Le moment politique, entrouvert en 2022, et carrément ouvert en 2024, perturbe fortement toute la classe politique, avec une assemblée nationale sans majorité. Le « fait majoritaire » qui structure la vie politique depuis 1962, connait une éclipse, obligeant à retrouver un fonctionnement antérieur, où ce ne sont plus les électeurs qui choisissent directement les dirigeants, mais les parlementaires.
Ce fait majoritaire qui connait une éclipse aujourd’hui, peut très bien revenir à la prochaine échéance électorale. Le scrutin uninominal à deux tours, couplé à une élection présidentielle où il ne peut pas y avoir de triangulaire au second tour, produit mécaniquement du bipartisme. Cela n’a pas fonctionné cette fois-ci car la droite radicale, l’un des acteurs politique de ce jeu à 4, est considéré comme illégitime par les trois autres acteurs. Alors que les reports de voix au second tour auraient dus, logiquement, se faire entre le RN (droite radicale) entre la Macronie-LR (la droite modérée), ils se sont fait, pour l’essentiel, entre gauche modérée (PS-écolo) et droite modérée.
Cette anomalie peut se résorber, si le RN évolue vers plus de modération et devient donc accepté par les autres comme un partenaire acceptable du jeu électoral. On en est encore loin, et le risque est davantage que ce scrutin uninominal ne permette au RN de s’emparer des clés du camion, à la faveur d’une poussée électorale. On n’en est pas passés loin en juillet 2024, et il a fallu opérer un freinage d’urgence.
La question de changer le mode de scrutin est donc un élément important du débat public. Le passage à la proportionnelle aurait pour avantage d’empêcher un parti de remporter une majorité absolue avec seulement 35% des voix. Ce mode de scrutin est également plus adapté à une certaine vision du vote, où beaucoup d’électeurs se disent fatigués de devoir quasi-systématiquement « voter utile » dès le premier tour, parfois au détriment de leurs préférences partisanes. De nombreux électeurs du PS, par exemple, se sont fait régulièrement violence à mettre un bulletin LFI dans l’urne, car ils y sont contraints par le système d’alliance, rendu obligatoire par le mode de scrutin uninominal.
Ce débat soulève une question de fond, qui doit être posée en préalable au débat. Le scrutin majoritaire valorise les coalitions avant le scrutin, qui font que l’électeur sait qui (et accessoirement quel programme) arrivera au pouvoir, sans risque de retournement de veste. Cette garantie est profondément ancrée dans la culture démocratique française. De ce fait, ce mode de scrutin permet une désignation directe des dirigeants par les électeurs. A l’inverse, par le scrutin proportionnel, les électeurs donnent à leur représentants, le soin de décider qui, in fine, gouvernera, et encore plus, quel programme sera effectivement mis en œuvre. De ce point de vue, la France a connu quelques traumatismes, sous la IVe République, qui ont durablement affecté l’image de marque du scrutin proportionnel. En 1956, alors que les électeurs votaient pour Pierre Mendès-France, ils se sont retrouvés avec Guy Mollet. Les exemples qui arrivent de pays voisins comme l’Italie ou la Belgique, montrent que cela ne donne pas toujours satisfaction. Beaucoup de choses dépendent de la maturité démocratique des électeurs et de la classe politique. La France a-t-elle cette maturité ?
Vu le niveau (médiocre) de notre classe politique, j’ai un peu peur qu’en leur donnant une large délégation de pouvoir pour définir qui détient le pouvoir, et pour faire quoi, on n’aille au devant de très grosses déceptions. Connaissant les politiques, je n’ai aucune illusion sur leur capacité à travailler d’abord pour leur carrière, celles de leurs amis, en s’asseyant sur le vote des électeurs. Ils le font déjà un peu, quand ils le peuvent, dans le système majoritaire. Alors imaginez ce que cela sera, s’ils ont l’autorisation officielle de le faire ! Mais c’est pareil pour le citoyen français, qui adore trop souvent le bruit, la fureur et la radicalité, et déteste le compromis et le pragmatisme. J’ai un peu peur qu’un passage mal géré au scrutin proportionnel ne crée surtout des déchirures encore plus profondes entre gouvernants et gouvernés.
Si on doit basculer à la proportionnelle, il ne faut pas se contenter de juste changer le mode de scrutin, mais également procéder à un sérieux toilettage de notre culture politique et de la Constitution, afin d’y mettre des mécanismes empêchant, ou limitant les dérives possibles. Sinon, le remède pourrait être pire que le mal.