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Macron, les retraites et l’humain

En politique, il faut toujours tenir compte des affects, des émotions autour des réformes, même les plus techniques. Aucune politique publique ne peut se réduire à une affaire de comptabilité et d’intérêts économiques bien compris. Emmanuel Macron vient d’en faire l’expérience sur la réforme des retraites, où son recul de l’âge de départ à 65 ans est très mal ressenti, au point de l’obliger à reculer (chose rare chez lui).

C’est une erreur de croire que la retraite n’est qu’une histoire d’argent, de prélèvements, de pensions, et d’équilibre. C’est aussi une question de parcours de vie, et de plus en plus de gens sont épuisés par leur vie professionnelle, et l’idée du départ à la retraite, c’est la petite lumière au bout du tunnel. Le monde professionnel est de plus en plus épuisant, même pour les jeunes (pourtant plein d’énergie et d’envies) qui montrent des réticences à y entrer. L’aspiration profonde de la société n’est plus à la réussite professionnelle et sociale, mais à la qualité de vie. Ceux qui veulent « décrocher », ce n’est pas pour ne rien faire, bien au contraire, mais pour pouvoir mener des projets qui leur plaisent vraiment, qui leur semblent réellement utiles, sans le stress et la pression des résultats et des deadlines, dans un lieu choisi.

Tous réaliseront ce grand décrochage, au plus tard le jour de leur départ en retraite, quand leur revenu financier ne dépendra plus de leur activité. Toucher à ce seuil symbolique est à haut risque politique, car il percute une aspiration profonde à souffler, dans une société fatiguée, si ce n’est épuisée. Pour beaucoup, la question financière (montant de la pension) est une variable secondaire, à laquelle ils peuvent se préparer, avec des investissements pour un complément financier, ou des choix de vie intégrant un train de vie moins dispendieux. Mais pas question de retarder le moment de la libération… y compris chez les marcheurs les plus endurcis !

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2022, consolidation de la recomposition

Le premier tour de l’élection présidentielle vient de mettre en tête le même trio qu’en 2017, Macron, Le Pen et Mélenchon. Seul Fillon manque à l’appel. Il a sombré dans les affaires et surtout, son parti s’est écroulé, miné par les coups de boutoirs de la recomposition politique.

Cette élection présidentielle de 2022 confirme que les clivages politiques ont changé, que le vieil axe droite-gauche que l’on a connu jusqu’ici est obsolète. Il suffit de voir les scores de LR et du PS, qui étaient jusqu’ici en duopole. C’est le crash intégral. Malgré un réseau d’élu locaux et de militants, ils ont été incapables d’opérer les virages idéologiques et stratégiques, pour apparaitre comme crédibles aux yeux des électeurs. L’humiliation suprême est pour le PS, qui termine en dessous des 2%. Un score qui pourrait être celui de LR en 2027, s’ils s’obstinent à vouloir conserver leur autonomie. Les élections législatives risquent d’être une boucherie pour ces deux formations.

Aujourd’hui, le clivage politique majeur passe par la question de l’ouverture ou de la fermeture de la société, avec des demandes de radicalités et de clivage. Les français veulent refaire de la politique, retrouver des propositions idéologiques qui ne soient pas un filet d’eau tiède.

Le pays se retrouve dans une tripartition qui n’est pas si nouvelle, entre une gauche, captée par Mélenchon, un centre droit avec Macron, et une droite radicale pour Le Pen. Trois camps très bien identifiés et identifiables, qui ont rendu les autres offres inaudibles.

Une forme de recomposition est en train de se cristalliser, et de former une matrice pour les prochaines années, d’où il sera difficile de sortir, même si les visages et donc les styles, peuvent évoluer. C’est sans doute dans le contenu exact des idées, des propositions, que les choses vont bouger, s’affiner. Le gros-oeuvre de la reconstruction politique de la France est à peu près réalisé, reste maintenant les finitions et la décoration.

Les principaux chantiers des cinq prochaines années vont être la gestion des trois successions, car il est fort possible qu’aucun du trio de tête ne soit sur la ligne de départ en 2027.

S’il est réélu, Emmanuel Macron ne pourra pas, constitutionnellement, se représenter. Un dauphin pointe déjà son nez, en la personne d’Edouard Philippe. Rien ne dit qu’il sera adoubé par Macron, ni qu’il arrivera à prendre l’ascendant pour s’imposer. De toute manière, celui qui voudra succéder à Macron aura intérêt à faire un gros travail sur les idées et le programme, car il va falloir des arguments pour se présenter sans l’aura d’Emmanuel Macron. Le slogan « 5 ans de plus » ne sera pas suffisant.

Jean-Luc Mélenchon, 71 ans, va devoir passer la main. Il le sait, le laisse entendre dans ses discours de fin de campagne et le soir du premier tour. D’abord, pour des raisons d’âge, mais aussi parce que sa personnalité clivante et son tempérament sont un obstacle à une union de la gauche. Les débris du PS et d’EELV n’accepteront de s’arrimer au navire amiral LFI qu’à cette condition. Reste à savoir si le vieux lion acceptera de partir pour de vrai.

Enfin, Marine Le Pen a annoncé qu’elle quitterait la politique en cas de nouvelle défaite. On peut en douter, mais on sent tout de même une forme de lassitude de sa part. Le score du second tour sera sans doute décisif dans la décision. Une nouvelle défaite écrasante peut l’achever. Le souci est que la succession n’est pas assurée au sein du RN, que la « dauphine » naturelle, Marion Maréchal, a choisi l’autre bord, celui de Zemmour et de la droite très radicale, celle qui n’a aucune chance de se faire élire, mais qui a un programme et des idées assez structurées, qui peut donc survivre à un changement de chef. Dernière inconnue, la capacité à rallier la frange droitière de LR, qui pourrait apporter quelques cadres et élus locaux, qui renforceraient la crédibilité « gestionnaire » de cette famille politique.

