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Le système médiatique fonctionne mal

Je souhaite apporter ici quelques réflexions sur un sujet qui fait l’objet de beaucoup de discussions, commentaires. C’est une pensée en construction, sur l’insatisfaction profonde que je ressens sur les déficits et défauts profond de notre système médiatique à fournir une information de qualité.

Comme beaucoup, je suis souvent très frustré quand je lis des choses sur un sujet que je connais bien (et donc bien mieux que le journaliste qui a écrit dessus). L’idée n’est pas d’incriminer le journaliste, qui fait souvent ce qu’il peut, avec les moyens qu’on lui donne, pour remplir une mission qui est survendue par le médias qui l’emploie.

L’impression qui ressort est d’abord une méconnaissance technique (pour ne pas dire pire), avec des erreurs d’analyse, voire factuelle. On sent que le journaliste ne maitrise pas toujours le domaine. C’est tout le problème quand on a des journalistes « généralistes » dans des services au champ immense (par exemple la rubrique « société ») souvent jeunes, donc sans le savoir que donne l’ancienneté et l’expérience. Même quand on a un rubircard, c’est parfois pas terrible, car entre la précision technique et la « lisibilité » pour le public, on est obligé d’arbitrer. En général, l’arbitrage se fait en faveur de la lisibilité, d’où des raccourcis ou des imprécisions qui peuvent irriter les connaisseurs.

Un autre point irritant, c’est le panurgisme, où tous les médias parlent du même sujet, en même temps, pour dire souvent à peu près la même chose (pour mieux l’oublier ensuite). Cela tient au fonctionnement de la profession, qui trop souvent, s’emprisonne dans l’exigence de « l’actualité ». Un sujet de fond, parfois présent depuis longtemps, n’arrive à percer qu’à l’occasion d’un « évènement » lui donnant une visibilité. C’est par exemple un phénomène de société, largement sous le radar, qui d’un seul coup prend la lumière à l’occasion d’un fait divers sordide, ou d’une proposition de loi débattue à l’Assemblée. Pour ceux qui connaissent bien le sujet et le secteur, c’est toujours agaçant de voir que le grand public s’intéresse enfin à eux, mais pas pour les bonnes raisons, pas toujours sous leur meilleur jour, et au moment le plus pertinent.

Tout cela amène à une information de mauvaise qualité, où les sujets sont traités de manière superficielle, selon un angle précis et souvent unique, pas forcément le plus pertinent. J’ai clairement l’impression que seuls les journalistes de la presse écrite travaillent réellement, radios et télévisions ne sont là que pour mettre en scène ce que la presse écrite a déjà raconté. Je n’ai quasiment jamais rien appris dans ce que les télévisions appellent des « enquêtes ». Malheureusement, j’ai aussi souvent l’impression que parmi les journalistes de presse écrite, il y en malheureusement qu’un ou deux qui travaillent réellement sur un sujet (ceux qui sont les premiers à publier) et que trop souvent, leurs collègues ne font que reprendre la même trame, avec quelques compléments. Ils ne refont que très rarement une reprise complètement, pour chercher d’autres angles. Ce n’est tout simplement pas économiquement rentable.

Tout cela rend l’information extrêmement poreuse à la communication et aux manipulations. Il suffit, pour une organisation (je parle globalement, entreprises comme ONG) de faire un travail auprès d’un journaliste, pour qu’il fasse une enquête qui traite le sujet selon le « bon point de vue ». Parfois, il y a juste besoin de sortir un rapport ou une étude un peu construite, qui sort au moment « opportun », c’est à dire quand il y a une « accroche d’actualité » pour orienter ce qui arrivera aux oreilles du grand public.

Le souci premier est le manque de moyens des médias, qui passent leur temps à courir après l’actualité, sans capacité à réellement anticiper, et à travailler sur des sujets de fond qui ne sont pas dans l’actualité, ou sans potentiel sensationnaliste. Ils emploient trop souvent des jeunes journalistes, sans bagage technique, pour traiter un champ très large de sujets, avec une pression à faire du chiffre.

