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L’immobilier des églises est-il sacré ?

La question de la place des religions dans l’espace public resurgit d’une manière un peu étrange, avec la polémique autour du statut de Notre-Dame de Paris : lieu de culte ou attraction touristique ? L’enjeu de la polémique est de savoir lequel de ces deux usages doit primer sur l’autre. En effet, la ministre de la Culture (par ailleurs élue de Paris) souhaite faire payer un droit d’entrée, au profit de la restauration du patrimoine, lors de la réouverture de l’édifice.

L’église catholique se raidit, car elle sent bien que cet édifice hautement symbolique est en train de lui échapper, et qu’elle finirait par n’y être plus que « tolérée », dans des créneaux bien précis, à condition que les offices religieux ne troublent pas la visite des touristes. Ce raidissement est d’autant plus fort, qu’on sent bien que la question dépasse largement la simple cathédrale de Paris, et que ce qui est questionné, c’est le dimensionnement de l’immobilier contrôlé par l’église catholique, et sa légitimité à occuper ces bâtiments dont l’essentiel de l’entretien est à la charge de la collectivité publique.

La loi de 1905 a eu pour effet de transférer la propriété des édifices du culte aux collectivités publiques (les cathédrales pour l’Etat, et les autres églises et chapelles, aux communes) avec un statut d’affectataire pour les religions. Elles sont donc locataires, mais un bail perpétuel, qui ne peut être résilié que un décret avec l’accord de l’affectataire (on appelle cela la désaffectation).

La chute de la pratique religieuse a chuté drastiquement en France, rendant surdimensionné le réseau de lieu de culte, en particulier catholique. Il est logique qu’au bout d’un certain temps, les collectivités qui sont propriétaires des bâtiments et en payent l’entretien, s’irritent de leur sous-utilisation. Pour les « meilleurs morceaux », la tentation peut être grande d’en faire un autre usage, culturel ou touristique, qui puisse notamment procurer le financement de l’entretien par des recettes propres. Le proposition formulée par la ministre de la Culture est donc logique, et devait fatalement arriver un jour.

Il reste un verrou, fragile, celui de la loi de 1905, qui est un totem politique, un symbole qu’il est très délicat de toucher, car c’est une boîte de Pandore qu’il est dangereux d’ouvrir. Nombre de collectivités locales pourraient en profiter pour demander à l’église catholique de « rationaliser » son réseau de lieux de culte, voire rendre les biens pour ne plus avoir à payer. Etant donné la difficulté, technique et symbolique, de reconvertir les églises à d’autres usages, le risque (déjà en train de se réaliser) est que les bâtiments religieux qui ne sont pas récupérables soient laissés à l’abandon et finalement démolis.

On va donc vers un progressif effacement des religions de l’espace public, par la disparition ou la reconversion (en musée ou salles de concert) de bâtiments, où l’activité cultuelle sera évacuée ou résiduelle, et transférée ailleurs. Les hiérarchies religieuses auront bien du mal à lutter contre cela, car il leur restera encore suffisamment de lieux de culte pour accueillir le peu de fidèles qui fréquentent encore les églises. On leur expliquera que s’ils veulent conserver toutes leurs églises, pour un usage exclusivement cultuel, il va falloir payer. Si on lance le débat sur la justification de cette dépense d’entretien des bâtiments cultuels sur fonds publics, je crains fort qu’une majorité se dégage pour ne réduire drastiquement cette dépense.

Le débat qui a lieu autour du contrôle de Notre-Dame de Paris est donc important. On aura certainement un compromis, qui pourrait faire acter un recul de l’emprise des autorités religieuses sur les bâtiments de culte les plus prestigieux. Mais il n’y aura sans doute pas d’affrontement brutal. Les autorités politiques n’ont pas intérêt à heurter de front les catholiques, et à devoir réviser la loi de 1905. La hiérarchie catholique n’a pas plus intérêt à l’affrontement, sous peine de voir poser, ouvertement, le sujet du surdimensionnement de son réseau d’églises et le fait qu’il est entretenu sur fonds publics.

Pourtant, ce débat est légitime, et serait utile, plutôt que d’avoir une évolution rampante, où les choses ne sont pas dites, où les choix ne sont pas assumés. Mais je ne pense pas, vu les fractures politiques qui traversent ce pays, qu’on puisse avoir un débat serein sur un tel sujet.

10 réponses sur « L’immobilier des églises est-il sacré ? »

D’autant qu’il y a par ailleurs une forte opposition des autorités à la construction de lieux de culte musulmans, même sur fonds privés.
Entretenir le patrimoine architectural français peut se défendre, entretenir des lieux de culte catholiques désertés, non.

C’est je pense un faux débat, lors de ma dernière visite en Italie j’ai payé pour visiter beaucoup d’église cela dépend des régions et j’ai trouvé des portes clauses ou des restrictions de visite aux heures des services religieux… cela ne semblait pas gener les italiens et les touristes…

Chaque pays a sa tradition sur ce sujet. En France, visite et culte ont fait bon ménage, aux yeux des catholiques, à partir du moment qu’ils ont le contrôle. S’ils perdent une partie du contrôle, et surtout, les produits de l’exploitation du lieu, ça change les équilibres.

… et risque SURTOUT de perturber l’équilibre financier de l’église catholique déjà pas simple a approcher…
Ou je me trompe et ce risque serait ultra périphérique ?

Autre sujet contingent ,celui des soirées musicales (débat en cours en Bretagne entre curé tolérant ou très rigoriste)

Ce sont les moines catholiques qui ont sauvé une partie de la culture classique pendant les « siècles obscurs » du haut moyen âge. L’art et la philosophie européens se sont développés sous le patronage de l’Église. Bref, nous devons à la religion catholique l’essentiel de notre civilisation européenne, que cela vous plaise ou pas. Mais vous préférez peut-être la remplacer par une autre civilisation…

A l’époque, les catholiques finançaient leur propre religion et en étaient fiers.. Je ne souhaite rien d’autres que de voir les catholiques retrouver leurs grandioses habitudes des temps jadis, qui leur permettaient de contribuer utilement à la civilisation européenne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et c’est peut-être ça le problème, que cela vous plaise ou pas.

Oui enfin tout ça, ça commence par la nationalisation des biens de l’Eglise (Révolution), en contrepartie du salariat du clergé (Concordat), puis en contrepartie… de rien du tout. Facile en effet de changer les règles du jeu 120 ans après quand on connait la suite de l’histoire.

La nationalisation des biens religieux, en 1791, s’est faite sans contrepartie. Cela concerne essentiellement la confiscation de biens de congrégations et de couvents qui sont simplement dissous. Ne reste que le clergé paroissial, qui n’avait pas tant que ça de biens, les revenus des évêques venaient essentiellement du fait qu’ils détenaient des revenus d’abbayes. Le Concordat ne vient qu’en 1801, et son but est de mettre la hiérarchie religieuse sous le contrôle du pouvoir politique. En 1905, le compromis est trouvé avec les catholiques, qui perdent déjà leur statut de religion officielle, avec tous les privilèges et la reconnaissance officielle. Il n’est pas possible de tout leur prendre, alors on créé le statut d’affectataires, qui leur permet de garder le contrôle de leurs lieux de culte. 120 ans après, la situation a changé, le réseau des églises est surdimensionné au regard de la pratique effective de la religion catholique, faisant peser une charge disproportionnée et injustifiée sur les budgets de l’Etat et des collectivités publiques. Il est donc légitime de se poser des questions, et d’essayer de trouver des solutions.

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