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La gauche restera encore dans l’opposition

La gauche française est bien mal en point, déchirée entre une aile radicale (LFI) qui refuse le jeu de l’exercice démocratique du pouvoir, et une aile réformiste (PS et écolo) qui veulent gouverner. Le spectacle pathétique des négociations sur le choix du premier ministre ne fait que creuser le fossé, et surtout, décrédibilise la gauche aux yeux des électeurs. Même au sein de la coalition de gauche, des voix s’élèvent pour demander un cessez-le-feu, cela ne suffira pas. Le mal est profond, et les dégâts sont déjà faits. La gauche risque donc encore de passer quelques années de plus dans l’opposition.

Outre cette fracturation idéologique, qui n’a rien de nouveau, la gauche souffre d’un rabougrissement. Les partis politiques sont devenus de simples appareils regroupant quasi uniquement que des élus ou des personnes vivant de leur proximité avec les élus et éventuellement aspirant à devenir élues à leur tour. C’est particulièrement criant au PS et chez les écologistes, qui peuvent être légitimement qualifiés de « partis d’apparatchiks ».

Il en ressort un isolement par rapport à la société, et donc une incapacité à écouter, et à se brancher sur une société civile de gauche, pourtant solide. Il y a encore des gens dans les ONG, les syndicats, pour avoir des idées, des ressentis, une analyse, qui peuvent être utiles à la construction d’une pensée et d’une action politique. La composition de l’équipe de négociation interne au NFP, pour le choix du nom d’un premier ministre est révélatrice : les chefs à plumes des partis, entourés d’un tout petit nombre de fidèles. Ces appareils politiques sont complètement verrouillés, le pire étant LFI, qui a mis en place une quasi-dictature autour de Jean-Luc Mélenchon, avec des purges régulières, et une culture de l’agressivité dans les échanges, qui enferme encore plus ce parti dans l’isolement. D’où une incapacité, par la suite, à discuter sereinement avec les autres partis, quand bien même ils idéologiquement assez proches. Comment imaginer qu’ils puissent lancer des discussions avec le centre, pour avoir la centaine de députés qui leur manquent pour que leur majorité soit solide ?

Ce resserrement sur les apparatchiks amène aussi une modification des priorités, avec une focalisation sur la distribution des postes, au détriment du travail programmatique, devenu quasiment inexistant. On a vu d’ailleurs, avec quelle facilité les partis de gauche ont réussit à monter le NFP et à se répartir les circonscriptions. Ils étaient tous conscients que partir divisés leur ferait perdre beaucoup de places de députés, perspective totalement inacceptable pour eux. On a donc planqué la poussière sous la tapis, monté de bric et de broc un programme politique qui n’est un patchwork mal ficelé d’éléments puisés dans les vieux stocks. Mais une fois les élections passées, chacun compte les sièges obtenus, et pas question de lâcher sur l’étape suivante, les postes de gouvernement. Les partis de gauche se sont enfermés dans une course aux places, où aucun échange sur les idées, « postes contre éléments de programme » n’est possible. En commençant par le choix du Premier ministre, ils ont pris le processus de création d’une coalition à l’envers. On commence d’abord par définir où on veut aller (le programme) et après, on cherche qui est le plus à même de le porter.

Ces 10 jours post-élections législatives ont finalement révélé une profonde déficience des partis de gauche à la discussion et à la conclusion de compromis. Alors même qu’ils sont partis unis aux législatives, ils ont été incapables de seulement commencer à monter une coalition de gouvernement, juste entre eux. Et plus ces échanges deviennent acrimonieux, moins les conditions d’une coalition gouvernementale de gauche sont possibles. Au final, l’impression qui se dégage, c’est que la gauche (du moins LFI) n’avait pas vraiment envie de gouverner. Difficile, dans ces conditions, de crier que Macron leur a volé leur victoire et a nommé un Premier ministre illégitime, car ne venant pas du NFP.

