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Le gouvernement Barnier est-il aux mains du RN ?

La nouvelle antienne de la gauche, après avoir épluché le passé des nouveaux ministres, c’est de dire que le gouvernement Barnier est dépendant du RN, et va donc faire sa politique. Encore une polémique stérile de plus, qui tient du procès d’intention, et qui n’est pas franchement solide.

Le principal argument contre cela est que le RN n’a aucun intérêt, pour trois raisons, à provoquer une crise politique avant (au mieux) l’automne 2025. A partir du moment où la menace de censure est un sabre en bois, cela enlève beaucoup de poids politique au RN.

Cette semaine, s’ouvre le procès des emplois fictifs du RN au Parlement européen, avec Marine Le Pen, en guest star dans le box. Le parti est accusé d’avoir fait salarier comme assistants parlementaires d’eurodéputés, des personnes (notamment Jordan Bardella) qui en fait, travaillaient exclusivement pour le parti. Le Modem vient d’être condamné pour ça. Le RN est donc, jusqu’au verdict, un peu paralysé, car si des peines d’inéligibilité sont prononcées, notamment contre Marine Le Pen ou Jordan Bardella, ça change la donne politique. Le deuxième élément est l’état de destructuration du RN. On a tous vu, eux compris, qu’ils ne sont pas au niveau pour recruter, former, et faire élire des candidats présentables aux législatives. Le nombre de « brebis galeuses » dans les rangs des candidats RN aux dernières législatives n’est pas le fruit du hasard, mais de la manière, très « amateur » dont est structuré le parti. La purge et la réorganisation sont lancées, mais ça demande un peu de temps avant de produire les résultats attendus. Enfin, dernier point, l’assemblée nationale ne pouvant être à nouveau dissoute qu’à l’été 2025, toute crise politique avant cette date plongerait la France dans une impasse institutionnelle, avec des risques de changement des règles du jeu. Le RN, et tous les autres partis, visent « le coup d’après », la présidentielle, ou à défaut des législatives anticipées. Personne n’a intérêt à casser le jouet qu’il convoite.

Pour autant, la situation n’est pas sans risque, car la politique est souvent faite d’émotionnel, d’irrationalité et de décisions absurdes (la dissolution de juin 2024 par exemple). Il faut donc éviter de pourrir l’ambiance en froissant le RN. Même si ce n’est pas parce que le RN a été vexé qu’il votera, ou pas, la motion de censure, cela peut accélérer les choses et provoquer une ambiance délétère, qui pèsera nécessairement sur la capacité d’action du gouvernement. Le principal coût politique est que cela oblige à recevoir le RN et le traiter comme une force politique « normale », ce qui accélère sa respectabilisation.

La composition du gouvernement va de l’aile gauche de la macronie (composée d’anciens socialistes) à la droite réac (Retailleau). Le spectre est plus large que d’habitude, ce qui augure de nombreux couacs et des avalages de couleuvres, notamment sur la manière de traiter le RN, sur le fond comme sur la forme. On a déjà eu un premier incident, trois jours après la formation du gouvernement, avec Antoine Armand, ministre macroniste, prié d’avaler son chapeau et de recevoir le RN lors des consultations qu’il va lancer. Ce sujet du rapport au RN et aux mesures politiques pouvant s’assimiler à leur programme va être l’un des poisons internes de cette coalition. En cela, le RN pèse.

La coalition incluant LR, on va se retrouver avec des initiatives politiques inspirées par le programme de ce parti, dont une partie s’est construite dans une course-poursuite avec le RN, qui peut ainsi revendiquer une influence indirecte. Je pense par exemple que le nouveau ministre de l’intérieur pourrait prendre des décisions « clivantes » sur des sujets comme l’immigration et le maintien de l’ordre. Il ne fera que mettre en œuvre ce qu’il préconise depuis longtemps, mais qui ressemble parfois beaucoup à ce que défend le RN. La gauche va bien entendu s’engouffrer dans la brèche et attribuer la responsabilité politique du tout à « l’influence du RN », et c’est de bonne guerre, puisqu’ils sont dans l’opposition. Le RN ne se privera pas non plus de dire que tout cela est arrivé grâce à lui, quitte à dire également que ce n’est pas assez et faire dans la surenchère, remettant un coup de pression. Même si cela peut être faux d’affirmer que certaines mesures ont été dictées par le RN, les apparences sont défavorables au gouvernement.

L’essentiel de la bataille va se jouer sur le plan de la communication, pour prouver, ou démentir, l’influence du RN. Car malheureusement, vu l’absence de majorité pour faire voter des textes, et l’impasse budgétaire dans laquelle le pays se trouve, Michel Barnier n’a que peu de marges de manœuvre pour lancer de vraies réformes et appliquer un quelconque programme.