Le deuxième souci est la culture professionnelle des journalistes. Le métier est une sorte de caste fermée, où l’élite ne peut que venir de certaines écoles de journalistes. On a donc des gens, parfois de grande qualité, qui n’ont jamais fait rien d’autre que journaliste, et n’ont donc pas le bagage technique et/ou le vécu suffisant pour comprendre et connaitre en profondeur les sujets qu’ils vont avoir à traiter. Certes, ce savoir peut s’acquérir, mais cela demande beaucoup de temps, de travail, et reste incomplet. Quand vous êtes dans un secteur précis, on vous parle différemment qu’à un journaliste, on vous dit des choses qu’on ne dirait pas, ou pas de la même manière à un journaliste, même de confiance.

La culture professionnelle des journalistes est également marquée par des mythes, notamment celui d’Albert Londres qui « met la plume dans la plaie ». Le journaliste d’investigation, qui dévoile les scandales et prend la pose du justicier est encore beaucoup trop valorisée. Or, beaucoup de lecteurs n’attendent pas ça, ou pas que ça. Ils souhaitent aussi qu’on leur donne des informations et les éléments d’analyse pour se faire leur propre jugement sur les enjeux. Malheureusement, ils lisent trop souvent ce que pense le journaliste (avec tous les préjugés parfois inconscients de ce milieu socialement très situé), plutôt que des faits traitées sous les angles, à charge et à décharge.

La solution unique n’existe pas, mais les pistes d’évolution pourraient être de financer davantage la fabrication de l’information, et aérer la profession, tant dans son recrutement que dans les représentations qu’elle se fait d’elle-même et de sa mission.

12 réponses sur « Le système médiatique fonctionne mal »

Bonjour.
Concernant l’incompétence des journalistes, je suis tout à fait d’accord avec vous. Et cela peut même en être de la « fake news » implicite. Ainsi, il y a quelques jours, je voyais en titre d’un article « Le député Machin mis en examen [donc présumé coupable] dans une affaire de diffamation ». Sauf que, j’avais lu, il y a déjà longtemps, que dans les affaires de diffamation, la mise en examen de la personne accusée est systématique [et ne veut donc rien dire]. Ce qui est logique car cette mise en examen et l’acte juridique qui lui permettra d’avoir accès au dossier, et donc de réfuter les accusations.

Après, il y a aussi le « besoin de sensationnalisme ». Ainsi en 1996 j’étais à Annecy lors du tremblement de terre du 14 juillet. Les médias se sont tous focalisés sur les 3 voitures (vides) qui s’étaient prise une cheminée sur la tronche. Et de notre côté au travail cela donnait « Tu as eu quoi comme dégâts? Mes bouteilles ont fait le grand saut depuis le bar pour s’exploser au sol » (véridique).

Concernant votre satisfecit pour la presse papier, je serais en revanche plus dur. Car, de mon expérience, nombre d’articles sont en fait des copier/coller de dépêches. Ce qui explique qu’on retrouve le même texte (à quelques variations minimes) d’un journal à l’autre.

Après, le reproche supplémentaire que je leur ferait c’est de ne toujours pas avoir compris ce qu’Internet pouvait apporter de positif dans leur profession. En effet sur les sites des médias papier vous avez deux types d’articles, ceux pour les abonnés, donc payants, et les rares pour « tout le monde ». Mais je ne connais à ce jour aucun site Internet de média qui proposerait des articles gratuits avec un contenu « de base », dans lesquels on trouverait un lien vers un article payant au contenu beaucoup plus fouillé, détaillé, en traitant en profondeur le sujet. Mais il est vrai que pour cela il faudra que le journaliste accepte de travailler avec un.e documentaliste en charge d’enrichir ses propos par un travail poussé.

Et sinon, en ce qui concerne le « petit entre-soi des journalistes » je suis aussi totalement d’accord. On le voit bien en ce moment avec tous les médias parlant de la « guerre Israël-Hamas ». Alors qu’au vu du profil des victimes côté palestinien, le terme « guerre Israël-Gaza » me semble nettement plus proche de la réalité. Et cela donne aussi qu’à ce jour je trouve que le meilleur site d’informations sur les évènements se passant en France est celui de La Libre Belgique.