Le fond du sujet, qui a été bien vu par Dominique Rousseau c’est que le problème ne vient pas des institutions, mais du personnel politique, qui n’est pas à la hauteur. C’est une vérité générale, qui couvre l’ensemble du spectre, mais qui se vérifie particulièrement à gauche en ce moment. Au risque d’écoeurer encore un peu plus les électeurs, avec tous les risques que cela comporte à la prochaine élection (celle où on ne pourra pas dire qu’on n’avait pas vu venir la victoire du RN).

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La suite de l’atterrissage

La première semaine post-législatives a été marquée par une forme de déni, le Nouveau Front populaire, fort de ses 182 députés sur 577 s’est proclamé grand gagnant, et donc habilité à former le gouvernement. Ils reproduisent ainsi le comportement qu’ils ont reproché à la Macronie, qui a continué à se comporter en 2022 comme s’ils avaient toujours une majorité absolue, alors qu’il leur manquait 40 sièges pour atteindre la barre.

Il faut quand même se rendre compte du ridicule de la situation, dimanche. On a eu une semaine d’échanges intenses, pour arriver au renoncement d’Huguette Bello à un poste de Premier ministre où elle n’a jamais été envisagée par celui qui a le pouvoir de nomination, à savoir Emmanuel Macron. Et pendant ce temps, strictement n’a rien bougé sur le reste (équilibres au sein du gouvernement, et surtout, programme de coalition). On s’est juste rendu compte que ceux qui prétendent gouverner ensemble avec une majorité très relative ne sont finalement pas d’accord sur grand chose.

La semaine qui vient va encore nous livrer un spectacle grandiose, avec la reconstitution des instances de l’Assemblée nationale. Il semble désormais évident qu’il n’y aura pas de consensus sur la répartition des postes, et qu’il faudra aller au vote. Vu la configuration de l’hémicycle, et les combinaisons (volontaires ou pas) qui sont possibles, on peut avoir de belles surprises, tant sur le choix des personnes que sur l’équilibre politique.

Dimanche prochain, on saura si les députés (et leurs chefs à plumes) on un peu progressé en maturité parlementaire. Il va bien falloir qu’ils travaillent ensemble pendant un an, on les a élus pour ça. Il va être urgent qu’ils sortent du déni et des vieux automatismes issus de la période où il y avait des majorités absolues aux ordres d’un président de la République. Ils auront au moins l’été pour cela, car j’ai le sentiment que le gouvernement Attal pourrait se retrouver à gérer les affaires courantes au moins jusqu’en septembre.

La période qui s’ouvre peut pourtant être passionnante, si on a des élus enfin adultes et responsables. Les institutions sont solides, et n’ont pas nécessairement besoin d’être réformées en profondeur à court terme. En revanche, il faut réinventer la manière de les faire fonctionner, avec un espace de liberté et de créativité énorme et une loi suffit parfois (pour passer à la proportionnelle par exemple). Le problème n’est pas la constitution de la Ve République, mais l’univers mental et les manières de travailler de la classe politique.

Commençons donc par explorer des pistes sur de nouvelles manières de travailler ensemble, ça sera peut-être l’occasion d’un grand bol d’air démocratique.

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Une semaine de vaudeville politique

Le cirque politique bat son plein en ce moment, avec une période de décantation, qui suit la sidération de dimanche soir. Par miracle, le RN s’est pris un bouillon électoral, mais les trois blocs se neutralisent, donc il va falloir soit s’entendre, soit rejouer le match dans un an. Pour l’instant, aucune option n’est encore tranchée.

Cette première semaine a été celle où la gauche tente de faire croire qu’elle a gagné. Elle a assuré l’essentiel du spectacle, avec les discussions entre LFI et le PS, pour le choix du futur Premier ministre. Au cinquième jour, ils en sont à peine à sortir de l’alternative Olivier Faure – Jean-Luc Mélenchon (ou un de ses pantins), pour proposer un nom improbable, celui d’Huguette Bello. Cette personne, certes tout à fait respectable, est avant tout un symbole politique, car j’ai quelque doute sur sa capacité technique à exercer les fonctions de Premier ministre (73 ans, jamais ministre), et surtout, d’aller chercher des voix un peu à la droite du PS.

