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Comme un parfum d’erreur de casting

Depuis sa nomination à Matignon, Je ressens un malaise face aux actions et prises de parole de François Bayrou. Rien ne va. J’en suis à me demander si ce choix, au delà des aspects idéologiques, n’est pas juste une énorme erreur de casting.

Les prises de parole sont lunaires. Elles montrent ce qu’on savait déjà, que Bayrou a un melon énorme. Mais c’est même pire, car que ce soit en montant dans sa voiture, ou sur le perron de Matignon, il parle pour ne rien dire, dissertant sur Henri IV et parlant finalement surtout de lui. En revanche, pas la moindre once de ligne politique, mis à part qu’il veut « réconcilier les français ». C’est assez sidérant qu’un homme qui est dans le paysage politique depuis 40 ans ne soit pas capable de distiller intelligemment des messages politiques. On dirait juste un papy qui radote sur ses marottes.

Les choix symboliques et la communication médiatiques laissent également pantois. Alors que Mayotte vient d’être dévastée par un terrible cyclone, que la France est sans budget, il trouve le moyen de s’afficher à Pau, pour parler de cumul des mandats. Quel sens étrange des priorités. Il a beau dire que depuis Pau, il a assisté en visio-conférence à la réunion dédiée à Mayotte, présidée par Emmanuel Macron, cela n’imprime pas. Les images que les Français attendent, c’est Bayrou, assis aux cotés de Macron, à la table du conseil, ou alors dans l’avion qui l’amène à Mayotte. Mais pas à la préfecture des Pyrénées-Atlantiques, à présider un conseil municipal. Cela donne une impression de flottement et de déconnexion absolument surprenants pour un homme de cette expérience, que l’on pensait avoir du sens politique.

Le choix du recrutement des collaborateurs proches laisse également perplexe. C’est particulièrement le cas pour son directeur de cabinet, à Matignon. Pour ce poste qui est une véritable tour de contrôle des administrations centrales, il prend quelqu’un qui a fait toute sa carrière comme directeur général des services dans de grosses collectivités. N’étant ni énarque (donc n’appartenant pas aux cercles centraux de « l’état profond ») et n’ayant jamais occupé de poste en administration centrale, on se demande ce qu’il vient faire là, et ce qu’il va arriver à contrôler. Sa nomination s’explique sans doute davantage par le fait qu’il a été, de 1995 à 1997, le chef de cabinet de François Bayrou au ministère de l’Education, puis son directeur général des services à la mairie de Pau, entre 2014 et 2018. C’est un proche, un fidèle de très longue date. C’est sans doute une grande qualité, mais ce n’est pas suffisant pour avoir une autorité face aux préfets, conseillers d’Etat et autres inspecteurs des finances qui peuplent les directions générales de ministères.

C’est là que je me rend compte que François Bayrou est depuis longtemps à la dérive. Jusqu’en 2007, il est un homme politique de centre-droit, qui a un beau destin devant lui. Il a été ministre, il est à la tête d’un parti, certes minoritaire au sein de la droite, mais qui pèse un peu. Bref, à l’issue de l’élection présidentielle de 2007, il aurait dû devenir un poids lourd du gouvernement Fillon, dans la logique habituelle des clivages droite-gauche.

Or, il prend une voie différente. Son score à la présidentielle de 2007, tout à fait honorable, semble lui avoir tourné la tête, lui faisant croire qu’un « grand destin » l’attend, au bout d’un chemin solitaire. Il s’entoure alors d’une garde rapprochée, et s’isole complètement, refusant d’entrer dans la coalition de droite, entamant une traversée du désert à la poursuite d’un mirage. Au fil du temps, ce groupe s’est replié sur lui, sans apport de sang neuf, tournant progressivement au clan, voire à la secte. L’élection d’Emmanuel Macron représente une lueur, mais le grand destin dont rêvait Bayrou sera finalement pour un autre. Celui-ci a l’intelligence de lui laisser un petit bout de lumière, et d’offrir un peu de pitance gouvernementale au Modem, en reconnaissance du coup de main donné. Il permet ainsi à ce groupe, qui aurait dû s’étioler dans l’isolement, de retrouver un peu de couleurs, sans pour autant lui permettre un plein épanouissement, du fait de la mise à l’écart de Bayrou, pour cause d’ennuis judiciaires. Le Modem s’est retrouvé dans un entre-deux, comme supplétif au sein d’une majorité sur laquelle il n’a finalement pas prise.

En 2024, de manière assez inespérée, François Bayrou arrive finalement à Matignon, à 73 ans. Son heure est enfin arrivée, le « grand destin » se réalise, même si c’est un peu en modèle réduit, et en mode précaire. Et là, c’est le drame, car on se rend compte que cet isolement a transformé le bonhomme, au point de le rendre inapte à exercer le pouvoir. Quand vous avez un ego surdimensionné, et une haute estime de vous, être entouré de courtisans et de fidèles « compagnons de route » ne fait que vous enfermer dans votre égotisme. Ce genre de choses ne s’arrangeant pas avec l’âge, cela peut donner une personne totalement imbuvable, et donc inapte à rassembler et diriger une coalition.

Maire de Pau depuis 2014, il est resté dans une sphère des élus locaux qui s’est progressivement déconnectée des administrations et lieux de pouvoir parisiens, du fait de l’interdiction du cumul des mandats. Il est sans doute aussi victime d’un syndrome que l’on retrouve chez beaucoup de politiques qui, arrivés à un certain âge, ne sont plus aptes à exercer des fonctions ministérielles après une coupure. Ils sont déphasés par rapport aux évolutions sociétales, et commettent des erreurs, comme par exemple Jean-Paul Delevoye en 2019 et Caroline Cayeux en 2022, qui ne se sont pas rendu compte qu’il ne faut surtout pas négliger les déclarations d’intérêt et de patrimoine. Michel Barnier a peut-être aussi été victime de cette forme de déconnexion, où une fois parti, on ne reconnecte jamais complètement.

Tous ces éléments m’amènent à regarder avec circonspection ce gouvernement Bayrou. Alors qu’il n’est pas encore formé, une petite musique monte déjà, sur le fait que même sans motion de censure, il pourrait ne pas tenir, du fait de faiblesses et d’erreurs du dirigeant. Un peu comme ce qui est arrivé à Liz Truss, en 2022, dont les 45 jours au 10 Downing Street n’ont été qu’un long chemin de croix. Elle a accumulé les erreurs, qui ont finit par rendre sa position intenable, alors même qu’elle disposait d’une majorité absolue à la chambre de communes.

Si jamais, du fait de l’absence de Budget, la France s’enfonce dans une crise sociale dans les premiers mois de 2025, je ne donne pas cher de ce gouvernement.

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L’impossible équation gouvernementale

A la suite de la chute du gouvernement Barnier, François Bayrou est chargé de former un gouvernement dont la stabilité ne repose pas sur la bonne volonté du RN. Mais il ne peut le faire qu’en se reposant sur la bonne volonté du PS. Pas sur que ça fonctionne.

Pour que cela réussisse, il faut que le PS (voire les écologistes) jouent le jeu. Pour le moment, ils se positionnent sur le minimum : ils restent dans l’opposition, donc pas de participation au gouvernement, avec juste un engagement de non censure du gouvernement s’il n’utilise pas l’article 49.3. Pour le reste, c’est des accords texte par texte, « avec paiement comptant, au cul du camion ».

Tout cela va donner un beau bazar, car en privant le gouvernement de la possibilité de passer en force, on le met à la merci des scrutins à l’Assemblée. On a bien vu, cet automne, dès qu’un sujet est un peu clivant, rien de cohérent ne peut sortir de l’hémicycle du Palais-Bourbon et ça se termine par un rejet. Disposer du Sénat permet de réécrire quelque chose qui tienne la route, mais reste à le faire passer à l’Assemblée, qui a le dernier mot. L’échec retentissant sur le PLFSS illustre bien l’impasse dans laquelle se trouve le gouvernement. Et la gauche le sait parfaitement.

François Bayrou va se retrouver pris dans des lignes rouges de partout, notamment sur les textes financiers, qui vont l’amener à ne pouvoir faire passer que les choses consensuelles, ou les plus petits dénominateurs communs. Sur la loi de Finances, tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut que la France continue à fonctionner, donc la loi spéciale sera votée. Mais derrière, seront-ils capables de se mettre d’accord sur une loi de finances ? J’ai de gros doutes, on pourrait rester longtemps, cette année, en mode « provisoire qui dure » avec plein de dysfonctionnements administratifs, et de dégâts dans le tissu associatif, social et économique. Ce serait absolument dramatique pour le pays.

Cette censure du gouvernement Barnier, et les prises de position qui ont suivi montrent clairement que les différents chefs de partis ne pensent qu’à leur carrière, à l’élection prochaine, dans le cadre mental et culturel qu’ils connaissent. Ils estiment toujours être dans une parenthèse institutionnelle qu’il faut refermer au plus vite en revenant aux urnes pour qu’une majorité absolue se dégage. Même si, pour cela, il faut sacrifier le présent. Le déficit et la dette laissent la classe politique largement indifférente, ce que chacun demande, ce sont des trophées qu’il puisse valoriser auprès des segments électoraux qu’il vise. Peu importe le coût, financier, mais également politique. Entre Marine Le Pen qui se veut la madone protectrice des intérêts pécuniaires des couches populaires, et LFI qui ne parle que du totem de l’abolition de la « réforme des retraites », leur absence de hauteur de vue m’affole.

Personne ne semble donc vouloir négocier réellement pour mettre en place un contrat de gouvernement, pour l’intérêt supérieur du pays. Ce n’est pas l’arrivée de François Bayrou, avec la même assise politique que Michel Barnier, qui va y changer quoi que ce soit.

La France est donc partie pour six mois (au moins) de chaos politique, où le gouvernement peut tomber à tout moment, sur un caprice du PS, ou parce que son intérêt politique est de ne pas rompre avec LFI (les municipales approchent…). Impossible de se projeter, les engagements ministériels ne valant que tant que le gouvernement est en place. Et comme on ne sait pas combien de temps il va rester, on arrête de faire des plans. En matière économique, il n’y a rien de pire que l’incertitude. Aucune loi, à part des bricoles sans intérêt et les urgences vitales, ne sera voté par le Parlement. Des réformes pourtant nécessaires attendront, ou ne seront traitées que trop tard, quand l’infection est déjà purulente, et on ne peut plus soigner.

Si aucune loi de finance n’est adoptée, le fonctionnement matériel de l’Etat se fera à la petite semaine, sur la base du budget de 2024 pour le fonctionnement courant, et à coup de lois ponctuelles pour les grosses urgences. C’est catastrophique dans un pays aussi centré sur l’appareil d’Etat que la France. Tout passe par lui, et s’il dysfonctionne, c’est le pays tout entier qui dysfonctionne.

On n’en sortira pas indemnes.

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La classe politique a failli à sa mission

Michel Barnier vient de présenter sa démission, après seulement trois mois en fonction, et un successeur doit lui être trouvé d’ici « quelques jours ». Cet évènement est la confirmation des craintes exprimées depuis le début de la XVIIe législature, sur l’effet délétère de la situation sur la démocratie et les institutions.

La classe politique porte, dans son ensemble, une lourde responsabilité. Elle ne pense qu’au « coup d’après » et à la conquête du pouvoir (pour sa pomme) et pas du tout à exercer le mandat donné par le peuple, en recherchant le dialogue et le compromis pour que le pays soit effectivement dirigé. Tous les élus sont discrédités, si tant qu’on puisse descendre plus bas dans l’estime des français.

Au sein du bloc central, la mise en place d’une véritable cohérence a mis du temps, et on n’était pas encore au moment de la dissolution. Par moment, on a vraiment eu l’impression d’être dans une cour de récréation de collège, avec des ados se livrant à un concours de quéquettes, qu’on aurait eu envie de baffer (notamment Gabriel Attal et Laurent Wauquiez). Les négociations de coalition qui, dans une démocratie parlementaire normale, se déroulent en amont, et en coulisses, se faisaient au quasi grand jour, et au fil de l’eau. Le tout avec un désinvestissement du travail de fond (au Parlement) au profit de la communication. Quand on est la coalition gouvernementale, le minimum est de s’investir dans les débats, ce qui n’ a pas été franchement le cas pour le bloc central depuis octobre.

La gauche porte également une très lourde responsabilité, la plus importante sans doute. A aucun moment, depuis le « tout le programme, rien que le programme » de Mélenchon, ce bloc n’a donné l’impression qu’il cherchait sincèrement à négocier, c’est-à-dire à passer des compromis pour le bien du pays. On a assisté à des comédies médiatiques (la palme revient au sketch Lucie Castets), un cirque là aussi indécent, où pendant longtemps, ce bloc de 200 députés (donc minoritaire) prétendait avoir gagné, et que tout refus de lui confier le pouvoir serait un déni de démocratie. Une telle attitude abime profondément la démocratie, car des militants y adhèrent de bonne foi. Pendant ce temps, pas la moindre ouverture (pas même du parti socialiste), dans les travaux parlementaires, pour arriver à des compromis, mais des hold-ups en série, par voie d’amendements, en sachant que le vote final ne pourra être qu’un rejet. La politique du pire de bout en bout !

Le RN n’a pas été en reste, avec un jeu consistant à souffler le chaud et le froid, pour finalement appuyer sur le bouton nucléaire, après avoir fait semblant de négocier. Là encore, on peut sérieusement douter qu’il y avait une volonté de Marine Le Pen de conclure de véritables compromis. Elle a juste cherché à accumuler les trophées, en ajoutant des demandes toujours plus inacceptables qui consistaient à « protéger » des catégories de la population pour développer sa clientèle électorale. En revanche, la situation des finances publiques ne semblait pas être sa priorité. Le pire est qu’on semble repartir pour un tour, avec une Marine Le Pen qui nous refait le coup du « je laisse le gouvernement travailler », juste après avoir censuré.

Bref, à aucun moment, nos élus, de quelque bord qui soit, ne se sont préoccupés de l’intérêt général, et de diriger le pays. Ils n’ont fait que faire campagne, en vue d’une échéance qui reste lointaine (l’été 2025), plongeant le pays dans l’incertitude et le marasme. Car ce cirque politique à des conséquences très réelles sur le pays.

Pour l’économie d’un pays, il n’y a rien de pire que l’incertitude, et on est en plein dedans. Si les gouvernement ne durent que trois mois, tous les engagements et promesses sont vite caduques, donc la parole gouvernementale ne vaut plus rien. Comment se projeter, dans de telles conditions ?

L’impact sur le travail parlementaire est également désastreux, car plus rien n’aboutit. Les deux mois de travail sur les textes budgétaires sont à mettre à la poubelle, pour rejouer le match en janvier et février, sans certitude que ces nouvelles discussions ne subissent pas le même sort. Tout ceux qui ont suivi les travaux parlementaire depuis octobre sont lessivés (physiquement et nerveusement) et n’ont aucune envie de remettre ça en janvier. Si les institutions organisent leur propre impuissance, il ne sera pas possible de venir pleurer, ensuite, qu’elles soient contournées, voire pire, supprimées.

J’attends des analyses plus poussées des conséquences de la non adoption des lois financières, mais je crains qu’il y ait beaucoup de désastres cachés. Quid des dispositifs fiscaux qui avaient besoin d’être prolongés, et vont tomber au 31 décembre ? Il est juridiquement plus facile de prolonger quelque chose, que de le rétablir une fois qu’il est tombé. Que ce soit pour le budget ou pour le reste, on est dans l’immobilisme, rien ne va bouger. Pour certains, ce sera une bonne affaire, pour d’autres, ça sera très problématique. Avec là encore, des conséquences en cascade qu’on va découvrir une fois qu’il sera trop tard pour les traiter.

J’en veux terriblement à la classe politique, d’avoir sacrifié le bon fonctionnement du pays à leurs ambitions personnelles. Ils ont failli à leur mission, et ne sont pas dignes de rester à leur place.

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Risque et analyse

La censure, à laquelle je ne croyais pas, a finalement eu lieu. Apparemment, Michel Barnier n’y croyait pas non plus. On n’est planté. Cela arrive, quand on est en anticipation, dans une période particulièrement incertaine. Pour autant, je n’ai aucun regret, car l’important, pour moi, est l’analyse, bien plus que la prédiction en soi.

Ma manière de construire une pensée et un raisonnement implique que je me prononce sur l’issue. C’est à partir de la fin, que je construit le cheminement qui y mène, et donc l’analyse. C’est risqué, car les éléments peuvent changer en cours de route, et une position qui était juste à un moment T, peut ne plus l’être quelques temps après.

