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Jean Pormanove, symbole de l’impuissance publique

Un épisode tragique, la mort « en direct » du streamer Jean Pormanove, met en lumière la réalité crue de notre régulation des contenus numériques, et plus globalement, sur l’action de la puissance publique dans ce domaine : ce n’est qu’un décor en carton-pâte.

Le cas est emblématique, voire caricatural. Une personne, visiblement fragile, est régulièrement brimé et humilié dans des lives sur une plateforme. Cette exposition sordide de la maltraitance et du harcèlement était connue de longue date, et a fait l’objet de tous les signalements nécessaires. Médiapart en a fait un article, qui a déclenché une enquête de la part du parquet de Nice, territorialement compétent, a ouvert un enquête. Et rien ne s’est passé, jusqu’au drame, qui a déclenché un concours de lâchetés, chaque acteur de la chaine de régulation cherchant à refiler la patate chaude à son voisin.

Placé en première ligne, le régulateur (l’Arcom) s’est défendu comme il le pouvait, expliquant que ce n’est pas son rôle de juger du caractère licite ou pas d’un contenu sur les plateformes, et de prononcer des sanctions. Si c’est techniquement exact, c’est médiatiquement inaudible, car ce régulateur est doté de pouvoirs de sanction pour les contenus audiovisuels, et ne s’est pas privé de s’en servir pour cogner sur Cyril Hanouna, qui lui aussi, faisait dans l’exposition sordide de l’humiliation. Une telle affaire ne peut qu’affaiblir la crédibilité du régulateur, capable de se payer les vedettes du PAF, mais impuissant face des streamers. Au passage, on constate aussi que cette plateforme n’était visiblement pas du tout en règle avec ses obligations légales (pas de représentant en Europe) mais tout cela était complètement passé sous les radars de tout le monde. Et pourtant, ces vérifications était dans la fiche de poste du régulateur.

Les ministres en également pris pour leur grade, et paient ainsi des postures de communication. Quand Aurore Bergé transforme son cabinet du ministère de l’égalité homme-femme en signaleur de confiance de contenus masculinistes sur Tik Tok, elle sort clairement de son rôle. Elle y trouve un intérêt politique et médiatique immédiat, mais s’expose à un backlash violent. Si vous le faites pour les contenus masculinistes, pourquoi vous ne le faites pas aussi pour le harcèlement ? Là encore, l’écart entre le discours à la télévision et la réalité de l’action est effarant. Cela ne peut que discréditer l’ensemble de la classe politique, parce qu’il ne faut pas se leurrer, c’est comme ça sur beaucoup de sujets, pas seulement la régulation des contenus numériques.

La Justice a également des comptes à rendre, car dans ce cas précis, c’était très clairement à eux d’agir. Or, rien ne s’est passé. On a beau jeu de mettre en avant la faiblesse (réelle) des moyens, ce n’est pas une réponse satisfaisante, car au final, une personne est morte, et après une période de souffrance psychologique connue et documentée puisque Médiapart avait déjà fait le boulot d’enquête. L’excuse du genre « la loi ne nous permettait pas d’agir » n’est pas audible, vu le nombre impressionnant de lois et de règlement européens pondus dans ce domaine, ces dernières années.

Cette affaire donne donc une image cruelle de l’impuissance publique et politique à réguler quoi que ce soit. Ce sujet des contenus en ligne est devenu un objet symbolique, où ce qui compte, c’est la communication médiatique, peut importe les effets réels. Une triste illustration de ce qu’est devenue l’action publique, où les choses vont comme elles peuvent, avec une impuissance des politiques, sauf en cas de grosse exposition médiatique (comme sur l’accès des mineurs aux sites pornographiques), où on concentre les maigres forces qui restent, pour des résultats pas toujours fabuleux. Pour l’instant, à partir soutirer un peu d’argent aux Gafam, l’Europe n’a pas obtenu de véritables résultats face aux plateformes, et parfois (comme pour X-Twitter), ça a même empiré.

