Le conseil d’Etat vient de rendre ce 9 novembre une série de décisions sur des décrets, politiquement ultra-sensibles, de dissolution de groupements, pour des motifs d’ordre public. Notamment les désormais très connus « Soulèvements de la Terre ».
Ces décisions sont un modèle d’équilibre politique, qui relève d’un sens politique fin. L’arrêt semble donner raison aux Soulèvements de la Terre (qui échappent à la dissolution), alors qu’en fait, il est un avertissement sans frais pour tous les groupes appelant à la désobéissance civile, et une consolidation de l’outil juridique de dissolution aux mains du ministre de l’Intérieur.
Les juges ont regroupé quatre dossiers similaires, des dissolutions de groupements violents prises sur le même fondement, par le ministre de l’Intérieur. Une manière de ne pas rendre sa décision sur la seule affaire, très médiatisée, des Soulèvements de la terre. Outre que cela permet d’avoir un panel de situation différentes, donc d’application différenciée des critères, cela permet de « sauver » les Soulèvements de la Terre, en validant la dissolution des trois autres. Même si Gérald Darmanin se prend une claque, il peut se gargariser des trois autres dissolutions validées. Une décision isolée, juste sur les Soulèvements de la Terre, aurait été une humiliation plus importante.
La décision sur les Soulèvements de la terre, en elle-même, est également finement rédigée. Si le groupement échappe finalement à la dissolution, il s’en prend plein la figure dans les attendus. Oui c’est un groupement de fait qui appelle à la violence et légitime les atteintes aux biens. Mais comme pour dissoudre, il faut que l’appel à la violence soit contre les personnes, et pas seulement contre les biens, ça passe. On leur fait bien comprendre qu’ils sont passés à quelques millimètres de la ligne rouge.
Dans le reste de l’arrêt, le Conseil d’Etat passe du baume cicatrisant à Darmanin. Il indique que les appels à la dégradations de biens sont indéniables, et que le ministre de l’Intérieur pouvait, de bonne foi, estimer que cela tombait sous le coup de la loi. De plus, les mesures de surveillance du mouvement sont validées. A la fin, il évite d’examiner les autres arguments soulevés par les avocats contre le décret, évitant ainsi d’exposer publiquement d’autres faiblesses du décret de dissolution.
Le mode d’emploi est donc fourni au ministère de l’Intérieur mais aussi, et surtout, à tous les groupements tentés par les appels à la violence ou par leur légitimation (et ça représente pas mal de monde). Cet arrêt va loin dans le détail et laisse beaucoup de marge au ministère de l’Intérieur. Le fait que des membres du groupe commettent des violences n’est pas en soi punissable (on ne peut être sanctionné que de son fait ou du fait des personnes sur lesquels on a autorité), mais le moindre soutien, même implicite, fait entrer dans la zone rouge. C’est par exemple le fait de relayer volontairement des images de violences contre les personnes, ou ne pas modérer les messages d’appels explicites à la violence sur ses réseaux sociaux. Le fait de légitimer par des propos publics, les actes violents de membres d’autres groupements, fait également tomber sous le coup de la loi.
L’arrêt est finalement bien plus sévère pour les Soulèvements de la Terre que pour Darmanin. Le conseil d’Etat indique clairement qu’ils méritent d’être sanctionnés, mais pas par la dissolution, qui est un tantinet trop lourde. Et surtout, il ne ferme la porte à rien pour l’avenir : « la dissolution du groupement ne peut être regardée,
à la date du décret attaqué, comme une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée ».
Il n’était sans doute pas possible, politiquement, de dissoudre un mouvement aussi visible et médiatisé que les Soulèvements de la Terre, sans un avertissement préalable. Maintenant qu’il est donné, ils ont plus qu’intérêt à rester dans les clous.
6 réponses sur « Le Conseil d’Etat, juge indulgent pour le gouvernement »
Indépendamment de ce cas, je me pose la question de l’indépendance du droit administratif vis à vis de l’intérêt exclusif de l’administration…
Autrement dit: que les tribunaux administratifs soient ou non indépendants ou non de l’administration qu’ils jugent ne sert à rien puisque le droit qu’ils doivent faire appliquer est écrit par une seule des deux parties et à son profit exclusif
A quoi vous rajoutez un peu de socio, où les juges de demain sont dans les cabinets d’aujourd’hui…. et la boucle est bouclée…. La vraie question, qui y croit vraiment encore ? Que vous soyez puissants ou faibles, les jugements de cours…..
La « fine » distinction entre les appels à la violence contre les biens et les appels à la violence contre les personnes est une argutie juridique de plus. Le CE aurait tout aussi bien pu dire que les violences contre les biens entrainent inévitablement un risque de violence contre les personnes. Au hasard, ceux qui voient leur travail saccagé par des idéologues violents. Ils pourraient bien leur prendre l’idée saugrenue de défendre leurs biens, mais ça, on se doute que ça ne fait pas partie du logiciel du CE.
Bonjour,
Non juriste, je n’ai pas compris cette phrase (malgré plusieurs relectures, pourtant !) : »Le fait que des membres du groupe commettent des violences n’est pas en soi punissable (on ne peut être sanctionné que de son fait ou du fait des personnes sur lesquels on a autorité) … ».
Pourriez-vous la traduire / vulgariser pour le béotien que je suis, svp ?
On ne peut être pénalement coupable que de ce qu’on a fait, ou de ce qu’ont fait des personnes sur lesquelles on a autorité, et qu’on peut empêcher d’agir. C’est par exemple les parents vis-à-vis de leurs enfants, où un patron avec ses salariés dans un cadre professionnel. En revanche, une personne morale ne peut pas être responsable des agissements de ses membres, s’ils ne sont pas les dirigeants.
Sauf quand derrière il n’y a pas grand monde pour faire pression, comme pour les assos de supporter de foot par exemple.