La gauche française est bien mal en point, déchirée entre une aile radicale (LFI) qui refuse le jeu de l’exercice démocratique du pouvoir, et une aile réformiste (PS et écolo) qui veulent gouverner. Le spectacle pathétique des négociations sur le choix du premier ministre ne fait que creuser le fossé, et surtout, décrédibilise la gauche aux yeux des électeurs. Même au sein de la coalition de gauche, des voix s’élèvent pour demander un cessez-le-feu, cela ne suffira pas. Le mal est profond, et les dégâts sont déjà faits. La gauche risque donc encore de passer quelques années de plus dans l’opposition.
Outre cette fracturation idéologique, qui n’a rien de nouveau, la gauche souffre d’un rabougrissement. Les partis politiques sont devenus de simples appareils regroupant quasi uniquement que des élus ou des personnes vivant de leur proximité avec les élus et éventuellement aspirant à devenir élues à leur tour. C’est particulièrement criant au PS et chez les écologistes, qui peuvent être légitimement qualifiés de « partis d’apparatchiks ».
Il en ressort un isolement par rapport à la société, et donc une incapacité à écouter, et à se brancher sur une société civile de gauche, pourtant solide. Il y a encore des gens dans les ONG, les syndicats, pour avoir des idées, des ressentis, une analyse, qui peuvent être utiles à la construction d’une pensée et d’une action politique. La composition de l’équipe de négociation interne au NFP, pour le choix du nom d’un premier ministre est révélatrice : les chefs à plumes des partis, entourés d’un tout petit nombre de fidèles. Ces appareils politiques sont complètement verrouillés, le pire étant LFI, qui a mis en place une quasi-dictature autour de Jean-Luc Mélenchon, avec des purges régulières, et une culture de l’agressivité dans les échanges, qui enferme encore plus ce parti dans l’isolement. D’où une incapacité, par la suite, à discuter sereinement avec les autres partis, quand bien même ils idéologiquement assez proches. Comment imaginer qu’ils puissent lancer des discussions avec le centre, pour avoir la centaine de députés qui leur manquent pour que leur majorité soit solide ?
Ce resserrement sur les apparatchiks amène aussi une modification des priorités, avec une focalisation sur la distribution des postes, au détriment du travail programmatique, devenu quasiment inexistant. On a vu d’ailleurs, avec quelle facilité les partis de gauche ont réussit à monter le NFP et à se répartir les circonscriptions. Ils étaient tous conscients que partir divisés leur ferait perdre beaucoup de places de députés, perspective totalement inacceptable pour eux. On a donc planqué la poussière sous la tapis, monté de bric et de broc un programme politique qui n’est un patchwork mal ficelé d’éléments puisés dans les vieux stocks. Mais une fois les élections passées, chacun compte les sièges obtenus, et pas question de lâcher sur l’étape suivante, les postes de gouvernement. Les partis de gauche se sont enfermés dans une course aux places, où aucun échange sur les idées, « postes contre éléments de programme » n’est possible. En commençant par le choix du Premier ministre, ils ont pris le processus de création d’une coalition à l’envers. On commence d’abord par définir où on veut aller (le programme) et après, on cherche qui est le plus à même de le porter.
Ces 10 jours post-élections législatives ont finalement révélé une profonde déficience des partis de gauche à la discussion et à la conclusion de compromis. Alors même qu’ils sont partis unis aux législatives, ils ont été incapables de seulement commencer à monter une coalition de gouvernement, juste entre eux. Et plus ces échanges deviennent acrimonieux, moins les conditions d’une coalition gouvernementale de gauche sont possibles. Au final, l’impression qui se dégage, c’est que la gauche (du moins LFI) n’avait pas vraiment envie de gouverner. Difficile, dans ces conditions, de crier que Macron leur a volé leur victoire et a nommé un Premier ministre illégitime, car ne venant pas du NFP.
Le fond du sujet, qui a été bien vu par Dominique Rousseau c’est que le problème ne vient pas des institutions, mais du personnel politique, qui n’est pas à la hauteur. C’est une vérité générale, qui couvre l’ensemble du spectre, mais qui se vérifie particulièrement à gauche en ce moment. Au risque d’écoeurer encore un peu plus les électeurs, avec tous les risques que cela comporte à la prochaine élection (celle où on ne pourra pas dire qu’on n’avait pas vu venir la victoire du RN).