Prendre position sur l’issue, est aussi un excellent moyen de susciter le débat (en mode troll parfois) et donc d’avoir des échanges intéressants. Ne pas se positionner peut amener à produire un filet d’eau tiède, où on enquille les banalités. Mes lecteurs habituels savent que ce n’est pas mon style.

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L’illusion politique

L’illusion politique est un ouvrage de Jacques Ellul, paru en 1965, dont je viens de terminer la lecture (il vient d’être réédité en poche). Il trouve, en cette période étrange, une résonance particulière.

Jacques Ellul est un auteur très singulier dans le paysage intellectuel français. Son œuvre (importante) est biface, avec d’un coté un sociologue du technique et de la propagande idéologique, et de l’autre, un théologien protestant. Il est resté toute sa vie professeur à Bordeaux, donc loin des chapelles idéologiques parisiennes. Enfin, il ne se pose pas en théoricien construisant des cathédrales intellectuelles, mais comme un essayiste, qui engage une conversation sur des thèmes qui se retrouvent d’un livre à l’autre. C’est un marginal, et c’est ça qui le sauve aujourd’hui, car il a développé une pensée originale, faite d’intuition, mais aussi d’excès et d’erreurs. On est rarement complètement d’accord avec Ellul, qui est parfois dans l’excès, et décrit un monde daté. On en prend et on en laisse, mais il fait réfléchir, car il sort des sentiers battus.

Dans l’illusion politique, il part du postulat que cela fait déjà bien longtemps que la classe politique a perdu le contrôle du pays, que la « politique » ne dirige pas grand chose, et que la vie politique est un théâtre d’ombres. Je retrouve ce que nous vivons en 2024 dans bien des descriptions qu’il fait de la situation des années 60.

Pour Ellul, il y a des décisions politiques majeures, que l’on ne prend que quelques fois par décennies, et qui engagent profondément. Toute la suite n’est que la mise en œuvre nécessaire de ces décisions majeure. C’est par exemple le choix énergétique du nucléaire, ou encore la construction européenne. Une fois qu’on s’y engage, beaucoup de décisions présentées comme le fruit de décisions politiques, ne sont que l’application des mesures nécessaires, sans réelle marge de manœuvre. La grosse erreur du politique est de continuer à faire croire aux citoyens que malgré cela, on a quand même toujours le choix, et qu’on peut renverser la table. Mais en fait, quand les citoyens prennent les politiques au mot, et le font (comme pour le référendum européen de 2005), ça se termine mal, car en fait, on n’a pas le choix. Ou alors, il faut prendre une autre décision majeure, qui engage pour au moins une génération.

Une autre illusion est de faire croire que les politiques sont aux manettes du quotidien, et qu’un ordre, parti du bureau d’un chef d’Etat ou de gouvernement, s’applique rapidement, et change la vie concrète des gens. Or, c’est totalement faux, et les politiques ne font que tenir le gouvernail d’un lourd paquebot, à la tête d’une bureaucratie qui est la condition de l’efficacité de l’action publique, dans un monde complexe. Toutes les politiques de « simplification » ne sont qu’un leurre, car la mise en œuvre des politiques publiques nécessite de résoudre ou d’arbitrer entre de nombreuses injonctions contradictoires, et ne peut s’appliquer qu’avec des effectifs nombreux de fonctionnaires qu’il faut motiver et coordonner.

Le troisième problème que pointe Ellul est que la politique se fait souvent sur des objets symboliques, qui n’ont parfois qu’un lointain rapport avec la réalité. C’est particulièrement visible aujourd’hui, où nombre de politiques publiques sont conçues sur la base de clichés et de concepts fantasmés. Il s’agit de lutter contre la « théorie du genre » ou le « néolibéralisme », d’éviter le « grand remplacement », de fustiger les « ultra-riches ». De plus en plus, la pensée politique est déconnectée des réalités, donc il ne faut pas s’étonner que si les décisions sont prises sur des prémisses idéologiques, elles n’aient que peu, voire aucun effet sur la réalité.

La quatrième illusion est le faux-semblant démocratique. Notre système politique actuel est qualité de « démocratie » en faisant croire aux simples citoyens qu’ils sont dans l’Athènes de Périclès, et qu’ils ont réellement du pouvoir, alors qu’il n’en est rien. Beaucoup s’en sont d’ailleurs rendus compte, développant une amertume et un rejet des élites qui continuent à leurs seriner ces contes pour enfants. Les français ont, dans leur grande majorité, l’impression d’être pris pour des imbéciles. Les mécanismes de « participation citoyenne » ne sont que des emplâtres sur cette jambe de bois, des gadgets n’ayant pas d’effet réel sur le « système ». En 1965, déjà, cela se voyait.

Jacques Ellul fustige également l’idée que « tout est politique », et que les solutions à tous les problèmes ne pourraient donc passer que par la politique. Il voit dans cette manière de charger la société de toutes les responsabilités, une forme d’impasse, car on demande à la politique de régler des questions qui relève de valeurs. L’Etat est sans doute le bon outil pour les questions de gestion matérielle et administrative de la cité, mais certainement pas pour trancher des sujets autour du bien et du mal, du vrai et juste. Demander au « politique » de trancher des enjeux moraux, c’est lui demander plus qu’il ne peut donner, et se retrouver nécessairement déçu et amer. Or, nos politiques ne font que nous parler de valeurs, de justice, de grands principes ! Ils posent beaucoup de constats, et de questions, soulèvent des espoirs auxquels ils sont bien en peine de répondre concrètement et efficacement.

La déception profonde des français vis-à-vis de la politique (et donc des institutions et de la classe politique) vient sans doute en partie de ces illusions. On attend trop de l’Etat et des institutions publiques, on croit trop qu’on peut « tout changer », qu’il suffit d’en avoir la « volonté politique ».

