Plusieurs semaines après les élections législatives, alors qu’un Premier ministre vient d’être nommé, une partie de la gauche continue à clamer que c’est eux qui auraient gagné les élections, et que la nomination du Premier ministre de droite est un hold-up démocratique. Les exemples pullulent sur les réseaux sociaux, venant parfois même de gens qui affichent une qualité de « journaliste » dans leur bio.
Ce récit d’une victoire volée a été démonté en long et en large. Certes, la coalition de gauche a obtenu 193 sièges, mais c’est très loin de la majorité absolue de 289 sièges. Et la position de refus d’ouvrir des négociations sérieuses avec la macronie, seul allié possible, rend ce score stérile, et ouvre la voix à la recherche d’une autre coalition. Celle-ci, groupant Macronie et LR, avec un engagement (fragile et révocable) du RN de ne pas censurer, permet la mise en place d’un gouvernement Barnier.
Cette configuration où le parti arrivé en tête se retrouve finalement dans l’opposition, se retrouve parfois dans d’autres pays, sans que cela ne choque le moins du monde. C’est le cas, en 2023, du PiS en Pologne, qui s’est retrouvé face à une coalition des autres partis, qui a ramené Donald Tusk au gouvernement. Pareil en Espagne, où le Premier ministre sortant, Pedro Sanchez, est resté en place, bien que la droite soit arrivée devant, d’une courte tête. A chaque fois, cela donne des coalitions fragiles, ce qui n’est pas une bonne chose, mais c’est une autre histoire. Le jeu institutionnel post-électoral peut parfois être frustrant, surtout quand on n’a pas l’habitude. Mais il ne rend pas illégitime un gouvernement, quand les règles constitutionnelles sont respectées.
Pourtant, il y a une persistance de nombreux militants de gauche (notamment les plus à gauche), à refuser de reconnaitre comme légitime le gouvernement Barnier, et la coalition qui le soutient. Les mots qui reviennent sont « coup de force » ou « hold-up démocratique ». On peut comprendre cette surenchère dans la période de négociation et d’incertitude qui suit immédiatement l’élection. Mais une fois la situation stabilisée et le gouvernement nommé, il faut revenir à la réalité et concéder que malgré un bon score, la gauche restera encore dans l’opposition, parce que les conditions ne sont pas réunies pour qu’elle puisse gouverner.
Continuer à contester la légitimité du gouvernement relève alors d’une dérive populiste, qui refuse de reconnaitre la défaite. C’est exactement ce que l’on voit aux Etats-Unis, où un nombre non négligeables de Républicains continuent estimer que l’élection de 2020 a été « volée », malgré tous les recomptages et le respect de toutes les formalités constitutionnelles.
Nous n’en sommes pas encore là en France, mais il ne faudrait pas suivre cette pente, car elle est destructrice pour la démocratie. Il est de la responsabilité des dirigeants des partis de gauche de ne pas laisser perdurer cette petite musique, et de reconnaitre, explicitement et sans la moindre ambiguïté, que le gouvernement Barnier est légitime. Cela ne donnera que plus de force à leur opposition aux mesures que prendra ce gouvernement, qui s’inscrira dans un cadre républicain, offrant une possibilité d’alternance avec un contre-projet, soumis aux électeurs lors des prochaines échéances.
Il faut faire très attention, car il peut être facile et rapide de glisser hors du cadre républicain, et de déstabiliser les institutions. Peut-être, d’ailleurs, est-ce le but de certains…