Après avoir traité le sujet de fond, sur la neutralité de certains articles Wikipédia, je souhaite revenir sur la manière dont le Point a traité le sujet, qui est loin d’être exempte de reproches. Pas mal d’article de presse sont sortis, permettant de se faire une idée asse précise des faits. Celui du Monde et ceux de Next sont très biens, car avec un peu de recul et équilibrés.
Le coeur du problème, est la prise de contact du journaliste Erwan Seznec avec un contributeur, FredD, qui a été violente. Ce contributeur, sous pseudo, reçoit un mail et des appels sur son portable, d’un journaliste d’un média d’envergure nationale, lui indiquant qu’il va révéler sa véritable identité et prévenir son employeur de ses activités wikipédiennes, dans l’idée qu’il en subisse des conséquences professionnelles. Rien que là, il y a une faute grave du journaliste, une attitude inacceptable tant sur le plan humain que professionnel, qui nécessiterait, a minima, des excuses.
La défense produite par le journaliste, à savoir le respect du « contradictoire » ne tient pas vraiment dans notre affaire. Les règles déontologiques du journalisme imposent, quand on va mettre en cause une personne ou une institution, de les contacter avant pour connaitre leur position et leur permettre de se défendre. Une pratique très contestable, mais répandue du « contradictoire », consiste à boucler son enquête (qui peut durer plusieurs jours à plusieurs semaines) et d’attendre les dernières 24h pour contacter la personne concernée, alors que le papier est bouclé, prêt à être publié. On se doute bien que, quoi que la « victime » puisse dire, ça ne sert à rien, le verdict est déjà prononcé, on l’informe juste un peu avant que l’exécution aura lieu dans les prochaines 48h. C’est là un détournement complet de cette procédure de contradictoire, où il faudrait contacter les personnes concernées au moment où elles peuvent utilement faire entendre leurs positions et arguments. Pas à l’avant-veille de la publication, en leur laissant 24h pour réagir à une demande qu’ils n’ont souvent pas vu venir.
Le journaliste commet une autre faute, en se focalisant sur un contributeur précis. Pas de bol pour FredD, qui va prendre pour les autres, à cause d’une seule modification (contestable sur le fond, mais c’est un autre sujet). Son historique de contribution montre qu’il est bien plus sur la biodiversité marine et les mollusques, que sur les pages brulantes et controversées. Il y a un problème évident, sur Wikipédia, de pov-pushing et de neutralité, avec un certain nombre de contributeurs (j’ai quelques noms en tête) qui sont bien plus actifs et problématiques sur ces questions. Rien que sur l’historique de la page du Point, il y avait bien plus problématique que ce pauvre FredD.
De manière plus globale, dans leur relation à Wikipédia, la manière de faire du Point et d’Erwan Seznec interroge beaucoup. Je peux tout à fait comprendre qu’ils se positionnent dans un journalisme d’opinion, qui cherche à plaquer sur les faits une grille de lecture idéologique, afin de conforter les préjugés et nourrir les obsessions de leurs lecteurs. C’est malheureusement en train de devenir le modèle économique d’un nombre croissant de titres de presse en France. Ce n’est pas ce que j’attends d’un journal, mais la Presse est libre en France. Ce qui est plus gênant, c’est l’utilisation de la puissance de feu médiatique d’un journal pour la défense ses propres intérêts, dans le cadre d’un conflit où il est partie prenante. On entre dans le mélange des genres, le conflit d’intérêt à l’état presque pur. Un élu qui utiliserait les moyens dont il dispose dans le cadre de son mandat, pour régler des comptes personnels, serait immédiatement cloué au pilori. Il faudrait peut-être que le Point se penche sur ce sujet déontologique.
Sur l’attitude aussi, il y aurait des choses à dire. Je peux, là encore, entendre que les journalistes du Point, ressentent une forme d’injustice, voire de colère, à la lecture de la présentation qui est faite de leur journal sur Wikipédia. L’article, avant le 15 février (début de l’affaire) est mal équilibré, avec une proportion bien trop importante consacrée aux polémiques. La manière dont le positionnement bien à droite du journal est décrit, bien que reposant sur des sources solides, aurait pu être écrit un peu différemment. Bref, il y avait de quoi nourrir une discussion de fond, avec des arguments qui auraient pu convaincre un certain nombre de contributeurs qu’il fallait effectivement faire évoluer cet article. C’est d’ailleurs ce qui est fait depuis une semaine, comme quoi, c’est possible.
Pourquoi donc ne pas avoir cherché à comprendre comment fonctionne l’encyclopédie, et quelles sont les voies possibles pour arriver, paisiblement,à rééquilibrer l’article ? Il faut reconnaitre à Erwan Seznec d’avoir tenté. Il s’est créé un compte, il est venu discuter. Mais s’y prenant mal, parce que ne connaissant pas les us et coutumes, il s’est fait jeter. La communauté francophone n’aime pas qu’on la prenne de haut et l’agressivité ne paie jamais. Même si le bon accueil des nouveaux, reste perfectible, il y aura toujours, du coté des arrivants et des observateurs, un chemin à faire, qu’Erwan Seznec n’a même pas amorcé.
