Les journalistes politiques français se sont pris de passion pour un sujet qui permet de faire croire qu’une nouvelle crise politique se profile. Le gouvernement Barnier pourrait bien être censuré, en décembre, lors des ultimes votes sur le budget. Encore une montée de fièvre à courte vue de la part de médias incapable de prendre un peu de hauteur.
Le gouvernement de Michel Barnier n’ayant pas de majorité absolue à l’Assemblée, il est à la merci d’une coalition gauche-RN qui peut le renverser. Depuis le début, la gauche ayant annoncé qu’elle voterait systématiquement les motions de censure, elle a placé le RN en position d’arbitre. Marine Le Pen, disposant de cette belle carte, fait monter la sauce depuis quelques jours. Elle agite la menace de voter la censure, si on ne lui donne pas quelques victoires politiques et symboliques lors de l’examen du budget.
Le moment n’est pas choisi au hasard. La configuration de l’Assemblée, sans majorité solide, ne laissait pas espérer un vote positif sur les lois financières. Tous les observateurs un peu lucides savaient que tout se jouerait au Sénat. Il est donc logique de mettre la pression dans la semaine qui précède l’examen du budget par le Sénat. C’est maintenant que les vraies décisions se prennent.
On va donc entendre les flonflons du bal, avec le premier ministre qui reçoit officiellement Marine Le Pen, ainsi que d’autres présidents de groupes parlementaires. On va avoir une semaine de chaud et froid, avec au final, une baudruche qui va se dégonfler. Le gouvernement Barnier ne sera très probablement pas censuré cette fois-ci, pour des raisons structurelles.
Si la gauche veut déposer une motion de censure à l’occasion de l’utilisation de l’article 49.3 sur le budget, son adoption entraine de facto le rejet du budget. Même si des mécanismes juridiques existent pour tenter d’éviter le shutdown, c’est quand même une décision politique lourde. Je vois mal le RN, en quête de respectabilité et d’une image de « gestionnaire responsable » se lancer dans cette aventure. On risque surtout d’avoir un message de mécontentement du RN contre Barnier et son budget, assorti d’une abstention lors du vote « par sens de la responsabilité envers le pays » (ou une autre formule approchante). On peut faire confiance à Michel Barnier pour mettre, le moment venu, la pression dans ce sens.
Si la gauche attend le vote du budget, et dépose juste après une motion de censure découplée (sur la base de l’article 49.2), on est dans une autre configuration politique. Le risque de shutdown est écarté, mais reste un souci : comment trouver un autre gouvernement, en attendant qu’Emmanuel Macron puisse à nouveau dissoudre, à l’été 2025 ? Le cirque de cet été a montré qu’il n’y a pas d’alternative possible à la majorité qui soutient Michel Barnier, même si les socialistes tentent d’explorer des idées fantaisistes (comme des accords de non-censure). Donc là encore, on est dans une impasse, la censure créant une crise politique dont il n’y a pas d’issue institutionnelle possible. Il ne faut pas oublier que le but de la gauche, comme du RN, est de récupérer le pouvoir au prochain coup, pas de plonger la France dans le chaos politique (dont on ne sait jamais ce qui peut sortir).
Enfin, les médias semblent sous-estimer le fait que Michel Barnier est un fin négociateur, qui a mené la barque du Brexit avec succès pour l’Europe. Je ne doute pas que le Premier ministre saura en lâcher un peu, promettre suffisamment, pour que Marine Le Pen se dise que, finalement, elle n’a pas intérêt à voter la censure. L’essentiel, pour elle, est déjà acquis, par la démonstration du fait qu’elle est incontournable, et qu’il faut donc bien la traiter.