La machinerie politique a repris, en cette rentrée, sur la « taxation des superprofits ». Tout est réuni pour faire le buzz, et donc avoir un gros impact sur le débat public. Prendre de l’argent aux « super-riches » (surtout quand ce sont des « super-méchants » comme Total) pour le donner aux citoyens, c’est un cocktail magique pour la gauche.
On a donc une pression politique qui monte, sur un message très politique, donc très simple à comprendre. Sauf que techniquement, c’est beaucoup plus compliqué à mettre en œuvre, d’où l’embarras du gouvernement. Si Bruno Le Maire résiste autant, c’est probablement autant parce qu’il est un libéral pro-business, que parce qu’il est conscient de la difficulté à mettre en place concrètement cette taxation.
En effet, les lois fiscales ne s’écrivent pas à coup de slogans, mais avec des éléments objectifs et mesurables d’assiette, de taux, en respectant quelques principaux constitutionnels. La dernière fois qu’un gouvernement a tenté d’appliquer techniquement un slogan démagogique sur la taxation, c’était en 2012, avec la taxe à 75% de François Hollande. On a vu comment ça a fini…
La grosse difficulté va être de déterminer la base taxable. C’est quoi un « super-profit ». Pour les entreprises pétrolières, c’est assez simple, ils revendent très cher du pétrole, du fait de la hausse spectaculaire des cours, alors que les coûts d’extraction n’ont pas augmenté. Là où cela devient délicat, c’est de savoir quelle autorité nationale a le droit de taxer ces superprofits, celle du pays du siège social, ou celle du pays où se déroulent les opérations d’extraction ? Pour la France, mieux vaut que ce soit le pays du siège social, vu qu’il n’y a aucun activité d’extraction de pétrole sur le territoire français. Cela permettra au moins de faire payer Total. Autre sujet, quelle assiette exacte ? Les bénéfices globaux de l’entreprise, toutes activités comprises, tels que déclarés dans les comptes annuels ? Juste un différentiel entre les gains « en temps normal » et ceux effectivement réalisés en période de crise ? Là encore, on prend le résultat global, ou juste le produit de certaines activités particulièrement impactées ?
Il va falloir trouver le mécanisme juridique (bon courage aux juristes) C’est d’autant plus compliqué que suivant les entreprises et les secteurs, les « super-profits » peuvent venir de différentes activités ou mécanismes. Il faudrait sans doute autant de taxes qu’il y a de secteurs concernés, pour remplir l’objectif politique annoncé, qui est de prélever une partie des « sur-profits » provoqués par la crise. Le piège est redoutable, car le conseil constitutionnel sera sans doute saisi, et vérifiera que les dispositions de la loi de Finances sont bien proportionnées et conformes à l’objectif visé.
Le risque de censure constitutionnelle est réel, et derrière, si jamais ça passe, il y aura des contentieux devant les tribunaux ordinaires pour les modalités de calcul des chiffres à retenir pour le calcul de l’assiette et autres détails d’application. Ces entreprises ont ce qui faut en avocats fiscalistes pour lancer la bataille (et éventuellement la gagner). Bref, légiférer, à la va-vite, sur une matière aussi technique, face à des entreprises qui ont les moyens de se défendre, c’est monter une usine à gaz qui explosera à la gueule du gouvernement, sans rapporter grand chose au Trésor public.
Pour l’opposition, ce n’est pas grave. Si ça marche, ils en réclameront à cor et à cri le bénéfice politique, et si ça ne marche pas, ce sera la faute de l’incompétence ou de la mauvaise volonté du gouvernement.
Pourquoi, dans ce cas, se préoccuper de la faisabilité de ce qu’on propose ? Pourquoi se comporter en opposition responsable, quand on peut faire de la démagogie et gagner à tous les coups ?
Comment s’étonner du discrédit de la classe politique, qui s’amuse à donner des espoirs aux Français, en leur faisant miroiter des actions et des objectifs que l’on sait irréalisables, ou très compliqués à atteindre. A la fin, il ne peut y avoir que de la déception, et un fossé qui se creuse encore un peu plus entre les citoyens et leur classe politique (opposition comprise).