Le résultat des élections législatives s’annonce incertain. S’il est évident que le camp du président sera en tête, sa majorité sera étriquée. On sera très loin de la majorité confortable obtenue en 2017 par Emmanuel Macron, avec des novices en nombre suffisant pour lui permettre de faire ce qu’il veut, sans dépendre de personne.
Ce qui est clair, c’est qu’à partir de fin juin 2022, Emmanuel Macron aura besoin, a minima, de François Bayrou et d’Edouard Philippe, et au pire, du soutien de LR, voire du PS, selon les textes et les moments. C’est là que l’on va constater que changer la constitution n’est pas nécessaire, et que ce qui compte, ce n’est pas le texte mais la pratique. En effet, Emmanuel Macron va devoir réellement consulter, c’est à dire écouter et tenir compte des autres, en passant des compromis, sous peine de ne pas pouvoir faire passer ses réformes.
Cela risque d’avoir des effets inattendus, bénéfiques pour certains, catastrophiques pour d’autres, selon le degré de responsabilité et de maturité démocratique des élus, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition.
Cela risque de bousculer la culture politique française, beaucoup trop marquée par les postures de radicalité, au détriment des compromis et du pragmatisme. C’est très confortable pour tous. Pour l’opposition, cela permet de se faire mousser sur la pureté idéologique, sans avoir à travailler le fond. Pour la majorité, cela permet de décider seule sur les sujets techniques, sans avoir de réel contre-pouvoir. L’opposition ne faisant que « de la politique », les médias se contentent de ce spectacle (et en rajoutent) et personne n’explicite les tenants et aboutissants des décisions, et encore moins les enjeux à long terme.
Si le gouvernement veut embarquer avec lui des opposants sur des textes, il va devoir argumenter et convaincre, car un vote positif ou une abstention décisive, c’est un partage de responsabilité politique. Faire de la politique à l’Assemblée, deviendra peut-être un peu plus étudier le contenu réel des textes de loi, voire l’étude d’impact, et pas seulement l’exposé des motifs.
Soyons lucides, cela n’arrivera pas tout de suite. On aura d’abord des jeux de dupes, des « abstentions constructives » et des trocs « pétrole contre nourriture ». Les groupes permettant de faire l’appoint auront une « liste de course » qui se transformera, en fin de législature, en liste de trophées justifiant auprès de leur électorat, la justesse de leur choix de collaborer au cas par cas. En tout cas, c’est comme cela qu’ils vont l’envisager, et puis arriveront des textes où personne n’aura envie de porter la responsabilité d’un rejet, et où il faudra se mettre d’accord. Arriveront aussi des textes que le gouvernement veut absolument voir passer, et où il sera prêt à des concessions ou des contreparties. C’est par ces interstices que, peut-être, une culture de la délibération et du compromis « assumé » peut arriver à se glisser.
Une conséquence possible est la paralysie plus ou moins forte de la machine à légiférer, car si le Sénat entre dans la danse, et joue sa propre partition, cela pourrait vite devenir un vrai bazar. Si personne ne veut jouer le jeu des compromis, les lois ne passeront pas. Cela va obliger le gouvernement à faire des choix, à sécuriser en amont, ce qui prend du temps, et possiblement, de devoir déposer moins de projets de lois, et de ne plus pouvoir déposer à la volée, en séance, des amendements de trois pages. On pourra peut-être s’apercevoir que beaucoup de lois ne sont finalement pas si utiles, et que pour bien des dispositions, le gouvernement va redécouvrir qu’il peut passer par des décrets ou des ordonnances. Dans les deux cas, la qualité du droit n’en sera que meilleure (même si la démocratie n’y trouve pas son compte).
A l’inverse, cela peut aussi amener des textes législatifs complètement bâtards, avec des compromis politiques juridiquement baroques. L’expérience montre que dans ce domaine, la créativité des parlementaires est très grande. Là encore, tout va dépendre du sens de la responsabilité des parlementaires, et de leur culture du travail législatif.
Cette XVIe législature pourrait finalement se révéler beaucoup plus amusante et intéressante que la très insipide XVe législature, où l’Assemblée nationale a touché le fond.