le conseil constitutionnel a rendu deux décisions, concernant la réforme des retraites, l’une sur le texte lui-même, l’autre sur la demande de référendum d’initiative populaire, déposé par l’opposition. Il donné raison au gouvernement sur quasiment toute la ligne, ce qui fait hurler l’opposition.
Comme on pouvait s’y attendre, mis à part quelques dispositions sans impact financier (donc n’ayant pas leur place dans une loi financière), tout le reste passe crème, avec en prime un rejet sec de tous les arguments de procédure des oppositions. Une décision qui irrite beaucoup les militants (y compris ceux qui exercent ou ont exercé le métier de professeur de droit). Elle est pourtant parfaitement conforme au droit, et à l’esprit de la Constitution de la Ve République.
Il ne faut jamais oublier que la Constitution de 1958 est construite avec l’idée qu’un gouvernement minoritaire, ou reposant sur une coalition potentiellement fragile, ne soit pas paralysé. Le but est, tant qu’il n’est pas renversé, que le gouvernement puisse avancer et faire passer ses lois. D’où un arsenal assez fourni d’outils qui peuvent être vus comme du passage en force. C’est un choix, déséquilibré en faveur de l’exécutif, parfaitement assumé du constituant, et jamais vraiment remis en cause depuis. François Mitterrand, qui dénonçait cela en 1964 dans « Le coup d’Etat permanent » s’est bien gardé de changer quoi que ce soit, une fois au pouvoir en 1981. La réforme de 2008 s’est contentée de desserrer un peu l’étau, mais n’est pas revenu sur le principe. Si, sur cette réforme des retraites, il y a quelqu’un à blâmer, c’est le constituant de 1958, pas l’instance chargée de veiller au respect de la lettre et de l’esprit de la Constitution.
Sur le fond, il y a une part de mauvaise foi des députés d’opposition, qui se sachant battu d’avance (ils n’ont pas gagné les élections législatives, donc ne gouvernent pas) cherchent à faire croire au déni de démocratie. L’argument mis en avant par les critiques est l’atteinte au principe constitutionnel de clarté et de sincérité des débats parlementaires. En cela, ils déduisent du résultat (ils ont perdu) que la procédure était viciée. Un raisonnement dangereux pour les institutions, car les débats se sont passés dans le respect des règles institutionnelles et surtout, ils ont une part de responsabilité dans le naufrage du débat parlementaire.
Dans ce débat, il n’y a pas eu de volonté délibérée du gouvernement de tromper les députés en leur fournissant de fausses informations. Députés et sénateurs ont eu toutes les informations voulues pour discuter en connaissance de cause, et s’ils ne les ont pas toutes eu, ils ont été en capacité d’aller les chercher, comme l’a fait le député PS, Jérôme Guedj, en utilisant les pouvoirs de contrôle dont il dispose. Il n’y a pas eu non plus de manœuvre amenant les parlementaires à discuter ou voter à la va-vite, sans avoir laissé le temps aux oppositions d’exprimer l’intégralité de leurs arguments. Si les débats parlementaires ont été aussi chaotiques à l’Assemblée (et un peu au Sénat), à qui revient la faute ? En grande partie à l’opposition de gauche, qui a choisi de pratiquer l’obstruction, de manière affichée et assumée. Ils ont ainsi pu s’exprimer autant qu’ils voulaient avant que le gouvernement appuie sur l’accélérateur, avec des procédures qui n’étaient pas des surprises. Le temps limité de discussion, prévu par l’article 47-1 de la Constitution était connu dès le départ, et deux semaines de séance étaient amplement suffisantes pour débattre correctement de cette réforme des retraites. L’article 49 alinéa 3 a été utilisé en ratification de CMP, une séance où seul le gouvernement peut déposer des amendements, et qui dure en général une heure. L’absence de vote ne porte pas franchement atteinte à la clarté et à la sincérité des débats. Cela pose d’autres questions, mais sur d’autres sujets.
