Une heure après la fermeture des derniers bureaux de vote pour les élections européennes, Emmanuel Macron annonce une dissolution de l’Assemblée nationale, avec des élections législatives les 30 juin et 7 juillet. Une annonce sidérante et incroyablement risquée.
Vu la montée en puissance du RN, il était évident que plus on attendait, plus on risquait une nette victoire de ce parti, l’attente n’étant alors qu’une longue agonie du pouvoir en place. Avec un score aussi mauvais aux européennes (à peine 15%, contre 32 au RN), le gouvernement Attal risquait de ne pas aller beaucoup plus loin que l’examen du budget, en octobre prochain. Quitte à devoir dissoudre, autant le faire tout de suite, en profitant de l’effet de surprise, pour avoir une chance d’éviter le désastre annoncé.
Mais c’est loin d’être gagné pour autant !
Une dissolution ne peut être un succès, pour celui qui y procède, que si elle a un sens, que les électeurs comprennent l’enjeu. En 1962, De Gaulle a dissous après l’adoption d’une motion de censure, en 1968, il l’a fait après mai 1968. Mitterrand l’a fait en 1981 et 1988, après son élection. La raison de la dissolution était limpide, et les français ont acquiescé, en donnant une nouvelle majorité au président. A rebours, en 1997, personne n’a compris pourquoi Chirac avait dissous, et il s’est retrouvé avec une cohabitation.
J’ai un peu de mal à saisir le sens de la décision d’Emmanuel Macron. Pourquoi dissoudre ? Qu’attend-t-il des Français ? Pourquoi faudrait-il lui redonner une majorité ? Son message était assez succinct et peu explicite. Ce que j’en retire (à chaud) c’est qu’il a reconnu s’être pris une grosse déculottée électorale, qui le disqualifie politiquement et en tire les conséquences. C’est politiquement très honnête et courageux, mais ça sonne aussi comme une forme de démission, et une transmission de relais à Marine Le Pen. En tout cas, cela peut être interprété comme cela, si Macron n’en dit pas plus, ou se contente d’un « c’est moi ou le chaos RN » sans programme politique de fond.
Ces élections se font dans un contexte très particulier. Le délai est extrêmement court, prenant tout le monde par surprise. Chaque parti a moins d’une semaine pour désigner ses candidats. Les déchirures de la gauche risquent d’empêcher la reconstitution de la moindre alliance entre LFI et le reste de la gauche, d’autant plus que le résultat des européennes change la répartition du rapport de force en faveur du PS. Si la gauche part désunie, elle va se faire défoncer, en étant éliminée dès le premier tour dans beaucoup d’endroits.
La camp macroniste tente un coup de poker, en annonçant dès ce soir, donner l’investiture à tous les députés sortants, les siens, mais aussi ceux de LR, Liot, PS et Verts. Une main tendue pour une coalition « républicaine » qui sera nécessaire pour trouver une majorité en cas de forte poussée du RN. Encore faudrait-il que les députés d’opposition concernés répondent positivement à l’appel. Si ce n’est pas le cas, et que les macronistes sortants se retrouvent avec des PS et des LR contre eux, en plus du RN, ça va être un carnage.
L’onde de choc va peut-être fissurer la majorité actuelle. Un certain nombre de députés macronistes sortants sont usés, et risquent de ne pas rempiler. Joel Giraud, par exemple, vient d’annoncer son départ en retraite de la politique. Combien comme lui ? Autre fissure potentielle, quelle place laissée aux « alliés » Modem et Horizons ? Vont-ils y gagner ou y laisser des plumes ? Vont-il accepter de ne pas envoyer de candidats là où ils ont des chances sérieuses ? C’est bien de vouloir élargir sa majorité, c’est encore mieux d’arriver à y garder ceux qui y sont déjà.
Très rapidement, la campagne va tourner autour du spectre de voir Marine Le Pen obtenir une majorité à l’Assemblée, et donc diriger le gouvernement. Cette perspective ne doit pas être écartée. Mais ce serait une arrivée au pouvoir en mode cohabitation, avec un président qui a encore trois ans de mandat, et qui pourra à nouveau dissoudre à partir de juillet 2025. Un gouvernement RN serait loin d’avoir les mains libres, et c’est très différent d’une arrivée au pouvoir après une victoire à la présidentielle suivie d’une dissolution (et d’une victoire aussi aux législatives).
On peut se demander si, quitte à avoir le RN, mieux vaudrait cette configuration, qui limite la casse, et pourrait permettre de discréditer Marine Le Pen. Ce serait très cynique, car cela veut quand même dire au moins une année de combat politique violent, où c’est le pays qui trinquera.
Malheureusement, ce moment du choix démocratique qui nous saisit par surprise devait arriver, tôt ou tard. Espérons que la pièce qu’Emmanuel Macron vient de lancer en l’air retombe du bon coté. J’ai bien peur que ça ne soit pas le cas. Quand l’extrême droite arrive au pouvoir, en France, c’est toujours par surprise, et je crains que beaucoup, dans les lieux de pouvoir, ne s’en accommodent, une fois la sidération passée.