Catégories
Non classé

La nature profonde du droit constitutionnel

Le gouvernement se retrouve dans une fin de période budgétaire un peu compliquée, avec un risque que le budget ne soit pas adopté définitivement le 23 décembre. Même si jusqu’ici tout s’est bien passé, il est prudent, vu l’étroitesse de la marge d’adoption des textes, de prévoir un plan B. Le premier ministre a donc annoncé mettre en place une loi spéciale, au cas où ça coince le 23 décembre. En effet, en cas d’échec de la CMP, on n’aura pas le temps, d’ici la fin de l’année, de faire une nouvelle lecture dans des conditions correctes.

Un questionnement a été soulevé par un très respectable professeur de droit, Mathieu Carpentier, qui estime que la Constitution ne permet pas de mettre en œuvre ce plan B. A la lecture des textes, il en déduit que le gouvernement a d’autres options qu’il doit actionner en priorité, permettant d’arriver à une adoption du budget, et surtout, que le texte ne prévoit pas que la loi spéciale puisse être utilisée dans la situation actuelle.

C’est une position typique des juristes, qui estiment qu’il doit y avoir une adéquation de la réalité par rapport à la lettre des textes juridiques. C’est louable, mais ça trouve assez peu à s’appliquer en droit constitutionnel et parlementaire, où, la politique prime sur le droit. S’il y a consensus politique, on peut passer par dessus la Constitution, sous le contrôle a posteriori du conseil constitutionnel. Bien souvent, celui-ci, s’il est saisi, valide les choix politiques qui ont fait consensus. En fait, le texte ne s’applique strictement que s’il y a désaccord politique, ce qui donne un droit de veto à l’opposition.

Sur cette histoire de loi spéciale, il y a déjà eu des précédents, en 1979 et 2024, où la situation n’étant pas strictement celle prévue par les textes, on s’est « inspiré » du dispositif textuel, pour adopter une solution conforme à son esprit. Le but de la manœuvre est d’éviter qu’il n’y ait pas de budget au 31 décembre. Pour cela, plusieurs outils sont proposés. C’est le passage en force, avec un 49.3, ou plus soft, les ordonnances de l’article 47. Il existe aussi un service minimal, la loi spéciale, qui permet d’assurer la perception des recettes, et le minimum de dépenses pour faire tourner la machine, le temps de poursuivre les débats, et d’arriver au vote d’un budget.

Même si ce n’est pas écrit comme cela dans la Constitution, l’idée est que le gouvernement est libre de choisir la solution qui lui convient le mieux. C’est l’esprit même de la Constitution de 1958 que de laisser la plus grande marge de manœuvre à l’exécutif. Dans les temps actuels, un passage en force serait un suicide politique, vu l’absence de majorité suffisante pour soutenir le gouvernement. Il ne reste que la méthode douce, celle de la loi spéciale. Le passage en force risquant de faire plus de dégâts que la loi spéciale, cette option fait consensus et sera validée sans difficulté par le conseil constitutionnel.

En matière de droit parlementaire, le conseil constitutionnel est un régulateur, beaucoup plus qu’un juge. On est dans le droit souple, au sein du duquel les lectures rigides de la lettre de la Constitution, des lois organiques et du règlement des Assemblées n’ont pas leur place. L’important est que les choses se fassent dans le respect des droits de l’opposition, sans hold-up ou tromperie de la part du gouvernement. Et c’est le cas actuellement, ou personne ne pourra dire qu’il a été pris par surprise. Si les députés n’adoptent pas le budget, le 23 décembre, ils en connaissent les conséquences.

3 réponses sur « La nature profonde du droit constitutionnel »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *