Le renouvellement des instances de l’Assemblée a donné lieu à des péripéties et surtout, des résultats parfois surprenant. Pour autant, le résultat final est extrêmement intéressant, et ouvre de vraies perspectives pour un début de rééquilibrage entre l’exécutif et le législatif, ainsi qu’une évolution de la culture parlementaire. A condition que les députés se montrent à la hauteur.
Le premier point important est que la Macronie, par sa faute (il ne faut jamais quitter l’hémicycle avant la fin de tous les votes, même s’il est 3h du matin), n’a pas la majorité absolue au Bureau. Or, c’est cette instance qui, outre la supervision du fonctionnement matériel de l’Assemblée, gère également les questions de discipline (sanctions, règles déontologiques…). La précédente législature a connu une pluie de sanctions frapper des députés n’ayant pas respecté le règlement. Les LFI, dans une stratégie assumée de bordélisation de l’Assemblée, ont pris le plus cher, et de loin. Cette « main lourde » de Yaël Braun-Pivet, a été contestée, y compris au sein de son camp. Elle a surtout été une impasse, car elle n’a rien réglé sur le fond (voire elle a empiré la situation), a pourri l’ambiance et au final dégradé l’autorité, déjà fragile, de la présidente.
Désormais, quand un député brandira un drapeau étranger dans l’hémicycle, il ne pourra se voir infliger qu’un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal, sanction maximale pouvant être prononcée en séance depuis le perchoir. Les sanctions plus lourdes devant être prises en Bureau, c’est l’opposition qui a la main pour les décider, ou pas. La discipline devant quand même être assurée, il y aura des saisines, de la part de Yaël Braun-Pivet, mais la jurisprudence pourrait évoluer assez fortement, tant sur ce qui est sanctionnable, que sur l’échelle des sanctions. Cela ouvre un champ des possibles très prometteur, si les membres du bureau et les responsables de groupes veulent effectivement faire évoluer le sujet.
Cela suscite toutefois une inquiétude chez moi. La gauche a fait le choix d’exclure le RN des postes de décision (Bureau et présidences de commission). Ils y sont arrivés, et les choses sont même allées plus loin, car dans le chaos des votes, Yaël Braun-Pivet se retrouve avec Roland Lescure et Brigitte Klinkert à représenter le groupe EPR, censé être le groupe majoritaire et le Modem se retrouve même sans représentant au Bureau. Pour une instance censée être composée en fonction de l’équilibre des forces dans l’hémicycle, c’est plus que problématique. Outre la rancoeur que peuvent concevoir RN et ses alliés (141 députés, quand même) du fait de cet ostracisme, la faible représentation de la majorité pourrait affaiblir l’autorité, voire la légitimité, des décisions du Bureau. Son fonctionnement étant à la main de la présidente (elle convoque, fixe l’ordre du jour, et dirige les débats), on pourrait se retrouver assez vite dans une situation de blocage de cette instance de régulation, si les positions se radicalisent.
Le deuxième point à retenir est la désignation de Charles de Courson comme rapporteur général du Budget. Il s’agit d’un pur accident, car il a été élu, au bénéfice de l’âge, du fait d’une égalité de voix avec son concurrent, le rapporteur général sortant, le macroniste Jean-René Cazeneuve. Pour la première fois, la commission des Finances échappe totalement au gouvernement, car en temps « normal », si le président est d’opposition, le rapporteur général est dans le camp gouvernemental, et se comporte en fidèle relais de Bercy (en mode « la voix de son maître »). Lors des débats en commission sur le budget, le ministre n’avait pas besoin d’être présent, le rapporteur général parlait pour lui. Même si le gouvernement conserve d’importantes prérogatives, les débats budgétaires vont être moins confortables pour lui.
Le deuxième « effet kiss cool » de cette désignation, c’est la personne même du nouveau rapporteur général. Charles de Courson est un centriste jusqu’au bout des ongles, d’une farouche indépendance, très attaché au respect du Parlement, avec une forme de panache qui rend ses interventions écoutées. C’est aussi un hyperspécialiste des finances publiques. Il a commencé sa carrière à la cour des Comptes, et a été élu député en 1993. Depuis, il siège à la commission des finances, sans discontinuer. C’est le seul qui est capable, en lisant un amendement financier technique, de le comprendre et d’en saisir immédiatement les enjeux politiques. C’est la bête noire de tous les ministres du Budget, et sans doute le cauchemar de tous les technos de Bercy, dans les prochains mois. Car le rapporteur général du budget est doté de très larges pouvoirs de contrôle, notamment celui de débarquer, sans prévenir, à Bercy, pour se faire communiquer tous les documents qu’il demande.
Tout se met en place pour qu’une évolution importante de la culture parlementaire puisse se produire au cours de la XVIIe législature !