Le problème, sur cette réforme, est politique, pas institutionnel. Je comprend tout à fait que l’opposition cherche à faire feu de tous bois, c’est le jeu. Mais à mal poser les débats, pour des raisons purement tactiques, on abime la démocratie, car malheureusement, tous les citoyens ne maitrisent pas les subtilités institutionnelles, et s’indignent sur la base des symboles et arguments que les élus leur jettent en pâture.
Dans cette affaire, la démocratie « façon Ve République » a très bien fonctionné, puisqu’une loi a pu être adoptée, malgré l’absence de majorité à l’Assemblée.
Plutôt que vociférer contre ce fonctionnement institutionnel et le discréditer, il serait mieux de proposer d’autres mécanismes, pour que le gouvernement soit obligé de disposer d’une majorité à l’Assemblée. D’autres façons de procéder sont possibles, et ne demanderaient pas de grandes modifications institutionnelles. Ce débat est plus que nécessaire mais n’aura sans doute pas lieu. L’actuel président n’a pas caché, sous son premier mandat, qu’il aimerait aller plus loin encore dans ce déséquilibre en faveur de l’exécutif. Et surtout, je crains que quelques groupes d’opposition (pas tous, mais sans doute les deux plus importants) n’ont pas nécessairement dans l’idée d’améliorer la démocratie parlementaire, si jamais ils arrivaient au pouvoir…
19 réponses sur « Les limites de la démocratie façon Ve République »
Je suis d’accord, la Constitution et son esprit ont été respectés. Le conseil a fait son boulot.
C’est vraiment la façon de faire, que ce soit en termes de procédure et des discours auprès des citoyens pour vendre le projet de loi, qui ne passe pas pour ma part (on va mettre de côté le maintient de l’ordre à la française, on savait que c’était une honte depuis des années).
Si on n’accepte plus ce genre de procédure, il faut effectivement modifier les institutions. Mais quel groupe y a intérêt ?
Je suis comme vous loin d’être convaincu que les prochains au pouvoir feront mieux que les précédents… et c’est très inquiétant.
Le maintien de l’ordre à la française est très classique: des manifestants provoquent la police, qui répliquent. Les manifestants crient aux violences policières. C’est triste à dire mais nos manifestants sont devenus des chemises brunes…. qui cassent et brulent sans aucune crainte des poursuites… Bientot ils iront jusqu’au meure… Cela fait trop longtemps qu’on laisse faire dans ce pays des groupes ultra violents et pour certains contre la démocratie…
Ça fait longtemps que vous n’avez pas approché une manifestation vous non ?
Je ne parle pas d’y participer. Je me suis pris 3 tirs de LBD avec un groupe d’une vingtaine de badauds qui regardaient une manifestation. Juste regarder avec mes sacs de course. A cette occasion j’ai également vu 2 médics en train de s’occuper d’une personne se prendre une grenade de lacrymo à l’écart du groupe de manifestants.
Ou même discuter avec des forces de l’ordre ? J’ai eu l’occasion de le faire avec un gendarme mobile, un fonctionnaire de la BAC et un CRS. Les 3 m’ont dit qu’il y a des consignes pour avoir la main plus ou moins lourdes. Et sur ce qu’ils voient, sur leur comportement de certains de leur collègue.
Je n’ignore pas qu’ils y’a des éléments violents parmis les manifestants, mais les généraliser en chemises brunes me fait penser que vous ne participez pas
à des manifestations depuis plusieurs années.
Justement j’en fais et je vois les images de manifs à la télé quand une partie des manifestants n’y va qu’avec le projet de casser du flic (quand on est équipé de barre de fer, marteau, cocktails molotov, etc… ) ce n’est pas pour manifester pacifiquement. Bizarrement la plupart des manifestations que je fais sont calmes. C’est en province loin ses caméras et elles.ne sont pas organisés par des groupuscules prônant la violence…
Personnellement, j’ai d’énormes doutes sur cette histoire de référendum d’iniative populaire : j’ai l’impression que le texte de loi est écrit de manière à ce qu’il ne soit pas possible d’y recourir en pratique.
