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La réforme de la décentralisation ne se fera pas

En ce moment, les rapports sur la décentralisation arrivent en rafale continue. Après celui de Boris Ravignon, sur le coût de l’enchevêtrement des compétences locales, voici celui d’Eric Woerth sur le réforme de la décentralisation. Que va-t-il sortir de tout cela. Sans doute pas grand chose, comme d’habitude ! Les conditions ne sont franchement pas réunies pour avoir une véritable réforme du labyrinthe coûteux et inefficace qu’est devenu notre organisation territoriale.

Les conditions politiques générales ne sont pas là. Avec une assemblée éclatée, où le gouvernement n’a pas de majorité absolue, aucune grande réforme un peu clivante ne peut passer (sinon au 49.3). Avec un Sénat hors du contrôle du gouvernement, c’est encore plus compliqué, car jamais Emmanuel Macron ne voudra laisser les sénateurs mener le bal de la réforme territoriale (et inversement). D’ailleurs, Eric Woerth prend acte qu’un « grand soir » n’est pas possible, et propose surtout des ajustements techniques et techno, avec un beau cadeau au Sénat, le retour du cumul des mandats, pour tenter de dealer. Il n’y a aucune ambition, dès le départ.

La clé d’une vraie réforme est ailleurs, dans un accord politique sur de grands principes, qui relèvent de la Constitution et du consensus politique. Cela doit porter sur la différentiation des compétences (et donc accepter de s’asseoir sur le principe d’uniformité), sur l’acceptation d’un véritable pouvoir réglementaire (voire quasi-législatif) local, avec une véritable autonomie fiscale (recettes propres, où les collectivités contrôlent le taux et l’assiette). Bref, il faut que l’Etat accepte de lâcher prise, et de laisser chaque territoire vivre sa vie, dans un cadre où il est possible de réaliser localement de véritables choix politiques.

La Corse est le lieu d’expérimentation de ces questions de fond. On voit à cette occasion à quel point le processus est lent, laborieux, car l’Etat central rechigne vraiment à lâcher prise. Imaginez ce que cela peut donner face à des régions qui n’ont aucune « particularité » culturelle ou géographique à mettre en avant ?

Si le gouvernement accepte plus ou moins le principe de différenciation entre territoires, c’est à condition que les adaptations locales relèvent exclusivement du préfet. C’est le « pouvoir de dérogation » des préfets, sur les normes, qui est pour l’instant une porte ouverte à une différentiation locale arbitraire et sous tutelle. Cela ne fait juste que rajouter du bazar dans un labyrinthe. Cela permet à la fois de mettre un peu d’huile, localement, quand ça coince vraiment, sans que l’on puisse en faire une règle pérenne et applicable sur tout le territoire. Cela rend le droit encore plus illisible, et surtout, cela donne encore plus de billes aux préfets dans leurs négociations (opaques) avec les élus locaux. La démocratie locale n’en sort pas grandie.

Le fond du problème est que les administrations centrales et les élites parisiennes n’ont jamais vraiment accepté le principe de la décentralisation. Depuis 40 ans, les réformes n’ont eu de cesse de rogner les pouvoirs des élus locaux. Aujourd’hui, l’essentiel de leur budget vient de dotations de l’Etat, les communes n’ont plus la main que sur la taxe foncière, les départements les plus fragiles financièrement sont devenus de simples opérateurs de l’Etat, gérant pour lui l’aide sociale et le grand âge. Il suffit ensuite de laisser se développer les rivalités entre élus locaux, entre territoires, de rajouter de nouvelles strates (intercommunalités) et on crée un monstre que personne ne contrôle. Sauf l’Etat, qui reste reste le maitre du jeu, en faisant les lois, en tenant les finances, en gardant un pied dans beaucoup de compétences locales, via les préfets et les administrations déconcentrées. On a donné aux élus locaux un pouvoir de faire, l’Etat gardant un pouvoir d’empêcher ou de gêner. Le rapport Ravignon est éclairant sur cet imbroglio, qui fait perdre un temps fou (et un pognon de dingue) en concertations et coordinations.

Les différents rapports sur lesquels le gouvernement prétend fonder son actions ne sont pas du tout au niveau nécessaire, celui de la vision politique et de l’acceptabilité d’une véritable autonomie locale. On aura donc, au mieux, une « grande loi » sur les collectivités locales qui ne portera que sur des points marginaux, bougera quelques curseurs, mais pas plus. Un peu comme la précédente « grande loi » sur les collectivités, dites « loi 3DS », du 21 février 2022, qui entendait traiter ces mêmes questions de différentiation et de simplification.

5 réponses sur « La réforme de la décentralisation ne se fera pas »

Il y a un côté démoralisant de voir à quel point les intérêts particuliers bloquent tout.
C’en est même étonnant de voir à quel point une résignation s’est abattue sur les composantes modérées des sociétés. Laissant la place à des radicaux ou des égoïstes qui vont fracasser notre pays contre un mur.
Gardons espoirt, mais parfois il faut jouer la méthode Coué à fond.