On ne pourra véritablement s’en sortir qu’en tordant le cou à cette illusion de la politique, telle qu’elle nous est vendue, et à laquelle, malheureusement, nous sommes attachés, car elle fait partie de notre culture.

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Imaginons un instant que Barnier soit renversé

Même si je pense les dirigeants politiques français suffisamment lucides pour éviter de plonger le pays dans la crise, en renversant Michel Barnier, je vais essayer d’imaginer ce qui pourrait se passer, au cas où ils le font. Après tout, la bêtise et l’irresponsabilité sont de plus en plus répandues (les américains ont réélu Trump), tout devient plausible.

Les institutions vont continuer à fonctionner dans un premier temps. En cas d’adoption d’une motion de censure, la semaine prochaine, sur le PLFSS, Michel Barnier est tenu de démissionner. Emmanuel Macron revient ainsi dans le jeu, puisque c’est à lui de nommer un premier ministre. Pendant un temps indéterminé, Michel Barnier peut rester en fonction, à expédier les affaires courantes. Il apparait difficile pour le président de le renommer immédiatement, ce qui serait contraire à l’esprit de la Constitution. Après sans doute moultes consultations, Macron constatera qu’aucune coalition plus solide que celle qui soutient Michel Barnier, ne peut être trouvée.

L’élargissement du bloc central vers la droite semble très compliqué, car gagner sur la droite (en incluant plus ou moins le RN), c’est perdre sur la gauche, le Modem et une grande partie de Renaissance ne suivraient pas. L’autre perspective, l’élargissement à gauche avec l’entrée du PS dans la coalition semble la meilleure solution. Mais malgré les tentations du PS de s’émanciper, le NFP restera soudé, car les municipales arrivent (avec des accords de coalition) et l’électorat de gauche ne semble pas psychologiquement prêt à voir se briser l’objet totémique « union de la gauche ». De toute manière, cette nouvelle majorité serait encore un peu plus ingérable qu’actuellement. Ce ne serait qu’un rafistolage, pour que le service minimum soit assuré, en attendant de pouvoir revenir aux urnes, à l’automne 2025. Pas de grande réforme à attendre, mais au moins, on aura un gouvernement en mesure de prendre des décisions en cas de crise externe qui nous tombe dessus.

La deuxième option est celle du gouvernement technique, composé de hauts fonctionnaires, dont le but est clairement, et exclusivement, de tenir la maison propre, en attendant des élections législatives, dont la date (à l’automne) est annoncée rapidement, afin que les choses soient sans équivoques. Ce serait moins bien qu’un gouvernement politique, car la marge de manœuvre serait quasi inexistante, à moins d’une forme de coup de force politique. Le cœur du pouvoir, sous la Ve république, c’est l’exécutif, et un gouvernement de hauts fonctionnaires qui fait ce qu’il veut, débarrassé pendant 8 mois du contrôle politique du Parlement, c’est problématique. Ce serait une forme de démission des politiques, qui pourrait faire de très gros dégâts dans la population. Les gens pourraient par exemple se rendre compte que, finalement, c’est plus efficace comme cela, et qu’après tout, un régime autoritaire, ça a de bons cotés. Des inhibitions peuvent sauter, et le terrain se préparer pour le pire.

Tout cela pourrait finalement bien se passer dans un pays qui dégage des excédents budgétaires, qui vit au quotidien la fraternité, dans un continent en paix. Sauf que la France, en ce moment, c’est loin d’être ça. Nos déficits publics explosent, et un gouvernement faible et impuissant, c’est l’assurance que ça va encore plus déraper. Les agences de notation financières risquent de nous le signaler très vite, pour un coût qui est loin d’être négligeable. Nos partenaires européens, avec qui nous partageons une monnaie commune, ne vont pas apprécier non plus, surtout quand le souvenir du naufrage grec n’est pas si loin. Notre pays est très loin d’être apaisé, et bien au contraire, il est sujet à de très fortes tensions, qu’un épisode de quasi vacance du pouvoir peut faire tomber dans des spirales très dangereuses. Enfin, la guerre entre la Russie et l’Ukraine pourrait prendre un tournant décisif, si en janvier, Donald Trump coupe les vivres à l’Ukraine.

Je crains que nos institutions ne soient pas assez solides pour faire face au vide du pouvoir en France. La tentation peut être forte de chercher à passer par dessus la Constitution, en provoquant par exemple des législatives anticipées. On peut aussi imaginer que le gouvernement, pour assurer « la continuité de l’Etat » (qui est le totem d’immunité devant les juridictions et le conseil constitutionnel), ne prenne des mesures qui ne soient pas tout à fait dans les clous des textes en vigueur. Il va bien falloir trouver une solution pour doter la France d’un budget. Le bricolage peut aller quelques temps, mais pas plusieurs mois. Notre administration, et plus globalement notre économie, ne sont pas psychologiquement prêt à la navigation à vue, hors des sentiers battus. Comme le dit le proverbe, une fois que les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites.

La solution de facilité consistant à sortir « provisoirement » de l’Etat de droit, même si c’est sur un champ réduit, pour un temps limité, peut être profondément délétère pour notre pays, et pour l’Etat de droit lui-même. On peut s’y retrouver entrainés, sans même s’en rendre compte, du fait des nécessités, de la pression interne et externe, tout simplement parce que c’est la moins mauvaise solution à un instant X.

Je ne sais pas si la classe politique et les citoyens sont conscients de la pente glissante dans laquelle nous sommes engagés. D’autant plus que les extrêmes, LFI comme RN, seront les premiers à bénéficier d’une sortie piste de nos institutions. Ils n’attendent même que ça, et il se pourrait que Marine Le Pen soit, d’un coup, beaucoup plus pressée. Cela lui permettrait de faire comme Trump, arriver au pouvoir avant d’être rattrapée par les juges.