Ce qui risque d’arriver, outre le discrédit de la puissance publique, c’est la remise en cause de l’idée même d’une régulation des contenus en ligne. A quoi cela sert-il de mettre des règles aussi contraignantes et coûteuses, si on peut s’en abstraire aussi facilement ? Ceux qui respectent la loi se retrouvent lésés, et vont se dire qu’ils ont été bien cons de jouer le jeu. Il se pourrait, avec l’action de populistes soutenus par Trump, que les autorités politiques européennes se retrouvent sur la défensive, contraints de justifier une régulation contestée dans ses mécanismes, mais aussi dans ses fondements philosophiques, sans le soutien de ceux qu’elle devait protéger, et qui n’en ont que les inconvénients, sans les avantages

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Le coup de poker de Bayrou

Le Premier ministre a boosté la rentrée politique, en annonçant, dès le 25 août, un vote de confiance devant l’Assemblée nationale, le 8 septembre. La prise de risque est réelle, car en cas de vote négatif, le gouvernement tombe. Mais la manœuvre est habile, car plus on avance dans l’automne, plus le risque est grand pour Bayrou. Autant anticiper en prenant tout le monde de vitesse.

En abattant cette carte alors que la rentrée politique commence tout juste, Bayrou préempte le calendrier. Jusqu’au 8 septembre, ce vote de confiance sera au centre des débats, politiques et médiatiques. On ne va parler que de ça, et ça va occulter tout le reste, que ce soit la journée d’action du 10 septembre, ou le contenu du plan d’économies budgétaires. Désormais, tout est centré sur la survie de Bayrou, c’est lui qui est au centre du jeu, et ses adversaires vont devoir se positionner en fonction de lui et de ce vote de confiance.

Le choix du moment est habile, car si on sent que les oppositions à certaines mesures d’économies commencent à monter, rien n’est encore cristallisé. Bayrou peut donc lâcher du lest, en ayant pris le lead sur la négociation. C’est qui a fixé la date butoir pour un deal (avec le RN), et on sait globalement que ça va porter sur la proposition de suppression de deux jours fériés, et quelques autres mesures à très forte teneur symbolique, sur la fiscalité des riches. La négociation ne fait que commencer, et va sans doute durer jusqu’au 8 septembre, où Bayrou peut se permettre de donner ses arbitrages pendant la déclaration de politique générale. Compliqué, pour les autres partis (notamment à gauche), de devoir réagir à chaud, sur des annonces qu’on découvre en live. Bayrou est véritablement le maitre des horloges, et en politique, c’est très important.

Si elle réussit et que le RN s’abstient, permettant au gouvernement de survivre, c’est une victoire politique pour Bayrou. Il sera en effet difficile, pour les partis qui n’auront pas voté contre, de changer de pied, un mois plus tard, lors de l’examen du budget, et de censurer sur un éventuel recours à l’article 49.3. Une survie, inespérée, serait un coup de massue pour l’opposition de gauche, qui fera une fois de plus la démonstration de son impuissance à changer le cours des choses, et ne pourra qu’accentuer les fractures internes, entre LFI et les autres.

En cas de défaite, c’est la crise politique, et il faudra que les partis qui l’ont provoquée l’assument (surtout si Bayrou a fait de grosses concessions en toute dernière minute). De toute manière, quel que soit le gouvernement qui lui succède, il ne pourra pas faire autrement que reprendre l’ossature de son projet de budget, car il est impossible de le réécrire complètement. Aucune coalition parlementaire alternative n’est possible, on ne pourra que dissoudre ou chercher un autre Premier ministre au sein du bloc central, qui ne sera que la continuation du gouvernement Bayrou.

En tout cas, François Bayrou aura fait la démonstration qu’il est un véritable animal politique, espèce de plus en plus rare dans notre paysage institutionnel. S’il doit finalement partir, ce sera avec un certain panache !

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Journaliste ou procureur, il faut choisir

LFI vient de refuser d’accréditer un journaliste du Monde, Olivier Perou, pour son évènement de rentrée, des Amfis. Celui-ci étant le co-auteur du livre « La Meute », on peut effectivement comprendre qu’il ne soit plus trop en odeur de sainteté du coté de la Mélenchonie.

Bien évidemment, tous les journalistes vont embrayer sur l’atteinte à la liberté de la presse, soulignant le fait que jusqu’ici, seul le RN faisait le tri dans les journalistes.

Je suis plus partagé. C’est effectivement problématique que des partis politiques se permettent de « choisir » les journalistes qui traitent de leur actualité. Mais les journalistes ont également leur part de responsabilité, et la manière dont ils exercent leur métier peut les exposer à des mesures de rétorsion qui peuvent se comprendre.

