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Peut-on abroger la loi Duplomb

Une pétition connait un grand succès actuellement, sur le site de l’Assemblée. Elle propose l’abrogation de la loi Duplomb (qui n’a même pas encore été promulguée) et devrait dépasser le million de signatures. Elle montre assez clairement les limites de la « démocratie citoyenne ».

La première limite est institutionnelle. Tout ce que cette pétition pourra provoquer, c’est un débat en hémicycle à l’Assemblée, si la conférence des présidents de le veut bien (ce qui n’est pas gagné). Et comme on est en été, ça sera pour septembre, voire octobre, au mieux. Quoi qu’il arrive, cela n’ira pas plus loin qu’un débat, car le système des pétitions devant les chambres n’est pas fait pour servir de cour d’appel des décisions parlementaires. Il n’est pas fait pour servir tout court, à part offrir un pseudo-débouché institutionnel aux émotions citoyennes et médiatiques.

Mais c’est sur le fond que cette pétition est intéressante, car elle illustre parfaitement le fossé entre la loi, telle qu’elle est écrite, et la perception qu’en ont les citoyens. La loi Duplomb, c’est une série de modifications d’articles de code (notamment du code rural) et une fois la loi promulguée, et les codes changés, la « loi Duplomb » n’est plus qu’un objet symbolique. Abroger la loi Duplomb, techniquement, ça voudrait dire revenir sur toutes les modifications de code, quelque que soit leur intérêt et leur portée. Plus on avance dans le temps, plus l’opération est complexe, car les codes vivent leur vie, et sont en constante mutation, sous l’effet notamment de la frénésie législative du Parlement. Au bout de la troisième ou quatrième modification d’un article de code, postérieure à la loi que l’on veut abroger, on risque surtout de créer un vaste bazar légistique, que même une loi de simplification n’arriverait pas à mettre.

Les citoyens ne voient le travail législatif que par le prisme des médias et des slogans militants, qui sont obligés de simplifier à l’extrême et de mettre de l’émotion et de l’emphase, pour toucher le grand public. Il y a donc un écart énorme entre le réel et la perception, qui fait que les tentatives citoyennes de « renvoi de balle » au législateur ne peuvent pas techniquement aboutir. Ce que demandent politiquement les signataires de la pétition, c’est juste l’abrogation de quelques mesures précises, celles qui ont fait couler de l’encre et des pixels, pas de l’ensemble des articles. Sauf que l’écriture de la loi étant tellement technique, il faut quasiment être du métier, pour arriver à formuler une proposition techniquement valide, qui réponde exactement à la demande citoyenne, et qui ait donc une chance de trouver un débouché autre que symbolique.

De ce hiatus, ne peut naitre que de la frustration, ce qui n’est pas bon. Quand un million de personnes s’expriment (même si l’effort pour signer une pétition en ligne n’est pas surhumain), et veulent envoyer un message, il faut a minima envoyer un accusé de réception et une réponse politique. A défaut de revenir sur le texte, au moins, qu’on débatte sur les éléments précis qui ont motivé la pétition. Le risque, si la pétition est mal rédigée (et c’est le cas sur celle concernant la loi Duplomb), c’est le débat passe à coté du sujet, et que ça finisse en échange de slogans stériles.

Ce mécanisme des pétitions citoyennes existe, et mérite d’être amélioré. Cette pétition sur la loi Duplomb, au delà de sa rédaction maladroite, peut être entendue comme une demande de nouvelle délibération de la loi, qui vient juste d’être votée, mais n’est pas encore promulguée. Ce n’est pas possible, constitutionnellement, car seul le chef de l’Etat peut la demander, mais cela peut être une idée très intéressante si jamais une révision constitutionnelle a lieu. Si un texte à peine voté suscite un tel tollé, il n’est pas démocratiquement sain de passer outre.

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On a un gouvernement de droite (et heureusement)

François Bayrou vient de faire ses annonces pour trouver des économies budgétaires. Comme on pouvait le prévoir, ça risque de faire mal pour les ménages et les collectivités (un peu moins pour les entreprises). Mais on reste dans le très classique, avec beaucoup de vieilles recettes et aucune réforme structurelle. Beaucoup d’annonces relèvent de l’incantation, car soit on a déjà essayé, et on sait que ça ne marche pas, soit parce qu’il faut arriver à les faire voter. Pour les projections financières, c’est juste à hurler de rire. On est à peine de capable de projeter correctement sur l’année en cours, alors un plan jusqu’en 2029, n’en parlons pas.