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L’Etat et les consultants

Le Sénat vient de rendre un rapport très intéressant sur le recours des services de l’État à des cabinets de consultants privés. Vu les montants engagés et l’influence que pourraient avoir ces cabinets sur les politiques publiques, cette initiative est complètement dans les missions du sénat. Pour une fois qu’une commission d’enquête parlementaire n’est pas la suite d’un scandale ou d’une indignation médiatique, ce travail est à saluer comme l’une des meilleures initiatives de contrôle prise par une assemblée parlementaire ces dernières années.

Malheureusement, ce travail est quelque peu gâché par l’exploitation médiatique qui en est faite, et la volonté de certains d’y chercher des fautes pénales. Pénalement, il n’y a rien pourtant pas grand chose à gratter. Le code des marchés publics a probablement été respecté : vu les montants, et les cabinets concernés et l’éclatement des décisions de commande, le risque d’une fraude est assez faible. Les sénateurs n’auraient certainement pas raté une occasion de pointer une faille sur ce volet. La plainte annoncée par le Sénat contre un responsable de McKinsey est largement de la poudre aux yeux. Le délit de mensonge devant une commission d’enquête suppose que la personne interrogée ait sciemment menti, sur des éléments ayant un impact réel sur les conclusions du rapport. Le fait que McKinsey paie effectivement de l’impôt sur les sociétés en France, ou pas, n’a que très marginalement d’impact sur le sens et les conclusions du rapport. Rien à voir, par exemple, avec un professeur de médecine, qui témoigne comme expert indépendant, et qui ne mentionne pas ses liens d’intérêts avec le secteur économique qui est sous le feu des critiques dans le cadre de la commission d’enquête.

Le véritable sujet est politique, c’est celui de la doctrine d’emploi de cabinets de consultants privés par les pouvoirs publics. Le principal apport de ce travail sénatorial, est de montrer que cette doctrine n’existe pas ou trop peu, et que chaque ministère fait ce qu’il veut, sans véritable cadrage. D’où un sentiment de gâchis d’argent public, et surtout, un risque pour les pouvoirs publics, d’être exposés à des influences politiques insidieuses. Les décisions politiques prises à la suite d’un rapport peuvent être induites par les présupposés (avoués ou pas) de ceux qui écrivent le rapport, donc sur la manière dont ils ont posé le débat et les questions. Ce n’est sans doute pas le fruit d’un hasard complet si c’est le groupe communiste au Sénat qui est à l’origine de la mission, les grands cabinets de conseil visés n’étant pas, fondamentalement, des adeptes du marxisme, mais à l’inverse, des libéraux, pour ne pas dire pire.

Vu les montants en jeu (1 milliard sur 5 ans) et les risques de « porosité » politique sur des sujets sensibles, il est nécessaire que ce rapport ait des suites, car il soulève des questions de fond qu’il n’est pas possible d’évacuer d’un revers de main. Cela a déjà d’ailleurs commencé, le gouvernement ayant pris, en catastrophe, en janvier 2022, une circulaire pour essayer de cadrer le recours aux cabinets de conseil. C’est bien la preuve que les sénateurs ont levé un lièvre ! Cela doit donner lieu à un débat public plus large que les simples sphères administratives.

Là encore, le traitement médiatique du sujet est assez pitoyable, avec pleins de commentaires de personnes qui glosent sans savoir comment fonctionne un cabinet de conseil, et encore moins ce qu’il apporte. Mettre en lien le prix de la mission et le simple rendu final, c’est terriblement réducteur et témoigne, soit d’une mauvaise foi, soit d’une ignorance crasse (bien souvent, c’est une combinaison des deux). Pourtant, si on ne part d’une bonne base, à savoir un constat partagé, et conforme à la réalité, on n’arrivera à rien sur un sujet où il existe des marges de manœuvre pour améliorer les choses.

L’apport d’un cabinet de conseil ne se résume pas aux parties « visibles » comme les rapports écrits et les power-point. Ce ne sont souvent d’ailleurs que des traces d’un travail plus profond, à la fois de la part du cabinet, mais aussi chez le commanditaire. Faire venir, dans une structure, des personnalités extérieures, peut avoir un impact sur la manière dont la structure se pose des questions, sur la manière dont elle pose le problème. Une part du travail des cabinets de conseil est d’amener leurs clients à penser autrement. Dans certains cas, le « problème » tel qu’il est identifié, est un effet de perspective, et décentrer le regard peut être salutaire. Beaucoup connaissent le syndrôme « nez dans le guidon », où à force d’être dans l’action, toujours avec les mêmes personnes, qui vous disent les mêmes choses, on perd du champ de vision, voire de l’esprit critique. Pour une administration, un tel apport peut se révéler pertinent, pour « voir » la réalité sous un autre jour.

Le deuxième apport d’un cabinet de conseil est qu’il est (normalement) extérieur au microcosme dans lequel il intervient. Cela lui apporte une forme de neutralité et surtout, permet de sortir de face-à-face et d’impasse dans lesquelles s’enferrent ceux qui ne sortent plus de leur petit milieu. C’est sur ce modèle que fonctionnent les arbitrages, où interposer un tiers entre deux acteurs lourdement en conflit, permet de rétablir une forme de discussion, à même d’amener vers une résolution des problèmes. Pour que cela fonctionne, il faut des conditions très précises, mais il ne faut pas écarter cet apport, pour le coup assez immatériel, et ne donnant pas toujours lieu à une production écrite. Cela vaut pourtant cher, d’arriver à débloquer une situation. Parfois, cet apport est instrumentalisé pour faire endosser au tiers extérieur des décisions impopulaires, que le décideur politique n’arrive pas, ou le plus souvent, ne veut pas endosser. Dans cette affaires de recours aux cabinets de conseil par l’Etat, c’est un aspect qu’il ne faut pas négliger !