Pour répondre à votre proposition d’un article résumé et un autre plus poussé … c’est la technique du monde. Un papier court, souvent issus des dépêches, et ensuite un papier plus long d’analyse. Ca marche pour le Monde … mais parce qu’ils ont plus de 400 000 abonnés. Le modèle économique de votre proposition a été testé mais n’a pas été concluant. Malheureusement, à peine 10% des Français se disent prêts à s’abonner à un média (https://baekdal.com/monetization/why-do-norwegian-newspapers-perform-so-much-better-than-the-industry-average/AE3A89A6D9334570BD916D3D958775C3F6687E84E5325CE2B7DC5A98D6D7B41B). Les journalistes ont leur part de responsabilité avec ce chiffre très bas. Mais ils ne sont les seuls …

Il y a plusieurs questions fondamentales non posées : l’acceptabilité des solutions par le secteur concerné, le rôle attribué à la subvention publique (et donc ce qui est exigé des journaux, publiquement ou non, en échange de ces subventions) et la rentabilité du marché de l’information.

Selon moi :
– la profession ne veut absolument pas réaliser les changements/ sacrifices nécessaires pour avoir une activité solvable (par exemple, pourquoi maintenir des versions papiers et les kiosques à journaux à l’heure du tout numérique?????)
– il n’existe aucune doctrine publique concernant la subvention publique à la presse, et donc aucune contrepartie à celle-ci… (du moins officiellement, parce que je pense qu’en coulisse cette forme de pression est sans doute utilisée par certains…)
Résultat, il est possible pour les medias de survivre même sans apporter aucune valeur ajoutée tant que l’état paie.
– tout le monde dit vouloir une information de qualité, mais trop peu de personnes seraient réellement prêtes à payer pour l’obtenir.

Autrement dit, tout le monde se plaint mais personne ne veut que ça change !

je ne savais pas la presse française subventionnée ? Vous avez un exemple ? Par contre aucun mot sur l’influence des groupes privées propriétaire d’un organe de presse ? Ou de l’influence des revenus de la publicité sur la ligne éditoriale de la presse….

Merci pour cette question, qui m’a obligé à creuser et vérifier mes a priori.
Je n’ai pas parlé de l’influence des groupes privés propriétaires d’organes de presse, ou de la publicité, mais c’est un oubli, et bien sur le même raisonnement s’applique.

Source concernant la politique d’ouverture des robinets d’argent public sans contrepartie pour la presse générale (c’est carrément la politique officielle!!!) : https://www.culture.gouv.fr/fr/Thematiques/Presse-ecrite/Politique-de-soutien-de-l-Etat-en-faveur-de-la-presse

Et elle confirme bien qu’un organe de presse peut faire n’importe quoi et subir une hémorragie continue de lecteurs en sachant que les pertes seront compensés par l’Etat; donc, aucune adaptation n’est indispensable pour survivre, et aucune exigence concernant la qualité informationnelle et journalistique, genre déontologie de vérification des sources.

Concernant les subventions : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Presse-ecrite/Tableaux-des-titres-de-presse-aides2#:~:text=En%202022%2C%20le%20minist%C3%A8re%20de,les%20aides%20%C3%A0%20l'investissement.

tableaux Excel en téléchargement dans l’article.

Donc, notion de subventions sans conditions pour toute la presse générale validé à 100% après vérification des sources

Merci pour votre recherche. Le tableau est très instructif et on voit que tout le monde touche son obole (on va de valeurs actuels à l’humanité pour les plus connus) à des degrés divers. Cela ne semble pas nuire au pluralisme (je dirais même que sans ces aides le pluralisme serait peut être moins étoffé… On peut aussi relativiser le poids de ces aides (par exemple pour le monde c’est 0.05 centimes par exemplaire)…

On peut aussi rajouter qu’il y a une forte tendance chez nos journalistes à exprimer ses opinions plutôt qu’à raconter les faits, et, partant, ça donne au mieux des éditoriaux orientés, au pire, des articles complètement biaisés et à contre-courant de la réalité (par exemple scientifique).
On rajoute à cela une tendance à la recopie de dépêches d’agences de presse (déjà dénoncée il y a 20 ans par François Ruffin), et on se retrouve avec des médias )
Finalement, on mélange tout ça, et ça donne du pseudo-journalisme d’investigation ou de dénonciation qui manipule, avec un principe « plus c’est gros mieux ça passe » (coucou Cash Investigation et sa citation tronquée « 97% des aliments comportent des résidus de pesticides » https://www.liberation.fr/futurs/2016/02/23/cash-investigation-lanceur-d-alerte-trop-alarmiste_1435393/ )

Les médias sont les premiers à se plaindre des fake-news, de la « dictature » des éléments de langage et de la montée des extrêmes, mais ce sont les premiers coupables par leur militantisme!! après quelques décennies à creuser, qu’ils ne s’étonnent plus!!