Sur la forme, la séquence est toutefois assez réussie, avec des annonces relatives claires. J’avais peur d’un gloubi-boulga de non-annonces, où on sort frustré car il n’y a aucun cap. Même si on n’a pas tous les détails, ce qui est normal, Bayrou a parlé d’année blanche, de baisse de dépenses sociales et de dotations aux collectivités, de baisse du nombre de fonctionnaires, de hausse de fiscalité pour les ménages. Dans le même temps, les entreprises vont sauver une partie de leurs aides, et auront des « compensations » pour les coupes budgétaires qu’elles devraient subir. La réforme de l’Assurance chômage ou du droit du travail ne devrait pas se traduire par des « avancées sociales ». On a une politique de droite, sans le moindre doute possible.

Le choix politique est donc de ne faire aucune réforme structurelle, mais de continuer à raboter des dispositifs. Le modèle social français sera moins généreux, notamment sur le volet de prise en charge des soins et la solidarité. En même temps, il y a bien un moment où cela devait arriver, vu les modifications de la démographie, et le fait qu’on ne produit plus assez de richesses par notre travail, pour le financer. Ce que propose Bayrou, c’est une décélération plus ou moins maitrisée (et sans doute insuffisante). Mais à la place, on pourrait avoir des coupes sombres aléatoires et aveugles, si jamais les marchés financiers nous fermaient brutalement la solution de la dette. Ce n’est pas une hypothèse d’école, d’autres pays, dont les Etats-Unis, ont déjà eu quelques alertes. Même si cela va beaucoup hurler, notamment à gauche, il n’y a pas trop le choix. Soit on augmente les recettes, soit on baisse les dépenses. Faute d’être en capacité de garantir les recettes, mieux vaut prévoir, d’ores et déjà, que les dépenses vont baisser, et le faire le moins inéquitablement possible.

On va également vers une réduction du périmètre de l’action de l’Etat. Moins de fonctionnaires, moins d’agences, c’est nécessairement des missions qu’on abandonne, ou qu’on fait moins bien, plus superficiellement. C’est complètement assumé, et là encore accompagné, Bayrou ayant bien insisté sur la « simplification » qui est le mot poli pour habiller cette réduction de la voilure de l’action publique. Il a même lié cela à une baisse des aides de l’Etat aux entreprises. Alors que les particuliers vont subir des coupes sèches, sans compensation, le monde économique va pouvoir négocier l’allègement de « contraintes ». Quand on voit ce qu’il a eu dans la loi Duplomb, destiné à « lever les contraintes au métier d’agriculteur », on peut craindre le pire. Et pour noircir un peu le tableau, tout cela passera par ordonnances, donc sans débat parlementaire.

Reste à voir les reculs que Bayrou sera amené à opérer, qui dépendront en partie des réactions politiques. Je crains, malheureusement, que la concentration des cris sur les mesures symboliques et totémiques (suppression des jours fériés, taxation des « riches »…) ne laisse de coté des décisions plus lourdes de conséquences, mais moins « sexy » et ou moins aisément compréhensibles. Ces annonces ne sont que le point de départ d’un certain nombre de négociations, qu’il faudra suivre attentivement, sur le droit du travail, la lutte contre la Fraude ou encore la « simplification ».

Il n’y a finalement absolument rien de surprenant dans les annonces de Bayrou. Le cahier des charges est très contraint : faire une purge des finances publiques, sans trop toucher à la compétitivité des entreprises et sans effrayer les marchés financiers.

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Il faut stopper la voracité des cultureux

Le statut de l’auteur (et donc le droit d’auteur qui en découle) est une construction purement politique, qui a des effets importants, en créant une économie de la rente et de la prédation. Le secteur du numérique l’a particulièrement senti depuis 20 ans, ce droit d’auteur étant utilisé pour opérer une véritable saignée, le secteur culturel se comportant comme une sangsue sur cette nouvelle industrie.

Économiquement, l’auteur est juste un producteur de matière première, dans une chaine de valeur dominée par les transformateurs et les distributeurs. Exactement comme dans tous les secteurs (regardez l’agriculture par exemple). C’est en général le maillon le plus faible, celui qui apporte une base, indispensable au reste de la chaine, mais pas « vendable » en l’état, donc devant être transformée, pour prendre une valeur aux yeux des consommateurs.

Par l’effet d’un puissant lobbying, les organisations d’auteurs ont réussi à faire admettre, par pure convention politique, que la matière première qu’il fournissent est exceptionnelle, d’une autre nature que les autres producteurs de matière première, et doit donc être traitée différemment sur le plan juridique. Tout cela a été habillé de grands mots et de mythes, comme celui de la « création » sorte d’alchimie aux relents de proximité avec le divin, donnant une consonance sacrée.