Les grands cabinets de conseil ont une masse critique (ce qui est le cas des McKinsey et consorts), ils regroupent un panel de talents et de compétences divers, qu’aucun de leur client n’a, en totalité, en interne. Les entreprises et administrations ont des compétences, parfois très pointues, mais limitées à leur objet d’activité. Elles n’ont que rarement besoin d’avoir des spécialistes en management des organisations, en résolution de conflit, ou encore en analyse. Les corps d’inspections, censés jouer ces rôles, sont en fait composés de fonctionnaires « expérimentés », plus ou moins mis au placard (donc pas forcément les meilleurs), qui ont surtout une « expérience métier ». Quand on ne rencontre un sujet que très épisodiquement, c’est une aberration économique d’internaliser toutes les compétences dont on n’a rarement besoin. Les armées ont longtemps eu cette vision, au nom d’impératif d’autonomie d’action, de tout avoir en interne. On en est revenu, vu le coût que cela représentait, par rapport aux moyens (en baisse). Cela explique que les tarifs à la journée de ces cabinets soient très chers. Il y a des couts fixes, avec des personnels hautement qualifiés dans plein de domaines, qu’il faut faire venir et garder (le turn over est important).

Pour autant, le recours à ces cabinets de conseil n’est pas toujours pertinent, et c’est là qu’il faut que le politique ait une réflexion de fond. Pour quelle type de mission (ou partie de mission) est-il raisonnable et pertinent de recourir à un cabinet extérieur ? Faut-il l’interdire sur certains sujets, dans certains ministères ? Faut-il faire du cas par cas ou passer des marchés globaux permettant d’avoir un meilleur contrôle sur ce que font ces cabinets (et ce qu’ils coûtent) ? Quelles procédures d’autorisation (et donc de contrôle) ? Voilà les véritables questions à laquelle le gouvernement, mais aussi la haute administration, doit répondre.

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La faute démagogique sur le RSA

Dans son programme électoral, Emmanuel Macron a inclus une mesure imposant « 15 à 20 heures d’activité par mois », pour les allocataires du RSA. Cette promesse, destinée à racoler (au sens premier du terme) les électeurs de la droiteLR, est une erreur profonde d’Emmanuel Macron, tant elle heurte l’électorat modéré.

Un vieil adage politique dit qu’à force d’essayer de gagner l’électoral de ses concurrents, on risque de perdre le sien, sans pour autant gagner celui qu’on vise. Nous pourrions avoir là un beau cas d’école.

Le premier point qui me fâche, dans cette mesure, est la dimension symbolique. Le RSA est une allocation sociale, une aide de la société aux plus fragiles, pas une forme d’emploi déguisée, et encore moins une forme de travail forcé. La société se doit de penser aux plus faibles, de les soutenir, pour leur permettre de continuer à rester dignes et pleinement insérés, comme membres à part entière. Le fait d’imposer des comportements ou des actions pour ne pas se voir retirer un minimum vital est une forme d’atteinte à leur dignité, une sorte de mise sous tutelle qui n’est pas acceptable, car les personnes concernées ne sont pas en mesure de refuser la proposition en renonçant à l’aide.

Nous sommes devant l’expression même de la vision « dame patronesse » de la droite sur l’aide sociale, qui aide les pauvres, mais uniquement les « bons pauvres », ceux dont les comportements sont conformes aux attentes dictées par les classes dirigeantes. Ici, le « bon pauvre » est celui qui travaille, qui n’est pas oisif. En quoi cette « valeur » devrait être mise en avant et imposée ? En quoi, d’ailleurs, un système de valeur devrait être imposé à une catégorie de la population, sous la menace de leur faire perdre leur subsistance ? C’est une logique qui apparait dangereuse, car ouvrant la porte à des dérives dont les effets n’ont pas été mesurés, tant sur le plan des principes que des effets pratiques. En tout cas, c’est une voie que je refuse d’emprunter, car attentatoire à la liberté, à l’égalité et à la fraternité.

Le deuxième point qui me fâche est le caractère irréaliste, en pratique, de cette mesure. Il y a environ 2 millions de foyers bénéficiaires du RSA. 15 à 20 heures par semaine, c’est un mi temps. Qui va donc pouvoir fournir les activités ? Pour leur faire faire quoi ? Et avec quel accompagnement, car certains bénéficiaires du RSA sont des personnes en décrochage social, voire pire, qui ne sont pas en mesure, tout simplement, de travailler. Comment demander une telle chose à tous les abimés de la vie, et pire, à ceux qui les accompagnements, et vont devoir se transformer en contremaitres. Car il ne faut pas se leurrer, ce sont les services chargés de gérer la prestation, et d’assurer l’accompagnement social, qui vont se voir chargés de cette tâche. Au risque d’une dissonance cognitive dévastatrice, devant cette injonction contradictoire…

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Macron scie la branche sur laquelle il est assis

Le président sortant, Emmanuel Macron, s’est donc déclaré candidat à la dernière minute, l’avant-veille du jour où la liste des candidats est officialisée. Il vient de faire sa première « sortie officielle » comme candidat, dans une ville dirigée par un proche, et où les « questions » étaient préparées à l’avance, et posées par des proches dudit maire de la ville. Et voilà que ce même candidat-président annonce qu’il ne participera pas aux débats avec les autres candidats avant le premier tour, après avoir brillé par son absence lors de la « pré-campagne ».