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Hidalgo offre Paris sur un plateau à Dati

La maire de Paris, Anne Hidalgo, ne se représente pas en 2026, et commet toutes les erreurs qui vont permettre à Rachida Dati de prendre la mairie.

La première erreur est d’adouber un dauphin qui n’était pas celui prévu de longue date. La logique aurait voulu que ce soit Emmanuel Grégoire, premier adjoint, qui soit désigné. Il se prépare depuis longtemps, et était vu par tous, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, comme l’héritier naturel. Mais les questions d’ego en ont décidé autrement, comme souvent en politique, et Anne Hidalgo décide, au dernier moment, de propulser un autre élu, Remi Féraud. Les deux dauphins sont de force et de qualité égale, ce qui risque d’entrainer une guerre de succession fratricide au sein du PS parisien, l’ancien dauphin ayant déjà annoncé qu’il y allait, et entend bien être adoubé par un vote des militants. Le suicide politique parfait.

Anne Hidalgo aurait pu éviter ce désastre, en tranchant dans le vif. Elle démissionne, et met en poste, en cours de mandat, le candidat de son choix. Cela tue le match en interne, car c’est difficile, pour les militants, de désavouer le maire en poste. C’est du passage en force de la part d’Hidalgo, mais c’est assez efficace. Elle a choisi de rester jusqu’au bout, autre erreur, une succession bien préparée se faisant par un passage de témoin en cours de mandat. Cela ne garantit pas la réélection de celui qui prend le poste en cours de mandat, mais ça lui donne les moyens d’acquérir une notoriété, dont Rémi Féraud, comme Emmanuel Grégoire, manquent cruellement.

La troisième erreur est une faute d’analyse politique. Anne Hidalgo exclut explicitement les insoumis de la future coalition de gauche aux municipales, tout en demandant aux écologistes et aux communistes de rallier le candidat PS dès le premier tour. Les communistes, qui n’ont pas les moyens de faire un liste autonome, répondront sans doute à cet appel. En revanche, pour les écologistes, c’est une autre histoire. Ce n’est sans doute pas par hasard que Yannick Jadot a été parachuté sénateur de Paris en 2023, ni pour lui assurer une retraite dorée. Je pense, au contraire, que c’est une stratégie pour partir, en autonome aux municipales, au premier tour, avec une tête de liste crédible. Vu les rapports de force à gauche, à Paris, c’est un pari qui peut être gagnant. Dans plusieurs gros arrondissements de gauche, si on a une liste PS-PC, une autre LFI et une troisième écologiste, je ne sais pas laquelle arrive en tête au soir du premier tour. Ce n’est pas certain que ça soit celle du PS.

De l’autre coté, la droite est en pleine recomposition, depuis que Rachida Dati est devenue ministre de la Culture. La macronie, qui n’était déjà pas bien vaillante à Paris, n’a personne à proposer, et Horizons ira sans trop de mal se vendre pour quelques places d’adjoints, la différence idéologique avec Dati n’étant pas plus épaisse qu’une feuille de papier à cigarette. Le reste de LR se fera acheter de la même manière, et ceux qui ne voudront pas se rallier (bon gré, mal gré) ne seront pas en mesure de faire des scores leur permettant de se maintenir, à part dans quelques arrondissements de toute manière acquis à la droite, quoi qu’il arrive. On peut compter sur le caractère bien trempé de Rachida Dati pour que tout le monde soit bien aligné et que la machine électorale fonctionne. Son seul souci est judiciaire, avec un probable procès pour corruption et donc un risque d’inéligibilité.

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La mousse médiatique autour de la censure

Les journalistes politiques français se sont pris de passion pour un sujet qui permet de faire croire qu’une nouvelle crise politique se profile. Le gouvernement Barnier pourrait bien être censuré, en décembre, lors des ultimes votes sur le budget. Encore une montée de fièvre à courte vue de la part de médias incapable de prendre un peu de hauteur.

Le gouvernement de Michel Barnier n’ayant pas de majorité absolue à l’Assemblée, il est à la merci d’une coalition gauche-RN qui peut le renverser. Depuis le début, la gauche ayant annoncé qu’elle voterait systématiquement les motions de censure, elle a placé le RN en position d’arbitre. Marine Le Pen, disposant de cette belle carte, fait monter la sauce depuis quelques jours. Elle agite la menace de voter la censure, si on ne lui donne pas quelques victoires politiques et symboliques lors de l’examen du budget.

Le moment n’est pas choisi au hasard. La configuration de l’Assemblée, sans majorité solide, ne laissait pas espérer un vote positif sur les lois financières. Tous les observateurs un peu lucides savaient que tout se jouerait au Sénat. Il est donc logique de mettre la pression dans la semaine qui précède l’examen du budget par le Sénat. C’est maintenant que les vraies décisions se prennent.

On va donc entendre les flonflons du bal, avec le premier ministre qui reçoit officiellement Marine Le Pen, ainsi que d’autres présidents de groupes parlementaires. On va avoir une semaine de chaud et froid, avec au final, une baudruche qui va se dégonfler. Le gouvernement Barnier ne sera très probablement pas censuré cette fois-ci, pour des raisons structurelles.

Si la gauche veut déposer une motion de censure à l’occasion de l’utilisation de l’article 49.3 sur le budget, son adoption entraine de facto le rejet du budget. Même si des mécanismes juridiques existent pour tenter d’éviter le shutdown, c’est quand même une décision politique lourde. Je vois mal le RN, en quête de respectabilité et d’une image de « gestionnaire responsable » se lancer dans cette aventure. On risque surtout d’avoir un message de mécontentement du RN contre Barnier et son budget, assorti d’une abstention lors du vote « par sens de la responsabilité envers le pays » (ou une autre formule approchante). On peut faire confiance à Michel Barnier pour mettre, le moment venu, la pression dans ce sens.