16 réponses sur « Le gouvernement Barnier est-il aux mains du RN ? »

Bonjour,

Merci pour votre blog tout d’abord, je commente pour la première fois mais vous lit avec intérêt (vive les blogs en 2024 et la pensée construite !). Merci pour ce contrepoint intéressant. Finalement, la difficulté pour lutter contre cette « apparence » de dépendance au RN, c’est qu’au fil des années il soit devenu si difficile de distinguer les mesures du programme LR et celles du RN. La séquence « anti-droit supranational » de Barnier lors des primaires y participe, et témoigne que ce n’est plus l’apanage d’une aile droite, qu’elle soit ciottiste ou retailliste.
Finalement, n’est-ce pas un problème plus grand ? Au nom de quoi les Retailleau, Wauquiez, Barnier, etc. se sont insurgés contre les manoeuvres de Ciotti en juin ? Qu’est-ce qui les choque encore dans le programme du RN ?

La principale faille est la porosité idéologique entre LR et le RN. Le départ de Ciotti a clarifié le fait que ce qui reste de LR ne formera pas une coalition de gouvernement, mais ne règle rien sur le fond. Après, on peut aussi dire que c’est le RN qui a copié sur LR, et que la porosité est dans ce sens. Blague à part, ce n’est pas si surprenant que deux partis, voisins sur l’échiquier politique, partagent des visions communes, et veulent séduire les mêmes électeurs. Les proximités entre PS et LFI existent, même s’ils ont aussi des désaccords profonds.

Qu’entendez-vous par « toute crise politique avant cette date [2025] plongerait la France dans une impasse institutionnelle, avec des risques de changement des règles du jeu »? Il me semble qu’en cas d’impasse, personne ne pourrait changer quoi que ce soit.
A moins que vous n’envisagiez un coup d’état ou une révolution, mais nous n’en sommes pas là, tout de même…

Si on se retrouve avec une instabilité ministérielle (aucun gouvernement ne tient plus d’une semaine) mais qu’on ne peut pas dissopudre, il faudra quand même que le pays soit dirigé. Cela ouvre la voie à des mesures « exceptionnelles » ou à des accommodements avec la constitution. Le système institutionnel français aurait du mal à s’en remettre. Personne, dans la classe politique, n’a intérêt à ouvrir la boite de Pandore.

Pas certains que l’extreme gauche soit de votre avis sur les dangers d’ouvrir la boite de Pandore…

C’est clair qu’ils veulent prendre le pouvoir, mais pas nécessairement selon les formes actuellement prescrites par les textes. Mais même comme là, ça reste un pari risqué.

Vous oubliez que JL Mélenchon prétend quand même incarner la République à lui tout seul (16/09/2018).
Les poules auront des dents avant l’avènement du grand soir de l’extrême-gauche. Mélenchon est détesté même par une partie des militants LFI qui ont compris qu’il représentait désormais un obstacle par ses choix récents et sa virulence verbale. Il ne sera probablement même pas au second tour s’il persiste à se présenter lors de la prochaine présidentielle.
Quant aux législatives il faut espérer qu’enfin le front républicain s’effondre pour laisser vivre l’expression des électeurs.

Il me semble qu’avant d’en arriver là il y a quelques étapes à passer : le dépôt d’une motion de censure et surtout son vote à la majorité, ce qui implique que le NFP et le RN s’accorde sur ce vote. Ensuite, un nouveau gouvernement peut être proposé. Vu le temps qui a été mis à constituer ce gouvernement, il peut se passer pas mal de temps avant que cette instabilité institutionnelle ne devienne trop gênante.
Cela ne rend-il pas les menaces du RN assez inopérantes ?

Le RN qui vote, par surprise, une motion de censure LFI, c’est vite arrivé. Et comme le gouvernement doit nécessairement démissionner, on se retrouve avec un gouvernement « en affaires courantes » dont on a vu que ça ne peut pas trop durer. Cette fois-ci, c’était en grande partie pendant le mois d’août, donc ça n’était pas trop grave, mais deux ou trois mois de vacance entre janvier et mars, c’est beaucoup plus gênant pour le fonctionnement du pays.

C’est surtout gênant pour le budget.
Pour le reste, on a eu le plus grand événement mondial avec un gouvernement démissionnaire, et c’est passé.
Il suffit de mettre 3 mois pour nommer un premier ministre à chaque fois, et ça sera relativement stable.
4 gouvernements par an, ça ne serait pas une première.