On ne peut pas dire qu’Emmanuel Macron se mette en risque. Il est le sortant, et bénéficie de la guerre en Ukraine, qui amène le pays à faire bloc. Il est en situation d’être confortablement réélu, sans avoir à s’exposer, ni à prendre trop d’engagements (à part ceux qu’il a choisi de prendre). Il n’a même pas besoin de rechercher des alliances. De toute manière, il n’a personne à qui s’allier. Il a fait ce qu’il fallait pour assécher ceux qui auraient pu être des alliés, pour en faire des zombies (le PS) ou des vassaux (Horizons, le spin off de l’aile modérée de LR), en piétinant allègrement les corps intermédiaires.

Le système est en liquéfaction, et au lieu de chercher à le revitaliser, Emmanuel Macron a accéléré, depuis 2017, cette déliquescence, sans rien construire à la place. Cette manière d’agir montre qu’il n’est pas, au fond, un démocrate, que c’est avant tout un homme de pouvoir, dont le but est de gagner et de rester en poste. C’est un problème majeur, en achevant de dévitaliser ce qui reste de processus démocratique en France, il scie la branche sur laquelle il est assis.

Le risque est l’entropie politique, déjà bien avancée, se poursuive, voire s’accélère, et que le gouvernement ne soit plus qu’un décor de carton-pate, qui s’écroule à la moindre secousse. Or, malheureusement pour lui, une tempête s’est levée, avec un double choc externe, la pandémie, suivie d’une crise géopolitique majeure, qui risque de nous faire entrer en récession. Les années qui viennent risquent d’être terrible, la crise ukrainienne étant en train de refermer le piège dans lequel le Covid nous a placés.

Il n’y a rien de pire qu’un choc externe pour un gouvernement en manque de légitimité politique. En 1848, la monarchie de Juillet s’est écroulée en quelques jours, pleurée par personne, dans un contexte de récession économique. Pareil pour le Second Empire, tombé à la suite d’une défaite militaire. Dans les deux cas, le pouvoir en place avait négligé son assise et le travail d’adhésion de la population. Tant que les choses allaient bien, les gens ne disaient rien et laissaient le dirigeant gouverner. Et le jour où la tempête a soufflé, les citoyens ont regardé le régime tomber, sans lever le petit doigt pour lui venir en aide.

A bien y regarder, Emmanuel ressemble à un mélange de Louis-Philippe et de Napoléon III. Il a la morgue du « enrichissez-vous » de Guizot, en réponse aux demandes d’extension du droit de suffrage, et la verticalité de l’exercice du pouvoir d’un Napoléon III, qui a voulu singer son oncle, sans avoir sa légitimité charismatique. Le 8 mai 1870, Napoléon III remporte très largement un plébiscite, se croit relégitimé pour 20 ans. Le 4 septembre, la République est proclamée, deux jours après que ce même Napoléon III ait été fait prisonnier à Sedan.

Je dois avouer que dans le contexte sombre que j’entrevois, je ne suis pas rassuré sur l’avenir de notre démocratie. Il va peut-être falloir se préparer à des jours politiquement difficiles, dans moins longtemps qu’on ne le croit.

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Le bal des has been

Le bal des ralliements aux différents candidats (à commencer le sortant) commence à s’intensifier, et un élément me frappe, c’est sa pauvreté. Quand les parlementaires de la majorité en sont à tweeter en boucle sur le soutien de Jean-Pierre Raffarin ou Jean-Pierre Chevènement, cela m’attriste un peu. Pour eux, et pour la démocratie.

Bien que ces deux personnes soient des gens tout à fait honorables, on ne peut pas dire qu’ils apportent, à 73 et 82 ans, un vent de fraicheur et de renouveau pour la candidature d’un sortant de 44 ans. J’ai l’impression d’assister à un ballet de personnalités politiques, plus ou moins sur le retour, dans les ralliements mis en scène. Où sont donc les « jeunes pousses prometteuses » et les personnalités extérieures à la politique ? Quel artiste, quel entrepreneur emblématique, a annoncé son ralliement à Emmanuel Macron (ou à un autre candidat, d’ailleurs) ?

C’est un signal inquiétant pour la démocratie, que ce moment « fort », qui ne se reproduit que tous les cinq ans, ne suscite plus aucun enthousiasme, hormis chez les vieux de la vieille, qui s’offrent ainsi un dernier tour de piste sous les sunlights. Mieux vaudrait encore ne pas avoir de ralliements que de n’avoir que ça à mettre en avant, tellement le message envoyé est celui d’un terrible isolement du pouvoir en place, et plus globalement, de la classe politique.

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L’expression démocratique ne passe pas que par les réseaux sociaux

Une réflexion se développe actuellement, qui me semble intéressante, sur la place et le poids des réseaux sociaux dans notre démocratie. Enfin, on commence à avoir des visions et des analyses construites qui émergent du brouillard cognitif des experts auto-proclamés du numérique, qui souvent n’y connaissent rien, et pensent sincèrement qu’appliquer au numérique, les schémas de fonctionnement du « hors numérique » est la solution.

Deux livres récents, sur des registres un peu différents, offrent des perspectives, et surtout, tirent dans le même sens. Le premier, la démocratie du like de Nelly Garnier, est la vision, tirée de sa pratique personnelle, d’une jeune élue parisienne, qui se rend compte que la démocratie ne tourne pas rond, et qu’il est un peu facile de tout mettre sur le dos du numérique. Le deuxième, un peu plus costaud et aux analyses plus profondes, « le business de la haine » est écrit par deux vieux routiers du numérique, Jean-Louis Missika et Henri Verdier.

Ces deux lectures, rapprochées dans le temps, ont aiguisé ma réflexion, et ouvert des perspectives de réflexion (sur un cheminement qui se poursuivra, et n’est exclu de revirement et de franchissement de cap). Je réduis volontairement mes remarques au champ démocratique, les réseaux sociaux et le numérique en général posant parfois des problèmes sociétaux plus vastes.

