En ce premier anniversaire de la dissolution, les articles fleurissent sur cet « évènement » qui a révélé, bien plus que provoqué, une liquéfaction de notre système politique.
Benjamin Morel nous livre dans le Figaro une très bonne analyse. La crise politique existait déjà, depuis plus longtemps qu’on ne le pense (ça remonte au moins à la présidence Hollande) et est allé en s’accentuant au fil des élections, jusqu’à 2024, où c’est devenu une crise institutionnelle. Les différents sondages et résultats électoraux de l’année montrent qu’une nouvelle dissolution, maintenant, donnerait à peu près le même résultat, avec sans doute une montée du RN, au détriment de la gauche, mais toujours pas de majorité stable. Cette tribune est aussi un peu désespérante, car il ne voit aucune porte de sortie à cette déliquescence avancée du système politique français.
On pourrait en déduire que rien ne va plus, en mode « vieux con » pour qui « c’était mieux avant ». C’est très tentant, mais on va essayer de voir les choses autrement. Revenir à l’ancien monde n’est pas possible, et mieux vaut essayer de proposer des solutions d’avenir, en prenant acte que certaines manières de faire de la politique sont mortes.
Le premier point à éclaircir est de savoir ce que nous attendons du système politique, quel est le but que nous lui assignons ? Cela peut paraitre évident, mais ça l’est finalement pas tant que ça, tellement les attentes peuvent être irrationnelles. Pour ma part, j’en attends la capacité à proposer des perspectives et une histoire commune, qui permettent à la forme « communauté nationale » de continuer à exister (du moins tant que l’Etat-Nation reste le cadre politique imposé). J’attends aussi de la part des politiques des propositions d’actions et de politiques publiques réalistes et réalisables, avec les moyens humains et financiers de les mener à bien. Déjà, si on arrive à cela, ce sera bien. La « représentation » symbolique importe assez peu à mes yeux, je n’ai pas besoin que mes élus me ressemblent, ou soient conformes à des valeurs abstraites qui me seraient chères.
Actuellement, la classe politique m’apparait plutôt remplie d’irresponsables, qui promettent monts et merveilles (le retour de la retraite à 60 ans par exemple) jouent les boutefeu en accentuant les clivages, pour servir leurs ambitions personnelles. La faute en revient à la classe politique elle-même, mais aussi au système institutionnel, qui amènent à ces comportements, rationnels quand on se place du point de vue de la classe politique, mais qui sont destructeurs pour le pays. On le voit bien, les limites de la Ve République ont été atteintes depuis un an, et on tourne en rond. La question centrale est donc de réformer l’ensemble de l’organisation politico-institutionnelle.
Le premier élément est déjà de redonner sa place à la Politique, au sens noble du terme. Nous sommes victimes, et nous sommes loin d’être les seuls en Europe, d’un épuisement idéologique. Cela fait bien longtemps que les partis politiques ne sont plus que des cartels d’élus et d’aspirants à être élus, vaguement animés par des idéaux (je n’ose pas parler d’idéologie) et adeptes des postures. Il faut s’attaquer à cet épuisement, non pas en ressuscitant les vieilles lunes, mais en trouvant et en mettant en lumière ce qui fait sens pour nos concitoyens. Qu’est-ce qui les fait se mobiliser ? Vient ensuite la question du comment les mobiliser, et c’est là que la rupture est la plus forte. Nous avons basculé de modalités collectives d’organisation de la société à un repli sur les individus et les entourages proches. Un élu d’une petite commune rurale me faisait part de cette évolution qu’il vu se déployer « Avant, on avait des évènements collectifs sur la commune, comme le repas des chasseurs ou la kermesse de l’école. Maintenant, chacun reste chez soi, et ne veut surtout pas être dérangé ». On peut regretter cela, mais il faut s’y adapter, c’est une tendance lourde de la société. Il faut sans doute inventer des choses qui n’existent pas, pour raccrocher au collectif ce que certains ont appelé « archipélisation ».