Cette opération de lobbying réussie n’a pu durer que par le soutien du reste de la chaine industrielle. Transformateurs et distributeurs, contre qui était au départ braqué l’outil juridique du droit d’auteur, s’en sont emparés, pour l’utiliser contre d’autres secteurs économiques, pour les racketter. Tous les outils ont été progressivement mis en place pour organiser la perception, trouver de nouvelles ressources, et entretenir le mythe fondateur (baptisé « exception culturelle »). Le ministère de la Culture est devenu leur succursale, chargé de défendre leurs intérêts, et non pas ceux du public et de la diffusion de la culture. Ironie de l’histoire, les auteurs sont le maillon faible de la filière culturelle, comme dans toute filière industrielle.

Le droit d’auteur, c’est avant tout une rente, le droit d’aller piquer dans la caisse des autres, au nom d’un « droit de suite » du producteur de la matière première. Il en découle un système qui cherche à maximiser cette rente, soit dans l’assiette, soit dans les taux. Cette industrie du divertissement pousse à une extension de la durée (on est à 70 ans après la mort du premier titulaire). Le mouvement est toujours en cours, on le voit actuellement dans les tentatives de faire payer les revendeurs de livres d’occasion ou encore les entreprises qui développent des outils d’IA. Dans un passé récent, leur grande réussite a été le mécanisme de la copie privée, dévoyé pour devenir une pompe aspirante, qui permet d’aller chercher de l’argent dans la poche des revendeurs de smartphones d’occasion.

C’est un mécanisme économiquement très mauvais, car il n’incite pas du tout à l’innovation, à la fois dans son propre écosystème, mais aussi chez les autres, qui peuvent avoir à utiliser (même marginalement) des éléments couverts par ce droit d’auteur. En mettant une barrière à l’entrée, une obligation de payer, avant même d’avoir pu faire quoi que ce soit, on tue dans l’œuf des innovations. C’est donc un mécanisme profondément conservateur, dont l’utilisation rigide et rapace a, paradoxalement, diminué la portée. Combien de « poules aux œufs d’or » ont été tuées par les sociétés de gestion de droit d’auteur ? Sans doute beaucoup.

Il serait temps d’avoir un débat de fond sur la justification de cette « exception culturelle », dans son principe même, mais aussi en regard de ce qu’elle est devenue. En quoi devrait-il y avoir une « exception » pour le secteur culturel ? C’est une industrie comme une autre. En quoi la création littéraire et artistique devrait-elle bénéficier d’un statut juridique aussi privilégié ? Pourquoi ne pas l’étendre à tous les producteurs de matière première d’une filière industrielle, afin de leur apporter une protection ? Je suis certain que les agriculteurs seraient très heureux de bénéficier d’une redevance prélevée sur les restaurants et lieux de consommation de nourriture.

Le deuxième débat est de savoir, si on le maintient, jusqu’où va ce droit. On arrive à des extensions délirantes, comme celui de la copie privée, où le secteur de la culture fait payer les revendeurs de smartphones, au prétexte que l’outil peur servir à copier et stocker des produits issue du droit à la copie privée. Autant le mécanisme pouvait avoir du sens à l’époque des magnétophones et des magnétoscopes, autant aujourd’hui, à l’heure du streaming, c’est complètement marginal.

C’est aussi la bagarre (à fort enjeu financier) autour de l’IA, où les entreprises qui développement des modèles estiment être dans le cadre des exceptions (Fair use des anglo-saxons, exception text and data mining en Europe) et donc ne pas avoir à payer. Une perspective insoutenable pour le complexe industriel de la culture, qui comme le requin qui flaire une goutte de sang, s’est précipité sur cette proie potentielle, qu’il entend bien saigner. Quitte à flinguer l’innovation.

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L’arrivée des « décrets-faits divers »

On connaissait la bonne vieille rengaine « Un fait-divers = une loi » pour illustrer la frénésie des élus à utiliser la loi à tort et à travers comme outil de communication pour répondre aux émotions médiatiques. Maintenant, nous avons aussi les décrets faits divers, avec un magnifique exemple dans le JO de ce 3 juillet.

Elisabeth Borne a pris un décret, pour obliger les proviseurs à saisir le conseil de discipline, si un élève porte une arme sur lui. Un écho direct à l’émotion soulevée par le meurtre d’une surveillante, par un collégien, début juin, en Haute-Marne.