Le premier constat commun à ces deux ouvrages est celui d’une dégradation du débat public en France, qui est devenu profondément insatisfaisant, et qui en vient à saper notre démocratie. Il y a effectivement un changement profond dans la manière dont nos concitoyens envisagent la vie politique, et l’expression des opinions. Le cadre de la très classique démocratie représentative est en train de dépérir à grande vitesse, les citoyens s’en désaffiliant, comme le montre l’augmentation inquiétante de l’abstention. Beaucoup de commentateurs voient les choses sous l’angle de la déploration d’un modèle perdu, qu’il faudrait à toute force restaurer, éventuellement en y mettant une dose de numérique (d’où l’idée, catastrophique selon moi, du vote en ligne). Cette option est comme souvent celle qu’on entend le plus dans la bouche des élites en place, qui bien souvent ne comprennent pas ce qui se passe (votant des lois à coté de la plaque, comme Hadopi), mais comprennent quand même que les cartes sont en train d’être rebattues, et qu’ils ont tout à perdre au changement. Ils ont d’autant plus à perdre que ne comprenant pas ce qui se passe, ils sont incapables de savoir ce qu’il faut faire pour conserver une position de pouvoir dans le dispositif qui se met en place. Ils ne voient pas qu’en fait, c’est la manière même d’envisager la démocratie représentative, qui est questionnée.

Le deuxième point commun à ces analyses est que la responsabilité principale de cette évolution négative ne repose pas que sur les plateformes, les réseaux sociaux et le numérique. Ce qui leur est reproché se retrouve aussi, à forte dose, sur les médias audiovisuels classiques. CNews et la polarisation politique qu’il impose à ses concurrents, vers toujours plus de clash et de trash, est le moteur, que les réseaux sociaux ne font qu’amplifier. Les analyses d’Henri Verdier et Jean-Louis Missika sont éclairantes sur la déliquescence du système médiatique, dont les dérives ont commencé avant l’arrivée des réseaux sociaux, qui n’ont fait que les amplifier et les accélérer.

Cette responsabilité des médias n’est pas assez mise en avant. Quand on est sur Twitter et Facebook, on se rend bien compte que l’essentiel des contenus qui sont commentés viennent des médias traditionnels, les internautes ne faisant qu’y réagir avec leurs tripes et leurs convictions. Dans un cercle vicieux, des journalistes paresseux, et/ou manquant de moyens, ont les yeux rivés sur ces réseaux sociaux, et rétroagissent à coup d’articles facile à écrire, sur l’air du « les réseaux sociaux s’enflamment » et l’agenda politique se retrouve plié, les élus étant sommés de réagir au sujet qui mousse dans une micro-communauté que les journalistes prennent pour la France.

Les différents auteurs estiment que les réseaux sociaux jouent actuellement un rôle dans les débats démocratiques qui est excessif et néfaste. Le problème vient effectivement en partie de la manière dont leur conception et leur modèle économique les amènent à jouer sur les émotions violentes plutôt qu’à apaiser. Même si elle est plus optimiste, Nelly Garnier est sur la même focale, à savoir l’analyse des réseaux sociaux. C’est là que je commence à avoir des divergences avec leurs analyses, qui ne prennent pas assez de recul et ne sont pas assez prospectives.

Le premier point qui me dérange dans l’analyse est l’importance, excessive à mon avis, qu’ils accordent au poids des réseaux sociaux dans la vie démocratique. En effet, ces forums numériques ne produisent pas grand chose, ce sont d’abord des lieux de réaction à ce qui est produit par les médias. Je n’ai jamais vu une pensée politique émerger sur Twitter. Le problème démocratique ne vient pas vraiment des réseaux sociaux, mais de la manière dont les médias (au sens large) les alimentent, et surtout, dans la manière dont ces mêmes médias exploitent ce qui sort des réseaux sociaux, dans une forme de boucle de rétroaction particulièrement malsaine. Pour résumer, le poids de Twitter dans le débat démocratique tient beaucoup à l’importance que les journalistes accordent à ce qui s’y passe ! Il faut absolument retrouver une vie politique digne de ce nom hors ligne, en s’aidant éventuellement des outils numériques.

Le deuxième point où je diverge est une vision trop figée de l’avenir et des évolutions possibles. Verdier et Missika partent du principe que les réseaux sociaux sont désormais au centre du jeu, qu’on ne peut rien faire sur ça, et que l’outil est tellement vérolé et tordu (en cela, ils n’ont pas complètement tort), qu’il faut en changer radicalement le mode fonctionnement pour sauver la Démocratie. Ils proposent de dessaisir les actuels gestionnaires des réseaux sociaux, et d’en faire des « biens communs » pour les transformer en forums démocratiques vertueux, débarrassés de la haine. C’est à mon sens largement utopique. D’abord, cela demande du temps et de l’énergie et des batailles homériques, pour des résultats aléatoires, tant le numérique échappe aux régulation. Ensuite, les réseaux sociaux ne sont qu’un outil, et la haine n’y apparait pas spontanément, mais parce qu’elle y est déversée par des « vrais gens » et elle provient de frustrations qui ne naissent pas sur les réseaux sociaux, mais dans la « vraie vie ». Tarir ce robinet à haine peut être utile pour la démocratie, à condition que cette haine n’aille pas se déverser ailleurs. Casser le thermomètre ne fait pas baisser la température.