Dans ce cas précis, je peux comprendre la réaction de LFI. Le livre « La Meute » est une enquête (lourdement) à charge contre le fonctionnement du parti. Il a été écrit par un journaliste qu’ils connaissent, qui a souvent couvert leur actualité, et qui donc les connait bien. Il a du recevoir des confidences, des off, parce qu’une forme de relation de confiance se noue entre le journaliste et le terrain qu’il couvre. Cela n’est pas sans risque, dans les deux sens. Un journaliste peut se faire « capturer » par le terrain qu’il couvre, et se transformer en porte-parole, plus qu’en observateur impartial. A l’inverse, le journaliste peut se faire procureur, et faire dans la démolition et la dénonciation, ce qui peut être vécu comme une trahison de la confiance donnée, par la structure concernée. Dans les deux cas, la solution qui s’impose est que le journaliste passe à autre chose. Dans les journaux ayant encore une déontologie, les mouvements sont automatiques : on ne peut pas rester plus qu’un certain nombre d’années sur un secteur. C’est une très bonne chose.

Le Monde aurait du comprendre qu’après la publication de « La Meute », Olivier Perou était complètement carbonisé chez LFI, et qu’il fallait le transférer dans un autre service, ou a minima, sur un autre segment politique. Faire en sorte qu’il continue à suivre LFI est une erreur de la part de la direction du Monde, et a pu être ressenti comme une provocation chez LFI.

Les journalistes sont tout à fait légitimes à écrire des livres-enquêtes à charge. Mais ils doivent en accepter les conséquences.

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La clarté et la sincérité des débats

La décision du conseil constitutionnel sur la loi Duplomb a remis sur le devant de la scène la question du contrôle de la procédure parlementaire par les Sages, et le fameux principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

La procédure d’adoption de la loi Duplomb a été assez chaotique et inhabituel, puisque les députés n’ont pas pu en débattre en séance, du fait de l’adoption d’une motion de rejet préalable. Le fait que cette motion ait été déposée par le rapporteur, et votée par la majorité, est un fait rarissime et est politiquement très contestable. Pour autant, le conseil constitutionnel n’a rien trouvé à y redire. Et c’est normal.

Le conseil constitutionnel exerce un contrôle, qui consiste à voir si, sur la forme comme sur le fond, les parlementaires ne sont pas sortis du cadre constitutionnel. Même si le résultat peut sembler baroque, ou pas le plus efficient, le conseil ne dira rien. Il le répète dans beaucoup de décisions, avec une formule classique : « le conseil ne bénéficie du même pouvoir d’appréciation que le Parlement ». Il ne faut donc pas attendre de lui qu’il se penche sur les détails des choix politiques, à partir du moment que les outils procéduraux utilisés existent, et que le mode d’emploi a été respecté.

Il existe toutefois une limite, qui est le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires. Souvent brandi par les oppositions, dans leurs recours, il n’a jamais servi, et c’est tant mieux. Pour moi, ce principe est avant tout une protection des droits de l’opposition, contre des manœuvres du gouvernement ou de la majorité, qui auraient empêché un débat libre et éclairé. Cela peut être des informations essentielles qui n’ont pas été transmises, des délais trop courts pour déposer des amendements (sauf si on a été prévenu avant, de manière informelle), des débats tronqués, qui n’ont pas permis à l’opposition de déployer tous leurs arguments, ou de la faire de manière audible. On serait dans le cas d’un fonctionnement démocratique très déficient, où le gouvernement passe en force en mentant et en bâillonnant l’opposition.

Dans le cadre de la loi Duplomb, les députés ont eu toutes les informations nécessaires, le débat a eu lieu en commission, et les arguments contre le texte ont pu être présentés et débattus. Certes, ce débat n’a pas eu lieu en séance, qui est le moment où ils auraient pu avoir plus de visibilité, mais rien de nouveau n’était attendu. La séance n’aurait été que la répétition théâtrale et ad nauseam de ce qui a déjà été dit en commission. Comme à chaque fois, pour tous les textes.

Il était évident, dès le départ qu’il n’y a eu aucune violation du principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires sur cette loi Duplomb. Le jour où ce sera le cas, il faudra vraiment être inquiet sur l’état de notre démocratie.

