La commission sur les abus sexuels sur mineurs dans l’église catholique vient de rendre son rapport. La seule surprise, c’est l’ampleur : 3000 prêtres et religieux pédophiles, près de 300 000 victimes, sur 70 ans, c’est bien plus qu’on ne pouvait le craindre. Pour le reste, on savait, depuis bien longtemps, que le problème est structurel, et tient à la théologie catholique elle-même. C’est bien pour cela que la « repentance » de la hiérarchie catholique n’ira pas loin, même si les évêques sont sans doute sincères à titre personnel.
Le cœur du problème vient du cléricalisme, un mouvement que l’on retrouve dans toutes les religions, à des degrés divers, qui consiste à faire du prêtre et de l’institution, le centre de tout. La personne du prêtre y est considérée comme « sacrée » donc à part du reste de la société, et devant faire l’objet de révérence, et bien entendu, d’obéissance.
L’église catholique, aujourd’hui encore, est très touché (je dirais même gangrénée) par ce cléricalisme, avec des prêtres qui marquent leur différence, notamment dans le vêtement, et suivent des règles « à part » (le célibat par exemple). Cela est bien entendu associé à un pouvoir au sein de l’institution, où les « non clercs » sont écartés du pouvoir et chargés des tâches matérielles, voire un peu plus, quand on ne peut vraiment pas faire autrement, du fait de la pénurie de prêtres que connaît la France, notamment rurale.
Ce facteur est aggravé par d’autres éléments propre à l’institution catholique, comme le célibat obligatoire, qui fait du statut de prêtre un « placard » à homosexuels de familles bourgeoises, voire pire, à des déviants sexuels graves. En laissant ainsi des prédateurs sexuels, dotés d’un statut d’autorité, en contact régulier avec des enfants, en ayant l’assurance d’être « couverts » en cas de problème, on ne pouvait qu’arriver à ce désastre.
C’est à la fois un désastre pénal et humain, avec des vies brisées, mais aussi un désastre théologique. Une telle déviance au sein d’une institution, en totale contradiction avec le message qu’elle est censée porter, ne peut que discréditer le message. Le risque du cléricalisme, qui est de faire passer la protection et les intérêts de l’institution, avant le message et la cause à porter, s’est ici réalisé.
Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Au XVIe siècle, la rupture protestante est née d’un refus de l’instrumentalisation du message évangélique au profit des intérêts matériels et financiers de l’institution, et de sa quête de pouvoir et d’emprise sur la société. L’un des fondements du protestantisme, qui n’a jamais faibli (du moins dans sa version classique, luthéo-réformée) est le refus du cléricalisme. Le pasteur n’est pas une personne sacrée, dotée d’un pouvoir supérieur à celui des fidèles. Les institutions protestantes sont les plus décentralisées possibles : l’unité de base, chez les calvinistes, c’est la paroisse, et il n’y a pas d’évêques. Les synodes, qui sont les organes collégiaux de décisions, sont composés pour moitié de laïcs. Même si les pasteurs sont très présents, car ils sont à temps plein, là où les laïcs ont souvent une vie professionnelle, ils sont sous surveillance. Un verrouillage autour d’un scandale d’ampleur n’aurait que très peu de chances de réussir chez les protestants.
Ce rapport Sauvé risque malheureusement d’être juste un jalon de plus dans la descente aux enfers de l’église catholique, ce scandale des agressions sexuelles qui a déjà provoqué des départs de fidèles, et va encore amener encore. Même s’ils ne perdent pas pour autant la foi, des fidèles partent, car outre le scandale en lui-même, ils perçoivent l’écart monstrueux entre le message d’amour et de fraternité professé en haut de la chaire et la réalité des pratiques de ceux qui prêchent.
La vraie solution est un changement radical de paradigme de l’église catholique dans son fonctionnement, à savoir la fin du cléricalisme. Cela ne se fera pas, car il est déjà trop tard. L’institution catholique, très fragilisée puis 50 ans, est trop fortement structuré autour de cette place centrale du prêtre, et ne survivrait pas à une révolution. Et comme les fidèles qui sont encore là, semblent attachés à cette manière de fonctionner, rien ne pousse, finalement, l’institution à se réformer.