Une autre voie, plus intéressante pour la démocratie, peut être de mettre en place d’autres outils d’expression citoyenne, qui soient hors numérique, ou en hybride, avec une part de présence physique, et le soutien d’outils numérique. La Convention citoyenne pour le Climat a montré que, lorsque l’on met des citoyens « ordinaires » en situation de la faire de la politique « de fond », ils se comportent bien autrement que les réseaux sociaux. Il est indispensable de développer d’autres outils numériques (qui existent déjà en partie) plus adaptés à la délibération citoyenne de qualité que nous attendons tous de nos vœux.

Le fond du problème, c’est que les réseaux sociaux, avec tous leurs travers, ont juste occupé un vide. C’est aux politiques et à la société de bâtir quelque chose permettant une expression politique citoyenne, qui offrirait une alternative crédible à l’expression sur les réseaux sociaux, permettant de les reléguer à une place subalterne, voire anecdotique, dans les mécanismes du débat démocratique. La haine sur les réseaux n’est qu’un symptôme de la déliquescence de notre société, qui se défait et se délite politiquement. Retrouver une vie démocratique digne de ce nom, c’est un projet global, où l’aspect « numérique et réseaux sociaux » n’est qu’un volet d’un ensemble plus vaste.

Retrouver un vie démocratique « réelle » implique que les élites en place acceptent de déverrouiller le dispositif démocratique français. C’est à eux de mettre en place les outils, et surtout, de faire en sorte que l’expression citoyenne qui en sorte soit écoutée, respectée, et suivie. Quand on a vu ce qu’il est advenu de ce qu’à produit la convention citoyenne pour le climat, et plus généralement, les résultats des consultations citoyennes, depuis 10 ans, on se dit qu’on n’a en fait jamais vraiment démarré, et ce faisant, on discrédite des outils et des pratiques qui sont pourtant une partie de la solution.

Je crains en fait qu’une bonne partie des décideurs de l’élite, préfèrent finalement conserver le verrouillage démocratique. Il n’y a pas de volonté d’avoir une véritable démocratie participative, sauf sous la forme de poudre aux yeux. Le numérique et les réseaux sociaux deviennent les bouc-émissaires, responsables de tous les maux de la démocratie française e de la réforme de leur fonctionnement, viendra le salut démocratique. C’est une vision étroite, qui ne sortira malheureusement pas la France de son marasme démocratique.

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Fabien Roussel a-t-il occupé un emploi fictif ?

Médiapart vient de publier une série d’articles accusant le candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel, d’avoir occupé un emploi fictif, comme collaborateur parlementaire de Jean-Jacques Candelier, député PCF du Nord entre 2008 et 2014.

A cette époque, Fabien Roussel est secrétaire fédéral du PCF dans le département du Nord. Il exerce donc une activité réelle et documentée, dans le secteur politique. Rien à voir, donc, avec Pénélope Fillon, qui n’exerçait pas la moindre activité tout court.

Le cœur du problème, ici, est l’appréciation du caractère « rattachable à l’activité parlementaire » du travail effectué par Fabien Roussel. On est sur un terrain complexe, où les appréciations ont évolué ces 20 dernières années.

Le rôle d’un député est double, à la fois « personnalité faisant de la politique » et « technicien de la législation et de l’évaluation de l’action du gouvernement ». Selon la définition, large ou restreinte, que l’on retient, le champ de l’activité d’un assistant parlementaire n’est pas le même.

Si on retient la définition large, Fabien Roussel est globalement dans les clous. Patron départemental du parti, surtout au PCF, c’est un poste stratégique, important à contrôler pour les parlementaires membres de ce même parti. En effet, cela permet d’avoir des réseaux, qui rayonnent au delà de la circonscription. Quand on est une personnalité politique ambitieuse, on cherche à se déployer au delà de son seul territoire d’élection, et avoir une influence, au moins départementale, si ce n’est nationale. Avoir une personne dédiée à ce volet spécifique peut alors se justifier.

Dans une mouvance politique où le parti pèse beaucoup (notamment pour obtenir l’investiture aux élections), avoir avec soi le patron local permet de sécuriser sa propre place, et se mettre à l’abri d’un vote défavorable des militants, au moment de la remise en jeu des mandats. Ce n’est pas un hasard si, dans certains partis, les postes à responsabilité au niveau départemental (président ou secrétaire départemental) sont occupés par les parlementaires. Un partie des tâches techniques sont alors effectuées par les collaborateurs du parlementaire en question, sans que personne, au sein du parti, voire au delà, ne trouve cela incongru, tant que l’action du collaborateur est clairement perçue comme étant « au bénéfice de son parlementaire ».

Mais il se trouve que la conception du rôle du parlementaire a progressivement évolué, vers une vision plus restrictive, celle du parlementaire « technicien de la loi », concentré sur ce qui se passe à Paris. Dans cette conception, il faut que les assistants parlementaires en circonscription soient cantonnés à la permanence et dévolus à des tâches comme la rédaction de courriers aux administrations, la réception d’électeurs (pour une finalité, le piston, qui n’est pas vraiment dans la liste des tâches d’un parlementaire) et la rédaction d’amendements ou de questions écrites. Dans ce cadre là (celui que retient Médiapart), la situation de Fabien Roussel est beaucoup plus bancale.

Cette « dépolitisation » du mandat parlementaire s’observe depuis une bonne dizaine d’années, avec des étapes législatives qui marquent le basculement, comme l’interdiction du cumul des mandats. Cette loi, en spécialisant le parlementaire sur l’aspect national du mandat, contribue à l’isoler du tissu politique local. Les parlementaires, anciennement cumulards, et qui sont restés au Parlement après 2017 l’ont fortement ressenti, et l’ont souvent mal vécu, au point pour certain, de revenir à la politique locale. Ils ne sont plus invités aux manifestations locales et aux cérémonies officielles, ou alors en mode « cinquième roue du carrosse », prenant la parole en dernier, quand on la leur donne. Les lois sur la Transparence et la déontologie (en 2013 puis 2017) ont eu également un rôle, en apportant des précisions aux règles relatives à l’exercice concret du mandat, appuyant clairement la vision restrictive.

