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Confiance et inflation normative

Depuis de longues années, j’ai quelques marottes, notamment les sujets de simplification du droit et d’inflation normative.

Le hasard d’une recherche sur un moteur de recherche m’a amené à un texte que j’ai écrit il y a 12 ans, publié par Slate. Je n’ai pas une ligne à changer. Je pourrais encore le signer tel quel aujourd’hui, et c’est bien le problème : le sujet est toujours posé de la même manière, avec les mêmes arguments bidons.

Pour résumé, l’inflation et la complexification du droit sont avant tout le résultat d’un manque de confiance. On détaille toutes les obligations (qui souvent se traduisent par de la compliance supplémentaire) pour pouvoir sanctionner des manquements de fond qu’on a du mal à saisir (faute de moyens ou de courage). L’exemple de la transparence de la vie publique est emblématique. C’est bien plus facile de condamner pour manquement aux obligations déclaratives, que de rechercher s’il y a effectivement eu un comportement contraire à l’éthique, voire de la corruption. On retrouve cela de manière caricaturale dans la condamnation de Sarkozy, qui tombe pour association de malfaiteurs, alors même qu’il est relaxé (faute de preuve) pour le délit de corruption, qui est la raison pour laquelle l’association de malfaiteurs a été constituée.

L’Union européenne n’échappe à ce problème, et est en train de vivre un grand moment de simplification, où la présidente de la commission, Ursula von Der Leyen, a reconnu qu’elle faisait de la dérégulation, sous couvert de simplifier le droit. Une forme d’honnêteté (peut-être involontaire) que nous n’avons pas en France. La règlementation environnementale et numérique, adoptée ces cinq dernières années, s’est traduite par un alourdissement conséquent des obligations de reporting qui pèsent sur les entreprises. Pour savoir si elles respectent les normes, il faut d’abord savoir ce qu’elles font effectivement, d’où une foule de rapports (souvent appelés « de transparence ») et de reporting, qui coutent de l’argent à produire, à envoyer à des régulateurs qui n’ont pas les moyens de les traiter. Un détail que le législateur, au moment de prendre la pose sur les « grandes lois » qu’il vote, a un peu négligé, et qui lui revient en boomerang.

La simplification à l’européenne va donc consister essentiellement à tailler, plus ou moins à l’aveugle, dans les obligations de reporting, en cherchant à préserver les objectifs politiques. Le premier bénéfice pour les entreprises, c’est des économies directes, car ces rapports coutent cher à produire, et donnent beaucoup d’informations sur ce qu’elles font, ce qui n’est jamais bon pour les affaires. Beaucoup de législations vont y passer, ce qui va appauvrir l’information dont on dispose sur « le monde réel », notamment les pouvoirs publics et les régulateurs. Or, l’information, c’est le pouvoir, et plus les pouvoirs publics sont myopes (ils ne sont jamais complètement aveugles), plus leur action est imprécise, et donc juridiquement fragile. Il ne faut jamais oublier que le rapport de force public/privé, quand on entre sur le terrain juridique et judiciaire, est en faveur du privé, qui a les moyens de se payer les meilleurs avocats. Plus c’est flou, plus les grosses entreprises sont en capacité d’amener les pouvoirs publics à la transaction, en étant en position de force. Les gouvernements et régulateurs se retrouvent alors à devoir régulièrement méditer sur ce vieil adage « mieux vaut un mauvais accord qu’un bon procès ».

Tout cela pour vous dire que les concepts de « simplification » et « d’inflation normative » sont tout sauf neutres. Ce n’est pas nouveau, mais cela prend désormais une ampleur européenne. Or, l’UE est l’endroit et le niveau où se prennent les « vraies décisions », celles qui ont un impact effectif. Cela fait longtemps que le niveau national est un théâtre d’ombres. Quand on entend ces concepts arriver dans le débat public, une alarme doit se déclencher, indiquant que la puissance publique est en train de se faire avoir. En même temps, parfois, elle l’a bien cherché, en montant des usines à gaz législatives où les enjeux de communication primaient sur l’efficacité. Quand on a les yeux plus gros que le ventre, on finit toujours par le payer.

