pas « comme il faut », l’extrême gauche déclenchera des émeutes dans la rue!
Si on ajoute à ça le fait que le Conseil Constitutionnel s’assoit régulièrement sur la volonté du parlement grâce à des interprétations « créatives » de la constitution, on peut se demander si nous vivons encore dans une démocratie, ou plutôt dans une « démocrature ».
Pas d’accord avec vous : cela fait longtemps que nous sommes dans une oligarchie technocratique se donnant les apparences d’une démocratie où l’on vote pour des personnes n’ayant en réalité pas de prise réelle sur la politique menée par l’Administration, hors sujets sociétaux.
Si vous voulez me contredire, dressez moi la liste des sujets de fond sur lesquels la volonté populaire a tordu le bras de la haute administration : lutte contre le chômage ? NON. constitution européenne ? NON.
D’autres candidats?
Je ne vois pas bien en quoi vous n’êtes pas d’accord avec moi.
je ne vois pas ce que vient faire la haute administration dans la lutte contre le chômage. les causes de ce dernier sont connus (manque de qualification d’une partie de la main d’oeuvre français, rigidité du marché du travail français, smic pénalisant pour certaines activités, surcout du travail pour certaines activités manufacturières, progrés technique (ah notre minitel ! etc…)
C’est lassant, mais lassant que près de 20 ans le mythe de la volonté du peuple n’a pas été respectée lors du référendum sur la constitution européenne perdure. La mauvaise foi des opposants au traité capable de mentir comme des arracheurs de dents a vraiment été l’un des premiers signes de cette politique qui même confronté aux faits continuera d’affirmer le contraire.
En 2005, les Français ont voté non et ont obtenu ce qu’ils voulaient : le traité n’est pas entré en vigueur.
Ensuite une fois que tout était bloqué il fallait bien repartir. Et il n’y avait pas de raison que la France impose sa vision à tous ses partenaires européens. Et d’ailleurs aurait-elle pu le faire, elle n’aurait pas sur quoi faire tant le non était un rejet de Chirac et n’avaient rien à voir avec le traité constitutionnel.
Donc arrive le traité de Lisbonne. Et avant ça les présidentielles.
À cette élection, le taux de participation était très largement supérieur à celui du référendum sur la Constitution. Et que voit-on ? 75% des voix se portent sur les candidats qui prévoient de ratifier Lisbonne via un vote parlementaire. Les autres candidats représentaient toutes les nuances du non au traité. Aucun n’a passé le premier tour.
Donc oui la volonté du peuple a obtennu ce qu’elle voulait en 2005 et 2007.
C’est vous qui êtes de mauvaise foi, en prétendant qu’une élection présidentielle, dont le but est de désigner celui qui va diriger le pays, vaut validation sur un sujet précis, où le non l’a emporté à 55% deux ans plus tôt. Le vote de 2005 était contre l’approfondissement de la construction européenne, pas contre un texte précis, qu’on aurait pu remplacer par un ersatz, pour continuer à faire exactement ce qui était prévu, et qui avait été refusé.
Le président est élu sur sa personnalité mais aussi sur son programme. On a parfois des surprises une fois élu, mais ni Sarkozy, ni Royal, ni Bayrou n’ont caché qu’ils ratifieraient le traité de Lisbonne par voie parlementaire. Et à eux trois ils ont obtenu 75% des voix. Alors je veux bien croire que tous n’ont pas voté juste pour cette promesse, mais ce serait faux de dire qu’ils y étaient opposés. S’ils l’étaient vraiment ils pouvaient l’exprimer en votant pour les autres candidats, qui à l’exception de Voynet, étaient tous contre la construction européenne.
La question posée en 2005 n’était pas « Souhaitez approfondir la construction européenne ? » mais « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une constitution pour l’Europe ? ». La question portait bien sur un texte très précis. Il a été rejeté. Dommage. Il a été remplacé par ce que vous appelez un ersatz, qui a été ratifié par les parlementaires, conformément à ce qui avait été promis par Sarkozy. La légitimité était double.