Le deuxième point qui pose gravement problème est la désorganisation de l’action publique, qui nuit grandement à la légitimité des dirigeants. En 50 ans, la puissance publique étatique s’est largement dépossédée de beaucoup de leviers d’action. Le pouvoir est désormais beaucoup plus distribué, entre l’Union européenne, les collectivités locales, les agences publiques et autres régulateurs, le secteur privé. Au rythme des différents plans de « simplification », les budgets des administrations centrales et des services publics ont été réduits, au point, pour certains, d’être actuellement sous la ligne de flottaison. La règlementation est devenue tellement foisonnante et contradictoire, que les juges sont entrés dans la danse, non pas pour faire, mais pour empêcher de faire, voire pire, pour mettre en insécurité juridique celui qui doit faire. Là encore, c’est une tendance de fond qu’il faut assumer et accompagner. Il faut absolument que les élus arrêtent de faire des promesses qu’ils savent intenables, car ils n’en ont pas les moyens. Mais cela veut dire qu’il faut aussi que leur légitimité repose sur autre chose que cette image de démiurges omnipotents. Un élu n’est pas Merlin l’enchanteur, qui va résoudre tous les problèmes de citoyens-enfants, qui attendent les mains dans les poches que les choses se fassent toute seules. C’est une culture politique, où personne ne veut faire de compromis, parce qu’on ne se fait confiance, qui est à reconstruire.
La reconstruction d’un système politique sain passe par plusieurs éléments.
Les citoyens doivent se prendre en main, et se dire qu’ils sont responsables de la manière dont le système fonctionne. On a les élus qu’on se donne, et c’est trop facile, depuis son fauteuil, de se défausser sur d’autres, de sa part de responsabilité dans la conduite de la chose publique. Être citoyen, c’est s’engager dans des actions collectives (de préférence constructives) et ne pas tout attendre de la « puissance publique » qui serait un prestataire universel.
Les partis politiques doivent faire leur travail idéologique de construction de récits fédérateurs, de structuration du débat public, en explicitant les grandes options, en donnant des caps. C’est sur ce point que l’on est le plus mal en France, avec un énorme vide, sauf éventuellement aux extrêmes (et encore). Une démocratie parlementaire ne peut pas fonctionner sans partis politiques, on voit ce que ça donne aujourd’hui en France, où les structures partisanes ne sont que l’ombre de ce qu’elles devraient être. Le principal, sinon le seul enjeu du dernier congrès du parti socialiste, c’est la stratégie d’alliance électorale, et ils n’ont même pas été capable de la trancher de manière claire. On est au fond du trou, et ce manque est clairement bloquant.
La distribution du pouvoir doit être faite de manière équilibrée, chacun connaissant son rôle, et son pouvoir. Le pouvoir du peuple ne doit pas se limiter à désigner un président une fois tous les cinq ans, ou son conseil municipal tous les six ans. Il faut davantage de consultations intermédiaires, à condition que ce soit pour trancher sur des choix clairs et engageants (et pas comme on le fait à Paris, avec un référendum sur les tarifs de stationnement des SUV sur la voie publique). Il faut aussi que cette parole, une fois édictée, soit sans appel. La classe politique française a commis une faute majeure, en s’asseyant sur le résultat du référendum européen de 2005. Une faute que les britanniques n’ont pas faite, après le référendum sur le Brexit. Même s’ils cherchent à panser les plaies et à rétablir des ponts, la question de l’appartenance formelle à l’Union européenne est close pour au moins 30 ans.
Mais dans le même temps, il faut accepter que la démocratie ne soit pas la dictature de la vox populi. La démocratie libérale est construite sur la balance des pouvoirs, et sur le fait que les représentants, une fois élus, ont une autonomie d’action et un réel pouvoir décisionnaire. Cela implique aussi un respect de l’état de droit, et la reconnaissance de la légitimité des limites constitutionnelles, du pouvoir judiciaire, avec le respect de ses décisions. Cela demande un travail de réécriture de notre constitution, afin de revoir des équilibres et des mécanismes et d’apporter les précisions là où des zones de flou sont apparues.
La vie politique, doit retrouver une fluidité qui a été perdue, et à contribué à la baisse du niveau. On devrait pouvoir s’engager facilement en politique, ce qui n’est plus le cas. Aujourd’hui, un citoyen qui veut entrer en politique ne peut pas le faire seul. Pour quasiment toutes les élections, il faut être au moins deux (pour les législatives), voire quatre (les cantonales) ou sur une liste. Les formalités sont de plus en plus lourdes et tatillonnes. Il faut tenir un compte de campagne et respecter des règles byzantines, avec des déclarations et de la paperasse dans les tous les sens, avant, pendant et après l’élection (avec toutes les déclarations HATVP, par exemple). Une fois élu, il faut pouvoir rester un certain temps, car être un élu demande un apprentissage et des compétences qui ne sont pas innées (on l’a bien vu en 2017). C’est souvent seulement au deuxième mandat, qu’un élu est pleinement opérationnel. Il faut aussi avoir la garantie d’en sortir sans heurts et sans être un pestiféré. Tout cela veut dire un système politique organisé, avec une véritable gestion prévisionnelle des carrière. Cela implique d’avoir des partis politiques fonctionnels, et une stabilité du système électoral,. Il faudrait aussi revoir de fond en comble les règles liées à la Transparence et aux conflits d’intérêt. Parties d’un bon sentiment, elles ont fait d’énormes dégâts, et sont en partie responsables de la désaffection pour l’engagement politique, et donc de la baisse du niveau des élus.