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Il n’y a pas que la loi Duplomb

Le 7 août 2025, le conseil constitutionnel a rendu cinq décisions. L’une d’entre elles concernait la loi Duplomb, qui a fait l’objet d’une très intense couverture médiatique. Elle a tellement occupé de place, qu’elle a occulté les autres. Pourtant, l’une d’entre elles est, à mes yeux, bien plus importante.

Les Sages ont haché menu une proposition de loi d’origine sénatoriale, qui visait à renforcer la privation de liberté pour les étrangers en situation irrégulière. Et donc, de fait, faisait reculer le périmètre des Libertés publiques de manière assez inquiétante. Le processus est ultra-classique : on prend appui sur un dispositif destiné à s’appliquer uniquement aux cas de terrorisme, et on l’étend à d’autres infractions. On permet ainsi de garder en rétention pendant 180, voire 210 jours, des étrangers condamnés à certaines peines. Et au passage, le législateur a également voulu rendre automatiquement suspensif l’appel du parquet, en cas de décision de remise en liberté.

Comme cela concerne des étrangers en situation irrégulière et condamnés, ça ne semble pas avoir ému les foules. Pas de pétition à 2 millions de signatures, pas de couverture médiatique. Pourtant, il suffirait juste d’enlever un mot (en situation irrégulière par exemple) pour avoir un dispositif qui profondément liberticide. La mécanique était en place, en banalisant la rétention longue, il suffisait ensuite de laisser glisser. La technique habituelle !

Heureusement, le conseil constitutionnel y a mis un sérieux coup d’arrêt, en s’appuyant sur l’article 66 de la Constitution, qui protège la liberté individuelle.

Ce rappel à l’ordre sévère sur une dérive liberticide me parait plus important que la censure prononcée contre la réintroduction d’un produit phytosanitaire problématique. Pourtant, cela ne semble pas être un avis majoritaire, la crainte d’attraper le cancer étant bien plus importante, dans la population, que la préoccupation sur les Libertés publiques. Cela en dit long sur notre société et notre époque.

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Relancer la délibération démocratique

Gilles Babinet a publié une tribune intéressante dans les Echos, où il pose de manière claire un problème que nous sommes beaucoup à ressentir. Les « écrans » et leur fonctionnement enferment les citoyens, et cassent les mécanismes qui entretiennent la démocratie.

Le temps passé devant les écrans (télévision et internet) est devenu de plus en plus important, et cela risque de ne pas aller en s’arrangeant. C’est autant de temps en moins pour les conversations, notamment avec les gens qui ne pensent pas comme nous, et que nous sommes quand même obligés d’écouter. Or la démocratie est un processus délibératif, fondé sur les échanges continus entre gens qui ne pensent pas pareil, pour trouver des compromis permettant de vivre ensemble. Si on se retrouve confronté, plusieurs heures par jour, à des contenus qui ne font que conforter nos préjugés, cela ne va pas dans le sens du bon fonctionnement de la démocratie.

On en voit les effets aux États-Unis, où de plus en plus, Républicains et Démocrates vivent dans des sphères parallèles, ne se voient plus, et donc ne se comprennent plus. Cela donne une vie politique polarisé, qui favorise la radicalité et les extrêmes, alors que la démocratie est basée sur des compromis centristes. L’Europe n’est pas au même niveau, mais suit le même chemin. Ces échanges quasi-permanents sont en train de se tarir, et c’est un danger grave pour notre démocratie, auquel il faut trouver des correctifs.

On ne va pas arriver à diminuer les temps d’écrans, et je crois assez peu à la lutte pour le pluralisme sur les écrans (même s’il faut la mener). Ceux qui tiennent les robinets des contenus (chaines de télévision et plateformes) ont un intérêt économique évident à la polarisation. On peut tout au plus limiter la casse, mais on n’inversera pas la tendance.

C’est la « vie réelle » qu’il faut agir, en ouvrant de nouveaux espaces de dialogues et d’échanges, entre personnes qui n’ont pas l’occasion de se rencontrer, et donc d’échanger. Ce n’est pas simple, car le temps disponible est restreint, et discuter avec une personne avec laquelle on est en désaccord, sans pouvoir la bloquer d’un clic, n’est pas l’activité la plus attirante. C’est pourtant indispensable que certains s’y collent, et que les résultats de ces échanges soient largement diffusés. Cela veut dire organiser des confrontations, des échanges, qui soient à la fois bien organisés et cadrés, pour qu’il en ressorte quelque chose qui puisse intéresser l’ensemble de la collectivité. Il n’est pas nécessaire d’arriver à des consensus, mais rien que distinguer où sont réellement les dissensus, et quelle est leur nature réelle, cela ferait progresser notre système démocratique.