Continuer de dire que le vote de 2005 a été « volé » c’est entrer dans une logique où une fois qu’une loi est votée elle serait de marbre. Une loi se change, et heureusement.
La question en 2005 était « oui ou non à un approfondissement de l’UE ? ». La réponse a été non à 55%. Les élus successifs n’en ont pas tenu compte, ce qui est une double faute. Ils se sont assis sur une expression populaire explicite, ce qui est une faute grave en démocratie. Les élites britanniques, même si elles étaient majoritairement pour rester dans l’UE, ont respecté le choix populaire de faire le Brexit. La deuxième faute est qu’en continuant l’approfondissement européen, les élites qui ont fait 75% ont aggravé un malaise face à l’UE. Bien évidemment, cette question n’est pas centrale pour la quasi totalité des citoyens, et leur vote à la présidentielle a bien d’autres ressorts. Mais cela n’empêche pas d’avoir du ressentiment, qui murit, croit, et finit par éclater 20 ans plus tard, car cette attitude des élites face à la parole du peuple est une constante. Cela devait bien, un jour, finir par leur retomber sur la gueule. C’est très triste pour le pays, mais les élites politico-administratives ont creusé leur propre tombe.
Parce que si c’est le RN qui passe, il n’y aura pas d’émeutes et autre ratonnades, peut-être ? De même si la gauche passe d’ailleurs, entre ratonnades de joie ou de frustration, même la longueur du bâton ne change pas.
Votre lecture biaisée et binaire est, disons, particulière, pour ne pas dire autre chose.
Il y a hélas un scénario encore pire : qu’après le déclenchement de l’état d’urgence tout le monde réalise à quel point les modifications qu’il a subi depuis 2017 permettent d’instaurer un pouvoir autoritaire…
Et pour vous citer, « Depuis sa décision surprise de dissoudre l’Assemblée, la réponse à la question « Il ne va quand même pas oser ? » n’a rien d’évident. »
Y a-t-il des gardes-fous efficaces dans ce cas de figure? Si oui lesquels?
il y a même une rumeur qui circule qu’il rétablirait l’empire et qu’il se ferait sacrer Empereur dans Notre Dame restauré juste à temps !
J’espère en effet que ce scénario n’est pas possible.
Mais j’aimerais aussi savoir pourquoi !
Après tout, il y a déjà eu un cas d’emprisonnement d’opposant politique rapporté sur ce blog, en contexte d’état d’urgence et sans motif réellement valable du point de vue de la sécurité publique.
Alors je pense que la question ne peut pas être écartée sans examen par un simple sarcasme, et j’aimerais savoir ce qu’Authueil en pense : en cas d’état d’urgence déclenché sur des émeutes pre-JO, qu’est ce qui protégerait réellement les libertés publiques en cas de volonté d’abus du pouvoir?
Ce qui nous protégerait, c’est le regard du monde, le fait que de nombreux médias ont les yeux braqués sur la France, et que les journalistes étrangers ne sont pas aux ordres.
Effectivement, on a vu par exemple que le traitement par les journalistes étrangers de la gestion policière des supporters de football par Darmanin était nettement moins complaisante que celle de leurs confrères français.
C’est certainement moins le cas pour les correspondants déjà en place ici, mais les journalistes étrangers ont encore une image très progressiste de Macron et le contraste avec la réalité du terrain serait très fortement relayé.
Donc aucun mécanisme réellement fiable, seulement des éléments contextuels…
Ce n’est pas rassurant!
Vous visez la reconversions comme journaliste du Monde ? 😉
on est quand même sur du scénario fiction… il y aura des manifestations violentes comme il y en a eu à chaque victoire de Macron. Est ce qu’elles se transformeront en émeute ?