Et je ne parle même pas de déontologie, il n’y a strictement aucun organe de contrôle sur le sujet ni aucun texte.

Je jette un pavé dans la mare, mais : n’y a-t-il pas, tout simplement, trop de médias ?

Que ce soit en télé ou dans la presse papier/numérique, l’offre est pléthorique et avec une faible valeur ajoutée, et surtout des plateformes de marque qui deviennent de plus en plus transparentes. C’est quoi la différence de fond aujourd’hui entre Le Point et L’Express ? Entre TMC et W9 ? Chaque grand groupe media veut des segments de marché pour vendre de la pub ciblée, mais est-ce que l’ARCOM doit être l’avaliseur passif de ce genre de stratégies purement commerciales ? La TNT c’est un cimetière de rediffusions et de copycats entre deux tranches de pub. Il y a même des chaînes de la TNT qui diffusent en week-end des tunnels d’épisodes de série du matin au soir, c’est affligeant.

Imo la bulle médiatique provient beaucoup d’un surplus d’offre de qualité médiocre qui sature l’espace médiatique et le temps d’attention des gens et les empêche aussi d’apprécier l’information de qualité, et d’être en capacité de lui donner une valeur et un prix. Pas que, certes, mais on ne me fera pas croire qu’avec la technologie actuelle et la créativité des modes de financement c’est la pingrerie des Français qui empêche de financer durablement leurs medias.

Bonjour, je suis surpris par votre approche de l’information plus que « tradi », comme si vous l’aviez écrit à un temps où Internet n’existe pas. La presse hebdomadaire est d’une grande médiocrité et m’a toujours dégoûté (comparativement aux quotidiens, toutes tendances idéologiques confondues), la télévision est un média zombie qui repose structurellement sur le nivellement par le bas et la vente de temps de cerveau disponible. La seule chose qui la rendait digne d’intérêt était son quasi-monopole sur l’information.
Il y a désormais d’autres sources d’information en ligne, en particulier pour les sujets de fond. J’entends les personnes dans mon entourage me présenter ce qu’ils ont appris par des lectures en ligne ou des documentaires, jamais de ce qu’ils ont vu à la télévision ou lu dans un hebdomadaire, meme de la part d’abonnés. Un journaliste lambda dans les contraintes de son média ne pourra pas rivaliser avec un producteur de contenu spécialisé.
La politique est le seul domaine d’expertise de la presse traditionnelle et pourtant sa couverture est très médiocre, concentrée en grande partie sur une politique politicienne qui rencontre une indifférence totale en dehors des cercles militants (certes gros consommateurs de la presse traditionnelle).
Bref, il ne faut pas réformer les secteurs télévision + hebdomadaires, qui vont mourir de toute façon, les radios se transforment en podcasts et peuvent survivre, avec un contenu (parfois) de qualité disponible en stock plutôt que simplement en flux, et le monde (avec un petit m) évolue et je ne pense pas que cela soit en pire. Hourra pour l’avènement du progrès et concentrons nous sur les enjeux d’avenir.

La production d’une information de qualité est autrement plus complexe que ce que vous décrivez. Sans journalistes qui vont chercher les infos, sans se contenter de ce qu’on leur donne, on aurait juste des relais de communication, de « contenus » produits par diverses officines. Même si c’est souvent médiocre, il y a quand même un travail d’analyse et de recul sur ce qui sort, qui est indispensable, et faire ça, c’est un métier. On aura toujours besoin de journalistes, mais pas nécessairement pour lire des news sur un prompteur, ou réécrire des dépêches d’agence.

Mais la production de l’information (et encore plus, de l’information de qualité) n’est pas limitée aux journalistes. D’ailleurs ils ne la « produisent » pas (ou rarement), mais la présentent. C’est la réduction de l’information à la presse traditionnelle que je trouve problématique, et contraire à l’expérience commune.

Oui, on a besoin de journalistes. De vrais journalistes. Et je trouve que trop souvent, on n’a que des militants ou des »passeurs de plats », pas des journalistes

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