Qu’en pensez-vous ?
Le référendum d’initiative partagé a clairement été conçu pour ne pas fonctionner.
Dans ces deux commentaires, parlez-vous de la réforme des retraites et du référendum d’initiative partagée demandé par l’opposition, ou du mécanisme de référendum d’initiative partagée de façon générale ?
Le mécanisme du référendum partagé a été conçu pour ne déboucher sur rien.
Merci.
Mais dans ce cas, pourquoi a-t-il été conçu ?
Son existence génère énormément de frustration et de tension pour rien : les membres des organisations/syndicats qui parviennent à remplir les critères fixés pour ensuite voir leur demande rejetée (au hasard par un comité Théodule sans aucune légitimite democratique et surnommé « la soupière de la République ») voient cela comme une trahison de l’esprit du texte… ce qui en plus, n’est disons… pas faux!
Résultat, ils n’estiment plus le gouvernement légitime à passer par la voie du Parlement pour CE sujet puisque les conditions du référendum d’initiative populaire ont été réunies : après tout, ce ne sont pas eux qui ont fixé les règles du jeu, et c’est l’autre camp qui les piétine…
Donc pourquoi ne pas faire pareil avec les règles encadrant les manifestations? Ou la violence?
Je ne sais pas si je suis clair, mais à mes yeux, si les conditions importantes de validite du référendum d’iniative populaire sont réunies sur un sujet, le Gouvernement n’est plus légitime à faire passer une loi sans référendum sur ce sujet, mais reste légitime sur tous les autres.
Les prétextes qui seraient trouvés pour ne pas appliquer le référendum d’iniative populaire ne seront que des cache-sexe légaliste déligitimant l’institution qui osé s’en servir.
Oui, cette attitude de refus du mode référendaire, tout en faisant semblant de le promouvoir, est un problème démocratique. Pas le seul malheureusement.
j’imagine un jour RN promouvoir des demandes de referendums sur la peine de mort, l’immigration, ou l’avortement… La gauche criera sans doute au scandale anticonstitutionnel… 😉
Quel que soit le sujet, quel que soit ceux qui le portent, accepter d’enterrer un référendum d’initiation populaire sous un prétexte bidon, c’est vouloir la mort de la démocratie et son remplacement par une oligarchie aux apparences de démocratie.
Le référendum d’iniative populaire est le SEUL instrument potentiellement efficace que peux utiliser le peuple contre l’élite, surtout en France où l’accès au pouvoir est totalement verrouillé par l’oligarchie dirigeante.
Je ne suis pas un grand fan des referendums, mais faire semblant de créer un referendum d’initiative populaire pour le rendre impraticable dans les faits est un procédé inadmissible. Le f****ge de g***e finit toujours par se voir, tôt ou tard, et ça ne passe pas bien…
« Le problème, sur cette réforme, est politique, pas institutionnel. Je comprend tout à fait que l’opposition cherche à faire feu de tous bois, c’est le jeu. Mais à mal poser les débats, pour des raisons purement tactiques, on abime la démocratie, car malheureusement, tous les citoyens ne maitrisent pas les subtilités institutionnelles, et s’indignent sur la base des symboles et arguments que les élus leur jettent en pâture. »
Rien à redire: la gauche modérée se rend-elle compte qu’elle fait le jeu de Mélenchon voire du RN dans cette course à la remise en cause des institutions? Qui empêchera la Manif pour Tous ou Génération Identitaire d’aller intimider le Conseil Constitutionnel ou de demander la non ratification des lois?
