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La politique du chien crevé au fil de l’eau

La France est condamnée à l’immobilisme, faute de majorité politique stable à l’Assemblée. C’est un constat assez général, publiquement formulé par Édouard Philippe, que je partage. Les trois blocs ont montré qu’ils ne sont pas capables de bâtir quoi que ce soit ensemble, sauf ponctuellement, par accident ou par nécessité absolue. Tant que de nouvelles élections législatives ne donneront pas une majorité cohérente et stable, il en sera ainsi. J’ai renoncé à espérer quoi que ce soit de l’actuelle législature.

Il en ressort naturellement que le gouvernement dispose de marges de manœuvre assez réduites. Il ne se passe pas grand chose d’intéressant au Parlement, où on enchaine les propositions de loi, dont beaucoup sont insignifiantes (une circulaire ministérielle suffirait pour atteindre l’objectif) ou confinés à un objet très circonstancié. Combien de textes, annoncés dans le programme de travail parlementaires, vont se retrouver au Journal Officiel ? Entre les rejets, l’enlisement, les retournements de vestes politiques, le Parlement risque surtout d’être un cimetière de textes, avec l’épée de Damoclès d’une dissolution, qui fait table rase. Aucune réforme d’ampleur n’est à attendre, et la gesticulation va dominer. Pour un gouvernement dépourvu de moyens financiers, si l’arme de la fabrication de loi lui échappe, il ne lui reste plus grand chose pour exister.

La survie politique dépendant de l’Assemblée nationale, le gouvernement ne peut prendre le moindre risque politique, sous peine d’être renversé. François Bayrou est donc condamné à l’immobilisme, et à suivre le courant des consensus politiques, en étant bloqué au moindre dissensus. On le voit bien, avec par exemple ce fameux « conclave » sur les retraites, qui tourne en eau de boudin. Exit une éventuelle réforme des retraites. Pareil pour la moindre réforme d’un mode de scrutin. La PPL sur la réforme du scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille n’ira pas loin et on ne parle même plus de la proportionnelle pour les législatives. Pareil pour la réforme de l’audiovisuel public ou encore le statut de la Corse. On arrive tout au plus à faire passer les transpositions de directives européennes, bref, on est dans la gestion des affaires courantes, guère plus.

Cela va sans doute durer comme cela jusqu’en octobre. La session extraordinaire se termine le 30 juin, et d’ici là, François Bayrou se gardera bien de donner le moindre prétexte pour déclencher une motion de censure (malgré ses gaffes à répétition). Il est aidé en cela par le fait que LR, les Verts et le PS sont en phase de renouvellement des chefs, donc occupés à leurs querelles internes. Pour la première fois depuis des décennies, il n’y aura pas de session extraordinaire cet été (ou alors quelques jours), car si les députés ne siègent pas, ils ne peuvent pas déposer et voter une motion de censure. François Bayrou est donc à peu près assurer de rester en poste jusqu’en octobre prochain. Pour ne rien faire ou presque, ce qui semble l’arranger, car son but était d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir, pas forcément de l’exercer et d’en faire quelque chose. Il se montre d’ailleurs bien incapable d’impulser quoi que ce soit, comme si, depuis 15 ans, il n’avait pas travaillé, et s’était contenté de commenter la vie politique.

Puis va arriver octobre, et la nécessité de discuter et voter un budget. Le cirque de fin 2024 a montré qu’il n’est pas possible de passer outre un vote. Or, c’est le texte le plus délicat, car la situation financière sera encore plus catastrophique. Un vote positif implique une forme de reconnaissance de son appartenance à la majorité gouvernementale, je vois mal donc le PS rejoindre le « socle commun », seule solution pour éviter un rejet du budget. On va donc se retrouver à nouveau dans l’impasse, mais avec une nouvelle configuration : Emmanuel Macron aura retrouvé son pouvoir de dissoudre.

Cela va pimenter un peu le jeu politique, car il peut très bien décider, en cas de crise (motion de censure adoptée sur le budget) de nommer un autre premier ministre, et ne pas dissoudre. Du moins, pas tout de suite, et reste en partie maitre du calendrier. De toute manière, une dissolution à l’automne risque de donner une même absence de majorité stable. Car malheureusement, la recomposition politique n’a pas franchement commencé, chaque parti continuant comme avant ses petites affaires, sans le moindre travail programmatique sérieux. Chacun espère que les autres trébuchent pour ramasser le morceau.

A moins d’un choc externe, de plus en plus probable, l’impasse politique va perdurer. Si le pays veut s’en sortir, il va falloir qu’il se débrouille sans sa classe politique actuelle, dont il n’y a pas grand chose à attendre. Je ne vois pas trop comment on fait, tellement nous avons été infantilisés à tout attendre de l’Etat. Une cure de désintoxication semble nécessaire, afin qu’une société civile digne de ce nom émerge. De toute manière, le modèle de fonctionnement actuel est plus qu’à bout de souffle, il est en état de mort clinique.

Comme vous le voyez, c’est toujours l’optimisme fou…

5 réponses sur « La politique du chien crevé au fil de l’eau »

Bonjour
Vous n’envisagez pas du tout l’hypothèse d’une dissolution dès juin ?
(soit à l’initiative seule du PR, soit par une censure votée à l’AN dans un texte réclamant une dissolution)

Le président retrouve son pouvoir de dissolution le 8 juillet, un an après le second tour des législatives. Il ne peut pas dissoudre dans la première année de la législature.

Triste vérité et de plus en Bretagne on démolit à tour de bras les haies.. la biodiversité ne s’en remettra pas

@Authueil, c’est le moment d’être gramscien en complétant le pessimisme de la raison par l’optimisme de la volonté… parce qu’au moment même où l’Europe a enfin pris la mesure des enjeux auxquels elle doit faire face et de sa solitude, ce serait un drame que la France ne soit pas à la hauteur de l’Histoire.

Les annonces quotidiennes de réformes tonitruantes ne sont qu’une contrainte médiatique, dont la France se passait très bien avant la télévision et les réseaux sociaux. Trump se charge déjà de nourrir la bête. La France est encore en pleine digestion de la réformite tous azimuts qui prévaut depuis des décennies, pour des résultats souvent discutables. Edouard Philippe exprime l’hubris pseudo-réformateur de la haute fonction publique, qui aime brutaliser le pays par plaisir malsain – ainsi qu’il l’a montré pendant le confinement.

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