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Sur l’IA, l’urgence est d’attendre

Il y a parfois des rencontres qui ouvrent des perspectives, remettent de l’ordre dans un chaos informationnel. J’ai récemment écouté Daniel Andler parler de son dernier livre, « Intelligence artificielle, intelligence humaine, la double énigme« . Je n’ai pas encore lu le livre (il a l’air assez costaud) mais le propos de l’auteur était limpide et fait grandement progresser mon appréhension de l’intelligence artificielle.

Il commence par exposer que le concept, et la promesse « politique » derrière, n’a rien de nouveau. Dans les années 60-70, certains en rêvaient, avant que les échecs techniques ne mettent fin aux financements. Mais l’utopie d’arriver à égaler, voire dépasser l’intelligence humaine, est toujours là, prête à resurgir, car elle questionne notre humanité. Nous ne sommes pas dans la pure technique, mais davantage dans le questionnement philosophique et éthique, voire anthropologique.

Il pose ensuite quelques concepts et constats assez simples. Ce que l’on appelle « Intelligence artificielle » peut être de deux formes. C’est soit une reproduction exacte, par des voies technologiques, d’un cerveau humain, tel qu’il fonctionne, soit un développement technologique, qui permet d’obtenir un même résultat, mais par des processus radicalement différents. Il fait une comparaison éclairante, avec les hormones et enzymes. On en trouve dans la nature, que l’on peut synthétiser, et reproduire, mais dans beaucoup de cas, on ne fait que produire des substances qui se contentent d’avoir les mêmes effets.

Ce que nous appelons actuellement « intelligence artificielle » n’est en rien une reproduction, à l’identique, d’un cerveau humain. C’est juste un produit de substitution, qui permet d’obtenir le même résultat qu’un cerveau humain, sur des secteurs très particuliers. Il reconnait volontiers que pour la résolution de problèmes mathématiques ou les synthèses documentaires, les résultats sont épatants, et dépassent les capacités du cerveau humain.

Mais ces « exploits » sont limités et ne sauraient prétendre occuper le même espace que l’intelligence humaine. Il note par exemple que l’intelligence artificielle est bien incapable de faire face à une situation inédite, sans entrainement, là où l’homme y arrive plutôt bien, grâce à d’autres ressources que l’intelligence pure. Une intelligence artificielle n’aura jamais d’intuition ni d’émotions, qui sont pourtant des composantes essentielles de l’intelligence humaine. L’intelligence humaine a une conscience de lui-même et une capacité de réflexivité que n’aura jamais une machine. On est devant deux phénomènes, à qui on donne le même nom « intelligence », mais qui n’ont finalement pas grand à voir.

Il résume très bien la limite, en indiquant qu’une intelligence artificielle est très forte pour résoudre un problème dont les termes sont posés et clairs, mais qu’elle est incapable de poser les termes d’un problème. Tout simplement parce que la définition d’une question, les termes d’un problème, sont avant tout une construction subjective et sociale. La bonne photographie n’est pas dans la nature ou le modèle, mais dans l’œil du photographe.

Il en conclut que ce que l’on appelle actuellement « Intelligence artificielle » ne rattrapera jamais l’intelligence humaine, et ne prendra pas sa place. C’est juste un outil, superpuissant, qui peut grandement aider sur certaines tâches, à condition d’être bien paramétré, et utilisé à bon escient. C’est juste un effet multiplicateur d’une action pensée et voulue par les hommes. C’est bien pour cela que les questions éthiques et philosophiques ne peuvent pas, et de doivent pas être écartées, car elles sont fondamentales, vu la puissance de l’outil.

Cette vision en surplomb m’a offert un grand bol d’air intellectuel, et surtout, relativise beaucoup de discours « bullshit » sur l’IA, que l’on entend un peu partout. Non, l’IA n’est pas un clone de l’humain, et vouloir le faire croire, en lui donnant par exemple la voix de Scarlett Johansson, ne fait que mettre du trouble, et brouille la compréhension de la réalité de l’IA. Il faut absolument en finir avec le délire quasi-religieux autour de l’IA. ChatGPT n’est qu’un supercalcultateur qui parle !