Par delà le PS et EELV qui courent derrière LFI, c’est aussi la faute très lourde des syndicats réformistes, des intellectuels de centre gauche (historiens, professeurs de droit, économistes…) ou des médias : au nom du buzz perso ou de la surenchère, ils finiront mencheviks
Je vois mal la droite dure / extrême droite intimider qui que ce soit. Aujourd’hui, c’est l’extrême gauche qui a le quasi-monopole de la violence et de l’intimidation.
Oui ils donnent même l’impression d’être plus facho que les facho 🙁
Certes tout est constitutionnel puisque le Conseil Constitutionnel l’a écrit. On peut s’en contenter ou s’interroger, et aussi sur l’argument un peu spécieux qui précise que même F. Mitterrand, auteur du « coup d’état permanent » s’accommodait de cette constitution qui rend l’exécutif indéboulonnable en cours de mandat.
D’une ce n’était pas la même version de la constitution, car elle a connu bien des changements depuis 1995 lorsqu’il abandonnait le pouvoir. De deux elle accordait alors à l’opposition davantage de place puisqu’elle a permis des périodes de cohabitation fort appréciées des électeurs même si les politiques ne semblaient pas enthousiastes.
Au point de changer dès que l’occasion s’en présenta la constitution pour éviter ces embarras. On voit le résultat.
D’autre part l’accumulation des dispositifs dérogatoires (urgence pour l’examen du texte à l’AN, vote bloqué au Sénat, 49.3 en guise de bouquet final) pour permettre l’adoption de cette loi qui est qu’une loi de finances rectificative d’ailleurs permettant donc d’user du 49.3 avec une rare quiétude, avec une assemblée rétive est assez dérangeante tout de même. L’obstruction de la NUPES fut un moment lamentable et pénible. Mais l’opposition a des droits qu’il convient de respecter eu égard aux pouvoirs riquiqui que laisse la constitution au parlement d’une part et à l’opposition d’autre part. Du reste lors des journées dévolues à l’opposition le gouvernement ne se prive pas non plus de sa liberté en matière d’obstruction.
Il me semble que la question est moins la constitution pour ce qu’elle est que la manière dont le gouvernement en use et peut-être en abuse dans un dévoiement démocratique qui pose question.
Je suis OK avec ce billet.
Au fond ce n’est pas une mauvaise décision basée sur une bonne Constitution mais une bonne décision basée sur une mauvaise Constitution.
J’ai cependant un désaccord sur l’utilisation des outils du parlementarisme rationalisé.
Ils ont certes été produits pour permettre à un gouvernement minoritaire de légiférer, mais je distingue 2 situations :
– dans la 1ère situation, on a une coalition quasi-majoritaire ou à la majorité fragile, avec un gouvernement qui engage sa responsabilité pour discipliner ses troupes et mettre des frondeurs face à leurs responsabilités. On pense à Rocard ou Valls, et j’observe que cette utilisation du 49.3 a été acceptée socialement.
– dans la seconde situation (l’actuelle) on a une mise en minorité très nette du président à l’Assemblée avec, surtout, une absence de volonté de sa part de construire une coalition majoritaire qui l’obligerait à faire des concessions et à accepter que le gouvernement soit responsable devant l’AN et pas uniquement devant lui. Et dans cette situation, le 49.3 est utilisé pour contourner purement et simplement l’Assemblée, tout en agitant explicitement la menace d’une dissolution pour dissuader les députés de censurer en retour. C’est à dire qu’on a un président qui impose son gouvernement minoritaire et impose des lois en usant de menaces. Et c’est la raison pour laquelle cela est perçu comme une violence et est refusé socialement. On pourrait même pousser l’analyse et y voir une forme de coup d’Etat. Cette situation est clairement contraire à l’esprit de la Constitution, peut-être pas sur le titre 5 (parlementarisme rationalisé) mais sur le titre 2 (exercice des pouvoirs présidentiels) : le président doit utiliser ses pouvoirs pour pacifier et équilibrer, et pas pour faire la guerre à l’opposition et déséquilibrer les pouvoirs à son profit.