C’est gênant aussi pour le fonctionnement de l’administration. Plein de nominations doivent passer en conseil des ministres, et les administrations se mettent à l’arrêt à partir du moment où il n’est plus possible d’obtenir des validations politiques. Cette fois-ci, il était vraiment temps qu’on ait un gouvernement de plein exercice.

Si le RN a une sorte de « position d’arbitre » par rapport à la durée de vie du gouvernement, je pense que le vrai problème de ce gouvernement, en terme politique, s’appelle Mr Retailleau.

Il a été nommé à l’Intérieur pour ses positions RNistes sur la sécurité et l’immigration. Mais en même temps s’il tente de faire passer des lois trop proches des volontés du RN, les électeurs LR ne comprendront pas pourquoi il y a eu le « psychodrame Ciotti ». Ce qui pourrait entrainer la groupusculation de LR avec des électeurs basculant UDR, d’autres basculant Centriste ou EPR. Et au final plus grand monde pour un parti qui n’exprimerait plus aucune « ligne politique » claire.

Maintenant, nous sommes dans la période du vote du budget. Donc tout parti qui « ferait tomber » le gouvernement risque d’avoir un retour de bâton de ses électeurs. Car cela impactera sur tous les secteurs. L’agriculture est en attente de sa loi sur l’amélioration (théorique) du revenu. Si elle devait encore être repoussée, cela pourrait les remettre dans la rue. Toutes les administration publiques sont dans l’attente de savoir comment fonctionner pour l’année qui vient. Là encore si cela dure trop, cela pourrait aussi les amener dans la rue. Le MEDEF ne sait pas sur quelles aides ses adhérents pourront compter. Cela ne les mettra pas dans la rue, mais fera beaucoup de « visiteurs du soir » à l’Elysée. Etc…

Dire que le gouvernement suivra tout le programme du RN est effectivement un argument qui ne tient, aujourd’hui, sur rien ou pas grand chose et qui a peu de malchance d’arriver pour les raisons de stabilité politique nécessaires très bien décrites dans le billet. (D’ailleurs encore faudrait-il pouvoir définir précisément ce fameux programme.)

Si le terme de dépendance est un peu fort, je pense qu’on peut en revanche, au vu des débuts constatés, parler tout de même d’influence tangible sans que ça insulte les faits. Par exemple, je vois sans aucun souci Bruno Retailleau être présent dans un gouvernement Bardella sans qu’aucun des 2 ne change grand chose à son discours ou ses idées.

Réduire ça uniquement à une question de mauvaise apparences ne me semble pas suffisant . Même si on retrouve effectivement d’autres discours économiques ou sur la justice, Beauveau est un endroit suffisamment puissant pour que, combiné à une Assemblée sous pression forte de l’extrême droite, ça soit sincèrement assez inquiétant pour le militant de gauche que je suis.

Enfin vous disiez dans un précédent billet que la gauche devrait accepter sa défaite. Je pense que sa place dans l’opposition suffira largement à faire cela. En revanche, puisqu’on en est au retour à la réalité, est ce qu’on pourrait aussi en finir avec cette fable d’aile gauche de la macronie quand il s’agit simplement de centre droit très classique ? Ou avec le fait de qualifier LFI (voire pour certains le PS d’Olivier Faure) d’extrême gauche, mensonge dont la répétition forcée nous en a fait oublier tout le ridicule.

En soi, ce gouvernement ne dépend pas plus du RN que du NFP. C’est juste que le NFP ayant déjà annoncé la couleur (il veut censurer), la balle est maintenant dans le camp du RN (qui laisse planer le doute).
Il reste cependant un détail significatif : si le RN et le NFP sont prêts à voter une motion de censure, sont-ils prêts à voter la même ?
Car il suffit à la gauche de ne pas voter la motion de censure du RN pour rendre inoppérante la menace du RN.
Bref ça va être accrobatique pour Barnier, mais sur un malentendu ça peut passer. En plus il n’aura que des mauvaises nouvelles à annoncer (la guerre à l’extérieur, les coupes budgétaires ou hausses d’impôts à l’intérieur), donc il ne faut pas compter sur sa popularité pour tenir face au parlement. Reste un espoir : les autres pourraient avoir envie de lui laisser faire le sale boulot, au moins quelques mois.

Je ne crois pas que Le Pen puisse ne pas censurer Barnier à un moment ou un autre. Le message envoyé à ses électeurs serait troublant. Elle ne peut pas davantage laisser Retailleau à l’Intérieur. A mon avis, elle doit réfléchir à quelque chose (ce n’est pas très compliqué à trouver) pour fin novembre ou début décembre, au moment du verdict, par exemple. LP n’aura sans doute rien, ensuite, contre un Barnier II, sans Retailleau… Et B sera bien attendri pour la suite…

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