En plein déclin économique, les médias « traditionnels » continuent à recourir à la même technique, qui consiste à venir pleurer auprès des pouvoirs publics. Ils demandent à la fois qu’on continue à les subventionner à fonds perdus, mais aussi qu’on colle des boulets aux pieds de leurs concurrents et qu’on mette en place des transferts obligatoires de fonds des plateformes vers eux.
Leur dernière marotte est de demander que leurs revenus publicitaires soient sanctuarisés. Le modèle économique de la presse, depuis le XIXe siècle est biface, le même produit étant vendu deux fois, à ses lecteurs, mais aussi aux annonceurs, qui achètent de la visibilité. Le système ne peut fonctionner que si les annonceurs n’ont pas d’autres vecteurs efficaces sur ce segment, et s’il y a effectivement suffisamment de lecteurs pour que ça vaille la peine de payer des pleines pages de pub.
La révolution numérique a remis en cause, à double titre, ce modèle économique. Il existe maintenant une alternative pour les annonceurs, à l’achat de pub dans les journaux, et en plus, elle est nettement plus efficace. La pub en ligne, qui repose sur le ciblage à partir des données personnelles, est bien plus performante, et ce n’est donc pas du tout un hasard si Google et consorts raflent une grande part du gâteau. Ils sont juste plus efficaces. Deuxième effet de la révolution numérique, l’arrivée d’une concurrence dans les canaux d’information, la presse traditionnelle n’étant plus la seule offre, même si elle reste encore importante. A cela, il faut ajouter une erreur stratégique de ces mêmes médias, qui ont choisi, dans les années 2000, de renoncer à faire payer le lecteur en ligne, en se disant que la publicité seule allait tout financer. Résultat des courses, le lecteur s’est habitué à la gratuité, et il est maintenant difficile de le convaincre de s’abonner.
Le numérique a donc fait s’écrouler les deux piliers du modèle économique de la presse (la pub et le consentement à payer des lecteurs). Seuls les titres les plus gros s’en sortent, ceux qui ont une marque forte, et suffisamment de journalistes pour produire une offre d’une qualité suffisante pour que le lecteur y trouve son compte. Dans cette affaire, il n’y a ni gentils ni méchants, juste une évolution industrielle que les médias en place n’ont pas su anticiper, et à laquelle ils ne se sont pas adaptés, du fait leurs propres erreurs, et de leurs insuffisances structurelles (dont on pourrait parler longtemps).
Face à cela, c’est le déni qui prévaut chez les dirigeants de ces industries. Certes, ils cherchent à s’adapter, mais étant partis trop tard, sans moyens financiers pour investir, ça ne donne pas des résultats suffisants. Ils se replient alors sur un argumentaire politique, se comportant comme un lobby, avec une certaine efficacité. Ils se posent comme des « garants de la démocratie » et de la « qualité de l’information », ce qui justifie qu’ils soient subventionnés sur fonds publics, et qu’on aménage, pour eux, les règles du marché, pour aller vers une forme d’économie administrée, où leurs rapports avec leurs concurrents sont réglées par décrets (en leur faveur bien évidemment).
Les subventions publiques aux médias n’ont jamais été aussi importantes, et des lois autour du droit d’auteur obligent les plateformes à les rémunérer de manière obligatoire. Cela donne un véritable cirque, sur les « droits voisins », où il est interdit aux plateformes d’arrêter de référencer les journaux, ce qui les obligent donc à payer des sommes sans lien réel avec la valeur fournie par les médias. Une forme de racket légal, à laquelle les médias aimeraient rajouter un nouvel étage.
Le nouveau cheval de bataille de la presse est de se faire réserver, de manière plus ou moins obligatoire, une partie du gâteau publicitaire. Par des moyens encore mal définis, ils exigent que les annonceurs réservent une partie de leurs budgets aux médias traditionnels, quand bien même leur offre publicitaire est moins performante. Ils n’osent pas avouer qu’ils demandent un mécanisme de vente forcée, car cela n’entre pas dans les clous du droit, mais l’idée est là : « Puisque les annonceurs ne viennent plus suffisamment acheter nos publicités, on va les contraindre à le faire ».
L’autre axe d’action des médias traditionnels est de se faire labelliser, pour bénéficier de davantage de droits et de visibilité, car la concurrence est rude. Les médias sont confrontés à une évolution liée à l’IA, où pullulent les sites de news sans journalistes, écrit par des IA, donc à moindre coût. Cela pose un problème économique de concurrence déloyale, certains contenus étant de qualité à peu près égale à ce que produisent certains site de presse traditionnelle, qui ne font que reprendre des dépêches AFP. Se rajoute un réel problème de manipulation de l’information, qui peut justifier effectivement une labellisation du genre « média crédible » pour différencier le bon grain de l’ivraie. C’est en partie prévu par le droit européen (dans le règlement sur la liberté des médias), et cela va poser d’autres problèmes, liés aux orientations politiques de plus en plus affirmées de certains titres. Qui va décider de la labellisation ? La profession elle-même ? le gouvernement ? un mix des deux ? Et derrière, l’autre question qui va se poser : faut-il labelliser aussi des médias d’extrême droite, comme ceux du groupe Bolloré ou Valeurs Actuelles ?
Malheureusement, il manque un chainon dans la réflexion, celui de la qualité de la production des médias. Tout leur lobbying repose sur la prétention à être des « piliers » de la démocratie et des garants de la « bonne information ». Quand on regarde leur production, leur respect de la déontologie, ce n’est pas toujours très reluisant, et la seule réaction de la profession est de planquer la poussière sous le tapis. Pourtant, pour que cela fonctionne et reste crédible, il va bien falloir qu’un minimum de régulation soit mise en place. Et pas une vague auto-régulation, qui ne fait que couvrir tous les dérapages.