Il ne faut pas se leurrer, le NFP, à lui seul, n’a que 200 voix, grand maximum, et n’est pas d’accord sur tout. Si le nouveau gouvernement veut tenir et gouverner, il doit s’appuyer sur deux des trois blocs, avec éventuellement l’abstention d’une partie d’un des deux blocs. Un gouvernement minoritaire NFP ne durerait sans doute pas bien longtemps, si d’aventure, Macron leur donnait les rênes (ce dont je doute).

La fin de la pièce va arriver vite, car au-delà du 18 juillet, Gabriel Attal ne pourra pas être à la fois président de groupe parlementaire et Premier ministre, même assurant la gestion des affaires courantes. Emmanuel Macron devra désigner (sans doute dans la semaine) un chef de gouvernement qui a vocation à rester au moins un an, jusqu’à ce qu’une dissolution soit possible. Vu l’état d’avancement des discussions, et l’absence de noms crédibles pour Matignon, on risque de se retrouver dans une impasse politique.

Mais tout peut aussi se dénouer en quelques jours, avec sans doute beaucoup de rebondissements dans les quelques jours qui viennent. Le moment de vérité aura lieu jeudi, avec l’élection du président de l’Assemblée, et la composition exacte des groupes parlementaires. On saura, qui du PS et de LFI est devant, on saura aussi si une alliance Macronie-LR a pu se nouer, et dépasser le NFP en nombre de sièges. A partir de là, on entrera dans le dur, avec le vrai rapport de force. Tout ce qui aura eu lieu avant n’est que du blabla pour occuper les médias, qui n’auront sans doute pas su grand chose des vrais négociations et tractations.

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Expérimenter un « gouverner autrement »

Le résultat des élections législatives de 2024 est un match nul. Tous les protagonistes se sont neutralisés et personne n’a gagné. Il est évident, dès les premières déclarations, que les leaders politiques vont vouloir rapidement rejouer le match, soit sous la forme de législatives anticipées (possibles dès l’automne 2025), soit à la présidentielle. Ils vont se focaliser sur la préparation du combat à venir, bien plus que sur l’exercice concret du pouvoir.

Dans une telle configuration, le scénario de l’année blanche est le plus probable. Aucun parti n’a intérêt à gouverner, et donc à devoir assumer des décisions pas nécessairement populaire alors même que l’horizon politique est court. Être au pouvoir, c’est bien, quand c’est pour cinq ans avec une majorité claire et stable. Pas pour 18 mois avec un gouvernement minoritaire.

Mais comme il va bien falloir gouverner, on pourrait se retrouver avec un gouvernement de technocrates et de quasi retraités de la politique, dont le barycentre sera une Macronie bon teint, peu clivante, avec des personnalités ayant des attaches au PS et à LR. Cela permettra aux partis de l’axe républicain de « s’y retrouver » sans en être vraiment.

Une manière de prolonger la neutralisation du champ politique, sans bloquer complètement le pays. Les enjeux sont importants pour cet axe républicain, qui aspire à retrouver le pouvoir de manière plus stable. S’ils ne veulent pas retrouver une montagne de poussière sous le tapis et un chaos qui ne peut que bénéficier au RN, il faut bien que quelqu’un fasse le ménage et garde la maison pendant la période de quasi-vacance du pouvoir. Cela implique de gérer les affaires courantes, les urgences, et quelques réformes consensuelles (qui n’iront donc pas bien loin).

Le principal enjeu pour ce gouvernement, sera de donner un débouché à la production de la machine administrative, de faire voter un budget, même si c’est le quasi décalque du budget précédent, et d’envoyer des gens représenter la France à Bruxelles et à l’international. A chaque fois, on sera en service minimum, avec une absence de mandat politique dès que les questions soulevées sont un peu clivantes, où il faudra un consensus entre deux des trois blocs, et une opposition pas trop virulente du troisième bloc.

On aura sans doute beaucoup de mousse, de palabres, et le concours Lépine des idées à la con va battre son plein dans les assemblées. Mais si on aura beaucoup d’idées lancées en l’air, bien peu atterriront, faute d’accord politique. Et ce n’est pas plus mal.