Pour jouer ce rôle, il faut des organisations et des personnes qui s’y consacrent. Cela ne peut pas être le personnel politique, trop occupé à flatter les bas instincts de son électorat, et qui n’a, au fond, pas intérêt à élever le niveau du débat. Il ne faut donc pas compter sur les partis politiques, qui suivront éventuellement, si un mouvement est lancé et qu’ils y trouvent du grain à moudre. Mais ils ne seront pas moteur.

Il est nécessaire qu’un écosystème démocratique, qui existe, s’empare véritablement de cette mission, qui se faisait autrefois toute seule, et qu’il va falloir maintenant alimenter, pour que la démocratie continue à fonctionner. Cela ne demande pas nécessairement beaucoup de moyens financiers. On trouve toujours des personnes volontaires pour débattre, donner leur opinion, écouter celle de l’autre et réagir à ce qu’il dit. C’est ensuite, dans le traitement de l’information ainsi récoltée, mais aussi dans le cadrage initial, que tout se joue. Les conventions citoyennes sont une première piste possible, où au lieu de demander à de simples citoyens de se transformer en technocrates, on leur demande juste de s’écouter, de dialoguer, et d’arriver à des constats, de consensus et de dissensus, avec un processus délibératif digne de ce nom.

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Peut-on abroger la loi Duplomb

Une pétition connait un grand succès actuellement, sur le site de l’Assemblée. Elle propose l’abrogation de la loi Duplomb (qui n’a même pas encore été promulguée) et devrait dépasser le million de signatures. Elle montre assez clairement les limites de la « démocratie citoyenne ».

La première limite est institutionnelle. Tout ce que cette pétition pourra provoquer, c’est un débat en hémicycle à l’Assemblée, si la conférence des présidents de le veut bien (ce qui n’est pas gagné). Et comme on est en été, ça sera pour septembre, voire octobre, au mieux. Quoi qu’il arrive, cela n’ira pas plus loin qu’un débat, car le système des pétitions devant les chambres n’est pas fait pour servir de cour d’appel des décisions parlementaires. Il n’est pas fait pour servir tout court, à part offrir un pseudo-débouché institutionnel aux émotions citoyennes et médiatiques.

Mais c’est sur le fond que cette pétition est intéressante, car elle illustre parfaitement le fossé entre la loi, telle qu’elle est écrite, et la perception qu’en ont les citoyens. La loi Duplomb, c’est une série de modifications d’articles de code (notamment du code rural) et une fois la loi promulguée, et les codes changés, la « loi Duplomb » n’est plus qu’un objet symbolique. Abroger la loi Duplomb, techniquement, ça voudrait dire revenir sur toutes les modifications de code, quelque que soit leur intérêt et leur portée. Plus on avance dans le temps, plus l’opération est complexe, car les codes vivent leur vie, et sont en constante mutation, sous l’effet notamment de la frénésie législative du Parlement. Au bout de la troisième ou quatrième modification d’un article de code, postérieure à la loi que l’on veut abroger, on risque surtout de créer un vaste bazar légistique, que même une loi de simplification n’arriverait pas à mettre.

Les citoyens ne voient le travail législatif que par le prisme des médias et des slogans militants, qui sont obligés de simplifier à l’extrême et de mettre de l’émotion et de l’emphase, pour toucher le grand public. Il y a donc un écart énorme entre le réel et la perception, qui fait que les tentatives citoyennes de « renvoi de balle » au législateur ne peuvent pas techniquement aboutir. Ce que demandent politiquement les signataires de la pétition, c’est juste l’abrogation de quelques mesures précises, celles qui ont fait couler de l’encre et des pixels, pas de l’ensemble des articles. Sauf que l’écriture de la loi étant tellement technique, il faut quasiment être du métier, pour arriver à formuler une proposition techniquement valide, qui réponde exactement à la demande citoyenne, et qui ait donc une chance de trouver un débouché autre que symbolique.

