Un récent sondage a mesuré les potentiels électoraux d’un certain nombre de personnalités en vue de la présidentielle. La question posée n’est pas « pour qui allez-vous voter ? » mais « pour qui pourriez-vous voter ? » ce qui permet de voir l’ampleur de l’adhésion qu’une personnalité est capable d’atteindre (sans pour autant que ça soit le résultat final).
Le résultat est très inquiétant, car il montre que les meilleurs scores (Marine Le Pen et Jordan Bardella) sont autour de 35-40%. Derrière, on tombe vite à 30% pour les candidats potentiels du bloc central, et encore moins à gauche. Cela montre un pays profondément fracturé, où il est hors de question, pour un électeur s’identifiant à un bloc, de voter, éventuellement, pour un candidat d’un autre bloc, voire pour un autre candidat au sein d’un même bloc. Cela montre aussi que la gauche est très émiettée, personne n’émergeant de manière claire.
Le principal enseignement que j’en tire est qu’une nouvelle élection, qu’elle soit présidentielle ou législative, ne nous sortira pas de l’impasse politique. Il y aura bien un vainqueur, mathématiquement, mais son socle d’acceptation, donc de légitimité politique, restera faible. On voit, avec Emmanuel Macron, qu’il est compliqué de prétendre diriger le pays avec une assise électorale réelle qui se limite à 25% ou 30% du corps électoral. Cela a pu tenir au début de son mandat, par le fait que les deux principaux partis dit « de gouvernement » étaient complètement assommés, et que le RN était encore bas. Dès 2019, et l’enchainement Gilets jaunes-Covid, les choses allaient moins bien, et depuis 2022, le système est en panne.
Pourtant, il faut bien que des choix politiques soient faits, car l’immobilisme n’est pas une solution. Depuis quelques temps, on constate que les élus se montrent durablement incapables de les faire. Plus cela va, plus je me dis que les processus démocratiques ordinaires, notamment l’élection des dirigeants, n’est peut-être plus la seule solution. Je crois encore en la démocratie libérale, j’espère qu’on puisse toujours la réparer. Mais l’idée commence à germer qu’un plan B nous soit un jour proposé, pour trouver une autre manière de prendre les décisions politiques, si la classe politique persiste à rester dysfonctionnelle.
Il y a donc urgence à ce que le personnel politique prenne conscience qu’il faut changer d’attitude, de manière de fonctionner, et faire enfin ce pour quoi ils sont élus. Le dysfonctionnement de la démocratie vient en partie d’eux, et il n’y a pas de fatalité structurelle, ou de problème « institutionnel ». Il y a plein d’exemples étrangers, notamment en Europe, où on arrive à trouver des compromis, des ententes pour faire fonctionner un pays, où une coalition n’est pas une étrangeté.
Depuis presque un an, la classe politique est comme une poule qui a trouvé un couteau, face à des modes alternatifs de fonctionnements institutionnels. Il n’y a donc plus grand chose à espérer d’eux. Sans intervention extérieure, je doute qu’ils changent fondamentalement d’attitude, et ne mènent le système à l’effondrement complet.
L’alternative du « grand remplacement » a déjà été tentée. Tous les virer et les remplacer par des novices a clairement montré ses limites en 2017. Reste l’option de faire évoluer ceux qui sont en place et ont du métier. Cela sera difficile et ne se fera pas sans pression extérieure, de leurs électeurs par exemple. On le voit bien, la seule chose qui les préoccupent vraiment est leur élection et leur réélection, tout le reste y est subordonné, y compris l’exercice de la mission pour laquelle ils sont élus.
Cela implique que la « société civile » s’organise, pour faire comprendre aux professionnels de la politique que leur sélection se fera sur leur aptitude à bien faire leur boulot, qui est de décider de manière suffisamment claire pour que les autres acteurs, économiques, sociaux, sachent où on va, et puissent prendre leurs propres décisions en conséquence. La pression viendra des médias et de la communication, avec la mise en valeur de ceux qui « bossent bien », seule récompense véritablement efficace, vu le niveau de perdition de certains membres du personnel politique.
C’est triste d’en arriver là, mais quand la confiance est rompue, il faut reconstruire depuis les fondations. L’alternative est que le bébé de la démocratie soit jeté avec l’eau (saumâtre) bain de la vie politique.