Je vois dans la situation une opportunité d’expérimenter un gouvernement technocratique, finalement assez libre de ses mouvements . Il va y avoir des lignes rouges politiques partout, mais à l’intérieur du périmètre (assez étroit), le gouvernement pourrait être beaucoup plus libre de faire ce qu’il veut et surtout de faire comme il veut. Une forme d’oeil du cyclone politique.

C’est dans cet interstice inattendu qu’on pourrait, par exemple, retrouver davantage d’écoute, de dialogue, de concertation dans le système de prise de décision. Même si temps est court, c’est peut-être le moment de changer des pratiques, des manières de travailler.

Dans une telle configuration, le choix du futur Premier ministre sera capital, car c’est de lui que dépendra l’utilisation, ou pas, de cette marge de manœuvre pour expérimenter un « gouverner autrement ».

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Les élus au pied du mur

Les élections législatives ont donné une assemblée nationale très partagée, qui est un retour à la IVe République. A cette époque, entre un gros bloc PCF stalinien, et des gaullistes opposés au régime, il fallait trouver des majorités de gouvernement avec ce qui restait. Il en a résulté une instabilité gouvernementale chronique, et une impuissance à traiter les problèmes de fond, sauf par de brefs a-coups.

La Ve république est née sur le cadavre de cette situation politique, et tout dans la constitution de 1958, est écrit pour qu’elle ne revienne jamais. Or, voici qu’elle revient, après 50 ans. On va alors se rendre compte que les institutions ne sont absolument pas un rempart, face à un pays idéologiquement divisé. La situation pourrait même être pire que dans les années 50, car la culture politique des élus et des citoyens est moulée dans le cadre de la Ve république, sans réelle culture du compromis interpartis et de la négociation parlementaire.

Avec la composition de la XVIIe législature, il faut trouver une majorité de 289 voix sur un panel de 365 députés (en excluant donc les LFI et les RN). C’est mathématiquement possible, mais politiquement compliqué, car en plus d’avoir 212 députés « hors système » (qui n’ont pas la volonté de jouer sincèrement le jeu des institutions) les 365 sont éclatés entre trois tendances : la gauche réformiste (plus ou moins radicale) allant des communistes aux socialistes, le centre macroniste, et la droite libérale républicaine (enfin débarrassée de sa frange radicale). Ces trois familles politiques ont des traditions politiques et philosophiques différentes et n’ont jamais été habituées à travailler ensemble. Les tractations et compromis se font au sein de chaque famille, ce qui est plus facile et confortable. Maintenant, il va leur falloir sortir de leur zone de confort.

Ces élus de « l’arc républicain » vont devoir montrer qu’ils sont à la hauteur des attentes de leurs électeurs. Les reports de voix ayant été globalement bonnes au second tour, on peut estimer que ces élections de 2024 ont donné un mandat pour gouverner à la nouvelle assemblée. Ils ont donc le devoir, à moins de trahir leurs électeurs, de chercher sincèrement, la voie d’un gouvernement stable. Cela veut dire accepter de prendre ses responsabilités (ce que Laurent Wauquiez a explicitement refusé de faire dans sa toute première déclaration), et exercer le pouvoir. Certes, ce n’est pas facile, il y a beaucoup de coups à prendre, mais personne n’est obligé de se présenter aux élections. Donc si on y va, c’est pour faire le boulot, et pas pour se placer à l’abri, laissant les autres se griller, pour mieux ramasser les morceaux au coup d’après.

La deuxième étape est d’apprendre à faire des compromis, ce qui n’est pas franchement dans la culture politique française, qui préfère la posture radicale au compromis pragmatique. Cela va donc avoir un coût politique, les extrêmes ne manquant pas de fustiger les « compromissions » du « système », en continuant à promettre des grands soirs mal ficelés et pas du tout financés. Il va donc falloir que les responsables politiques raisonnables apprennent à se connaitre, à se faire confiance, à travailler ensemble, dans un environnement politique et médiatique inamical et suspicieux. Cela n’a rien d’évident, quand on se côtoie juste en voisins, mais qu’au fond, on connait mal la culture politique de l’autre. Cela demande du temps, des échanges de fond, et ne se fera pas l’espace d’un été au bord d’une piscine.