Sans forcément chercher à devenir lui-même un contributeur, le journaliste n’a pas cherché à creuser, pour savoir si ce qui lui est arrivé est « normal » ou exceptionnel, s’il n’existe pas des instances d’aide et de médiation, qui permettent d’avancer. Pourtant, tout cela existe, et fonctionne, tout est expliqué. A condition de trouver la documentation et de prendre le temps de la lire. Cela demande un effort, mais qui n’est pas hors de portée d’un journaliste un peu curieux et qui cherche, de bonne foi, à comprendre.
On se retrouve donc avec un vrai gâchis, car les contributeurs sont toujours heureux de pouvoir expliquer ce qu’ils font, comment fonctionne Wikipédia, autrement qu’en réponse à des attaques. La rédaction des articles est quelque chose de mouvant, sans cesse en discussion, et sur l’article du Point, en s’y prenant bien, il aurait été possible d’arriver à un résultat globalement satisfaisant, sans tout le drama généré depuis une semaine. Encore aurait-il fallu que cela soit le véritable objectif du Point…
Ajout du 11 mai 2025
Le journaliste Erwan Seznec a souhaité utiliser la procédure juridique du droit de réponse, afin de commenter l’article.
Je souhaite exercer mon droit de réponse quant à la manière dont ce blog a rendu compte d’une polémique m’ayant opposé à quelques contributeurs de Wikipédia. Elle est loin d’être exempte de reproches. Se fier à deux articles pour connaître le fond d’un dossier ne permet pas toujours de se faire une idée assez précise des faits.
« La défense produite par le journaliste, à savoir le respect du « contradictoire » ne tient pas vraiment dans notre affaire », lit-on dans ce billet. Venant d’un commentateur qui n’a jamais cherché à me joindre, partant sans doute du principe erroné qu’il n’a pas à le faire en tant que blogueur, ce bavardage sur ce qui se ferait et ne se ferait pas en matière de contradictoire appelle peu de commentaires. Je releverai juste sa naïveté, sans doute liée au manque de pratique (faire le contradictoire au dernier moment est parfois indispensable, pour éviter que les personnes interrogées n’aient le temps nécessaire pour se concerter et élaborer collectivement la version de l’histoire qui les arrange).
Le contradictoire, en l’occurence, avait été réalisé avec un certain « FredD », dont l’auteur de ce billet ne dit pas tout. « FredD » avait posté sur la page wikipédia du Point des propos calomnieux tirés d’un blog anonyme, ce qui est contraire aux règles internes de l’encyclopédie. Ces propos ont d’ailleurs été très rapidement retirés.
« FredD », par ailleurs, disait travailler pour un organisme qui intervient dans le débat public, avec lequel le Point est en contact fréquent. Il avait sollicité confidentiellement la rédaction en 2022 sous son vrai nom pour dénigrer une de ses collègues, dans l’espoir d’alimenter un article à charge. C’est dans ce contexte que j’avais jugé nécessaire de contacter son employeur, si « FredD » persistait dans sa démarche calomnieuse sur Wikipédia (ce qu’il n’a pas fait : ce blog souligne à juste titre qu’il s’était aventuré hors de son domaine de compétence).
Le contresens le plus grave de ce billet de blog intervient dans la suite. Réduire notre travail sur Wikipédia à « l’utilisation de la puissance de feu médiatique d’un journal pour la défense ses propres intérêts » témoigne d’une méconnaissance profonde du fonctionnement de la presse et de Wikipédia. Le Point est très souvent critiqué et ne s’en formalise pas.
Dans le cas de Wikipedia, nous sommes en présence d’un réseau social (soumis à ce titre au Règlement européen sur les services numériques) dirigé par une organisation américaine de 700 salariés, la fondation Wikimedia, qui compile des éléments de langage fournis gratuitement par des bénévoles (qui n’auront plus, quoi qu’ils imaginent, le moindre droit sur leur production). Ces éléments sont stockés sur des serveurs situés aux Etats-Unis,serveurs auquels les entreprises développant de l’intelligence artificielle achètent un accès.
C’est sur ces pratiques que j’enquête pour le Point depuis 2023. Elles préoccupent les autorités américaines, la Commission européenne et les autorités britanniques. Distinguant des risques évidents d’instrumentalisation de l’encyclopédie et de diffusion de fausses nouvelles à très grande échelle par le biais de l’IA, ces dernières ont demandé début mai 2025 à la Haute Cour de Justice britannique d’examiner les pratiques de modération et d’anonymat de Wikipédia. Le Département de la Justice américain a sommé fin avril la fondation de répondre à une quinzaine de questions très précises sur ces mêmes thèmes. Soumise à ces très fortes pressions, la directrice générale de la Fondation, Maryana Iskander, a annoncé son prochain départ, également début mai 2025.
Chacun appréciera le « loupé journalistique » évoqué dans le titre de ce billet de blog au regard de ces éléments, survenus ces dernières semaines.
La réalité du dossier était facilement accessible à un commentateur « un peu curieux et qui cherche, de bonne foi, à comprendre ». Je suis fondé à penser que l’auteur « n’a pas cherché à creuser », ce qui explique sans doute pourquoi « on se retrouve donc avec un vrai gâchis », sous la forme de ce billet de blog. « En s’y prenant bien, il aurait été possible d’arriver à un résultat globalement satisfaisant ». Une prochaine fois peut-être.
Réponse à la réponse
Chacun se fera effectivement son idée. Mais force est de constater que nous sommes toujours essentiellement sur des approximations orientées et des attaques personnelles comme réponse aux critiques.