Si il y a victoire du RN je n’y crois pas. La gauche ne sera pas ressorti du scrutin en position de force, et les mouvement d’ultra gauche sont une minorités. Le mouvement sera donc loin d’être populaire. Et j’aurais tendance à penser que cela ne ferait que renforcer le vote RN. Le français aime l’ordre..
Quand à l’état d’urgence on n’y a pas eu droit pour les gilets jaunes, les mouvements sociaux des retraites et les émeutes urbaines de l’année dernière… Pourquoi s’en servirait il demain sauf réel état insurrectionnel ?
L’article 16 ne peut pas aussi être activé quand « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » est interrompu ? Ce serait une lecture constitutionnelle très laxiste de la notion de « bordel politique », mais dans une assemblée sans majorité, sans coalition possible, et qu’on ne peut plus dissoudre à nouveau, avec un gros risque que le budget ne soit pas voté et que le gouvernement soit renversé, que ferait-on ?
C’est peut-être un giga angle mort que les constituants de 1958 ne pouvaient prévoir et pour lequel le CC pourrait laisser couler si c’est le seul moyen de sortir du pétrin.
Mais en effet, si cela n’a pas été activé en Kanaky-NC ou lors des émeutes de 2023 ou la crise des Gilets Jaunes, ça paraît compliqué à imaginer.
En 1961, la seule fois où il a été activé, il y avait effectivement une menace grave, à savoir une tentative de coup d’état militaire. Mais le fonctionnement normal des institutions n’en était pas affecté, et surtout, de Gaulle l’a gardé en vigueur 4 mois, alors qu’en 72 heures, tout était rentré dans l’ordre.
En 2024, ce serait la conjonction de plusieurs éléments qui pourrait justifier le recours à cet article : des émeutes graves, avec une France sans assemblée nationale opérationnelle pour voter la prolongation de l’état d’urgence, et un gouvernement démissionnaire qui ne fait qu’expédier les affaires courantes. Le déclencher relèverait du choix politique risqué, car avec un peu de bonne volonté de tous les partis, la situation pourrait se régler par le biais des outils ordinaires.
Le problème est quels gestes la majorité présidentielle a t elle fait pour montrer qu’elle était prête à prendre en compte les visions de ceux qu’elle appelle à la rescousse et à leur laisser des victoires symboliques ?
Pour moi elle n’a fait que prendre à son compte tel ou tel élément et dire « J’ai repris votre idée, donc soutenez moi… » Aucun souci de construction d’un avenir commun et de reconnaissance de l’autre.
La majorité n’a strictement rien fait, depuis 2 ans, pour gagner ces élections.
@Autheul, message du 20/06/2024 10:55
Je plussoie totalement votre réaction. Et pourtant il y a au moins un français qui croie que la majorité va gagner ou à minima ne pas perdre …
A se demander comment fonctionne son intellect.
Vous allez tout de même bien loin, il y a une semaine vous sembliez presque comprendre la dissolution : « sinon ça aurait été dans quelques mois au PLF 2025 ». Il a aussi réussi à obliger LFI et RN à justifier leur opposition avec de vraies propositions qui illustrent leur vacuité. Mais il n’a plus de propositions nouvelles, à part « je fais au mieux, les autres sont nuls », ça ne suffira pas à lui redonner une majorité, et c’est là le vrai problème, il crée une situation ingouvernable. Mais aurait-on eu quelque chose de différent 6 mois plus tard ?
Difficile se sortir de 7 ans d’habitudes a taper sur LREM et Macron.. c’etait de bon clients pour pleins de gens 🙂
Vous n’êtes pas sans remarquer que beaucoup de choses ont évolué depuis deux semaines, et que ce n’est peut-être pas fini.
C’est bien d’avoir de l’imagination mais il y a des limites. Les journalistes qui ont colporté cette rumeurs sont des hontes pour leur profession.
L’article 16 n’a même pas été envisagé pour le Covid, alors pour un résultat électoral déplaisant…