Enfin, et ce n’est sans doute pas le plus facile, il va falloir bosser le programme et les idées pour de bon. Un contrat de gouvernement, ce n’est pas un programme électoral de 13 pages, écrit sur un coin de table en trois jours de négociations marathon. L’actuel contrat de gouvernement de la coalition allemande fait 174 pages et a mis trois mois à être écrit. Tout y est détaillé de manière technique et réaliste, sans incantations et propositions irréalistes, chiffrées au doigt mouillé. Malheureusement, cela fait bien 20 ans, sinon plus, que les partis politiques français ont arrêté de travailler sur le fond. Ils n’ont donc pas grand chose qui tienne la route à mettre sur la table. Or, c’est compliqué de négocier s’il n’y a pas des bases de départ solides.

Le chemin vers un gouvernement stable est possible. Les autres pays y arrivent, pourquoi pas nous ? Mais cela implique d’avoir une classe politique composées d’élus responsables, conscients de l’importance de la mission qui leur est confiée, et qui bossent dans l’intérêt général.

Vu l’état de notre classe politique, même si on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise, ça va quand même être compliqué, et l’échec de cette XVIIe législature est une option tout à fait possible.

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Retrouver l’écoute et le dialogue

Je suis désormais beaucoup plus optimiste que la semaine dernière sur l »issue des élections législatives. Même si le RN va connaitre une forte progression (au moins une centaine de sièges en plus), ce n’est pas encore cette fois ci qu’il prendra le pouvoir. Cela laisse un peu de temps pour reconstruire notre démocratie, car si nous faisons rien, la prochaine fois sera la bonne…

L’enjeu fondamental et prioritaire est de reconstruire un espace démocratique qui s’est dangereusement cloisonné et radicalisé. On en est tous responsables, il n’y a pas de gentils et de méchants. Depuis des décennies, nous avons progressivement cessé d’avoir un projet et des valeurs communes, des choses qui permettaient de transcender les clivages. Chacun groupe s’est replié sur lui-même, dans des postures de revendications individualistes, cessant de parler aux autres et de les écouter. Ce que l’on appelle aujourd’hui « débat politique » consiste soit à s’autocongratuler entre gens qui pensent la même chose, ou à s’insulter quand par malheur, des clans opposés sont mis sur le même plateau télévisé. Il n’est plus question de discuter et d’échanger des arguments, mais de démolir l’adversaire.

Il faut absolument sortir de cet appauvrissement mortifère, en acceptant de voir plus haut que ses propres intérêts et la promotion de ses convictions. Il faut absolument recommencer à s’écouter (ça n’est pas simple) et essayer de comprendre l’autre, celui est différent et (pire) ne pense pas comme nous. Il faut absolument reprendre conscience que nous sommes tous dans le même pays, sur le même bateau, et qu’en cas de naufrage démocratique, nous serons tous impactés. Les plus fragiles le seront encore plus que les autres.

Quand je regarde cette campagne électorale, je suis effaré du degré de tension auquel nous sommes arrivés, et fait un peu penser à l’Affaire Dreyfus, qui a littéralement déchiré le pays et les familles, à la toute fin du XIXe siècle. Il est urgent de faire baisser le température, et malheureusement que ce soit à gauche comme à droite, je vois surtout des incendiaires, dont certains sont persuadés d’être dans le camp du Bien, alors même qu’ils font de gros dégâts.

Je suis persuadé qu’une des raisons de la montée du RN vient de cette forme d’apartheid social et culturel que ressentent les populations rurales et de la grande banlieue. Ils le disent sur tous les tons, avec comme point d’orgue le mouvement des Gilets jaunes, et personne ne les écoutent, et ne prend la mesure de leur désarroi. Pire, au lieu d’une écoute et d’une main tendue, il reçoivent du mépris et des injonctions de se conformer aux schémas de pensée d’une certaine élite urbaine qui se croit le phare de la modernité.

Si on veut éviter l’arrivée du RN au pouvoir, qui est le symptôme, il faut traiter le mal. Cela demande de l’humilité, et surtout, une capacité à dépasser ses convictions, ses rejets, pour recommencer à parler à ceux avec lesquels on est en désaccord. Ce n’est que comme ça qu’une démocratie peut réellement fonctionner, par le débat et l’échange.

