Sébastien Lecornu a finalement survécu aux motions de censure. Mais de pas grand chose (18 voix) et pour un prix démesuré. En effet, le PS s’est finalement abstenu parce qu’il a obtenu la promesse du gel de la réforme des retraites jusqu’en janvier 2028. Et ses responsables ont bien pris de soin d’indiquer que ça ne vaut pas accord sur le budget, et encore moins accord de gouvernement.
Cela ne pourra pas mener loin, car l’assise du gouvernement Lecornu est très réduite. Il n’a strictement aucun indulgence à attendre du RN, LR est devenu un allié peu fiable, qui est passé de membre de la coalition gouvernementale à « soutien sans participation ». L’approche de la présidentielle attise les appétits, et Edouard Philippe pourrait devenir, au fil des semaines, de plus en plus libre et de moins en moins loyal. Ne parlons pas de Gabriel Attal, qui va consacrer le plus gros son énergie à faire oublier qu’il est l’héritier du parti de Macron, et pourrait être prêt à toutes les trahisons pour cela.
On a donc un gouvernement sans assise parlementaire, qui ne tient que parce qu’une dissolution serait encore plus catastrophique que son maintien pour les partis « de l’arc républicain ». Chacun a ses raisons : la déroute annoncée pour les partis macronistes et assimilés, le risque de ne pas avoir de budget, ou encore la perturbation des élections municipales pour le PS et LR. Sébastien Lecornu est a pris acte, en s’engageant à respecter les votes du Parlement. Il n’a pas trop le choix, il n’a pas les moyens politiques d’utiliser les outils constitutionnels dont il dispose.
Mais cela pourrait se révéler très difficile à gérer, car le gouvernement est l’animateur du débat parlementaire, celui qui impulse, qui fournit la documentation et écrit le texte (car les parlementaires n’ont pas les ressources techniques), celui qui reprend les dispositions irrecevables. On va donc avoir, pendant les débats financiers, un gouvernement qui ne pourra pas jouer son rôle, par manque d’autorité, et qui va donc laisser la cour de récréation du Palais-Bourbon en autogestion. Cela va être un désastre, tant pour l’ambiance que pour le résultat final, car les députés vont être bien plus enclins à prendre la défense de toutes les niches et organisations menacées, que de rechercher les moyens d’améliorer la situation financière. Le risque est que le gouvernement, pour exercer un minimum son rôle technique, soit obligé de multiplier les concessions et les avalages de couleuvres. Cela ne se donnera certainement pas une baisse du déficit.
Le seul but du gouvernement, et donc la totalité de la ressource ne sont pas tournés vers la préparation de l’avenir, l’amélioration de la situation présente, mais vers sa survie, dans une forme de quoi qu’il en coûte, qu’on ne peut pas se permettre. Je crains même que cela ne suffise pas, et que le pays se retrouve sans budget au 31 décembre.
Nous serions alors en situation de crise grave. Si on a pu éviter le pire en 2025, en votant une loi spéciale et en bouclant les budgets en février, il n’est pas certain qu’on puisse reproduire la cascade à l’identique en 2026, en retombant aussi bien sur nos pieds. L’habileté tactique de Sébastien Lecornu ne suffira pas, tant il est stratégiquement cerné. Cela fait penser à la campagne de France, en 1814, où Napoléon doit rendre les armes, malgré une série de petites batailles victorieuses.
Pour le moment, je ne vois pas d’issue à la tentative de continuer à gérer le pays avec des compromis parlementaires. Les forces politiques qui ne pensent qu’à provoquer une présidentielle anticipée (en espérant la gagner) pour refermer la parenthèse des majorités relatives, et revenir au bon vieux système présidentialiste de la Ve république.
Lecornu pourra tenir, au grand maximum, jusqu’aux municipales. Dès avril 2026, nous aurons probablement une grave crise politique, provoquée par tous ceux (en fait tout le monde) qui veulent voir Macron quitter l’Elysée rapidement.