Sentant la montée en puissance de cette évolution, Jean-Jacques Candelier décide en 2014, de ne plus salarier Fabien Roussel comme assistant parlementaire. Il est conscient que cette pratique, ancienne et jusque là « normale », est de moins en moins bien acceptée, et que ça pourrait lui valoir des ennuis. Son flair ne le trompe pas, des actions en justices étant engagées en 2017 contre le Modem ou encore le FN, pour des faits similaires (mais dans proportions quasi industrielles). C’est cela qu’il exprime dans la conversation privée diffusée par Médiapart, datant de 2018, se disant qu’il a eu le nez creux, et s’est ainsi évité des ennuis.

L’emploi de Fabien Roussel n’était donc pas fictif dans son esprit, car il remplissait bien un rôle d’assistant parlementaire, en « tenant » et animant le parti local, pour le compte et le bénéfice de son député. Un raisonnement qui pouvait encore être majoritaire en 2012, qui l’est beaucoup moins en 2022. Les accusations de Médiapart, ont donc une logique compréhensible et une cohérence par rapport à une certaine vision du mandat parlementaire, technique et dépolitisé.

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Le vaste pipeau des réseaux sociaux

Il va falloir un jour, que les journalistes en finissent avec ces regards frénétiques rivés sur les réseaux sociaux, croyant y scruter la réalité et confondant ainsi une carte floue, partielle et déformée, à la réalité du territoire.

Les fameux réseaux sociaux, à commencer par Twitter, le plus scruté, ne rassemblent qu’un nombre très limité de personnes, absolument pas représentatifs de la population. Ils sont un forum, largement déformant par rapport à la réalité, d’où il peut parfois sortir de bonnes choses, à condition de savoir trier. C’est d’abord un lieu d’expression purement individuel, d’où il est difficile de sortir une conclusion « collective ». Les journalistes commettent une lourde erreur en accordant une valeur de « signal social » à ce qui se dit sur Twitter, qui rassemble des gens qui s’expriment à titre individuel. Quand ils le font à titre collectif, c’est souvent par le biais d’un effet de meute. Les manipulations à base de publications automatiques et de robots, achèvent de fausser complètement les résultats « collectifs ». Et pourtant, régulièrement, on voit des publications comme celle-ci, où on dissèque doctement de savoir ce que « pèsent » les différents candidats à partir des données recueillies sur les réseaux sociaux. Ailleurs, on va prétendre vous mesurer « l’influence » de personnalités sans jamais avoir défini, d’ailleurs, ce qu’on entend pas influence.

Le même raisonnement s’applique dans le domaine du marketing, où des consultants fumeux font croire que les pubs et les « influenceurs » très suivis ont un réel impact, alors qu’en fait, on n’en sait rien. Quel est l’impact réel sur le public ? Avoir généré beaucoup « d’impressions », au final, cela a quel effet ? A-t-on réussi à toucher durablement une personne, à la faire changer d’avis ? On n’en sait pas grand chose et toutes ces évaluations relèvent trop souvent du pifomètre et de l’analyse au doigt mouillé.

De tout cet écosystème n’émerge que du bruit et assez peu de signal, avec des « médiateurs » (comme les journalistes ou les publicitaires) qui leur font dire ce qui les arrangent, et arrivent, en plus, à faire gober que cela est réellement représentatif de ce que pense la population. Tout cela n’est, au final, qu’une vaste escroquerie intellectuelle.

Comment s’étonner, ensuite, de la dégradation de la qualité du débat public, quand il prend appui sur de telles bases ?

Les personnes en charge d’animer le débat démocratique, journalistes et personnel politique (quand il est de bonne foi), doivent prendre leurs responsabilités, et ne pas prendre ces mirages numériques pour des lanternes. Il y a d’autres moyens de connaitre (un peu) la société, ses attentes et ses refus, il suffit d’écouter les gens, avec les bons outils. C’est d’abord leur parler, en vrai, en face-à-face, en prenant le temps d’entendre leur complexité, de suivre les nuances d’un raisonnement. Les sondages, quand ils sont bien fait, avec des questions intelligentes et une partie « qualitative » apportent également une matière utile. Mais c’est vrai que cela demande du travail et une expertise que tout le monde n’a pas (ou ne souhaite pas se donner).

Un débat démocratique digne de ce nom ne peut pas se bâtir sur la paresse et les facilités.

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Comment regarder les nominations de « Sages »

Les autorités de nomination viennent de procéder à la désignation des trois nouveaux membres du Conseil constitutionnel, qui vont entrer en fonction en mars prochain, pour neuf ans. Cette promotion 2022 est aussi bien équilibrée et intéressante sur le fond et sur les compétences, qu’elle peut prêter le flanc à la critique sur la forme.

Il y a plusieurs manières d’envisager ces choix, et les commentaires vont bon train. Comme à chaque fois, le regard le plus utilisé est celui de la politique, avec d’abondants commentaires sur la proximité politique des nominés avec l’autorité de nomination.

Il est évident que la tentation existe, pour celui qui nomme, d’utiliser ce pouvoir au mieux de ses intérêts politiques, comme par exemple recaser un proche. Pour les trois nominés, cette grille de lecture fonctionne. Emmanuel Macron nomme une ministre en exercice, venant du Modem, son allié auquel il n’a pas toujours donné tout ce qu’il attendait. Gérard Larcher nomme son ancien directeur de cabinet, et Richard Ferrand nomme une magistrate qui a pu éventuellement jouer un rôle dans le classement sans suite d’un dossier judiciaire qui lui pourrit la vie depuis quelques années. Même si dans les faits, on n’en sait rien de son rôle exact, les apparences rendent cette critique plausible. Ne pas prendre cela en compte relève de l’erreur politique, en ces temps suspicieux.