Cela m’a aussi fait prendre conscience de l’immense irresponsabilité de certains chefs d’entreprise et start-uppers. En créant une bulle médiatique et un sentiment d’urgence à acheter leurs produits, ils ont précipité la mise sur le marché d’outils qui ne sont pas aboutis. Cela ne pourra que provoquer des dégâts, comme si on vendait massivement au public, un prototype de voiture à peine sorti du labo, et qui n’a même pas encore passé le moindre test de résistance au choc.

J’ai acquis la conviction que l’IA peut être un formidable outil, mais qu’il est surtout urgent d’attendre que le produit soit fiable avant de l’utiliser dans la vie courante. Exactement le contraire de ce que l’on est en train de faire, sous le coup d’un emballement hallucinatoire, dont on se demandera, plus tard, comment on a fait pour y succomber.

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Le cirque médiatique de la campagne des européennes

Deux incidents, impliquant à chaque fois le service public de l’audiovisuel, m’interpellent. A la fois sur ce que deviennent les campagnes électorales, mais également sur l’attitude des télévisions. Il s’agit de la décision d’organiser un débat Attal-Bardella, et de l’épisode où Gabriel Attal débarque sur le plateau d’un débat, en humiliant sa tête de liste. Dans les deux cas, le candidat LR, François-Xavier Bellamy a eu la parole juste sur ces incidents. Dommage qu’il soit LR, sinon, j’aurais bien voté pour lui.

La politique, même pendant les périodes de campagne électorale, est juste devenu un spectacle, un prétexte pris par l’audiovisuel pour faire de l’audience. Qu’est-ce qui justifie que le Premier ministre, qui n’est pas candidat aux élections européennes, débatte en face à face avec une tête de liste (quand bien même c’est la liste qui est placé en tête par les sondages) ? Il n’y a aucune raison pour que cette configuration soit retenue, mis à part la volonté des journalistes d’organiser un débat dont il rêvent, la fameuse affiche « le duel des héritiers ». L’agressivité de la journaliste, lorsque François-Xavier Bellamy le lui dit, est assez révélateur du fait qu’il a visé juste.

Le deuxième incident est encore plus choquant. Alors que les têtes de listes participent à un débat, le Premier ministre débarque sur le plateau, prend le micro de la main de la tête de liste de son camp, et s’exprime à sa place. C’est tout d’abord profondément grossier et insultant pour Valérie Hayer, qui est juste humiliée et dévalorisée. Politiquement, ça n’apportera rien de bon à la liste présidentielle, car le problème n’est l’incarnation, mais l’absence de projet et de ligne politique du parti présidentiel. Mais en revanche, cela fait un « rebondissement » et donc du buzz, qui semble être l’effet recherché. La responsabilité des journalistes est encore grande, car même si on est Premier ministre, on ne pénètre sur un plateau que si on y est autorisé. Si Gabriel Attal a pu intervenir, c’est qu’on l’a conduit jusque l’entrée du studio, et qu’on l’a laissé faire. A quand le retour d’un ministre de l’information, qui vient lui-même en plateau, présenter la nouvelle formule du journal télévisé ?

Cela en dit long sur l’état de déliquescence des médias audiovisuels, et en particulier du service public, dans leur traitement de vie politique et démocratique. A l’heure où le gouvernement cherche à reconstituer l’ORTF, par la fusion de tous les médias publics dans une seule entité, de telles pratiques discréditent l’argumentation des opposants sur la préservation de l’indépendance. On a vraiment l’impression que les chaines publiques ont servi la soupe au gouvernement en place, et au parti qui pourrait bien le remplacer. Au détriment de la démocratie et du respect des règles de l’équité du temps de parole. La mise en demeure de l’Arcom, contre France Télévision, prononcée le 30 mai, ne semble pas imméritée. Même si elle a été prononcée pour un cafouillage sur les horaires de diffusion des clips de la campagne officielle, cela aurait pu être pour l’ensemble du traitement de la campagne !