Si la gauche attend le vote du budget, et dépose juste après une motion de censure découplée (sur la base de l’article 49.2), on est dans une autre configuration politique. Le risque de shutdown est écarté, mais reste un souci : comment trouver un autre gouvernement, en attendant qu’Emmanuel Macron puisse à nouveau dissoudre, à l’été 2025 ? Le cirque de cet été a montré qu’il n’y a pas d’alternative possible à la majorité qui soutient Michel Barnier, même si les socialistes tentent d’explorer des idées fantaisistes (comme des accords de non-censure). Donc là encore, on est dans une impasse, la censure créant une crise politique dont il n’y a pas d’issue institutionnelle possible. Il ne faut pas oublier que le but de la gauche, comme du RN, est de récupérer le pouvoir au prochain coup, pas de plonger la France dans le chaos politique (dont on ne sait jamais ce qui peut sortir).

Enfin, les médias semblent sous-estimer le fait que Michel Barnier est un fin négociateur, qui a mené la barque du Brexit avec succès pour l’Europe. Je ne doute pas que le Premier ministre saura en lâcher un peu, promettre suffisamment, pour que Marine Le Pen se dise que, finalement, elle n’a pas intérêt à voter la censure. L’essentiel, pour elle, est déjà acquis, par la démonstration du fait qu’elle est incontournable, et qu’il faut donc bien la traiter.

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Faut-il se contenter de tondre les GAFAM ?

Très régulièrement, dans le débat public, surgissent des propositions de taxes sur les grandes entreprises du numérique. C’est soit pour alimenter les caisses publiques, soit pour subventionner d’autres secteurs économiques, censés avoir été « spoliés » par les Gafam.

Si la première alternative, d’alimenter le Trésor public, ne me pose pas de problèmes (c’est normal de payer des impôts) la seconde est beaucoup plus litigieuse et doit être regardée avec précaution, afin de ne pas accepter n’importe quoi, et ne pas se détourner des véritables enjeux, dans le bras de fer entre Etats et grandes plateformes.

Les cris les plus vocaux viennent souvent de secteurs économiques habitués à être subventionnés sur fonds publics, ou ayant longtemps bénéficié d’un monopole leur permettant de tondre les consommateurs. L’arrivée du numérique, et notamment des grandes plateformes, a bouleversé de nombreux secteurs économiques, en rendant possibles (et surtout rentables) d’autres manières de travailler. Beaucoup de secteurs ont ainsi connu une forme de désintermédiation, où le numérique s’est révélé bien plus efficace, et moins couteux. Les annonces et offres, les réservations diverses et variées, ont massivement migré vers des plateformes (dont toutes ne sont pas américaines). Le temps passé a également migré, les gens passant bien plus de temps devant des écrans. Donc nécessairement, des activités comme la publicité ont suivi. Des modèles économiques, dont certains tenaient de l’économie administrée, comme celui des médias « classiques » ont souffert des possibilités de contournement technique des péages et barrages destinés à obliger les comportements des consommateurs. On a ainsi « découvert » que bien des comportements ne relevaient pas de choix libres et éclairés, mais juste d’une contrainte bien organisée par les producteurs.

Le numérique a donc changé bien des règles du jeu, et dans les premiers temps, les acteurs économiques dominants ont tout fait pour rétablir les anciennes règles. Sans y arriver, comme le montre le secteur de la culture, où dès les années 2005, tout le monde leur disait que le consommateur devient pirate, car il n’aime pas être pris pour un pigeon, mais que si on lui propose une offre « légale » qui soit pratique et à un prix correct, il s’y dirigera. Cela a pris 10 ans, et ce sont les américains, avec Netflix notamment, qui ont pris le marché en proposant (enfin) une offre adaptée que les acteurs français du secteur de la culture n’ont pas été capable de proposer.

Aujourd’hui, les places étant prises, les acteurs économiques français n’ont souvent plus que leurs yeux pour pleurer. Ils vilipendent donc des opérateurs numériques qui font ce qu’ils auraient pu faire, s’ils avaient eu un peu plus l’esprit d’entreprise. Ils développent un discours victimaires, se présentant comme des gens qui auraient été « spoliés » et doivent donc être indemnisés. Comme si les lecteurs et les annonceurs publicitaires étaient la propriété des titres de presse, et que les Google et consorts devaient les indemniser pour leur avoir offert un service correspondant mieux à leurs attentes. On est vraiment dans la fable de Bastiat, sur les marchands de chandelles qui pétitionnent contre le soleil.

Le drame est que nombre de médias et d’acteurs de l’industrie culturelle sont encore dans cet état d’esprit de refus d’évolution. Ils ne veulent pas changer leurs habitudes, et trouvent d’autres arguments, pour qu’au final, ils soient subventionnés par ceux qui ont pris leur marché. C’est la question des droits d’auteurs, où des sommes astronomiques sont demandées par les patrons de presse, pour des productions souvent médiocres, bien loin de ce que des calculs économiques rationnels pourraient donner. C’est maintenant le rôle « d’intérêt général » des médias, pour la démocratie, qui est mis en avant, pour justifier qu’ils soient subventionner. Les pouvoirs publics, qui donnent déjà largement pour ça (plus d’un milliard par an) ne peuvent pas en rajouter, et ce seraient donc aux plateformes de venir en donner plus.

