Les députés ont adopté, le 1er mars dernier, une résolution modifiant le règlement de l’Assemblée, pour l’adapter aux circonstances de crise. Le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi, vient de rendre sa décision, et elle est cinglante : « non conformité totale » !
Le pire n’est pas la censure, mais les raisons de la censure. Les députés ayant choisi de faire dans le flou, en confiant le soin à la conférence des présidents de décider ce qu’elle estime être le plus judicieux, le conseil constitutionnel indique ne pas être en mesure d’exercer son contrôle car « ces adaptations ne sont ni limitées ni précisées par la résolution, qui se borne à prévoir qu’elles doivent respecter le principe du vote personnel et les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, lesquels s’imposent en tout état de cause ». En langage trivial, cela peut se résumer en « ni fait, ni à faire ».
Quand on lit les débats parlementaires en séance, à aucun moment, à part à la France insoumise, personne n’a rien vu venir. Les quelques critiques venant de l’opposition ne portaient pas sur le principe de la délégation de pouvoir à la conférence des présidents, mais au fait que la majorité pouvait décider seule, et qu’une décision à la majorité qualifiée (associant donc une partie de l’opposition) aurait été préférable.
On voit ici, une fois de plus, la perte de culture parlementaire et démocratique. Le règlement de l’Assemblée est fait pour fixer les procédures, de manière à protéger les droits de l’opposition, et empêcher la majorité de la faire taire, ou de limiter sa capacité à gêner l’action du gouvernement. Or, au fil du temps, on a perdu de vue cette conception « politique » de l’Assemblée, pour en faire une assemblée de rond-de-cuir, chargé de produire des textes législatifs, de préférence conforme aux attentes du gouvernement. Certes, de temps en temps, il faut laisser s’exprimer des discours discordants, mais à condition que cela ne fasse pas perdre trop de temps, ni ne retarde l’adoption des textes législatifs.
Le conseil constitutionnel rappelle également, avec une certaine brutalité, que l’Assemblée n’est pas une amicale des boulistes, où les règles de fonctionnement de discutent sur un coin de table, dans une commission composée de happy few (tout respectables soient-ils), et que les procédures parlementaires ne sont pas une « boite à outils ». L’Assemblée nationale est une Institution de la République, dont le bon fonctionnement politique est essentiel à l’équilibre de la démocratie. On ne peut donc pas se permettre de bricoler, et encore moins d’inscrire ce mode de fonctionnement bricolé dans le marbre du règlement.
Car dans les faits, c’est à cela que revenait la résolution adoptée par les députés : institutionnaliser ce qui a été pratiqué depuis mars 2020, comme par exemple empêcher des députés de participer aux débats, les empêcher de défendre leurs amendements. Même si, d’un point de vue sanitaire, on peut comprendre une volonté de limiter l’entassement des députés dans une grande pièce close et mal ventilée, d’un point de vue démocratique, tout cela est plus que limite. On a quand même, de fait, interdit à des députés de participer à des débats. Et on continue, en interdisant par exemple aux collaborateurs de députés, d’être présents, physiquement, plus d’une journée par semaine dans les locaux de l’Assemblée. Là encore, on limite la capacité d’action des députés (déjà qu’ils n’en ont pas beaucoup).
Même s’il n’y avait sans doute aucune arrière-pensée politique dans les décisions qui ont été prises, je reste un peu effaré que personne ou presque, n’ait exprimé son malaise sur l’institutionnalisation de ces mesures. En effet, il n’est pas dit qu’une autre majorité ne serait pas tentée d’instrumentaliser ce régime d’exception, pour autre chose que des raisons sanitaires. Il suffit parfois que le principal groupe de l’opposition y trouve son intérêt, pour que se monte une collusion avec la majorité, qui permette d’écraser les minoritaires, et faire ainsi taire des voix discordantes…
Une réponse sur « La claque des Sages au Bureau de l’Assemblée »
« Dans la continuité des propos que vient de tenir Marc Le Fur, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante et a même tendance à se resserrer. Monsieur le président, vous avez rappelé chaque parlementaire à cette exigence à la fin de l’année 2020. Néanmoins, cette jurisprudence peut se discuter et il n’est en tout cas pas nécessaire de nous autolimiter. Nous tombons dans une sorte de syndrome de Stockholm parlementaire : craignant l’éventuelle censure du Conseil constitutionnel, nous nous censurons. Osons !
Ce n’est pas si dramatique de se faire taper sur les doigts par le Conseil constitutionnel, le contrôle exercé par ce dernier n’étant que la preuve du bon fonctionnement de nos institutions. Il ne s’agit pas d’écrire des textes dont chaque ligne serait contraire à la Constitution, mais cessons de nous restreindre ! À force de nous autolimiter, nous finirons par scier la branche sur laquelle nous sommes assis, celle de la représentation nationale, car nous ne pourrons plus nous exprimer – au moins la question des temps de parole sera-t-elle ainsi réglée. »
Ils ont osé…