Ces remarques et commentaires sur la forme sont légitimes, mais malheureusement, trop souvent, les commentaires et analyses s’arrêtent à ce stade, postulant presque naturellement que, puisque nommés sur critères politiques, ces personnalités sont incompétentes. C’est ce point qui me chiffonne, car l’élément le plus important n’est pas la manière dont les personnes sont arrivées au poste, mais leur capacité à contribuer efficacement aux missions de l’organisme où ils sont nommés.

Évacuons d’abord le soupçon de renvoi d’ascenseur pour service rendu, qui entoure souvent les nominations à un poste prestigieux. Une place au Conseil constitutionnel est très souvent un dernier poste. On y est pour neuf ans, avec un boulot à plein temps et des règles déontologiques qui empêchent de faire autre chose à coté. On sort du conseil retraité à temps plein, car trop âgé pour reprendre une activité, et surtout, largement déconnecté du monde des affaires et de la haute administration. On n’a donc rien à attendre pour la suite, d’autorités de nomination qui de toute manière, ne seront sans doute plus au pouvoir (donc en mesure de récompenser) neuf ans plus tard.

L’analyse intéressante est de voir si les personnes nommées correspondent aux besoins. Sont-ils compétents ? Ces compétences sont-elles utiles à l’institution ? C’est à ces questions que j’aimerais apporter quelques éléments, en n’oubliant pas que le Conseil constitutionnel est un organe collégial, qui rend des décisions à l’issue d’une délibération collaborative. Il faut donc un panache de profils et de talents.

Jacqueline Gourault a une longue carrière politique derrière elle, d’élue locale, puis au Sénat et enfin au gouvernement. Elle vient du Modem, parti « minoritaire » pas réputé pour être un cocon douillet. Elle a donc fait preuve d’une solide capacité de survie. J’ai le souvenir qu’en 2011, elle a tout de même réussi à être réélue sénatrice, en battant le président du conseil départemental de l’époque, Maurice Leroy, qui était alors ministre en exercice, et très très loin d’être un perdreau de l’année.

La présence d’anciens élus nationaux, qui connaissent bien la vie politique est utile pour deux raisons. La première est que le Conseil constitutionnel est juge électoral des législatives et des sénatoriales, et qu’il y a rien de mieux qu’un « vieil élu expérimenté » pour comprendre ce qui s’est passé, détecter les embrouilles, et poser les « bonnes questions ». La deuxième est que le processus législatif est politique, et qu’il n’est pas inutile de comprendre la genèse d’une loi et la manière dont elle a été discutée. Le droit parlementaire est assez particulier, et il n’y a rien de mieux que d’avoir été un acteur du processus, pour en comprendre les ressorts. C’est d’ailleurs pour cela qu’à plusieurs reprises, d’anciens secrétaires généraux de l’Assemblée ont été nommés au Conseil.

La seule critique à ce choix est le nombre, sans doute trop élevé dans les trois prochaines années, d’ancien élus. On aura Laurent Fabius, Alain Juppé, Jacques Mézard, François Pillet et donc Jacqueline Gourault. Cinq sur neuf, c’est trop. La faute a été commise au précédent renouvellement, en 2019, avec trois anciens élus nommés, là où il aurait fallu n’en nommer qu’un.

Un conseiller d’Etat, François Seners, a également été nommé. Le profil est très intéressant. Après avoir commencé dans la préfectorale, il s’est occupé de l’Outre-Mer dans les années 1990, notamment du statut de la Nouvelle-Calédonie, juste après les accords de Matignon. Il continue depuis à suivre ces sujets ultra-marins. Une compétence rare et précieuse pour le Conseil constitutionnel, en cette période d’incertitude sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Il a également exercé des fonctions juridictionnelles au sein du Conseil d’Etat, notamment contentieuses. C’est donc un juriste de droit public confirmé, compétence loin d’être inutile à la Rue de Montpensier. Enfin, il connait bien le monde politique, pour avoir fait plusieurs passages en cabinet ministériel : Chez Juppé quand il était premier ministre, chez Rachida Dati quand elle était ministre de la Justice, et surtout, il a été secrétaire général adjoint du gouvernement, de 2009 à 2012. On se dit que finalement, le fait d’avoir été directeur de cabinet de Gérard Larcher, entre 2014 et 2017, était un « creux » de sa carrière, et qu’elle lui a surtout servi à se faire connaitre personnellement par Gérard Larcher. Le « petit plus » qui fait qu’à profil égal, la balance penche en votre faveur.

Enfin, nous avons une magistrate judiciaire, Véronique Malbec. Après une carrière très classique de magistrate, elle devient directrice des services judiciaires du ministères, où elle succède à Dominique Lottin (qui quitte le conseil constitutionnel en mars 2022…). Elle devient ensuite procureure générale de la cour d’Appel de Rennes (de 2013 à 2017), puis à Versailles (poste encore plus sensible et prestigieux) avant de passer, en 2018, secrétaire générale du ministère de la Justice. Elle aussi, connait donc les rouages de l’administration. En 2020, c’est elle qui se retrouve directrice de cabinet d’Eric Dupont-Moretti, à devoir réaliser la mission de haut vol de gérer à la fois le ministère, mais aussi le ministre, personnalité totalement novice en politique, particulièrement éruptive et ingérable. Je pense que si cette nomination est pour « services rendus », c’est sans doute plus pour son travail de directrice de cabinet, que de supérieure hiérarchique du procureur qui a classé sans suite une plainte qui embarrassait Richard Ferrand, à une époque où il était simple député PS.