Plus de 300 parlementaires demandent le rétablissement de la réserve parlementaire, afin, disent-ils, de rétablir une forme « d’ancrage territorial » pour les parlementaires. Une mauvaise solution pour un vrai problème.
Députés et sénateurs sont élus dans le cadre d’une circonscription clairement définie, où ils sont en compétition, au scrutin majoritaire pour les députés, et pour certains sénateurs, à une proportionnelle qui ressemble pas mal au scrutin majoritaire. Il est donc nécessaire, pour être élu et réélu, d’être identifié et de « peser » localement. Or, avec la suppression du cumul des mandats, les parlementaires ne peuvent plus avoir un exécutif local, ils ne peuvent être que simples conseillers municipaux, départementaux ou régionaux.
De ce fait, les parlementaires ont été quasiment exclus du système politique local. Ils le sentent d’ailleurs très bien, les élus locaux, et pire, la société civile locale n’a plus besoin d’eux, sauf comme soutien pour faire avancer des dossiers à Paris. Ils n’ont plus accès à l’information, ne sont pas forcément invités à tout. Le risque est donc grand, pour un sortant, d’être « invisibilisé » localement, et de voir surgir face à lui, un pilier du système politique local, qui lui, en revanche, est parfaitement identifié et connu de la population et du tissu associatif local.
D’où cette volonté des élus de se doter d’un outil qui puisse les rendre à nouveau « utiles » localement (par des subventions) et donc visibles (car présents en bonne place aux inaugurations et assemblées générales d’associations subventionnées).
Cela présente toutefois des effets pervers. Le premier est conceptuel. Il n’y a aucun lien intellectuellement crédible entre la fonction de membre délibérant d’une assemblée parlementaire et celle de distributeur de fonds. Cela n’entre absolument pas dans le rôle d’un député ou d’un sénateur, qui est de voter les lois et de contrôler l’action du gouvernement. On peut tourner la chose dans tous les sens, rien n’y fait.
Le deuxième est déontologique. La réserve parlementaire est un outil clientéliste, qui permet de financer qui on veut, sous réserve de quelques règles de forme et de remplir un dossier. On peut par exemple donner des subventions de fonctionnement à des associations, ou aider une commune sur un investissement. La répartition de la dernière cuvée de la réserve parlementaire, en 2016, montre bien son caractère très éclectique. Il y a même eu quelques dérapages, un député donnant par exemple 60 000 euros à une association domiciliée à … sa permanence et dont il était le président ! Cela s’est vu et il a été condamné, mais pour un qui se fait prendre, combien sont passés entre les mailles du filet ?
D’autres solutions existent, comme par exemple changer le mode de scrutin, pour que les parlementaires soient moins dépendants d’un « ancrage local » qu’ils n’ont plus les moyens de cultiver. La solution est évident de passer à la proportionnelle, dans un cadre régional. Certes, cela peut avoir d’autres inconvénients, mais au moins, on soulage les parlementaires de la tâche harassante et chronophage de parcourir de long en large leur circonscription. Surtout pour ce que ça leur apporte d’être ainsi « à l’écoute du terrain », vu que les décisions, à Paris, se prennent largement sans eux et sans franchement tenir compte des informations et retours qui viennent du « terrain ».
La classe politique nationale est largement hors sol depuis la fin du cumul des mandats et le renforcement des règles concernant les conflits d’intérêts (qui interdisent, de fait, les activités professionnelles annexes). Vouloir mettre un sparadrap sur une jambe de bois ne sert à rien, il faut aller au bout de la réforme, et réinventer une nouvelle manière d’exercer un mandat de député et de sénateur.
Le premier axe est d’en finir avec le mythe du député individuel, élu sur son nom, et détenteur d’une légitimité propre. Ce qui compte, dans une élection, c’est l’investiture et l’étiquette. Le poids personnel d’un candidat lui permet, éventuellement, de gagner quelques points (qui peuvent permettre de passer la barre des 50%), mais c’est assez marginal. Il suffit de voir les biquettes qui ont pu être élus en 2017, rien qu’en mettant la tête de Macron sur leurs affiches, ou encore des sortants non réinvestis, qui pensaient être réélus sans étiquette, et qui mordent la poussière. La vie politique et parlementaire est collective, et c’est au niveau des groupes et des partis que doivent se situer l’écoute du terrain et le traitement adéquat de l’information qui remonte. Les parlementaires peuvent jouer ce rôle, mais n’en ont pas le monopole.
Le deuxième axe est de revoir les mythes et récits autour du mandat parlementaire. Il existe une différence abyssale entre ce qui est perçu par le grand public, et la réalité. Certains élus de 2017 en ont fait l’expérience, tombant de très haut, au point de déserter en nombre. Être député ou sénateur ne donne aucun pouvoir propre, si on veut avoir une prise concrète sur la réalité, il faut entrer dans un exécutif, national (ministre) ou local (maire, président ou vice-président de collectivité). Savoir exactement à quoi on s’engage permet d’éviter les déceptions, car cette tentative de réinstaurer la réserve parlementaire tient aussi d’une tentative de reconstruire un passé mythique.
Le troisième axe est de revoir drastiquement la procédure parlementaire, qui représente actuellement un degré d’inefficacité important au regard du temps passé et de l’énergie déployée. Surtout quand c’est pour avoir, souvent, un produit fini qui est loin d’être à la hauteur. Une entreprise qui aurait de tels process de fabrication serait en faillite depuis longtemps. Tout ce temps et cette énergie seraient certainement mieux employés à traiter les dossiers au fond, à rencontrer les interlocuteurs pertinents. C’est d’autant plus nécessaire qu’une baisse du niveau des députés est observable depuis 2017, et oblige à travailler encore plus, pour acquérir les compétences que les élus d’autrefois avaient déjà en débutant leur mandat.