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A l’entrée du tunnel

On est à la veille du premier tour des élections législatives, et je ne suis pas optimiste. Tous les signaux qui arrivent vont dans le même sens : une large victoire du RN, qui aura une majorité absolue à l’Assemblée nationale, et pourra gouverner. Au delà des différences avec la Macronie, qui pourront être spectaculaires, il va y avoir également beaucoup de continuités.

Le RN n’ayant pas les troupes ni la compétence pour exercer le pouvoir, on aura, comme avant, des « amateurs » au Parlement, encore plus incompétents que leurs prédécesseurs, et surtout, sans la personnalité de Macron, qui sauvait (techniquement) le dispositif. Cela s’inscrit dans un mouvement de fond de baisse de la qualité du personnel politique, dont je parle régulièrement, et est structurel. La prise de pouvoir du RN nous fera juste passer à un ou deux paliers en dessous.

Il y aura également beaucoup de continuités dans les politiques suivies, car rapidement, l’administration prendra la main, parfois à son corps défendant, pour occuper le vide laissé par le politique. Il faut bien que les dossiers avancent et que les décisions soient prises. Il n’y a aucune raison que les fonctionnaires se convertissent du jour au lendemain, aux croyances et idées du RN. C’est beaucoup plus le RN qui se ralliera à la doxa administrative. C’est déjà ce qui s’est passé entre 1981 et 1983, avec une gauche arrivée révolutionnaire et repartie quasiment néo-libérale. Cela ira beaucoup plus vite avec le RN en 2024, beaucoup plus « liquide » politiquement et idéologiquement que l’union de la gauche des années 70.

Cette continuité sera d’autant plus forte que la marge de manœuvre des politiques s’est considérablement réduite au fin du temps. Entre les marchés financiers et les contraintes européennes, un pays aussi endetté et dépensier que la France ne peut pas se permettre le moindre écart. Le pouvoir d’achat étant, de loin, la première préoccupation des électeurs RN, le gouvernement qui va arriver ne peut se permettre la moindre sortie de route. Il n’y aura donc pas de grand virage économique, mais plutôt une accentuation de la politique économique menée jusqu’ici.

Même dans les différences, il y aura de la continuité, car les évolutions que l’on peut craindre, sur la stigmatisation (voire pire) des minorités, ne seront juste que l’accentuation de tendances existantes. L’arrivée du RN au pouvoir va désinhiber les paroles et libérer une violence qui est déjà là. L’arrivée du RN est un symptôme et un accélérateur d’un malaise profond du pays qu’il faut absolument traiter sur le fond.

« Résister » au RN et à ses outrances sera bien entendu nécessaire, mais ne sera pas suffisant. Il faut aussi proposer une solution de sortie, une lumière au bout du tunnel, qui ne soit pas juste un rafistolage, mais carrément un nouveau projet de société.

Cela demande un travail d’analyse de ce qui ne va pas en France, sans se poser, dans un premier temps, la question des solutions. Il faut d’abord comprendre ce qui ne va pas, se mettre d’accord collectivement sur ce vers quoi on peut aller, et après seulement, proposer les mesures concrètes et le chemin pour y arriver. La Macronie s’est plantée de ne pas avoir travaillé les deux premières étapes (surtout la deuxième), et de s’être concentrée uniquement sur la troisième. Le reste de l’offre politique ne vaut pas mieux sur ce plan, il suffit de lire les programmes, qui ne sont que des catalogues de mesures, plus ou moins irréalistes.

La sortie du tunnel passera par un renouvellement profond de l’offre politique. On peut espérer que le choc d’une victoire du RN permette une reconfiguration des oppositions, qui permette l’émergence d’une force « raisonnable » dont le but sera le bien du pays, et pas nécessairement la mise en oeuvre d’idéologies clivantes et de pratiques illibérales. Ce sera le premier pas, nécessaire, pour quitter le chemin mortifère sur lequel la France est lancé.