De ce hiatus, ne peut naitre que de la frustration, ce qui n’est pas bon. Quand un million de personnes s’expriment (même si l’effort pour signer une pétition en ligne n’est pas surhumain), et veulent envoyer un message, il faut a minima envoyer un accusé de réception et une réponse politique. A défaut de revenir sur le texte, au moins, qu’on débatte sur les éléments précis qui ont motivé la pétition. Le risque, si la pétition est mal rédigée (et c’est le cas sur celle concernant la loi Duplomb), c’est le débat passe à coté du sujet, et que ça finisse en échange de slogans stériles.

Ce mécanisme des pétitions citoyennes existe, et mérite d’être amélioré. Cette pétition sur la loi Duplomb, au delà de sa rédaction maladroite, peut être entendue comme une demande de nouvelle délibération de la loi, qui vient juste d’être votée, mais n’est pas encore promulguée. Ce n’est pas possible, constitutionnellement, car seul le chef de l’Etat peut la demander, mais cela peut être une idée très intéressante si jamais une révision constitutionnelle a lieu. Si un texte à peine voté suscite un tel tollé, il n’est pas démocratiquement sain de passer outre.

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On a un gouvernement de droite (et heureusement)

François Bayrou vient de faire ses annonces pour trouver des économies budgétaires. Comme on pouvait le prévoir, ça risque de faire mal pour les ménages et les collectivités (un peu moins pour les entreprises). Mais on reste dans le très classique, avec beaucoup de vieilles recettes et aucune réforme structurelle. Beaucoup d’annonces relèvent de l’incantation, car soit on a déjà essayé, et on sait que ça ne marche pas, soit parce qu’il faut arriver à les faire voter. Pour les projections financières, c’est juste à hurler de rire. On est à peine de capable de projeter correctement sur l’année en cours, alors un plan jusqu’en 2029, n’en parlons pas.

Sur la forme, la séquence est toutefois assez réussie, avec des annonces relatives claires. J’avais peur d’un gloubi-boulga de non-annonces, où on sort frustré car il n’y a aucun cap. Même si on n’a pas tous les détails, ce qui est normal, Bayrou a parlé d’année blanche, de baisse de dépenses sociales et de dotations aux collectivités, de baisse du nombre de fonctionnaires, de hausse de fiscalité pour les ménages. Dans le même temps, les entreprises vont sauver une partie de leurs aides, et auront des « compensations » pour les coupes budgétaires qu’elles devraient subir. La réforme de l’Assurance chômage ou du droit du travail ne devrait pas se traduire par des « avancées sociales ». On a une politique de droite, sans le moindre doute possible.

Le choix politique est donc de ne faire aucune réforme structurelle, mais de continuer à raboter des dispositifs. Le modèle social français sera moins généreux, notamment sur le volet de prise en charge des soins et la solidarité. En même temps, il y a bien un moment où cela devait arriver, vu les modifications de la démographie, et le fait qu’on ne produit plus assez de richesses par notre travail, pour le financer. Ce que propose Bayrou, c’est une décélération plus ou moins maitrisée (et sans doute insuffisante). Mais à la place, on pourrait avoir des coupes sombres aléatoires et aveugles, si jamais les marchés financiers nous fermaient brutalement la solution de la dette. Ce n’est pas une hypothèse d’école, d’autres pays, dont les Etats-Unis, ont déjà eu quelques alertes. Même si cela va beaucoup hurler, notamment à gauche, il n’y a pas trop le choix. Soit on augmente les recettes, soit on baisse les dépenses. Faute d’être en capacité de garantir les recettes, mieux vaut prévoir, d’ores et déjà, que les dépenses vont baisser, et le faire le moins inéquitablement possible.

On va également vers une réduction du périmètre de l’action de l’Etat. Moins de fonctionnaires, moins d’agences, c’est nécessairement des missions qu’on abandonne, ou qu’on fait moins bien, plus superficiellement. C’est complètement assumé, et là encore accompagné, Bayrou ayant bien insisté sur la « simplification » qui est le mot poli pour habiller cette réduction de la voilure de l’action publique. Il a même lié cela à une baisse des aides de l’Etat aux entreprises. Alors que les particuliers vont subir des coupes sèches, sans compensation, le monde économique va pouvoir négocier l’allègement de « contraintes ». Quand on voit ce qu’il a eu dans la loi Duplomb, destiné à « lever les contraintes au métier d’agriculteur », on peut craindre le pire. Et pour noircir un peu le tableau, tout cela passera par ordonnances, donc sans débat parlementaire.