Finalement, c’est du coté de la Suisse qu’il faut regarder. Leurs codes législatifs sont minimalistes, fixent les grandes règles, en laissant beaucoup de marge de manœuvre aux magistrats, pour étudier au cas par cas, si l’esprit de la loi a été respecté. Et si ce n’est pas le cas, la sanction tombe, pour l’action de fond, pas pour un simple manquement à une obligation administrative. C’est un fonctionnement beaucoup plus sain, dont on devrait s’inspirer.

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Les fables de la vie politique

La situation politique actuelle est assez désespérante, mais n’a rien d’inédit, et les comportements des élus s’inscrivent dans des schémas assez intemporels, qu’on retrouve dans les fables.

Entre le bloc central et le RN, c’est la fable du scorpion et de la grenouille. Malgré toutes les belles promesses de non censure, le RN finit toujours par voter les censures (après avoir encaissé les concessions, évidemment) car son intérêt est de créer le chaos, afin de prendre le pouvoir. Il l’a fait à Barnier, à Bayrou, il n’y a aucune raison qu’il ne le fasse pas aussi à Lecornu. Le RN n’est pas un partenaire fiable, c’est connu et documenté. Cela ferme la porte à la première option de recherche de stabilité pour le bloc central.

Entre le PS et le bloc central, c’est plutôt le loup et l’agneau. Les socialistes font semblant d’entrer en discussion avec le bloc central, pour un éventuel pacte de non-censure sur le budget. Mais on sent, au fil de la discussion, que le PS cherche surtout le prétexte pour rompre les négociations, sans porter le chapeau. Cela fait furieusement penser à l’argumentation du loup, dans la fable, qui cherche un prétexte pour justifier ce qu’il va faire, de toute manière, à savoir dévorer l’agneau. Il est évident que si un rapprochement entre le PS et le bloc central était possible, il aurait déjà eu lieu. Ce n’est pas le cas, et c’est pour une raison simple : cela fait plus de 50 ans que la gauche réformiste fonctionne en cartel électoral avec la gauche radicale, sous des noms qui varient, mais dont le plus connu est « union de la gauche ». Ils se connaissent par coeur, ont l’habitude de travailler ensemble, leurs électeurs ont l’habitude de les voir travailler ensemble. La quitter pour rallier le centre-droit serait une erreur stratégique monumentale (surtout à 6 mois des municipales). Le PS n’ira pas plus loin que des absentions constructives, au cas par cas, payées comptant. Tout cela est très insuffisant pour bâtir une coalition gouvernementale.

On le sait depuis juillet 2024, la XVIIe législature est dans une impasse. On en a maintenant la démonstration quasi achevée. A la chute du gouvernement Lecornu, il n’y aura pas d’autre possibilité que dissoudre, en espérant ne pas retrouver une assemblée tout aussi bloquée.

C’est malheureusement le risque, car les partis et les élus sont tellement tétanisés par l’enjeu de la présidentielle, qu’ils seront incapable de s’entendre pour que les élections législatives se fassent selon des modalités différentes, ouvrant la porte à une assemblée bloquée, ou à la victoire du RN. A ce stade, je ne vois pas de troisième alternative. A 33% dans les sondages, le RN va bénéficier à plein des effets du scrutin majoritaire, et le barrage républicain ne pourra pas grand chose, si un nombre conséquent de RN sont élus dès le premier tour.

La chute est quasi inéluctable, reste juste à savoir quand elle aura lieu. La semaine prochaine ? En décembre ? Le tout sous les regards résignés d’un ecosystème politique qui n’en peut plus, et est de plus en plus enclin à accepter n’importe quoi, pourvu qu’on sorte de l’impasse dans laquelle nous sommes.