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Le drame de la centralisation à la française

La perspective d’une victoire du RN aux élections amène à se pencher sur les conséquences potentielles que cela peut avoir, et c’est assez effrayant. La France est un pays ultra-centralisé, où tout passe, à un moment ou un autre, par l’appareil d’Etat. Que ce soit les règles juridiques, les financements, un gouvernement disposant d’une majorité solide à l’Assemblée peut aller très loin, sans réels contrepouvoirs.

Contrairement à ce que l’on peut croire, l’organisation française n’est pas libérale, au sens de Montesquieu ou Tocqueville, mais une autocratie bienveillante. La limite des pouvoirs de l’Etat relève de l’autolimitation et du manque de moyens, et pas d’un système de pouvoirs et contre-pouvoirs. Comme nous avons été gouvernés, depuis 1944, par des gens « raisonnables », nous n’avons jamais à nous inquiéter de cela, et nous nous sommes plus préoccupés du bon fonctionnement de la machine politico-administrative, que des risques de dérapages.

Le moment est venu de nous pencher sur les fragilités du dispositif, et de réfléchir à la manière de limiter les risques, si jamais il n’est pas déjà trop tard.

La France est un pays où il y a un consensus pour que tout passe par l’Etat, grand ordonnateur de la redistribution. Pas question, comme pour les pays anglo-saxons, d’avoir des systèmes de redistribution privés, avec des fondations et autres organismes, qui brassent des centaines de millions, en dehors de tout contrôle de l’Etat. L’ensemble de la société civile organisée est donc sous perfusion d’argent public, par le biais de niches fiscales (notamment la déduction pour dons aux associations) et de subventions directes. Il sera donc très facile d’asphyxier des pans entiers du monde associatif, en les sortant du dispositif fiscal. Il sera toujours possible de leur donner de l’argent, mais cela ne donnera plus lieu à reçu fiscal. Cela pourra être plus soft, avec la création de différentes catégories (ça existe déjà, les associations caritatives ayant un taux à 75%, là où les autres associations ont 66%) permettant de moduler le montant déductible, et/ou fixer un plafond aux sommes ouvrant droit à la déductibilité.

Pour les subventions directes, le mécanisme est déjà en place depuis 2021 (merci la Macronie) avec le contrat d’engagement républicain. Il suffit de l’étendre à des engagements au-delà du « républicain » et en l’assortissant de quelques obligations de reporting. En apparence, rien de bien grave, car qui pourrait être contre le fait que l’on rende des comptes de l’argent public que l’on reçoit. Le diable étant dans les détails, il suffira de fixer des engagements assez stricts, rendant certaines activités ou pratiques incompatibles avec le fait de recevoir des subventions. On peut aussi imposer des obligations de reporting assez tatillonnes, donc chronophages, pour emboliser des associations le plus souvent sous-staffées, ou les exposer aux risques de contrôles, où le contrôleur arrivera toujours à trouver quelque chose qui cloche.

Le dispositif fonctionne aussi avec les collectivités locales, qui n’ont plus aucune autonomie financière, l’essentiel de leurs ressources étant des dotations de l’Etat (dont beaucoup ont été créées pour compenser la suppression de taxes affectées aux collectivités).

Toutes ces mesures peuvent être prises facilement, par décret, ou en changeant quelques mots dans une loi, quelques chiffres dans le budget. Il suffit d’avoir une majorité à l’Assemblée et des fonctionnaires dociles pour que ça passe crème.

La seule limite, c’est le manque de moyens de l’Etat, qui se repose beaucoup, dans nombre de secteurs, sur les associations et les collectivités, pour faire le travail qui devrait être le sien. C’est particulièrement frappant dans le secteur sanitaire et social, où des associations et les Départements sont quasiment devenus des opérateurs de l’Etat.

Donc si vous êtes une association dont l’Etat n’a pas besoin pour accomplir ses missions, vous êtes potentiellement menacée, et si vous gênez, on vous le fera savoir. Verbalement, pas par écrit, pour générer une autocensure, qui ne pourra pas faire l’objet d’un recours en justice, puisqu’il n’y a aucune décision publique à attaquer.

Combien auront le courage de prendre le risque de refuser et d’aller au contentieux ? J’ai bien peur qu’ils soient bien peu nombreux à pouvoir se le permettre.