Reste à voir les reculs que Bayrou sera amené à opérer, qui dépendront en partie des réactions politiques. Je crains, malheureusement, que la concentration des cris sur les mesures symboliques et totémiques (suppression des jours fériés, taxation des « riches »…) ne laisse de coté des décisions plus lourdes de conséquences, mais moins « sexy » et ou moins aisément compréhensibles. Ces annonces ne sont que le point de départ d’un certain nombre de négociations, qu’il faudra suivre attentivement, sur le droit du travail, la lutte contre la Fraude ou encore la « simplification ».

Il n’y a finalement absolument rien de surprenant dans les annonces de Bayrou. Le cahier des charges est très contraint : faire une purge des finances publiques, sans trop toucher à la compétitivité des entreprises et sans effrayer les marchés financiers.

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Il faut stopper la voracité des cultureux

Le statut de l’auteur (et donc le droit d’auteur qui en découle) est une construction purement politique, qui a des effets importants, en créant une économie de la rente et de la prédation. Le secteur du numérique l’a particulièrement senti depuis 20 ans, ce droit d’auteur étant utilisé pour opérer une véritable saignée, le secteur culturel se comportant comme une sangsue sur cette nouvelle industrie.

Économiquement, l’auteur est juste un producteur de matière première, dans une chaine de valeur dominée par les transformateurs et les distributeurs. Exactement comme dans tous les secteurs (regardez l’agriculture par exemple). C’est en général le maillon le plus faible, celui qui apporte une base, indispensable au reste de la chaine, mais pas « vendable » en l’état, donc devant être transformée, pour prendre une valeur aux yeux des consommateurs.

Par l’effet d’un puissant lobbying, les organisations d’auteurs ont réussi à faire admettre, par pure convention politique, que la matière première qu’il fournissent est exceptionnelle, d’une autre nature que les autres producteurs de matière première, et doit donc être traitée différemment sur le plan juridique. Tout cela a été habillé de grands mots et de mythes, comme celui de la « création » sorte d’alchimie aux relents de proximité avec le divin, donnant une consonance sacrée.

Cette opération de lobbying réussie n’a pu durer que par le soutien du reste de la chaine industrielle. Transformateurs et distributeurs, contre qui était au départ braqué l’outil juridique du droit d’auteur, s’en sont emparés, pour l’utiliser contre d’autres secteurs économiques, pour les racketter. Tous les outils ont été progressivement mis en place pour organiser la perception, trouver de nouvelles ressources, et entretenir le mythe fondateur (baptisé « exception culturelle »). Le ministère de la Culture est devenu leur succursale, chargé de défendre leurs intérêts, et non pas ceux du public et de la diffusion de la culture. Ironie de l’histoire, les auteurs sont le maillon faible de la filière culturelle, comme dans toute filière industrielle.

Le droit d’auteur, c’est avant tout une rente, le droit d’aller piquer dans la caisse des autres, au nom d’un « droit de suite » du producteur de la matière première. Il en découle un système qui cherche à maximiser cette rente, soit dans l’assiette, soit dans les taux. Cette industrie du divertissement pousse à une extension de la durée (on est à 70 ans après la mort du premier titulaire). Le mouvement est toujours en cours, on le voit actuellement dans les tentatives de faire payer les revendeurs de livres d’occasion ou encore les entreprises qui développent des outils d’IA. Dans un passé récent, leur grande réussite a été le mécanisme de la copie privée, dévoyé pour devenir une pompe aspirante, qui permet d’aller chercher de l’argent dans la poche des revendeurs de smartphones d’occasion.

C’est un mécanisme économiquement très mauvais, car il n’incite pas du tout à l’innovation, à la fois dans son propre écosystème, mais aussi chez les autres, qui peuvent avoir à utiliser (même marginalement) des éléments couverts par ce droit d’auteur. En mettant une barrière à l’entrée, une obligation de payer, avant même d’avoir pu faire quoi que ce soit, on tue dans l’œuf des innovations. C’est donc un mécanisme profondément conservateur, dont l’utilisation rigide et rapace a, paradoxalement, diminué la portée. Combien de « poules aux œufs d’or » ont été tuées par les sociétés de gestion de droit d’auteur ? Sans doute beaucoup.