La sortie de crise ne peut se faire qu’au prix d’un travail d’ensemble. Il ne me semble pas avoir vu le moindre début de commencement d’une volonté politique d’aller aussi loin. Ce qui est annoncé pour le moment ne sont que de simples bricolages institutionnels, des replatrages, comme changer le mode de scrutin aux législatives, qui ne mèneront nulle part.
Je crains que ce travail de fond, s’il se fait un jour, se fera en dehors du cadre des institutions, et sans une classe politique qu’il faudra mettre au rencart, tellement eux aussi, sont devenus obsolètes.
6 réponses sur « Reconstruire la Politique »
Beaucoup de choses ici. Je ne suis pas d’accord avec tout, mais ce serait aussi long de nuancer.
Pour la solution, je crains beaucoup que ce qui soit mis en œuvre soit une réforme électorale qui puisse donner une majorité absolue à un parti faisant 26% (par exemple une proportionnelle avec forte prime majoritaire).
Ça debloquerait les institutions, mais en termes de démocratie, ce serait dramatique.
J’ai cru comprendre que nous n’étions pas tout à fait sur la même ligne politique 🙂
Ça n’enlève rien à l’intérêt de vos réflexions 🙂
Pour ce qui est de l’organisation à la base, il y a un travail de l’extrême droite assez peu visible de Paris, mais qui prend de l’ampleur en zone rurale : la multiplication d’événements festifs se voulant neutres, mais en fait très orientés : galas de chansons françaises, repas avec cochonnaille et vin rouge, par exemple.
Il y a une sociabilité qui est en train de se recréer là.
Et c’est un vrai boulot de long terme, qui ne va pas transformer tous ces gens en militants RN, mais assure une dédiabolisation et un ancrage local que n’avait pas du tout le RN il y a peu.
À long terme, le RN va verrouiller ainsi ces territoires où les services publics sont en voie de disparition.
Cela ressemble furieusement à un monde que j’ai bien connu qui n’avait pas que des avantages, qui a contribué à forger la situation actuelle en fait car vous recommandez de défaire ce qui a été fait sous le poids de nombreux scandales politiques et financiers qui ont choqué les citoyens en leur temps. Visiblement le sérail politique ne s’est jamais accommodé des limites nécessaires et existantes partout ailleurs ou presque.
Mémoire courte.
Heureusement que vous n’avez pas (encore ?) évoqué la restauration du cumul des mandats pour que nos représentants à Paris aient aussi un « ancrage local » et ne perdent pas pied avec la réalité.
Cela aurait été le bouquet.
Il ne s’agit pas nécessairement de refaire la même chose qu’avant. Le problème de la lutte contre les conflits d’intérêts et la corruption reste à traiter, mais pas de cette manière. Le dispositif mis en place à partir de 2013 génère beaucoup d’inconvénients, représente une charge lourde pour tout le personnel politique, sans avoir nécessairement beaucoup fait reculer la corruption. Et ne parlons pas du rétablissement de la confiance des citoyens dans leurs dirigeants ! Il faut savoir prendre acte d’un échec, et voir si on ne peut pas faire autrement.
La France et l’Europe Occidentale vivent en paix depuis trop longtemps. Avoir un ennemi commun, ça permet de faire corps, ça génère de l’action, ça force à se dépasser, à innover plus vite, à ne pas accepter les compromis mous. On s’est enlisé dans un certain confort où chacun peut défendre son pré carré car il n’y a plus de légitimité (ni d’intérêt) à un ensemble commun qui protège rationnellement l’individu d’un péril plus grand, et ça se décline à chaque échelle, nationale ou locale. La communion nationale, c’est la finale de la coupe du monde de foot, éventuellement un peu de JO, bref du sport, guère plus. Tout le constat et les intentions sont louables mais d’où viendra le stimulus pour déclencher cette transformation !?