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Une année blanche à venir

A l’issue des élections législatives, l’hypothèse la plus probable est qu’il ne se passe pas grand chose de concret pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. C’est une forme de défi pour notre système politico-administratif centralisé, habitué à « réformer » en flux continu, et à tout régler dans les moindres détails par décret et arrêté.

S’il n’y a pas de majorité viable, on risque d’avoir un gouvernement Attal qui gère les affaires courantes pendant un certain temps, suivi de gouvernement fragiles, ne s’entendant sur pas grand chose d’autre que la volonté d’empêcher le RN d’arriver au pouvoir. C’est le scénario à la belge, de négociations interminables pour former des coalitions improbables. Sauf qu’en Belgique, ils ont l’habitude, et savent le gérer (le quotidien relevant des régions fédérées, il n’y a pas de blocage réel).

Si le RN gagne, ils vont devoir « prendre en mains » l’appareil administratif, ce qui va demander du temps, car même s’ils trouvent des supplétifs et des collaborateurs, il faudra que la confiance s’installe. Le RN a été tellement en marge du « système » qu’ils n’ont pas les troupes, en interne, pour remplir ne serait-ce que les cabinets ministériels. On ne parle même pas des administrations centrales. Le mode de fonctionnement des RN étant clanique, avec une forte tendance à la paranoïa, il va falloir du temps pour arriver à un fonctionnement fluide (si jamais on y arrive vraiment). De plus, ils n’ont rien en magasin pour alimenter la machine à produire des normes, leur programme est rempli d’incantations techniquement irréalistes. Les dirigeants du RN s’en rendent compte, et ont commencé à retropédaler sur plein de sujets, afin de désamorcer (un peu) les déceptions qui ne manqueront pas de surgir dans leur électorat, lorsqu’ils vont se heurter aux murs de la réalité juridique et financière. L’audit des finances publiques annoncé par Jordan Bardella, est un bon moyen de ne surtout rien faire avant qu’il ne soit rendu.

Dans les deux cas, cela va être un choc pour le pays, car un trop plein médiatique et rhétorique va être accompagné d’un grippage de la machine à produire la norme. Faute d’instructions claires, pour des productions qui tiennent techniquement la route, les administrations vont rester l’arme au pied, ou produire du grand n’importe quoi, qui sera retoqué, soit par les tribunaux français, soit par l’UE (ou les deux).

Le scénario le plus probable, pour les prochains mois, est qu’il ne se passe rien de concret sur le plan législatif, avec une débauche d’imbécilités proférées dans les médias. On va encore s’enfoncer un peu plus.

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Que faire de Macron ?

Cette campagne législative est décidément complètement folle, à la fois effrayante, mais aussi passionnante. La péripétie du jour est la mise au rencard d’Emmanuel Macron, au cours d’une interview improvisée, sur un trottoir.

Répondant à un journaliste, Édouard Philippe a complètement coupé les ponts avec Emmanuel Macron. Il s’est désolidarisé de sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, et a fait officiellement acte de candidature comme nouveau chef du bloc central.

La quasi totalité des députés auront été élus contre Emmanuel Macron, et les débris de sa majorité qui vont survivre auront été réélus malgré lui, et ne lui devront rien. Et à coté, tous les battus de la majorité devraient lui garder une certaine rancœur. Le parti Renaissance devrait s’écrouler assez rapidement, et il ne restera plus rien à Emmanuel Macron, car ne pouvant pas se représenter, il ne représente plus l’avenir.

Se pose alors la question de savoir ce qu’on va en faire, car c’est finalement assez inquiétant d’avoir à l’Elysée une personne isolée, qui n’attend plus rien de personne. Macron ne contrôle plus rien dans la vie politique, mais personne ne le contrôle.

Va-t-il en fin jouer le rôle d’un président arbitre, au dessus des partis, qui laisse le gouvernement gouverner ? Ou va-t-il terminer son mandat en roue libre, en mode « rien à perdre », représentant un risque supplémentaire pour la stabilité du pays ? J’avoue que je n’en sais rien et cela m’inquiète un peu…