Ce passage par le décret a quand même quelques avantages, et à tout prendre, je préfère ça à une proposition de loi. Au moins, le conseil d’Etat est saisi, et peut grandement limiter la casse sur le plan juridique. La procédure n’étant pas publique, cela nous évite les surenchères et les cirques dans l’hémicycle. Il y en a déjà bien suffisamment comme ça, pas la peine d’en rajouter. Et puis c’est quand même plus rapide. Moins de trois semaines entre le fait divers et sa réponse au Journal officiel, une loi ferait difficilement mieux.

Pour autant, ça n’évite pas de mettre en lumière l’inanité de la démarche. Le texte ne fait que prescrire l’obligation de réunir un conseil de discipline. Rien de plus. Ensuite, le proviseur se débrouille, pour décider de la sanction, de la faire appliquer. On va aller loin avec ça. C’est d’autant plus risible, qu’un chef d’établissement qui découvre qu’un élève porte une arme, ne va pas rester sans rien faire, et qu’il n’a pas besoin d’un décret pour lui indiquer quoi faire. Et s’il ne le fait pas, quelles seront les sanctions ? Si on doit virer un chef d’établissement défaillant, c’est pour autre chose que ne pas avoir convoqué un conseil de discipline alors qu’il aurait dû le faire.

Cela permet aussi de voir à quel point les montagnes accouchent de souris. Entre l’ampleur du bruit médiatique, et la mesure concrète, il y a un gouffre. Mais dans ce domaine, le JO du 3 juillet contient une autre perle, dans le même registre.

Après tout le foin que nous ont fait une tripotée de responsables politiques (Macron compris), autour des dangers de l’exposition des jeunes enfants aux « écrans », voilà que Catherine Vautrin nous sort un magnifique arrêté (on est en dessous du décret). Dans la charte nationale de l’accueil du jeune enfant, elle remplace « il n’est pas recommandé de laisser un enfant de moins de trois ans devant un écran » par « Il est interdit d’exposer un enfant de moins de trois ans devant un écran ». Juste sublime !

Un exemple concret de ce qui provoque chez moi une grande lassitude. Tout ça pour ça…

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Le risque du découragement

J’ai un peu de mal à commenter la vie politique actuellement, tellement j’ai l’impression que rien n’avance. Les annonces gouvernementales sont creuses, et recyclent parfois de précédentes annonces. Tout est reporté, il n’y a plus aucune marge de manœuvre financière. La vie politique semble circulaire, avec une gauche qui continue à s’empêtrer dans des querelles d’appareil, des candidats présidentiels du bloc central qu’on voit arriver depuis longtemps mais ne proposent rien de neuf. Je ne parle pas des députés, qui enchainent les sabordages des institutions, à commencer par l’Assemblée.

Rien n’avance dans notre pays, faute d’un pouvoir politique en capacité de décider et d’agir. Plus le temps passe, plus je me dis que non seulement ça n’avance pas, mais que ça recule. Je sens, dans les sphères qui gravitent autour de la « res publica », une profonde lassitude, proche du burn-out, où la démobilisation progresse. Ah quoi bon ? L’été arrive, et les vacances vont permettre de se reposer physiquement, mais je crains qu’à la rentrée, le moral ne soit pas meilleur, et qu’on assiste à des départs. Quand on ne trouve plus de sens à ce qu’on fait, on va faire autre chose. Surtout quand on prend conscience que ça va durer au moins jusqu’en mai 2027.

Malgré toutes les craintes, et les incertitudes (les politiques sont capables de toutes les dingueries), je pense qu’il n’y a pas d’issue à court terme. Une dissolution de l’Assemblée donnerait sans doute un résultat très proche de ce qui existe déjà, à savoir une absence de majorité, entre trois blocs irréconciliables, incapables d’aller au delà de quelques alliances tactiques. Même si une forme de culture de coalition commence à émerger dans le bloc central, il reste encore beaucoup de chemin, et personne n’y a intérêt à conclure une alliance structurée avant le verdict de la présidentielle (tout en se préparant à la signer immédiatement après).

Lire la situation sous l’angle de la théorie des jeux permet de mieux comprendre le drame qui se noue. Pris individuellement, tous les acteurs sont parfaitement rationnels. En revanche, on part collectivement droit dans le mur. A part un violent choc externe (pandémie, guerre…), je ne vois pas trop ce qui peut venir perturber ce petit jeu, finalement très stable. Dans ce cadre, l’Union européenne aide (ou n’aide pas, selon le point de vue), en assurant le traitement des secousses, comme le comportement erratique de Donald Trump. Et c’est bien ça qui me désespère, car si jamais ce choc arrive finalement, il peut, non pas booster le système, mais le faire s’écrouler, tellement il est vermoulu.

L’automne va être difficile, et l’enjeu pourrait bien être d’arriver à ne pas baisser complètement les bras.