Avoir la Corse comme lieu d’expérimentation semble pour le moins curieux, parce que s’il y a bien un coin en France métropolitaine où tous les signes sont réunis pour que l’Etat Central ne lâche pas la bride…

Bonjour,
Je trouve très curieuse la construction de cet article.
Vous faites, il me semble, un constat correct à propos de la gabegie de la décentralisation menée actuellement: strates compétitives, coût faramineux, imbroglio, rivalités ( en oubliant au passage comportement mafieux des élus locaux, dilution de responsabilité, inefficience des grands travaux etc)…. mais la conclusion que vous en tirez est qu’il faut aller vers plus de décentralisation.
Je trouve cela amusant, et assez caractéristique du mode de réflexion mené dans nos hautes strates exécutives et législatives. Un peu le même genre de twist intellectuel que l’antienne classique ‘l’Europe marche mal, allons donc vers plus d’Europe’.
Pourquoi est-il si difficile d’aller au plus simple: La décentralisation est un échec parce que c’est une très mauvaise solution aux maux du pays et de notre démocratie.
Les départements n’ont JAMAIS été conçus pour être autre chose que des opérateurs de l’Etat. Ou alors il faudra remonter aux provinces de l’ancien-régime, et encore, avant Louis XIV.
La France ce s’est jamais si bien portée que sous des régimes franchement jacobins. La construction même du pays pointe dans cette direction. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est encore un mimétisme imbécile avec l’Allemagne, attisé vigoureusement par les autorités européennes, qui pousse dans la direction d’un fédéralisme qui n’est viable qu’à la condition de la destruction des Etats Nations. Mais la France n’est pas l’Allemagne (combien de fois faudra t-il le répéter pourtant?). Les exemples récents, comme la Catalogne en Espagne, tendent pourtant à mon avis à laisser penser que les modéles fédéraux ne sont pas si simples à mettre en oeuvre. Il a suffi d’une bonne crise avec la sécheresse majeure actuelle pour observer une province indépendantiste se rendre compte que sans la solidarité du pays, seul échelon de solidarité vraiment inconditionnelle , ils étaient tout simplement foutus. Ils éliront d’ailleurs les socialistes aux prochaines élections vraisemblablement. comme quoi, dans même dans un pays historiquement très décentralisé, un peu de décisions centrales, ça a du bon.
A mon échelle, humble habitant de Perpignan, en proie à la même sécheresse, j’observe que mon pays ne sait pas passer outre les angoisses au stade anal des pays du Nord de l’Europe, pour qui la réutilisation des eaux usées, seules à même d’atténuer les effets de la sécheresse, représentent une abomination psychologiquement inenvisageable. Pas de bol, ils ont leur mot à dire sur cette question par les règlements européens auxquels nous acceptons de nous soumettre. Le temps que la question leur soit expliquée, qu’ils comprennent, que le changement de règlementation soit à l’ordre du jour, et qu’on le puisse faire voter puis publier, il aura fallu 5 ans. Et le règlement final est tellement contraignant qu’il renforce au contraire les conditions sanitaires pour des choses aussi simples que de l’épandage de boues.
Au stade local, la nullité politique est telle que toute ambition sur cette question est illusoire. Finalement qui reste-t’il sur ces sujets régaliens? L’Etat, dont le mille feuille de la décentralisation a parfaitement bien organisé l’impuissance. Il semble qu’il faille construire un canal pour relier les Pyrénées Orientales aux eaux du Rhône. Alors que les projets réussis ont foisonné dans les années 60 (canal de la donzère, philippe Lamour etc), avec des délais et une efficience remarquable dans la construction, on prévoit désormais plus de 10 ans pour poser une pauvre canalisation…
Et franchement, prendre l’exemple de la Corse comme lieu d’expérimentation… Je dirais que la Corse est le repoussoir idéal pour quiconque aurait envie de se frotter à la décentralisation sur le terrain.

En réalité, la décentralisation fonctionne bien, et même extrêmement bien. Certes il y a certes mille-feuilles, mais ces multiples couches permettent une concertation à plusieurs niveaux pour un dialogue participatif partagé. Certes, la décentralisation a un coût : mais c’est le coût de la démocratie locale. Certes, les procédures sont complexes et ralenties : mais cela permet justement de freiner la frénésie dépensière et les projets pharaoniques, et donc d’économiser. On voit le résultat, au niveau national, d’un gouvernement extrêmement efficace pour ouvrir les vannes des finances publiques selon son bon vouloir : la dégradation de la notation de la France. Cette architecture complexe convient a nos élus, et correspond à leur conception de la politique ; c’est important car ils nous représentent démocratiquement. Il ne faut jamais oublier que le mille-feuilles est avant tout un délicieux gâteau !

En premier lieu, laissez-moi vous dire que, mal fait, le mille-feuille est souvent très indigeste. Avis personnel, certes, mais vigoureux !
Je rebondis sur deux points:
– Les projets pharaoniques: ceux-ci ont plusieurs avantages, en particulier leur dimension, qui permet l’économie d’échelle, la non concurrence entre plusieurs projets géographiquement proches, etc. La centralisation des projets est, de manière générale, un facteur d’économie majeur. Ceci dit, si vous êtes de manière générale un contempteur des autoroutes etc, bien entendu la confettisation des organes de décision ne peut que vous plaire: elle ralentit voire empêche toute décision positive ou au moins constructive.
– La démocratie locale n’est-elle pas une chimère? Franchement, à part les élections municipales, est-ce-que tout le monde ne se fiche pas un peu des autres strates du mille-feuille? A part quelques énergumènes, toujours les mêmes énervés qui prennent plaisir à la participation (ou l’impression de participation) aux arcanes de décision, le reste de la population est semble-t’il indéfférente. Je n’ai pas ressenti autour de moi un enthousiasme majeur à l’idée d’aller voter pour les europénennes, les conseillers généraux etc. Quant à savoir qui siège aux intercommunalités etc, personne ne le sait… autant pour le rapprochement du pouvoir avec les péquins moyens.

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