Derrière tout cela, il y a aussi des enjeux de pouvoir. Ces plateformes ont pris une place centrale dans la distribution de contenus et de services, mais aussi dans l’organisation du débat public. Et certaines de ces plateformes font n’importe quoi, entre irresponsabilité et manipulation. On n’est plus ici sur des questions d’argent, mais tous les moyens sont bons, au niveau des gouvernements, pour avoir prise sur ces acteurs américains, dans un bras de fer qui entre dans une phase critique. Ces sujets autour du droit d’auteur ou de la désinformation sont donc gonflés dans le cadre de cette lutte de pouvoir, bien au delà de ce qui relève de la responsabilité de ces plateformes (même s’il y a du vrai dans ces demandes et reproches).

Il serait bien que le débat public se recentre davantage sur la question de l’emprise et du pouvoir dont disposent ces plateformes, et ce qu’elles en font. Les vrais enjeux « démocratiques » sont là, et sont importants, et c’est sur ce terrain que se placent les autorités américaines (pour le moment). Ne laissons pas ce combat être détourné et instrumentalisés par des acteurs économiques qui cherchent juste à racketter un autre secteur plus prospère, afin de reconstituer des rentes leur permettant de vivre confortablement, sans avoir à innover.

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La France en pleine reconfiguration politique

La déflagration provoquée par la dissolution de l’assemblée en juin 2024 marque un moment majeur d’une reconfiguration politique qui se poursuit, vers des direction pour l’instant encore incertaine.

Le premier effet a été de mettre Emmanuel Macron à l’écart de la vie politique. Il reste président et garde donc une capacité de nuisance, mais il a été mis au rencart par son propre camp. Il ne représente plus l’avenir, et ce qu’il peut dire n’intéresse plus grand monde, et semble assez mal le vivre. Le bloc central peut donc commencer à se reconfigurer se stabiliser, mais ce sera très progressivement, et un peu dans la cacophonie. Il y a des moments, on se croirait dans une cour de récréation, avec quelques gamins mal élevés comme Attal ou Wauquiez, qui cherchent à jouer les caïds. Ils peuvent discréditer ce bloc politique aux yeux de leurs électeurs, désespérés de ces enfantillages.

Même si l’Assemblée est un véritable cirque, du fait de l’absence de majorité, c’est aussi un terrain d’expérimentations, avec des cohabitations inattendues comme l’improbable tandem Coquerel – de Courson à la tête de la commission des Finances. Malgré des résultats déroutants dans les élections internes, on est arrivé à un résultat finalement pas inintéressant en termes de partage du pouvoir, la gauche ayant plus de leviers qu’on ne le pense. Ils sont à la tête de trois commissions et ont la majorité au bureau. Ils sont donc, de fait, associés au bloc central dans manière dont l’institution est gérée, et en seront considérés comme co-responsables. Il ne sera pas possible, pour la partie « raisonnable » de la gauche, de se défausser du bilan, quand l’heure des comptes arrivera, sur le déroulement de cette XVIIe législature.

Cette absence de majorité donne (et donnera) des résultats surprenants et imprévisibles, ce qui donne un véritable pouvoir à l’Assemblée nationale (en tout cas, plus qu’avant). En matière de lois, on sait ce qui entre dans l’hémicycle, mais personne ne peut prédire ce qui en sortira, ni dans quel état le texte sortira. Après le budget, un nouvel exemple vient d’être donné cette semaine, avec une banale proposition de loi sur les titres restaurants. Le but était de prolonger d’un an un dispositif provisoire, le temps de voter une réforme d’ensemble du dispositif. Prévue en 2024, cette réforme n’avait pas pu se faire pour cause de dissolution. Et voilà qu’en commission, les députés votent, à une voix près, non pas la prolongation d’un an, mais la prorogation définitive du dispositif, contre l’avis de la rapporteure (et du gouvernement). La devise de cette législature pourrait être « sur un malentendu, ça peut passer ».

A gauche, les choses évoluent aussi, avec des rééquilibrages entre gauche réformiste et radicale, où la prochaine étape sera les municipales de mars 2026. On pourrait avoir beaucoup de surprises, on commence déjà à avoir des signes que « la poutre bouge » dans certaines villes, dans le choix des alliances. Et surtout, la question de la succession d’un Jean-Luc Mélenchon vieillissant n’est toujours pas réglée à LFI, où ce n’est pas Manuel Bompard, qui a le charisme d’une huitre, qui pourra passer de coordinateur du parti à candidat à la prochaine présidentielle.

La reconfiguration politique se poursuit également, avec l’évènement majeur que pourrait être la condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité. Vu comment s’est déroulé le procès, l’amateurisme de la ligne de défense, on est bien parti pour qu’elle perde ses mandats dès 2025, et ne puisse pas se présenter à la prochaine présidentielle. Cette situation est une bombe à fragmentation, car cela pourrait entrainer une colère et une radicalisation du coté du RN et de son électorat. Cela pourrait aussi entrainer une guerre de succession, voire une implosion du parti, si Jordan Bardella n’arrive pas à s’imposer, ou tombe, lui aussi, pour des questions d’emplois fictifs.

L’élection de Donald Trump et le supplément d’instabilité qu’elle ajoute à une situation géopolitique déjà menaçant, peut également changer la donne politique nationale. Une crise géopolitique peut rapidement dériver sur une crise économique ou financière, la guerre en Ukraine l’a montrée en 2022. L’Europe n’est pas bien vaillante, entre une France gérée par un intérimaire qui pourrait durer, et une Allemagne qui n’aura un gouvernement stable qu’au mieux en avril 2025 et une Italie dirigée par l’extrême-droite. Les tractations autour de la prochaine commission européenne montrent bien que les failles politiques s’approfondissent à Bruxelles.