Il serait temps d’avoir un débat de fond sur la justification de cette « exception culturelle », dans son principe même, mais aussi en regard de ce qu’elle est devenue. En quoi devrait-il y avoir une « exception » pour le secteur culturel ? C’est une industrie comme une autre. En quoi la création littéraire et artistique devrait-elle bénéficier d’un statut juridique aussi privilégié ? Pourquoi ne pas l’étendre à tous les producteurs de matière première d’une filière industrielle, afin de leur apporter une protection ? Je suis certain que les agriculteurs seraient très heureux de bénéficier d’une redevance prélevée sur les restaurants et lieux de consommation de nourriture.

Le deuxième débat est de savoir, si on le maintient, jusqu’où va ce droit. On arrive à des extensions délirantes, comme celui de la copie privée, où le secteur de la culture fait payer les revendeurs de smartphones, au prétexte que l’outil peur servir à copier et stocker des produits issue du droit à la copie privée. Autant le mécanisme pouvait avoir du sens à l’époque des magnétophones et des magnétoscopes, autant aujourd’hui, à l’heure du streaming, c’est complètement marginal.

C’est aussi la bagarre (à fort enjeu financier) autour de l’IA, où les entreprises qui développement des modèles estiment être dans le cadre des exceptions (Fair use des anglo-saxons, exception text and data mining en Europe) et donc ne pas avoir à payer. Une perspective insoutenable pour le complexe industriel de la culture, qui comme le requin qui flaire une goutte de sang, s’est précipité sur cette proie potentielle, qu’il entend bien saigner. Quitte à flinguer l’innovation.

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L’arrivée des « décrets-faits divers »

On connaissait la bonne vieille rengaine « Un fait-divers = une loi » pour illustrer la frénésie des élus à utiliser la loi à tort et à travers comme outil de communication pour répondre aux émotions médiatiques. Maintenant, nous avons aussi les décrets faits divers, avec un magnifique exemple dans le JO de ce 3 juillet.

Elisabeth Borne a pris un décret, pour obliger les proviseurs à saisir le conseil de discipline, si un élève porte une arme sur lui. Un écho direct à l’émotion soulevée par le meurtre d’une surveillante, par un collégien, début juin, en Haute-Marne.

Ce passage par le décret a quand même quelques avantages, et à tout prendre, je préfère ça à une proposition de loi. Au moins, le conseil d’Etat est saisi, et peut grandement limiter la casse sur le plan juridique. La procédure n’étant pas publique, cela nous évite les surenchères et les cirques dans l’hémicycle. Il y en a déjà bien suffisamment comme ça, pas la peine d’en rajouter. Et puis c’est quand même plus rapide. Moins de trois semaines entre le fait divers et sa réponse au Journal officiel, une loi ferait difficilement mieux.

Pour autant, ça n’évite pas de mettre en lumière l’inanité de la démarche. Le texte ne fait que prescrire l’obligation de réunir un conseil de discipline. Rien de plus. Ensuite, le proviseur se débrouille, pour décider de la sanction, de la faire appliquer. On va aller loin avec ça. C’est d’autant plus risible, qu’un chef d’établissement qui découvre qu’un élève porte une arme, ne va pas rester sans rien faire, et qu’il n’a pas besoin d’un décret pour lui indiquer quoi faire. Et s’il ne le fait pas, quelles seront les sanctions ? Si on doit virer un chef d’établissement défaillant, c’est pour autre chose que ne pas avoir convoqué un conseil de discipline alors qu’il aurait dû le faire.

Cela permet aussi de voir à quel point les montagnes accouchent de souris. Entre l’ampleur du bruit médiatique, et la mesure concrète, il y a un gouffre. Mais dans ce domaine, le JO du 3 juillet contient une autre perle, dans le même registre.

Après tout le foin que nous ont fait une tripotée de responsables politiques (Macron compris), autour des dangers de l’exposition des jeunes enfants aux « écrans », voilà que Catherine Vautrin nous sort un magnifique arrêté (on est en dessous du décret). Dans la charte nationale de l’accueil du jeune enfant, elle remplace « il n’est pas recommandé de laisser un enfant de moins de trois ans devant un écran » par « Il est interdit d’exposer un enfant de moins de trois ans devant un écran ». Juste sublime !

Un exemple concret de ce qui provoque chez moi une grande lassitude. Tout ça pour ça…